CHAPITRE 3 : Max Weber

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CHAPITRE 3 : Max Weber
Max Weber (1864-1920) ............................................................................................................ 2
I) Une analyse sociologique compréhensive des sociétés modernes. ........................................ 2
1) L’histoire comme champ de la sociologie. ......................................................................... 2
2) Sociologie et politique. ....................................................................................................... 2
3) La sociologie comme science compréhensive et explicative. ............................................. 3
4) Complexité historique et idéal-type. ................................................................................... 3
II) La contribution de Weber à la sociologie économique. ........................................................ 4
1) Typologie de l’action et origine du comportement économique rationnel. ........................ 5
2) L’interrogation sur la singularité de l’occident moderne et l’amorce d’une remise en
question du caractère naturel de l’économie capitaliste. ............................................................ 6
Max Weber (1864-1920)
Né d’un père industriel et député. Il entreprend des études supérieures, à Berlin puis à Göttingen où il
soutient une thèse fameuse d’histoire économique en 1891. Il est très tôt attiré par la politique et si il penche
initialement comme son père vers des points de vue libéraux, il entretient par la suite des rapports nuancés avec
le socialisme, il ne cesse jamais de dénoncer la froideur des organisations bureaucratiques qui enferment les
individus dans l’anonymat. Reste que Weber est un universitaire intéressé par les questions sociales comme le
montre par exemple son adhésion à l’association pour la politique sociale pour laquelle il organise une enquête
sur la situation sociale des travailleurs ruraux en Allemagne. En 1894 il occupe une chaire d’économie politique
à Fribourg puis à Heidelberg ou il succède à Karl nies qui fut son professeur et qui est un membre important de
l’école historique allemande. En 1905 paraît le premier travail sociologique de Weber : L’éthique Protestante et
l’Esprit du Capitalisme. Cette étude sera suivie par de nombreux travaux sur les grandes religions. En 1918 il
publie son essai sur le sens de la neutralité axiologique dans les sciences sociologiques et économiques. Après la
première guerre mondiale à laquelle il participe, il entame son grand traité Economie et Société qu’il ne termina
jamais tout en menant de nombreuses études épistémologiques (= philosophie des sciences).
L’intérêt de l’œuvre de Weber tient autant à la fécondité de sa réflexion méthodologique qu’à son
contenu. Les thèmes principaux sont les rapports entre l’économique et le social, l’analyse des formes de
pouvoir, notamment la bureaucratie, la sociologie comparée des religions, la rationalité des comportements, la
rationalisation et la bureaucratisation des sociétés modernes, la science et le politique… autant de thèmes qui
intéressent l’historien, le scientifique, l’économiste, le sociologue. Plus généralement, l’étendue de l’œuvre
wébérienne, sa vocation à penser le social dans sa globalité, en font un détour nécessaire pour comprendre la
nature et l’évolution des sociétés modernes.
I) Une analyse sociologique compréhensive des sociétés modernes.
On va comprendre en quoi la pensée de Weber constitue aujourd’hui une référence pour tous ceux qui
veulent disposer d’un modèle épistémologique adapté aux sciences sociales et pour ceux qui cherchent à faire
une place aux recherches interdisciplinaires, recherches qui incluent la démarche économique et la démarche
sociologique comme c’est le cas avec la sociologie économique moderne.
1) L’histoire comme champ de la sociologie.
D’une certaine manière, on peut dire que la pensée sociologique wébérienne s’inscrit dans la continuité
des grandes philosophies de l’histoire du XIXe siècle comme le prouve l’ampleur des matériaux historique
traités par Weber. En s’appuyant sur une vaste culture historique, philosophique et économique, Weber cherche
à construire un cadre conceptuel qui englobe l’ensemble des activités humaines tout en les situant dans une phase
historique donnée.
Weber se distingue toutefois de nombreux pionniers de la science sociale par son refus d’intégrer les
phénomènes sociaux dans le cadre de la philosophie évolutionniste ou déterministe. Dans ces philosophies,
l’histoire est envisagée soit comme le déploiement d’une logique propre et inévitable, soit comme la résultante
d’un élément déterminant économique ou religieux (par exemple les conflits de classes chez Marx). Dans son
histoire économique, il refuse ainsi les thèses d’une évolution économique qui passerait par des étapes obligées
(par exemple point de départ que serait le communisme qu’analyse Marx).
Weber manifeste ainsi sa proximité avec l’école historique allemande qui cherche précisément à rompre
avec les philosophies abstraites du siècle des Lumières. Qu’il s’agisse de l’histoire du droit ou de l’économie, il
convient à ses auteurs de restituer chaque époque et chaque culture dans son conteste spécifique. Reste que
Weber lui reproche malgré tout de n’être pas parvenu complètement à sortir de la logique de l’abstraction (= à
partir du modèle, en déduire de façon systématique la réalité).
Ainsi, dans la controverse entre école historique et théoriciens du marginalisme, Weber ne prend pas
parti : aux premiers il oppose son refus de penser que l’histoire ait un sens et qu’il conviendrait de le découvrir ;
aux seconds, il leur concède certes l’intérêt de la formalisation abstraite mais leur reproche de vouloir simplifier
la richesse et la complexité du réel. C’est selon lui la nécessité du travail de terrain qui doit primer puisqu’une
réflexion théorique et épistémologique pure devient rapidement stérile.
2) Sociologie et politique.
Weber a été engagé dans la vie publique puisque très jeune il envisageait une carrière politique. Cet
intérêt pour la politique nous conduit à mener une réflexion sur les rapports entre activités politiques et
scientifiques.
Lors de deux conférences à l’université de Munich en 1818 sur la vocation du savant et celle du
politique, Weber défend la nécessité d’une séparation nette entre deux types d’activités et s’attache pour cela a
bien séparé science d’un côté et opinion de l’autre. Plus largement, la sociologie n’a pas vocation à réformer la
société ni à engendrer une quelconque théorie révolutionnaire. Surtout, la neutralité axiologique dont doit faire
preuve le savant signifie que le savant doit éviter de transformer les valeurs qui le guident dans son travail
d’appréhension du réel en jugement de valeur. Autrement dit il lui faut suspendre ses convictions personnelles
dans le regard critique (au-delà du réel) qu’il porte sur les éléments. Dans un cas on a des croyances, des
jugements de valeurs, dans l’autre on a des hypothèses de travail soumises aux observations, et donc des
jugements de faits.
En distinguant ainsi normes et réalité, Weber inscrit la sociologie dans un territoire clairement limité :
celui des réalités. Reste qu’en même temps il demeure l’auteur qui a le plus reconnu la relativité des
connaissances dans les sciences sociales en tant qu’elles relèvent toujours au minimum de la subjectivité du
savant, notamment au moment de sélectionner ses objets d’études.
3) La sociologie comme science compréhensive et explicative.
La sociologie, en tant que science des réalités, se situe donc dans un entre-deux, elle n’est ni purement
spéculative ni une activité liée à la pratique politique. Weber entend par sociologie une science qui se propose de
comprendre par interprétation l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets.
Au demeurant, par ces mots qui ouvrent « Economie et Société », Weber défini le programme de sa sociologie
et se sépare assez nettement de la problématique de Durkheim. En effet, ce qui importe à Weber dans la
sociologie ce n’est pas tant le fait social durkheimien que l’action, l’activité sociale, c'est-à-dire toute forme de
comportement humain. On a donc pu dire que Weber avait une démarche individualiste, mais complexe.
Quoi qu’il en soit, la science des activités sociales est une science compréhensive et explicative.
Comprendre par interprétation l’activité sociale telle qu’elle doit être la première démarche sociologique. Cette
logique de la compréhension, Weber n’en est pas à proprement parlé l’inventeur, puisqu’elle est formulée par un
allemand : Dithley, puis reprise et développée par tout un courant de philosophes et de sociologues qualifiés de
néo-kantiens dans la lignée desquels se situe Weber.
Du reste, dans son introduction aux sciences de l’Homme, Dithley en 1883 fait ainsi une distinction
radicale entre les méthodes de la science de la nature et celles des sciences des l’esprit (ou sciences de
l’Homme).
Par rapport aux sciences de la nature, le propre des sciences de l’Homme est d’être confronté à des êtres
qui agissent en conscience, en fonction de valeurs, de normes et de croyances.
Conclusion de Dithley : par rapport aux sciences de la nature, les sciences de l’Homme doivent adopter
la démarche compréhensive comme démarche spécifique. La méthode compréhensive cherche à reconstruire le
sens que les individus donnent à leurs activités. Ainsi pour Weber, avec la méthode compréhensive, le
sociologue, contrairement à ce que fera Durkheim, ne considère plus les phénomènes sociaux comme expression
simple de l’influence des causes extérieures qui s’imposent aux hommes, mais au contraire comme le produit de
décisions prisent par les individus qui donnent eux-mêmes un sens à leurs actions. C’est ce qui fait dire que
Weber serait un représentant de l’individualisme méthodologique qu’on pourrait opposé au holisme de
Durkheim.
La démarche explicative arrive qu second plan et demeure fondamentale chez Weber, car le
complément nécessaire de la démarche compréhensive est l’analyse en causalité dont l’économie est l’exemple
le plus développé à son époque. Autrement dit, retrouver le sens d’une action ne suffit pas, il importe également
de découvrir les enchaînements entre les phénomènes. Expliquer consiste alors à impliquer l’impact d’une action
donnée sur une autre action, soit à lier les actions sociales par des chaînes de causalité. Reste toutefois qu’à
suivre ces séries d’enchaînement, on s’aperçoit vite qu’aucun individu n’est totalement maître des conséquences
provoquées par ses actions puisqu’une décision peut contredire, s’opposer aux objectifs de départ de son auteur,
susciter de manières inintentionnelles des conflits, que ce soit de valeur ou de personne.
Jusqu’au bout donc, la situation épistémologique de Weber reste toute en nuance sans jamais négliger la
complexité de la réalité sociale à étudier.
4) Complexité historique et idéal-type.
Weber refuse à l’encontre de Marx toute idée de déterminisme absolu dans l’évolution historique des
sociétés. Plus précisément, au déterminisme économique du matérialisme historique, Weber oppose se vision de
la complexité des réalités sociales et historiques avec sa pluralité de causes agissantes. Chaque société est
singulière et se caractérise toujours par des critères multiples, qu’ils soient économiques, politiques, culturels,
moraux, juridiques etc.…
Au demeurant, s’il existe des déterminismes en histoire, ils ne sont donc pas absolus et ne font que
refléter des tendances et des évolutions probables. Cette position se justifie dans la mesure ou selon Weber, les
facteurs extérieurs sociaux collectifs qui s’imposent à l’action des hommes laissent toujours une place à une
marge de liberté qui permet la décision individuelle. Reste toutefois à l’inverse qu’il serait faux de réduire la
réflexion de Weber à une forme d’individualisme radicale puisque, comme Weber le montre dans ses études de
sociologie religieuse les contraintes pèsent fortement sur les décisions que prennent les individus.
Si les actions sociales sont imprégnées de valeurs en contradiction, si l’Histoire est complexe et
déterminée, comment le sociologue peut-il élaborer une théorie générale et rendre compte scientifiquement des
théories des sociétés ? Pour résoudre la difficulté, Weber propose de recourir à la méthode comparative afin de
souligner les singularités de chaque situation historique étudiée et, pour se faire, il propose d’étudier à l’aide
d’un outil conceptuel qu’il nomme l’idéal type. Plus précisément, pour analyser les actions sociales, le
sociologue est amené à créer des catégories, des représentations schématiques qui ne sont pas des représentations
exactes de la réalité mais qui, pour les besoins de la recherche accentue délibérément certaines propriétés.
L’idéal-type est donc un moyen d’élaborer des hypothèses, c’est un outil de recherche et non pas une
explication définitive. Enfin il ne reflète pas le réel mais il aide à son analyse et surtout à sa compréhension.
Ainsi l’idéal type de la bureaucratie que met en avant Weber ne correspond à rien de précis dans la réalité mais il
permet de comprendre et de cerner les tendances que manifeste cette organisation.
Un autre idéal-type bien connu est l’Homo oeconomicus ou le modèle de la concurrence pure et
parfaite, qui permet d’étudier la relation marchande mais qui de serait être considéré comme une description de
la réalité économique.
Weber insiste par ailleurs sur le fait que l’idéal type ne sert pas seulement à mieux comprendre les
évolutions historiques et comparatives des sociétés, il aide également à saisir des causalités qu’on ne verrait pas
apparaître autrement.
II) La contribution de Weber à la sociologie économique.
On doit préciser que, contrairement aux durkheimiens, Weber ne rejette pas à priori la théorie
économique abstraite. Pour le comprendre, il faut rappeler que Weber a été professeur d’économie politique
l’essentiel de sa carrière et qu’au sien de l’école historique allemande, il s’est révélé un défenseur des abords du
marginalisme. Néanmoins, il considère que le fait économique est un fait social dans la mesure où la recherche
des biens rares s’effectue suivant des modalités qui obligent l’agent à tenir compte des comportements des autres
agents économiques et du sens que ceux-ci donnent à leurs actions.
Au demeurant, pour des raisons épistémologiques, Weber considère que ce qu’il y a de spécifique à
l’étude du social tient à l’existence d’actions individuelles dans lesquelles l’acteur donne un sens à son acte et
tient compte des actions des autres individus. La sociologie wébérienne met ainsi au centre de la réflexion les
motifs des acteurs placés en situation d’interaction et elle s’efforce donc de comprendre ces motifs pour
expliquer des régularités sociales observées. De ce point de vue, l’action économique ne fait pas l’exception, sa
particularité réside dans le fait que le motif premier est l’insatisfaction des besoins en situation de rareté. Reste
que le déroulement de l’action est marqué par le caractère pacifique de l’interaction, ce qui exclut l’emploi de
violence légale ou non. En outre la prise en compte du comportement d’autrui ne fait en général pas de problème
puisque l’action économique suppose d’une part que les acteurs respectent mutuellement les droits de propriété
et d’autre part que la concurrence, c’est-à-dire l’interaction dans laquelle se trouvent producteurs et
consommateurs, conduit à prendre en compte les désirs solvables de tous.
Par ailleurs la conception wébérienne de l’action permet également d’intégrer sa dimension sociale sans
rompre avec la théorie marginaliste à un second niveau. Par exemple et pour le comprendre, Weber explique en
commentant la théorie de l’intérêt de Böhm-Bawerk, que le sociologue économiste doit en effet considérer cette
explication économique de l’existence d’un taux d’intérêt positif., explication selon laquelle les biens futurs ont
une utilité marginale moindre que les biens présents et qu’en conséquence de cette évaluation subjective, certains
agents sont prêts à payer un taux d’intérêt pour disposer maintenant de biens dont ils n’auraient eu la jouissance
que plus tard.
Reste qu’une fois cela admis, le sociologue doit encore préciser dans quel acte humain s’exprime ce
prétendu rapport. Autrement dit, la sociologie économique doit chercher les rapports sociaux dans lesquels
s’exprime concrètement ce que présupposent les analyses abstraites du comportement intéressé telles qu’elles
sont développées par les économistes marginalistes.
Troisièmement surtout, le champ de la sociologie économique selon Weber est extrêmement vaste
puisque outre les faits économiques au sens strict, il faut tenir compte des faits qui ne le sont pas, la religion par
exemple, mais qui en donnant un sens à l’action, ont des conséquences économiques. Plus largement, c’est
l’ensemble des dimensions d’actions analysées pas Weber qui sont susceptibles d’intervenir au niveau même des
comportements économiques, du moins lorsqu’on en fait l’analyse complète.
1) Typologie de l’action et origine du comportement économique rationnel.
La typologie de l’action wébérienne est celle qui est la plus connue et la plus utilisée de nos jours, il y a
donc 4 types d’actions :
L’action traditionnelle,
L’action affective,
L’action rationnelle en valeur,
L’action rationnelle en finalité.
Si on laisse de coté les deux premières, c’est-à-dire les actions traditionnelles qui se fondent sur ce qui a
toujours été, les habitudes, la plupart des actions quotidiennes selon Weber, et les actions affectives fondées sur
les impulsions, les affections du moment ou encore les émotions, les actions sont selon Weber rationnelles soit
par rapport aux valeurs qui sont principe de l’action, soit par rapport à l’adaptation des moyens aux fins.
Cette action rationnelle se présente d’abord comme une rationalité dite « instrumentale », c'est-à-dire
comme d’adaptation rationnelle des moyens aux fins poursuivies. C’est la fameuse action Zweckrational. La
définition qu’en donne Weber est directement associée au comportement économique tel qu’il est décrit par la
théorie marginaliste. « Agit de façon rationnelle en finalité celui qui oriente son activité d’après les fins, moyens,
et conséquences subsidiaires et qui confronte en même temps rationnellement les moyens et la fin, la fin et les
conséquences subsidiaires et enfin les différentes fins possibles entres elles ».
Cette définition, idéal-typique de l’action instrumentale présente un niveau d’abstraction aussi
important que celui qu’on rencontre dans la définition de l’action intéressée de l’Homo oeconomicus.
Cette définition va bien au-delà du comportement intéressé ou du moins de la caricature qu’on à fini par
en retenir avec l’idée que les fins étaient définies à l’extérieur du modèle des données exogènes et donc que le
choix rationnel ne portait pas sur ses fins mais simplement sur la sélection des moyens pour les atteindre, sans
parler évidemment des conséquences subsidiaires (exemple le consommateur maximise son utilité et il choisit les
moyens pour maximiser son utilité).
Weber distingue une deuxième forme d’action rationnelle : l’action rationnelle en valeur, ou
Wertrational. « Agit de façon complètement rationnelle en valeur celui qui agit sans tenir compte des
conséquences prévisibles de ses actes ou service qu’il est de sa conviction portant sur ce qui lui apparaît comme
commandé par le devoir, la dignité, la beauté, les directives religieuses, la piété ou la grandeur d’une cause quel
qu’en soit la nature. Cette deuxième forme de rationalité, autrement qualifiée de rationalité axiologique, suppose
que l’action ne cherche pas une adaptation des moyens aux fins de manière à produire les conséquences
préférées par l’acteur, mais elle cherche au contraire à faire prévaloir un principe axiologique (non discutable),
une valeur à laquelle l’individu adhère quel que soient les conséquences matérielles qui en résultent pour l’acteur
(par exemple le capitaine qui sombre avec son bateau). Quoi qu’il en soit, ces différentes orientations ne
constituent pas dans l’esprit de Weber une classification rigide et cloisonnée des modes d’activité sociale, elles
ne sont que de pures idéaux-types élaborés pour servir les fins de la recherche sociologique sachant que la réalité
l’activité se rapproche plus ou moins de l’un de ces types idéaux, et le plus souvent il les combine. La question
de l’origine du comportement économique rationnel permet ainsi à Weber de souligner l’imbrication, l’étroite
articulation existant entre les deux formes d’actions rationnelles.
Dans son étude de 1905 : L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Weber montre ainsi comment
le comportement économique rationnel est le fondement essentiel de toute la civilisation moderne est une
construction sociale spécifique qui doit être rapportée à l’avènement d’une forme d’action rationnelle en valeur
spécifique. Au demeurant, Weber considère qu’avant l’époque moderne (avant le XVI è siècle), la puissance
religieuse était telle qu’aucune transformation ne pouvait intervenir du point de vue des comportements légitimes
sans l’assentiment de la religion.
Avant la rupture, l’action économique est une action traditionnelle à deux niveaux.
Soit il s’agit d’une action dont est absente la recherche systématique du gain (le paysan
cherche par habitude à satisfaire ses besoins puis il arrête de travailler).
Soit il s’agit d’une action où l’appât du gain s’exerce comme par routine, c'est-à-dire sans
arrières pensée et sans considération d’une rentabilité à long terme. Plus précisément si le
capitalisme n’est pas apparu plus tôt c’est parce que le catholicisme interdisait cette possibilité.
Le salut dans cette région passe en effet par une fidélité à l’Eglise et non par une intense
activité dans le monde terrestre.
A l’inverse, remarque Weber, il existe une relation étroite entre le protestantisme, notamment sous la
forme calviniste et l’essor du capitalisme. Ainsi au XVIIIe siècle, la présence massive des calvinistes parmis les
entrepreneurs capitalistes et financiers les plus dynamiques d’Europe est elle évidente et il convient donc
d’expliquer ce phénomène. Pour le comprendre il convient notamment selon Weber qu’à la suite des thèses de
Luther, le protestantisme acétique et puritain que développe Calvin encourage un comportement économique
particulier. Ce comportement nouveau est marqué par la légitimation d’un ensemble de valeurs comme le goût
de l’épargne, l’abstinence et le refus du luxe, la discipline du travail et la conscience traditionnelle.
Se développe ainsi un corps de valeurs de règles et de comportements, un éthos nouveau qui conduit sur
le mode de l’impératif moral une élite protestante à s’investir dans le travail et l’industrie. Cette idée particulière
que le devoir s’accomplit dans l’exercice d’un métier, une profession caractérise de fait l’éthique sociale de la
civilisation capitaliste et elle doit beaucoup à la notion protestante de la profession Beruf comme devoir,
vocation ou encore épreuve de la foi. Ces remarques étant faites, il reste à comprendre pourquoi le puritain se
veut désormais économe. Qu’est-ce qui motive au fond son action au point d’en faire un capitaliste potentiel ?
Auparavant, Weber précise que le capitalisme n’est pas une spécificité occidentale et que d’autres civilisations
ont développé l’appât du gain, le goût du commerce et de l’accumulation, la spécificité véritable du capitalisme
moderne reposant sur la façon pacifique et rationnelle d’acquérir le profit.
La réponse que donne Weber aux questions revoie aux fondements religieux de la pratique ascétique
des protestants. D’abord dans la logique de la réforme et contrairement à la doctrine catholique, l’individu n’a
pas à répondre de ses actes devant une autorité terrestre, il est seul face à Dieu qui le juge. Ensuite, la réforme
défend l’idée que l’homme à un devenir qui lui préexiste et qu’il ne peut quoi qu’il réalise, en modifier la
trajectoire (= prédestination).
Conclusion : Parce qu’il en à lui même pris le décret, Dieu seul connaît les élus et les réprouvés. Cette
conviction fait naître chez le croyant une interrogation permanente et angoissée, celle de son avenir post-mortem.
C’est là que s’opère le paradoxe de Weber. Pour résoudre ce problème, le calvinisme affirme paradoxalement
que la vie du chrétien doit tendre vers l’investissement intramondain, vers l’engagement dans le monde terrestre
puisque en vertu de cette doctrine la réussite terrestre est un moyen de glorifier Dieu, mais surtout, et c’est là le
véritable paradoxe, car Dieu n’agit qu’à travers ceux qu’il à élu et que cette réussite économique va
progressivement devenir le signe de cette élection, répondant ainsi à l’interrogation angoissée de départ. Le
travail, le sens de l’épargne, l’accumulation, sont ainsi survalorisés par les protestants non pas pour eux-mêmes
mais comme le moyen de confirmer par la réussite terrestre un salut tant espéré.
Ainsi, explique Weber, ce comportement religieux produit des actions rationnelles en valeur dont les
conséquences économiques sont évidentes, mais qui n’aurait pas pu être socialement acceptables sans sa
légitimation. Ce comportement rationnel en valeur, chercher à s’assurer de son salut éternel, a finalement pour
conséquences non choisies un système économique dans lequel le mobile religieux de l’action disparaît
progressivement. Dans le monde moderne, il est désormais obligatoire d’agir selon la rationalité économique,
sauf à s’exposer à un échec et à des conséquences dommageables dans la concurrence pour l’accès à la
disposition des richesses.
2) L’interrogation sur la singularité de l’occident moderne et l’amorce d’une remise
en question du caractère naturel de l’économie capitaliste.
De fait, au travers des vastes études comparatives qu’il mène sur l’histoire des religions, le droit,
l’organisation économique, ou les formes de pouvoir, Weber poursuit une interrogation centrale puisqu’il
cherche à comprendre la nature du monde moderne. C’est un ordre social nouveau en rupture avec toutes les
sociétés traditionnelles qu’il cherche ainsi à interpréter. Dans cet ordre social, l’esprit rationnel se substitue aux
croyances rationnelles et on comprend qu’une partie importante de l’œuvre wébérienne se porte précisément sur
l’analyse des religions, leurs rapports avec les comportements économiques et enfin ce qui entraîne leur déclin
au profit de l’esprit rationnel.
Pour comprendre la singularité des formes d’organisation sociales du monde occidental moderne,
Weber les compare systématiquement à celle des civilisations qui les ont précédées. L’œuvre se présente donc
comme une séries d’études de sociologie religieuse, juridique ou économique, autant d’angles d’approche pour
une méthodologie historique et comparative.
L’éclatement relatif et la diversité de ces travaux ne doivent pourtant pas faire oublier qu’ils sont avant
tout guidés par une question majeure, celle qui cherche à comprendre la singularité de l’occident. C’est donc une
tentative de synthèse qu’il nous faut essayer de faire ici.
De ce point de vue, le projet wébérien est d’autant original si l’on note qu’au moment où il écrit,
l’ensemble des débats (surtout en Allemagne) relatifs à l’évolution des sociétés ne se concentre sur l’alternative
entre capitalisme et socialisme. Pour Weber, cette opposition n’est pas pertinente et en menant un travail
comparatif sur les formes d’organisations sociales des grandes civilisations, il cherche à mettre en avant un trait
spécifique et commun au monde occidental moderne (socialiste ou capitaliste) : sa rationalisation croissante.
La rationalisation comme singularité des sociétés modernes.
La rationalisation de l’économie, du droit, de l’Etat, de la science (mathématisation), de l’art…..
constitue la caractéristique fondamentale qui distingue la société moderne des précédentes.
Dans L’esprit Protestante et l’Esprit du Capitalisme, Weber montre ainsi comment, en s’hypertrophiant
le principe de rationalité finit par régir les différentes sphères de l’activité sociale par opposition aux principes
qui gouvernent les sociétés modernes. Reste que ceci étant précisé, il faut s’étendre sur la signification exacte de
cette rationalisation. En effet, l’idée selon laquelle la raison gouverne les sociétés modernes est courante au XIXe
siècle, le principe générale bien connu étant que l’ensemble des activités sociales se dégageraient de l’emprise de
la tradition et du sacré, pour se définir en fonction d’une logique propre, celle de l’efficacité et du calcul. Encore
faut-il pour bien comprendre cette rupture mener un examen spécifique des notions de rationalité et de
rationalisation, notions qui véhiculent de nombreux sens.
La notion de rationalité repose sur une idée de calcul et d’efficacité. Ainsi, l’introduction de la
comptabilité nationale, des techniques de gestion, dans l’activités économique induit que les
critères de choix sont désormais fixés en fonction de méthodes précises et abstraites, et en ce
sens elles s’émancipes du jugement, le jugement étant le symbole du raisonnable et donc du
discutable.
La rationalisation des activités suppose de son coté l’autonomisation et la spécialisation des
fonctions sociales et des savoirs. Ainsi, Weber précise que pour que l’économie puisse
introduire ou s’ouvrir à des procédures de gestion rigoureuse, il faut qu’elle se dégage des
contraintes religieuses pour pouvoir poursuivre sa logique propre. De même l’émergence d’une
science rationnelle positive et empirique suppose qu’elle puisse s’émanciper de la théologie et
de la philosophie morale. Pour que l’entreprise s’engage dans une gestion méthodique de ces
activités et de ces investissements, elle doit parvenir à se séparer de la communauté familiale.
En résumé, la rationalisation c’est d’abord l’autonomisation croissante des sphères de la vie
sociales.
L’universalisation et la formalisation des rapports sociaux constituent une autre condition de
l’avènement de la rationalisation. Ainsi, le passage à une économie moderne implique une
universalisation ainsi qu’une impersonnalisation des rapports sociaux. Dans la gestion
rationnelle du travail de l’entreprise capitaliste par exemple, les rapports formels et
impersonnels du capitaliste au salarié se substituent aux rapports concrets d’homme à homme
du travail artisanal.
Le processus de rationalisation qui s’empare des sociétés modernes s’exprime aussi dans les
représentations, dans l’imaginaire et dans les formes de pensées. Weber parle ainsi de
désenchantement du monde pour traduire l’évacuation des idéaux et des valeurs suprêmes
ultimes de la vie publique et intellectuelle. Ces idéaux ne trouvent plus refuge que dans le
royaume transcendant de la vie mystique ou dans des cercles communautaires restreints.
Weber ne souhaite ni ne déplore ce mouvement de rationalisation, il constate tout simplement
un avènement des valeurs et l’égalisation des individus, et il décrit un monde qui atrophie le
sens mystique du sublime pour mieux hypertrophier la raison. Ce mouvement ne laisse pas
pour autant présager la mort de la religion et Weber se contente simplement de prendre acte
d’une autonomisation croissante de la sphère religieuse en corrélation avec le développement
de l’esprit scientifique moderne.
La bureaucratie est l’autre manifestation principale du désenchantement du monde, et c’est un des
premiers sociologues à avoir mis l’accent dessus. L’administration bureaucratique représente la domination
légale ; à ce titre, c’est la forme d’organisation la plus juste et la plus efficace. Elle présente quatre
caractéristiques principales :
Le pouvoir dans la bureaucratie est fondé sur la compétence et non sur la coutume ou la force.
Le fonctionnement bureaucratique s’inscrit dans le cadre d’une réglementation impersonnelle.
Il ne peut donc y avoir d’arbitraire ou de décisions no fondées en droit.
L’exécution des tâches bureaucratiques est divisée en formations spécialisées définies
précisément et avec méthode.
La carrière du bureaucrate est réglée par des critères objectifs : ancienneté, qualification…
Weber sait bien que le mode d’organisation bureaucratique n’est pas spécifique à l’Occident
(bureaucratie chinoise) ni à l’administration publique. C’est également applicable aux entreprises, et notamment
aux entreprises économiques lucratives et Weber va jusqu’à citer par exemple l’administration bureaucratique
des grandes entreprises capitalistes, mais également certaines religions et les partis politiques.
La conception de Weber correspond de fait à une forme de gestion de la production, qui s’étend à toutes
les formes d’organisation modernes et qui intègrent le phénomène de rationalisation des tâches telles qu’il
commence à être pratiqué à grande échelle avec le taylorisme.
Surtout, enfin bien qu’il ait attribué à dénoncer la froideur et l’impersonnalité de l’organisation
bureaucratique, il appartiendra au sociologue américain d’énoncer la critique de la bureaucratie que l’on connaît
en analysant les contradictions, les effets pervers, les disfonctionnements, toutes les irrationalités caractéristiques
de ce système.
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