Redde m`r nimm devun - WALTHERROSTAND Page d`accueil

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Ci-dessus, page 1, un texte extrait d’une pièce de théâtre de Germain Muller,
Enfin redde m’r nimm devun (Enfin, n’en parlons plus). Le texte et la pièce
permettent de comprendre la situation des Alsaciens pendant la Seconde Guerre
mondiale.
Quelle est cette situation ?
Pour mieux la comprendre, il faut :
I) procéder à un rappel historique,
II) tenter une biographie de Germain Muller (pour comprendre ce
qui dans la pièce relève de l’expérience vécue)
III) résumer rapidement la pièce
IV) expliquer l’extrait proposé en page 1.
I) Rappel historique
1)
Réunion de l’Alsace à la France au XVIIe s.
1648 : traité de Westphalie, réunion (incomplète) de l’Alsace à la France.
1681 : Louis XIV annexe Strasbourg.
1697 : traité de Ryswick ; il interprète favorablement les ambiguïtés du traité
de Westphalie ; les puissances européennes reconnaissent la frontière française sur
le Rhin.
2)
Annexion allemande (1871- 1918)
3)
1918 : retour de l’Alsace à la France. Le gouvernement français
(le Cartel des Gauches est alors au pouvoir) veut introduire la séparation de
l’Eglise et de l’Etat en Alsace. Cela produit un « malaise alsacien » et favorise
la naissance et le succès d’un mouvement autonomiste.
4)
1933 : arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne. Début de la
détérioration des relations franco-allemandes et des relations internationales
en général.
5)
Seconde Guerre mondiale
3 septembre 1939 : La France déclare la guerre à l’Allemagne
21 juin 1940 : Armistice ; défaite française ; l’Alsace est annexée de fait (ce
n’était pas précisé dans la convention d’armistice)
Conclusion du I : l’Alsace passe régulièrement de la France à l’Allemagne.
Remarquez que si les annexions allemandes apparaissent aujourd’hui comme
des occupations passagères, les Alsaciens nés au début du XXe siècles on pu
percevoir le retour des Allemands en 1940 comme le rétablissement d’une
situation initiale.
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II) Biographie de Germain Muller (1923-1994)
Né à Strasbourg d’un père haut-rhinois (vallée de Saint-Amarin) et d’une mère
bas-rhinoise (Dossenheim sur Zinsel) ; lycée Kléber puis lycée Fustel de Coulanges ;
cours d’art dramatique au conservatoire de Strasbourg.
1)
La guerre
1939 : évacué à Périgueux (comme tous les Strasbourgeois)
1940 : retour à Strasbourg
1941 : cours de perfectionnement d’art théâtral au Staatstheater de Karlsruhe.
1942/43 : travail au théâtre de Wurzburg (nord de la Bavière)
1943 : incorporé de force ; désertion ; passe en Suisse.
Septembre 1944 : s’engage dans la 1ere Armée du Général de Lattre de
Tassigny.
2)
Après guerre : le Barabli
Journaliste auprès du ministère de la Guerre puis speaker à Radio
Strasbourg.
1946 : créateur de la revue satirique « De Barabli » qui brocardera pendant
42 ans de nombreux hommes politiques régionaux ou nationaux, l’administration, les
modes et snobismes etc.
Barabli : déformation alsacienne du mot français parapluie. C’est un mot
incompréhensible par les Allemands (qui disent Regenschirm) et par les Français
(parce qu’il est déformé) ; un mot proprement alsacien, type de l’ « entre-les-deux »
alsacien.
A noter que la tradition de la revue satirique s’est maintenue à Strasbourg
après la disparition de Germain Muller et du Barabli. Ses successeurs sont Roger
Siffer à la Choucrouterie (rue Saint-Louis) et la revue annuelle de la troupe des
Scouts (salle des fêtes Schiltigheim).
Germain Muller deviendra adjoint au maire de Strasbourg, chargé de la
culture. (Le maire est Pierre Pflimlin, rare homme politique alsacien qui aura une
influence nationale sous la IVe république)
3) L’œuvre de Germain Muller
sketches du Barabli
Poèmes
Chansons (paroles de Germain Muller, musique de Mario Hirlé,
musicien de la troupe du Barabli)
Germain Muller raconte Strasbourg, 2000 ans d’histoire, Bande
dessinée, scénario de Germain Muller, Colmar, 1988.
D’r Contades Mensch, du délicieux inconfort d’être alsacien,
pièce écrite par Germain Muller, en collaboration avec 2 autres auteurs.
Enfin redde m’r nimm devun
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Germain Muller (GM) est connu essentiellement pour son humour corrosif, ses
mimiques grotesques, son goût pour la farce. Mais l’extrait étudié montre que cela
n’exclut pas la gravité et l’émotion.
III)
La pièce
Enfin redde m’r nimm devun est l’œuvre maîtresse de GM, crée en 1949 sur la
scène de l’Aubette (place Kléber, bâtiment du XVIIIe siècle remis à la mode entre les
deux guerre ; Jean Arp et Sophie Taeuber y avaient décoré un « ciné-bal » ; voir
photo ci dessous)
La pièce raconte de destin de l’instituteur Gustave Meyer et de sa famille de
1939 à 1945.
1er décor : La ligne Maginot
Meyer épluche des pommes de terre pendant la Drôle de guerre* (période de
septembre 1939 à avril 1940 pendant laquelle rien ne se passe).
On fait la connaissance de :
Oscar Holzmann (tire au flanc sympathique),
Kaltebach (futur collaborateur des nazis)
Grusselsberjer (officier, membre des services secrets comme on
l’apprendra plus tard)
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Meyer est libéré pour enseigner en Dordogne où est évacuée sa famille.
(Toute la population frontalière, environ 1/3 de la population alsacienne avait été
évacué vers le Sud-Ouest de la France).
2e décor : Dans le logement des Meyer en Dordogne
Entre temps, la guerre est perdue (armistice du 22 juin 1940).
Alors que les prisonniers de guerre français restent en Allemagne, les
Alsaciens sont libérés. Oscar rejoint sa femme évacuée en Dordogne et vient
consulter Meyer au sujet d’un retour en Alsace. Meyer ne veut pas revenir au
pays natal désormais occupé (La Dordogne est en zone libre).
Mme Chapoular, propriétaire du logement loué aux Meyer,
aimerait récupérer l’appartement pour un neveu ; elle insiste sur la
ressemblance des Alsaciens avec les Allemands et encourage les Meyer à
retourner en Alsace.
Le spectateur fait connaissance avec :
Célestine (épouse de Meyer)
Monique (sa fille, environ 16 ans),
Charles (son fils, environ 17 ans),
Roger (son fils, environ 10 ans)
François, 18 ans, fait ses études à Bordeaux (on ne le voit jamais dans la
pièce).
3e décor : L’appartement des Meyer à Strasbourg
La famille est réticente à la germanisation. Les enfants parlent le français dans
la rue. Meyer ne répond pas au salut hitlérien de ses élèves…Kaltebach qui est
devenu Blockleiter (membre du parti nazi, chef de bloc ; voir le schéma ci-dessous)
avertit son camarade de régiment : un de ses élèves l’a dénoncé.
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Meyer est arrêté le soir de Noël, au moment où il entonne un chant patriotique
français.
4e séquence :
De retour du camp de rééducation de Schirmeck, Meyer est brisé et se met à
boire.
Son fils François est incorporé de force dans l’armée allemande (août
1942).Charles s’enfuit ; il s’engage dans les troupes de la 2e division blindée du
Général Leclerc1. Roger est membre de la Jeunesse hitlérienne. Monique est
amoureuse d’un soldat allemand (elle est enceinte et mettra au monde une petite
fille). Célestine accepte de cacher des prisonniers évadés (une centaine va transiter
par sa mansarde). Oscar est tué dans un bombardement2.
5e séquence :
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Le 23 novembre 1944, la 2e Division Blindée libère Strasbourg ; le Serment de Koufra est tenu. Le 1er mars 1941, après la
prise du fort italien de l'oasis de Koufra, dans le désert de Libye, le colonel Philippe Leclerc de Hauteclocque avait en effet fait
prononcer à ses hommes le serment de Koufra :"Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs
flotteront sur la cathédrale de Strasbourg".
La désertion d’un incorporé de force alsacien provoquait des représailles contre la famille. Généralement, celle-ci était déplacée
en Allemagne. Dans la pièce, les Meyer échappent à ce bannissement parce que leur autre fils est porté disparu en Russie.
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Les bombardements de Strasbourg par les alliés provoqueront environ 800 morts.
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Le 23 novembre 1944, la 2e Division Blindée (avec Charles) libère Strasbourg.
Grusselberjer rend visite à Meyer
a)
Il éclaircit un malentendu : il n’a pas voulu empêcher la
démobilisation de Meyer pendant la Drôle de guerre ; les services
secrets l’avaient chargé de différer sa libération en attendant les
résultats d’une enquête relative à son lieu de naissance en Allemagne.
b)
Il demande des nouvelles de Kaltebach, compromis avec
les nazis. (Meyer le cache dans sa mansarde, en même temps que le
fiancé de Monique)
c)
Il remet à Meyer la médaille de la résistance (en réalité,
Meyer ne savait pas que son épouse s’occupait d’une filière d’évasion).
Dernière séquence :
Gustave et Célestine évoquent la guerre puis préfèrent ne plus en parler
(Enfin, redde m’r nimm devun). Ils espèrent secrètement que leur fils disparu rentre
de Russie. La famille Meyer fête noël. Ils invitent Grusselsberjer. Kaltebach se livre
en attendant que le fiancé de Monique fasse de même.
V) Explication détaillée de l’extrait
1)
Le parallèle avec Abraham
Abraham sacrifie son fils Isaac sur l’injonction de Yahvé (Genèse
22, versets 1-18). « Chut ! C’était un Juif ! » : allusion à l’antisémitisme nazi.
Meyer sacrifie le sien au dieu de la guerre Wotan. Dans la
mythologie germanique, Wotan protège les héros et les guerriers et les fait
venir dans le Walhalla, sa demeure céleste. Il symbole ici l’occupant
germanique.
Meyer croit avoir fait le mauvais choix quand il a décidé de
quitter Périgueux pour Strasbourg. Il se sent responsable de l’incorporation de
François.
Isaac est finalement épargné. Est-ce l’espoir de Meyer pour
François malgré l’annonce de sa disparition ? Wotan peut-il être aussi clément
que Yahvé ?
2)
La cathédrale
a) Elle est ambivalente :
symbole de spiritualité et d’élévation
rabaissée au rang de temple païen où se pratique les sacrifices
humains (Hitler l’a visitée en juin 1940)
b) Les images utilisées :
- une personne malhonnête (« elle m’a bien eu »), indifférente (« elle s’en
fiche »)
- un monument froid, qui s’offre au vainqueur comme une prostituée (« tu peux
lui coller deux drapeaux » cf. aussi Mme Chapoular « Vous êtes toujours du côté des
vainqueurs »)
- un lieu de sacrifice humain (« c’est là qu’il l’a dévoré »)
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- une divinité païenne avide de sang comme le sphinx de Thèbes qui dévore
les personnes incapables de résoudre l’énigme posée.
c) Les divagations de l’ivrogne :
- traduisent le désespoir, le sentiment d’une trahison ;
- répètent indéfiniment le mot « cathédrale » (comme une litanie, une
incantation pour conjurer l’inéluctable).
3)
Comment François Meyer a-t-il été incorporé de force dans
l’armée allemande ?
L’incorporation de force est l’œuvre du Gauleiter Robert Wagner.
Compagnon de Hitler de la première heure, il a participé au putsch manqué de
1923. Le führer le charge de germaniser l’Alsace dans un délai de 10 ans. Le
service militaire est considéré comme un moyen d’intégration. Les campagnes
d’enrôlement de volontaires n’ont pas beaucoup de succès.
Après l’invasion de l’URSS (22 juin 1941), le haut commandement, d’abord
réticent, donne son accord pour recruter des Alsaciens. L’objectif politique se
double d’un objectif militaire. L’introduction de la Hitlerjugend et du
Reichsarbeitsdienst (RAD ; service du travail, en fait une préparation militaire
effectuée en dehors de la région) avait précédé l’obligation militaire décrétée par
l’ordonnance du 24 août 1942.
L’enrôlement est réalisé en trois étapes :
- mobilisation des classes 1920 et au dessus ayant effectué le RAD. Dans la
pièce, le fils de Gustave Meyer fait partie de cette catégorie.
- Janvier 1943 : incorporation des classes 1919 à 1914 (y compris les anciens
soldats français)
- Automne 1943 (après la défaite de Stalingrad) : classes 1913 à 1908.
Les réfractaires sont envoyés à Schirmeck. Les familles des déserteurs ou
récalcitrants sont transplantés dans le Reich. En 1943, les conscrits du village de
Ballersdorf qui avaient tenté de fuir en Suisse sont condamnés à mort et
exécutés. Le Haut commandement refuse d’enrôler les officiers qui ont servi dans
l’armée française. Wagner les enrôle malgré tout en 1944 et fait déporter 42
réfractaires au camp de concentration de Neuengamme.
Notez que Grusselsbejer aurait pu faire partie de ceux là. Comment l’a-t-il évité ?
Prisonnier de guerre en Allemagne, il n’a pas révélé son origine alsacienne puis a
réussi à s’évader et à rejoindre la France Libre.
Conclusion
L’extrait étudié montre l’aspect le plus douloureux de la situation
alsacienne : l’incorporation de force, les disparus dont les familles ne peuvent
pas faire le deuil. Sur 100.000 « malgré nous », 30.000 sont morts ou
disparus. Pour qui et pourquoi sont-ils morts ?
La pièce donne un aperçu et une interprétation :
de la Drôle de guerre,
de l’évacuation (181 communes=430.000 personnes=1/3 de la
pop. Alsacienne)
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du statut de l’Alsace (le Gau Oberrhein regroupe l’Alsace et le
pays de Bade).
de la mise au pas idéologique (expulsions ; germanisation ;
persécutions ; enrégimentement) et de ses limites (D’r Englender=radio
Londres)
de l’incorporation de force
de l’épuration.
Elle tente, en 1949, de dresser un bilan de la Seconde Guerre mondiale en
Alsace. A cette date, les Alsaciens ont repris confiance et peuvent jeter un regard
rétrospectif sur une période douloureuse qu’on préférait occulter (d’où le titre de la
pièce). Les personnages incarnent différentes stratégies adoptées en Alsace
pendant cette période difficile. Celle de Kaltebach est condamnée mais il ne mérite
pas de payer pour toutes les erreurs commises dès l’entre-deux-guerres. Gustave
résiste mais ne savait pas qu’il cachait des évadés. La pièce montre la complexité
des destins alsaciens. Germain Muller estime que l’Alsace a fait globalement ce
qu’elle a pu. Quand Célestine s’interroge : « Avons-nous bien agi ? », Gustave
répond : « Qu’on nous prouve le contraire ! ».
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