impossible : on retrouve l’hypnose du théâtre grec et le “désordre” des baroques !
Ainsi cette esthétique dite “classique” révèle pleinement sa genèse baroque. Ce n’est que par excès
d’Histoires différentes concentrées en un temps très bref sur un seul héros qu’elle devient paradoxalement (autre
forme de la pensée baroque) une esthétique d’équilibre : un seul lieu, une seule action, un seul temps. (2)
Daniel Mesguish n’a donc pas commis le contre-sens dont l’accusent les “doctes” contemporains en
montant Bérénice comme une pièce Baroque, pas plus qu’il n’est absurde de considérer La Princesse de Clèves
comme un chef d’oeuvre baroque, esthétique lisible aussi dans l’enchâssement des histoires les unes dans les
autres, comme par la scène du “portrait dérobé”.
De la tragédie à l’absurde.
La nostalgie du tragique s'est manifestée dès la fin du XIXème siècle qui voit public et drama-turges
remonter aux origines grecques de la tragédie. Eschyle, Sophocle, Euripide sont joués, adaptés, imités, fantasmés
(Claudel, Hofmannsthal). En France, au XXème siècle, Giraudoux, Anouilh tentent de retrouver la dimension
tragique de leurs modèles, mais, comme le dit B. Dort, leurs héros “ne font que ressasser leur nostalgie d'une
impossible tragédie ; celle aussi d'un monde où les dieux feraient encore la loi”. C'est bien l'ambiguïté de cette
nostalgie que dénonce Ionesco, pour qui le comique est “plus désespérant que le tragique” parce qu'il est “intuition
de l'absurde”, alors que “le tragique peut paraître, en un sens, réconfortant, car, s'il veut exprimer l'impuissance de
l'homme vaincu, brisé par la fatalité par exemple, le tragique reconnaît, par là-même, la réalité... de lois régissant
l'Univers, incompréhensibles parfois, mais objectives”. Brecht aussi trouvait que la comédie est finalement plus
sérieuse, et il accuse la tragédie de traiter “plus souvent que la comédie les souffrances des hommes par-dessous la
jambe”. Mais sa philosophie comme sa conception de la finalité du théâtre sont à l'opposé de celles d'Ionesco.
Des pièces comme l'Antigone d'Anouilh, l'Électre de Giraudoux permettent de réfléchir à la fois sur le
tragique et la tragédie par comparaison avec leurs modèles grecs. Les Mouches de Sartre, Caligula de Camus sont
des exemples de pièces qui ne sont pas des tragédies mais impliquent une nouvelle vision “tragique”, fondée non
sur une fatalité mais sur la liberté existentielle et l'absurde. Le théâtre de Beckett et de Ionesco renvoie aussi à une
vision tragique qu'il faudra distinguer des précédentes. Mais dans ce tragique, le hasard de la condition humaine
absurde a remplacé la fatalité divine Le Roi se meurt “agitation bien inutile en somme” comme dit Marguerite à la
fin, est intéressant à étudier du point de vue du genre dans la mesure où, à travers la dérision, il mime quelques-
unes des conventions maîtresses de la tragédie classique : “l'histoire tragique” d'un personnage de rang royal, et
surtout les fameuses unités, celle de l’espace (salle du trône), celle de l’action (unique, tournée vers le sujet lui-
même, donc très concentrée dans son activité et surtout porteuse de sa propre fin : se meurt !). Enfin, le temps
représenté et le temps de la représentation coïncident exactement !
Le Retour de la tragédie, aujourd’hui : écriture et représentation
Plus récemment, en France, des écrivains comme Michel Vinaver (Iphigénie-hôtel), Michel Azama
(Iphigénie) ou Didier-Georges Gabily (Gibiers du temps) comme en Irlande Gregory Motton (Chutes) ou en
Angleterre Sarah Kane (l’Amour de Phèdre) ont réintroduit le mythe tragique dans leurs oeuvres. Il les ont souvent
mêlés au quotidien (Vinaver, Motton, Gabily) de sorte que le mythe dénaturé (chez Gabily les dieux sont mortels,
et Thésée mort revient prendre la place d’Hippolyte pour l’inceste) dénonce l’inhumanité de notre monde. Chez
Motton (comparé parfois à Shakespeare car il mélange comique et tragique) on ne sait plus si on est dans la zone
où vivent les laissés pour compte de l’Angleterre tachérienne, ou si on est confronté à des dieux déchus. Mais ces
auteurs mêlent surtout les différents types d’écriture tragique : Gabily, ou Azama reprennent une écriture “grecque”
avec choeur et acteurs, voire transposent sur des faits divers actuels (Violence de Gabily), une forme “tragique”
ancienne. Sarah Kane retrouvait (elle s’est suicidée à 28 ans) dans Manque quelque chose des procédés de Beckett.
Du côté de la scène, Vitez a monté trois fois l’Electre de Sophocle dans trois mises en scènes différentes
qui s’inspirent et s’écartent à la fois de la théâtralité originelle : les trois fois en “écho” aux horreurs de l’époque
(guerre d’Algérie, dictature des colonels en Grèce et celle de 86, en hommage à Brecht, pour continuer à “crier”
“d’une voix rauque” “contre l’Injustice” (Vitez, La Scène, 4, p.180-181). De même Mathias Langöff a monté
Richard III en écho à Brecht et à la fin de la guerre de Bosnie pour dénoncer ces temps où la paix commençante est
plus horrible que la guerre !
Récemment Daniel Jeanneteau a monté une Iphigénie de Racine, dans une scénographie qui donnait
l’impression de voir surgir des fantômes d’une sorte de bouche noire (matrice, tombeau ouvert) où on les devinait
apparaître avant qu’il n’entrent, le plus souvent appelés par l’actrice qui jouait tous les figurants et suivants, face au