Argumentaire GDF-Suez 7 mars 2006 LA FUSION GDF-SUEZ Le patriotisme économique nécessaire Prise de position « La décision de fusionner Gaz de France et Suez Electrabel est une réponse à la reconfiguration brutale par voie d’OPA hostiles du secteur énergétique en Europe. Cette reconfiguration est elle-même la conséquence de la libéralisation de l’énergie décidée en 2002 au sommet de Barcelone. C’est pourquoi je comprends mal la critique de ceux qui ont décidé cette libéralisation il y a quelques années : que n’ont-ils fusionné EDF et GDF quand ils le pouvaient ! Aujourd’hui la décision du gouvernement me paraît la moins mauvaise possible. Gaz de France est en effet un opérateur gazier très performant mais dont la taille est insuffisante pour faire face aux énormes investissements qu’implique la sécurité énergétique de l’Europe par voie de gazoducs ou de chaînes de liquéfaction de méthane. Face à la tentative d’OPA d’Enel sur Suez Electrabel il est sans doute raisonnable de constituer un deuxième pôle énergétique français, à quatre conditions : - que l’Etat conserve dans le nouveau groupe une minorité de blocage ; - que GDF y conserve son identité ; - que les personnels de GDF conservent leur statut ; - qu’une coopération conventionnelle soit maintenue entre GDF et EDF. Les biens pensants crient au « nationalisme » : il y a quelques hypocrisies à faire comme si la France pouvait s’en remettre aux marchés financiers du soin d’assurer son approvisionnement énergétique à long terme. N’oublions pas la leçon d’Arcelor, un géant soit-disant européen pour lequel la France a abandonné Usinor dans lequel l’Etat avait longtemps conservé une participation. On connaît la suite. La gauche doit assumer l’intérêt national. Pourquoi l’Allemagne pourrait-elle avoir deux grands énergéticiens et pas la France ? Que l’Italie et l’Espagne conservent chacune leur champion national : Enel et Endesa. Cela facilitera la coopération européenne. Il est temps de dire que l’Europe se fera avec les nations et pas sans elles, et encore moins contre elles. » Commentaires 1 – L’activité de Gaz de France et de Suez Electrabel Gaz de France, entreprise publique très partiellement privatisée, qui regroupe 53 000 salariés, est le 1er fournisseur de gaz en Europe, possède le 1er réseau de transport comme de distribution de gaz, vend 66 giga mètres cubes de gaz par an et opère dans 8 pays où il a des réserves importantes. Suez, groupe privé, qui regroupe 160 000 salariés, est le 5ème groupe électrique européen, notamment à travers l’acquisition de l’entreprise belge Electrabel, et le 6ème opérateur gazier en vendant 40 giga mètres cubes de gaz par an, mais est aussi le 2ème fournisseur de services à l’environnement en Europe, notamment à travers la Lyonnaise des Eaux, et le 1er groupe européen pour les services à l’énergie. 2 – Les conditions dans lesquelles a été prise la décision de fusion de GDF et de Suez L’idée était déjà à l’étude depuis plus d’un an, semble-t-il, avant que la crainte d’une OPA du groupe italien ENEL sur le groupe Suez ne précipite l’annonce de la fusion. Il est à noter qu’un groupe français, Véolia (ex-Générale des Eaux, et ex-filiale du groupe Vivendi) avait étudié avec ENEL un projet d’acquisition du groupe Suez. 3 – L’ouverture du marché énergétique en Europe Il est vrai que la dérégulation complète du marché européen de l’énergie est décidée et sera effective en juillet 2007. Les groupes (et notamment les entreprises « nationales » de fait) devront être présents dans plusieurs types d’énergie, et notamment l’électricité, le gaz, et sans doute le pétrole. 4 – Le jeu des OPA entre groupes européens Actuellement, le groupe électrique allemand E.ON, qui est un des deux groupes de taille européenne avec RWE, a absorbé le groupe gazier Ruhrgas en 2003 et cherche à acquérir le groupe électrique espagnol Endesa, qui pourrait aussi être racheté par le groupe gazier catalan Gas Natural. Et, comme il a été dit, le groupe italien ENEL cherche à acquérir le groupe Suez. Par ailleurs, EDF a déjà acquis plusieurs entreprises d’autres pays européens, notamment le groupe italien Edison dans lequel elle vient d’augmenter sa participation. La question n’est donc malheureusement plus de s’opposer à ce processus, mais de voir comment il est possible que la France affirme sa présence. 5 – La décision de 2002 au Conseil Européen de Barcelone C’est le Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, au cours duquel la France était représentée par Jacques Chirac et Lionel Jospin, qui, au point 37 des conclusions de la présidence, a décidé la libéralisation du marché intérieur du gaz et de l’électricité et, plus globalement, de l’énergie. 6 – Les grandes tendances du marché de l’énergie La production de pétrole, qui augmente peu du fait des crises du Moyen-Orient, est absorbée par la croissance chinoise et toujours fortement demandée par le mode de consommation américain. Les sources d’énergie alternatives ne sont pas très nombreuses. Les perspectives de développement de l’énergie nucléaire sont à la fois réelles et dépendantes des progrès scientifiques et techniques dans la production, la sécurité et le traitement des déchets, qui ne sont visibles que d’ici plusieurs décennies, et de l’opinion publique, qui y est hostile dans plusieurs grands pays comme l’Allemagne. Les énergies renouvelables ont un potentiel de développement réel mais à court et moyen terme limité. C’est donc le gaz, et probablement ensuite le charbon, qui pourvoiront aux besoins supplémentaires. 7 – Le caractère stratégique du secteur du gaz à moyen terme Il nous appartient donc, en termes de politique industrielle, de consolider notre présence dans ce secteur. Tout le monde a encore à l’esprit le bras de fer récent du groupe russe Gazprom avec l’Ukraine et la Géorgie sur le prix du gaz. 8 – Une privatisation de GDF qui se poursuit de fait Il ne faut pas se cacher que la fusion entre GDF et Suez conduit à un groupe dans lequel l’Etat sera un actionnaire minoritaire. Il possède actuellement 80% des actions de GDF, et se trouvera à un peu moins de 40% du futur groupe GDF-Suez. 9 – L’explicitation des quatre conditions posées C’est pourquoi il faut que plusieurs conditions soient remplies pour rendre cette opération bénéfique pour la France. L’Etat doit conserver dans le nouveau groupe une minorité de blocage : il ne faut pas renouveler les erreurs d’Arcelor. GDF doit conserver son identité dans le groupe, pour y garantir la prééminence d’objectifs de service public et la pérennité de ses réussites en matière gazière. Les personnels doivent avoir la garantie du maintien de leur statut : c’est le meilleur moyen d’associer les salariés au projet industriel. Enfin, une coopération doit être maintenue par convention entre EDF et GDF, dans la mesure où les réseaux de vente sont communs. 10 – Le projet de loi sur les offres publiques d’acquisition en cours de discussion Un projet de loi est en cours de discussion au Parlement (présenté d’abord au Sénat et en 2 ème lecture à l’Assemblée nationale cette semaine), qui transpose la directive européenne du 2& avril 2004 relative aux offres publiques d’acquisition. Les OPA sont notamment rendues plus faciles par l’obligation pour la société cible de faire approuver par ses actionnaires les mesures de défense qu’elle prend. La seule contrepartie est la réciprocité, condition difficile à apprécier. Le gouvernement semble vouloir rééquilibrer son projet de loi, à la suite des critiques sur le désarmement d’Arcelor face à l’OPA qui la vise : il a proposé un amendement visant à rendre possible le recours à des bons de souscription d’actions pour se défendre. Mais l’ensemble de ce projet est très marqué par l’inspiration particulièrement néolibérale de la directive qu’il transpose. 11 – L’impact sur EDF : l’intervention publique en matière d’énergie La fusion entre GDF et Suez pose la question de l’avenir d’EDF. Des raisons spécifiques, et notamment de sécurité dans tous les sens du terme, justifient que la filière nucléaire reste sous le contrôle de l’Etat. C’est vrai aussi bien pour EDF et pour AREVA, dont l’ouverture de l’actionnariat doit rester limitée. 12 – Le précédent d’Arcelor, qui fait l’objet d’une OPA de Mittal L’OPA de Mittal sur Arcelor, n’est pas plus choquante (et pas moins non plus) que n’importe quelle autre OPA d’un groupe financier sur un groupe industriel. Mais il a montré le degré d’imprévoyance des gouvernements successifs, qui se sont désengagés totalement de l’actionnariat d’Usinor, puis d’Arcelor, qui a pourtant hérité d’un effort financier colossal de la part de l’Etat français envers sa sidérurgie depuis 20 ans. Or, le Luxembourg est toujours actionnaire d’Arcelor, la Région wallonne l’est aussi, l’actionnaire de référence de la sidérurgie espagnol l’est aussi, mais il n’existe plus ni actionnaire public ni actionnaire de référence privé français. 13- Le patriotisme économique Cette orientation affichée du gouvernement n’est pas critiquable en soi, comme semblent le suggérer certaines réactions à droite comme à gauche. La question qui se pose est de savoir si c’est une politique ou si c’est seulement un discours. Une telle orientation, qui n’accepte pas la financiarisation totale de l’économie et se rappelle que les salariés ne sont pas aussi internationalement mobiles que les capitaux, doit se décliner en une politique cohérente et habile. Il appartient aux pouvoirs publics d’en définir les termes pour ne pas être obligés de réagir au coup par coup aux stratégies de prédateurs, même à l’intérieur de l’Europe.