Page 3 - & théologie n°1 - Novembre 2014
techniques visant l’« amélioration » (autre traduction possible) de l’humain. Si le débat sur
ces questions est très fort aux États-Unis, il ne fait que commencer en Europe. À titre
d’exemple, le Comité consultatif national d’éthique français a rendu en février de cette année
pour la première fois un avis sur des questions proches (l’usage de techniques permettant une
« neuro-amélioration » chez les personnes non malades). Le développement considérable des
NBIC (nanotechnologies, biologie, informatique et sciences cognitives) a aussi donné lieu
depuis les années 1990 à un courant de pensée organisé : le transhumanisme ou Humanism +.
Les recherches et réalisations technoscientifiques médicales ou militaires ne peuvent sans
doute pas être ramenées à une visée « transhumaine » ou « post-humaine », mais la
philosophie de ce courant conduit à interroger la manière dont nous pensons et vivons
certaines évolutions de notre époque.
C’est particulièrement vrai de la réflexion théologique, qui commence à s’emparer de ces
sujets (2) – et ce fut l’un des premiers buts du congrès de l’ATEM que de prendre en vue ce
chantier. Les travaux en seront publiés prochainement dans un numéro de la Revue d’éthique
et de théologie morale, il n’est donc pas nécessaire d’en donner ici un compte rendu en bonne
et due forme. En revanche, il peut être utile de sérier un certain nombre des questions
suscitées et d’indiquer quelques orientations bibliographiques.
Que la machine réponde au corps et qu’elle s’allie à lui, nous en avons plus que des
exemples : c’est notre environnement entier qui en est modifié. D’où le vertige devant
l’accélération des innovations technologiques, leur « progrès continu », et une sorte d’arrêt de
la pensée, fascinée qu’elle semble être par l’ombilic des perspectives ouvertes. Or on se
souvient que le fascinosum est selon Rudolf Otto l’une des composantes du numineux – avec
l’effroi du tremendum. Mais le numineux d’aujourd’hui n’est plus dans l’approche du sacré
délimité : les humains auraient rompu son enclos et se dirigeraient maintenant au-delà des
limites qui étaient celles de la finitude. Il n’est pas sans intérêt d’insister sur l’atmosphère
initiatique qui entoure ce qui ne serait plus seulement un changement de monde, mais une
étape de l’humain se dépassant lui-même. H+ : comme si, par le tour d’une magie
intransitive, l’homme s’incorporait les objets machiniques de son propre culte.
Ces phénomènes parareligieux, la théologie a à en connaître. Elle ne cesse en effet de
scruter la croyance, si mobile dans ses buts et dans ses formes. Car les croyances peuvent
aussi bien être vecteurs de la foi vivante que bouchons qui l’étouffent. Mais le travail
théologique ne se fait pas non plus à distance, en sorte que des confusions sur la doctrine
promue demandent à être dissipées. Si l’on condamne l’espèce d’immortalité que visent
certains parmi les transhumanistes (7), va-t-on simplement lui opposer l’immortalité de l’âme
et comment accordera-t-on celle-ci à la résurrection de la chair proclamée dans le Credo ? Il y
aurait à redresser la croyance, mais à partir de quoi ? Que l’homme s’entête à prolonger
l’homme n’a rien d’une erreur, sauf si cela revient à écarter toute altérité (3).
Les croyances orientent les pratiques. Ce que rendent possible les NBIC, est-ce
souhaitable ? Contrôler le corps et vivre plus vieux, voilà qui intéresse – mais à quel prix ?
Devenir plus intelligent et plus heureux est un programme complémentaire plus douteux (4,
p. 137). C’est ce que nous signifie, dans une ambiguïté choquante et au titre prétendu de l’art
– du bioart –, un lapin dont l’ADN a été mêlé à celui d’une méduse et qui diffuse dans le noir
une lumière fluorescente verte (5, p. 84). Comment s’y retrouver parmi les appareillages
proposés, connexions, greffes, prothèses, implants internes ou externes (exosquelettes) ? À