GENRES
I/ Genre et texte
Au-delà de l'explicitation des enjeux de la Querelle du Cid ou de la Bataille d'Hernani (qui s'articulent
toutes deux sur des “naissances” de genres dramatiques en France : la tragédie classique et le drame romantique, la
réflexion sur le genre est plus problématique que constitutive d’une vérité.
Et encore une fois se pose l’écart entre le texte, écrit ou non selon les codes d’un genre, et la représentation qui, par
ses codes propres, eux-mêmes variables selon les époques et les acteurs, varie à l’infini le “jeu comique” comme
“le jeu tragique” au point de pouvoir “modifier” le genre d’un texte.
Le texte “génétiquement codé”
Il faut d’abord éviter de tomber dans l'illusion classique d'une définition qui ne tienne pas compte de
l’Histoire et convienne aussi bien à Eschyle qu’à Racine, pour la tragédie par exemple. Toute tentative de
définition se fondant sur un point de vue, pourquoi ne pas utiliser la perspective historique, fondatrice du genre
tragique ? Pourquoi se référer d’emblée aux définitions de la doctrine classique dont les cadres à la fois stricts et
légers ne permettent pas plus de comprendre le fonctionnement et les significations de Phèdre qu'ils ne permettent
de nommer “tragédie” ce texte ?
Aussi au lieu de partir du genre on peut partir des pièces.
Il est beaucoup plus pertinent de définir les principes de la tragédie grecque à partir de l'Hippolyte
d'Euripide, par exemple pour les confronter à l’étude de la Phèdre de Racine. Les analogies et les différences entre
les deux pièces renseigneront mieux qu'un illusoire discours globalisant sur la tragédie. Mais on peut effectuer ce
travail aussi bien par rapport à la tragédie classique française du XVIIème siècle que par rapport à la tragédie
élisabéthaine. Il est alors intéressant de comparer l'Oreste d'Eschyle ou l’Electre de Sophocle aussi bien avec le
drame shakespearien (Hamlet) qu'avec la tragédie racinienne (Iphigénie ou Andromaque). Mais, alors qu'il n'est
pas absurde de se demander si c'est Racine ou Shakespeare qui est le plus proche du modèle grec, la même
question posée par rapport à un modèle idéal de la tragédie est dénuée d’intérêt. Voyons donc cette notion d’un
point de vue “historique”, conformément à l’hypothèse posée en introduction.
II/Tragédie
Préambule : Aristote et la tragédie.
Le passage de la Poétique Aristote a simplement voulu présenter sous forme de système le
fonctionnement de la tragédie grecque est devenu l'un des textes constitutifs de la théorie littéraire occidentale. Or,
à son époque, au IVème siècle Av. J. C., Aristote décrit une forme morte, en déclin, sans rapport avec une société et
des mentalités différentes de celles qui ont présidé à la naissance de la pensée tragique un siècle plus tôt. C’est au
XVIème siècle qu’en France on redécouvre ce texte descriptif, en commettant l'erreur fondamentale d’en faire un
texte normatif (qui fixe des règles).
Et c’est ainsi que l'ont lu les théoriciens et les dramaturges du théâtre classique français du XVIIème siècle.
Aussi, pour comprendre notre tragédie classique, il est certes intéressant de se référer à Aristote, mais les obscurités
du texte (qui nous est parvenu incomplet) et son décalage historique par rapport aux origines du théâtre dont il
traite, font qu'il est important de se référer à la tradie grecque du Vème siècle et à son fonctionnement, dont
l’étude oriente celle des différents systèmes tragiques (dont le classicisme français n’est qu’un cas isolé) qui ont
suivi, en Europe.
Les origines du genre : Athènes au Vème siècle
On a vu que l'enracinement de la tragédie grecque dans les rituels religieux est plus mythifié, qu’explicatif
de ses “origines”, car l'une de ses spécificités c'est d'abord qu'elle n'est plus un culte. La conscience du lien entre
tragédie et religion grecques n’est utile que pour saisir les coïncidences et les différences de ce théâtre avec le
nôtre.
Ainsi, le principal rapport qu'entretient la tragédie avec la religion n'est pas un rapport d'adhésion, de
célébration (bien qu'elle en garde l'apparence) mais un rapport de questionnement à tous les niveaux sur l’humanité
et l’inhumanité. Le mot est à prendre dans ses deux sens : ce qui excède l’humain, c’est à dire le divin, et ce qui
déshumanise : la bestialité, la barbarie. Ce questionnement apparaît très nettement au niveau du héros tragique,
présenté comme à la fois responsable de ses actes et jouet de la divinité. Cette contradiction interpelle l'individu
grec dans son rapport avec la Cité et avec les Dieux. La Cité le constitue en citoyen et lui demande d'être
responsable”, mais il a encore besoin d'être “purgé” (Catharsis) des terreurs attachées à une culture mythique qui
le soumet au bon vouloir des Dieux et aux lois barbares de la “vengeance”.
On peut en étudier la variante racinienne : un héros “ni tout à fait bon, ni tout à fait méchant”. Ainsi quand
Phèdre sent que sa faute relève à la fois d'une responsabilité personnelle et d'une malédiction divine, elle éprouve la
contradiction caractéristique de la tragédie grecque. Mais, la mise en scène (qui est remise en cause) du mythe par
les tragiques grecs, visait à rendre ce héros “présent” au monde, c'est-à-dire à l'inciter à avoir une action sur le
monde. Cette vision est assez proche de celle du héros Cornélien qui “résout” ses contradictions dans le sens d’une
“action” justement. (Dernière strophe des “stances” du Cid, ou bris des idoles par Polyeucte, même si le héros, se
décide à mourir). En revanche, influencé par le jansénisme, le questionnement du rapport de l'homme à la divinité
imaginé par Racine tend à soustraire l’héroïne au monde : Phèdre se suicide.
La tragédie grecque combine, par sa structure-même, deux discours : épique (celui du choeur qui raconte,
commente, interroge) et dramatique (celui des personnages en action). La catharsis sert à créer une distance
réflexive qui fait agir le héros. Elle échappe au reproche brechtien sur la tragédie qui condamne la conception de la
catharsis, (fondée sur la pitié et la terreur), attribuée à Aristote, qui a “contaminée” le théâtre européen, et non sa
fonction effective et active dans la tragédie grecque.
La tragédie élisabéthaine
À la différence des classiques français, les élisabéthains, sauf exception, ne cherchent guère à construire
une doctrine explicite de la tragédie. Il est donc absurde d’étudier Hamlet à la lumière des théories d’Aristote,
surtout quand elles sont revues par les érudits du classicisme français, cinquante ans après l’écriture de la pièce.
C'est encore la conception médiévale de l'Histoire tragique d'un prince ou d'une grande famille qui régit souvent le
genre, dont les frontières avec le drame historique sont si flottantes que les romantiques français se réclamant de
Shakespeare, pour trouver un ancêtre à leur drame, ne font guère la différence. (Richard III est il un drame ou une
tragédie ?)
L'originalité du “tragique” élisabéthain par rapport au “tragique” grec, tient à ce que le héros shakespearien
a beaucoup plus le sentiment de se heurter à la toute-puissance imprévisible du Hasard et à une violence objective
du Monde quune Divinité. À la différence de Macbeth, aucun héros tragique grec ne définirait la vie, comme
“une histoire contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien”.
La tragédie classique française
A/ Naissance et spécificité
Entre la première pièce considérée traditionnellement comme une tragédie, la Cléopâtre captive de Jodelle
(1552) et les premières tragédies “régulières”, plus de quatre-vingts ans s'écoulent.
Parmi les genres proches qui se développent pendant cette période, le principal est la tragi-comédie, imitée
de la comédie espagnole (par opposition à la tragédie, elle permet des personnages de rangs sociaux divers, des
passages comiques, des dénouements heureux et n'est pas contrainte par les unités de temps et de lieu). Voila qui
témoigne bien que la tradition théâtrale française s’inscrit d’abord dans la grande esthétique baroque Européenne,
dont elle ne se démarquera que par un paradoxe, qui ne -lui fait atteindre un idéal d’équilibre et de fixité ( “marque
du classicisme”)que par un excès de déséquilibres (marque du “baroque”), pourrait-on dire en définissant “le
classicisme comme du baroque de plus grande amplitude” formule qui parodie celle de Montaigne, définissant : “la
Constance elle-même n’est qu’une inconstance de plus grande amplitude
Pour dégager la spécificité de la tragédie classique en tant que genre limiteessayons de transformer une
fable non tragique, tirée d'une comédie Tartuffe par exemple, en fable tragique. La fin heureuse de la pièce,
évidemment ressentie comme artificielle, sera supprimée ce qui rendra aisément le dénouement “tragique”. Pour
être en accord avec les “règles”, il faudra aussi changer la condition sociale des personnages, (forcément royaux).
Bien entendu, on supprimera les passages comiques, (il est hors de question, invraisemblable”, qu'un public
aristocratique puisse se voir ridicule à travers un Orgon, promu prince, caché sous une table).
On dégage ainsi le système de convention qui limitent comédie et tragédie en tant que genres. Mais on
voit aussi qu'il n'y a pas coïncidence entre tragédie, histoire tragique et vision tragique.
B/ Définitions
La tragédie se définit par l’application de “conventions” d’écriture et/ou de jeu théâtrales.
L'histoire “tragique” qui finit mal - source de la tragédie en France et en Angleterre - n'est pas forcément
théâtrale et relève même, le plus souvent, du récit.
La vision tragique est idéologique, et relève d’une certaine conception du temps (immuable), et de la place
de l’homme dans le monde (soumis à un destin).
Phèdre est à la fois une tragédie, une histoire tragique et une vision tragique.
Rodogune est une tragédie, une histoire tragique, mais sa vision relève du “romanesque”.
Cinna est encore une tragédie, mais n'est pas une histoire tragique, (c'en est une variante qui finit bien) et ne
renvoie pas à une vision tragique du monde.
Lorenzaccio est une histoire tragique, qui renvoie à une vision tragique (du rapport de l'homme à l'histoire),
mais ce n'est pas une tragédie : c’est un drame.
C/ Des règles fondées sur l’idéologie dominante
La théorie de la tragédie régulière classique s’est constituée, dans un va-et-vient entre dramaturges et
doctes à partir des années 1630. La Pratique du Théâtre de D'Aubignac, L'Art Poétique de Boileau, les textes de
Chapelain, les préfaces de Racine, les Discours de Corneille, construisent une doctrine qui se réfère explicitement
à Aristote, mais surtout, par la façon de l’interpréter, à la raison,
Ainsi les règles des unités sont avant tout fondées en Raison, concept qui renvoie à l'idéologie d'une
fraction infime de la société de l'époque, mais qui explique pourquoi ces règles ne seront pas fondamentalement
discutées au XVIIIème siècle quand ce Concept forgera l’idéologie des Philosophes.
Voltaire est passionné de tragédie, et se revendique d’abord auteur tragique (celui de Zaïre entre autres,
considérée comme la dernière tragédie classique), et Diderot ne conteste pas la théorie de la “vraisemblance”: il
refuse simplement les critères aristocratiques qui la fondaient au XVIIème siècle. Il réclame une vraisemblance”
conforme à la “raison” des gens de la société réelle de son temps, la bourgeoisie et fait basculer les conventions de
la tragédie vers celles du drame bourgeois.
Respecter la “vraisemblance”, les “bienséances” pour un dramaturge, c’est en réalité, de tout temps et dans
toute cité, se plier à une certaine image que la classe dominante a d’elle-même, et veut produire d'elle-même.
Corneille, dont tout le théâtre est une réflexion sur la convention, (notamment celle du langage et de son rapport
avec la vérité), accepte difficilement cette “loi” et réclame le droit au vrai qui peut ne pas être vraisemblable.
Quant à Racine, s'il compose plus avec les exigences des doctes, c'est parce qu'elles ne l'empêchent en rien de
construire son univers tragique fondé, comme le montre Roland Barthes, sur la concentration maximale des
obstacles.
D/ Le classicisme : du baroque exacerbé.
Inconsciemment ou non les doctes perçoivent que les exigences-mêmes du code “tragique” collent à
l’image que veut donner d’elle-même la société aristocratique alors au faîte de sa puissance, qui veut arrêter
l’Histoire à cet instant idéal. Or l’esthétique tragique procède justement de la “stase”, de l’arrêt du temps, (le
moment tragique du Cid, c’est la scène I, 6 celle des stances de Rodrigue) ou de sa concentration (et cela revient au
même : Phèdre au labyrinthe) ! Par opposition au drame qui dilate une Histoire dans le temps, l’espace, et en
disperse l’intrigue sur un nombre important de personnages, le tragique concentre sur un seul héros des malheurs à
la fois intimes, familiaux, politiques, voire cosmiques. Le temps de la tragédie c’est le Maintenant. Son lieu c’est
l’Ici.
Tout autant que les règles des doctes, ces “nécessités” internes expliquent à la fois le choix du lieu neutre et
celui de l’esthétique du récit qui concentre passé, présent, futur et irréel du passé. Qu’ils soient siens ou venus
d’ailleurs et survenus à d’autres les événements récités sont actualisés dans le temps et l’espace de la seule parole
du héros: (1) Phèdre raconte l’histoire d’Ariane au labyrinthe en “en brouillant le fil” du délire de son fantasme
impossible : on retrouve l’hypnose du théâtre grec et le “désordre” des baroques !
Ainsi cette esthétique dite “classique” vèle pleinement sa genèse baroque. Ce n’est que par excès
d’Histoires différentes concentrées en un temps très bref sur un seul héros qu’elle devient paradoxalement (autre
forme de la pensée baroque) une esthétique d’équilibre : un seul lieu, une seule action, un seul temps. (2)
Daniel Mesguish n’a donc pas commis le contre-sens dont l’accusent les “doctes” contemporains en
montant Bérénice comme une pièce Baroque, pas plus qu’il n’est absurde de considérer La Princesse de Clèves
comme un chef d’oeuvre baroque, esthétique lisible aussi dans l’enchâssement des histoires les unes dans les
autres, comme par la scène du “portrait dérobé”.
De la tragédie à l’absurde.
La nostalgie du tragique s'est manifestée dès la fin du XIXème siècle qui voit public et drama-turges
remonter aux origines grecques de la tragédie. Eschyle, Sophocle, Euripide sont joués, adaptés, imités, fantasmés
(Claudel, Hofmannsthal). En France, au XXème siècle, Giraudoux, Anouilh tentent de retrouver la dimension
tragique de leurs modèles, mais, comme le dit B. Dort, leurs héros “ne font que ressasser leur nostalgie d'une
impossible tragédie ; celle aussi d'un monde les dieux feraient encore la loi”. C'est bien l'ambiguïté de cette
nostalgie que dénonce Ionesco, pour qui le comique est “plus désespérant que le tragique” parce qu'il est “intuition
de l'absurde”, alors que le tragique peut paraître, en un sens, confortant, car, s'il veut exprimer l'impuissance de
l'homme vaincu, brisé par la fatalité par exemple, le tragique reconnaît, par là-même, la réalité... de lois régissant
l'Univers, incompréhensibles parfois, mais objectives”. Brecht aussi trouvait que la comédie est finalement plus
sérieuse, et il accuse la tragédie de traiter “plus souvent que la comédie les souffrances des hommes par-dessous la
jambe”. Mais sa philosophie comme sa conception de la finalité du théâtre sont à l'opposé de celles d'Ionesco.
Des pièces comme l'Antigone d'Anouilh, l'Électre de Giraudoux permettent de réfléchir à la fois sur le
tragique et la tragédie par comparaison avec leurs modèles grecs. Les Mouches de Sartre, Caligula de Camus sont
des exemples de pièces qui ne sont pas des tragédies mais impliquent une nouvelle vision “tragique”, fondée non
sur une fatalité mais sur la liberté existentielle et l'absurde. Le théâtre de Beckett et de Ionesco renvoie aussi à une
vision tragique qu'il faudra distinguer des précédentes. Mais dans ce tragique, le hasard de la condition humaine
absurde a remplacé la fatalité divine Le Roi se meurt “agitation bien inutile en somme” comme dit Marguerite à la
fin, est intéressant à étudier du point de vue du genre dans la mesure où, à travers la dérision, il mime quelques-
unes des conventions maîtresses de la tragédie classique : “l'histoire tragique” d'un personnage de rang royal, et
surtout les fameuses unités, celle de l’espace (salle du trône), celle de l’action (unique, tournée vers le sujet lui-
même, donc très concentrée dans son activité et surtout porteuse de sa propre fin : se meurt !). Enfin, le temps
représenté et le temps de la représentation coïncident exactement !
Le Retour de la tragédie, aujourd’hui : écriture et représentation
Plus récemment, en France, des écrivains comme Michel Vinaver (Iphigénie-hôtel), Michel Azama
(Iphigénie) ou Didier-Georges Gabily (Gibiers du temps) comme en Irlande Gregory Motton (Chutes) ou en
Angleterre Sarah Kane (l’Amour de Phèdre) ont réintroduit le mythe tragique dans leurs oeuvres. Il les ont souvent
mêlés au quotidien (Vinaver, Motton, Gabily) de sorte que le mythe dénaturé (chez Gabily les dieux sont mortels,
et Thésée mort revient prendre la place d’Hippolyte pour l’inceste) dénonce l’inhumanité de notre monde. Chez
Motton (comparé parfois à Shakespeare car il lange comique et tragique) on ne sait plus si on est dans la zone
vivent les laissés pour compte de l’Angleterre tachérienne, ou si on est confronté à des dieux déchus. Mais ces
auteurs mêlent surtout les différents types d’écriture tragique : Gabily, ou Azama reprennent une écriture “grecque”
avec choeur et acteurs, voire transposent sur des faits divers actuels (Violence de Gabily), une forme “tragique”
ancienne. Sarah Kane retrouvait (elle s’est suicidée à 28 ans) dans Manque quelque chose des procédés de Beckett.
Du côté de la scène, Vitez a monté trois fois l’Electre de Sophocle dans trois mises en scènes différentes
qui s’inspirent et s’écartent à la fois de la théâtralité originelle : les trois fois en “écho” aux horreurs de l’époque
(guerre d’Algérie, dictature des colonels en Grèce et celle de 86, en hommage à Brecht, pour continuer à “crier”
“d’une voix rauque” “contre l’Injustice” (Vitez, La Scène, 4, p.180-181). De même Mathias Langöff a monté
Richard III en écho à Brecht et à la fin de la guerre de Bosnie pour dénoncer ces temps où la paix commençante est
plus horrible que la guerre !
Récemment Daniel Jeanneteau a monté une Iphigénie de Racine, dans une scénographie qui donnait
l’impression de voir surgir des fantômes d’une sorte de bouche noire (matrice, tombeau ouvert) on les devinait
apparaître avant qu’il n’entrent, le plus souvent appelés par l’actrice qui jouait tous les figurants et suivants, face au
plateau, comme la coryphée. Pour sortir ils retournaient se fondre dans le noir tombeau du fond. Cet impression
hypnotique était renforcée par une diction très blanche, qui déplaçait l’émotion à la manière brechtienne de la
frustration.
François Tanguy et son théâtre du Radeau ont travaillé aussi dans ce sens : Le chant du bouc au titre
directement traducteur de l’étymologie du mot “tragédie” était un spectacle visuel hypnotique et oppressant
dans un décor de récupération hermétiquement clos au début et se dégageant progressivement, émergeaient des
acteurs balbutiant des textes en allemand, en grec, que l’on entendait vaguement. Choral plus “aérien” mais tout
aussi hypnotique était en rapport avec la guerre de Bosnie.
En fait la grande “tragédie” historique du XXème siècle, celle des “camps” et de la bombe est centrale dans
l’oeuvre d’Edward Bond, notamment Pièces de guerre, dans une écriture et un dispositif scénique qui tiennent à la
fois du théâtre épique Brechtien et du théâtre tragique grec.
Tadeusz Kantor s’inspire directement de ses souvenirs d’enfance pour évoquer moins les camps que l’idée
tragique aussi du retour des morts : les cheminées tordues qu’il dessine représentent les âmes des juifs qui
ressuscitent et tentent de se souvenir du monde d’avant : mais ça finit toujours tragiquement, même si c’est joué
dans la dérision de “l’appareil photo-mitrailleuse” de Wielopole Wielopole (nom du village natal de Kantor) ou des
crucifixions de Qu’ils crèvent les artistes !
Enfin, Claude Régy a monté Holocauste à partir d’un texte non théâtral de Raznikoff (récit des camps) dans
une scénographie tragiquement simple : un mur de brique éclairé dans une lumière stable mais que l’on croît
mouvante à force d’hypnose, devant lequel se déplace très lentement le protagoniste unique de l’origine du théâtre
au fur et à mesure qu’il (d)énonce les horreurs de notre temps. Cela dure une heure pour parcourir dix mètres , à un
mètre des sept rangs de spectateurs.
Paradoxalement par des procédés dramaturgiques exactement inverses de ceux de la tradie grecque (lieu
clos, petit, proximité du public restreint, jeu frontal, lumière artificielle fixe) on retrouve exactement la même
cohésion salle-scène et la même portée hypnotique de la tension entre humain et inhumain.
III Drame
On vient de le voir, la notion de tragédie ne couvre pas exactement les mes codes selon qu’elle se joue à
Athènes au Vème siècle avant J.C. ou en 2001 à Lorient, et selon qu’elle met en scène un texte tragique du
répertoire, ou qu’elle monte un texte renvoyant au tragique contemporain. Et pourtant, nul ne s’y trompe.: dans
tous ces spectacles, le spectateur se sent au contact du “mode tragique”, même si le texte joué ne s’appelle pas
“tragédie”..
En fait, après la période classique, le théâtre sous la forme du “drame”s’est défini surtout par la négation
des anciens genres et, à l'époque actuelle, sauf sur le boulevard qui conserve l'appellation “comédie”, toutes sortes
de termes sont employées, depuis les neutres “pièce” et “spectacle” jusqu’à “dramaticule” (Beckett), “méfable”
(Béhar), “théâtre-roman” (Gabilly), sans parler de “matériau” utilisé par les metteurs en scène qui montent des
fragments de textes non écrits pour le théâtre, en faisant leur la célèbre formule d’Antoine Vitez : “Faire théâtre de
tout”. Ces pratiques contemporaines du théâtre, affirment que la notion de genre n’est encore utile que pour rendre
compte des types de jeux dramatiques
Définition
Le mot “drame” apparaît en France au XVIIème siècle pour désigner toute action dramatique, tragique ou
co-mique. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, le mot est utilisé pour nommer le nouveau “genre”, issu de la
“comédie sérieuse” : le drame bourgeois”, premier genre de drames d’une longue série qui se développe pendant
un siècle en se réclamant d'une plus grande “vérité” que les genres auxquels il s'oppose. Cette “vérité” est
mouvante, fondée sur l’idéologie du moment, laquelle varie souvent, au rythme des “révolutions” politiques,
économiques et artistiques du XIXème siècle. Elle se théâtralise donc par des conventions parfois très différentes
voire opposées
Aussi, en tant que forme théâtrale, le drame, sous toutes ses variantes, se définit surtout par opposition à la
tragédie : mélange des tons, refus des unités de temps et de lieu. Le plus souvent il se pose la question de la
transposition scénique du texte dramatique.
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !