Animation régionale de Dakar
Réseau des chercheurs “Droit de la Santé”
Agence Universitaire de la Francophonie
Droit, éthique et sida dans la recherche clinique et les essais
thérapeutiques dans les pays en voie de développement
Abdoulaye Sakho
Agrégé des Facultés de Droit UCAD
Puisque le sida est aujourd’hui une épidémie bien enracinée dans les comportements humains et
activée par l’environnement économique, culturel et social, les sciences sociales et comportementales
deviennent essentielles dans l’identification des solutions permettant sa mise sous contrôle. En effet, la
conception, l’exécution et l’analyse des essais cliniques portant sur le contrôle des MST, les vaccins
VIH, les médicaments antirétroviraux, les méthodes contraceptives par barrière génitale et les
virucides, dépendent toutes d’une recherche comportementale appropriée pour guider le choix des
individus à tester, garantir la conformité au protocole de l’essai clinique et permettre une interprétation
adéquate des résultats épidémiologiques ; cette dernière inclut le besoin fondamental de neutraliser les
différences observées dans les changements de comportement selon les groupes étudiés. (La
prévention du sida et l’atténuation de ses effets en Afrique subsaharienne, recherches et données
prioritaires pour les sciences sociales et comportementales National Research Council, National
Academy Press Washington D.C. 1996).
C’est donc dire l’importance et la place que doit occuper la recherche en sciences sociales dans les
stratégies visant à éliminer ou à atténuer les effets néfastes du sida.
La place du juriste est ainsi toute tracée dans cette recherche, car il lui appartient de formuler les
normes de comportement que la stratégie de lutte contre le sida appelle de tous ses vœux (Julie
Hamblin, « Le rôle de la loi dans les politiques en matière de VIH et de Sida », Current Science, AIDS
1991).
Mais à l’examen des rapports entre le droit et le sida, le juriste se rend très vite compte que sa
science présente des lacunes et qu’il est de plus en plus fait appel au concept d’éthique pour couvrir ce
“gap” (Ralph Jurgens, « VIH/Sida, Droit et éthique » 1995 ; Julie Hamblin, « Personnes vivant avec le
Sida : le droit, l’éthique et la discrimination », 1992).
En réalité, ce phénomène de l’incursion de l’éthique comme norme de régulation sociale n’est pas
propre à la science médicale. Il participe d’un vaste mouvement actuel qui tire les conséquences des
lenteurs de la régulation juridique sur les faits sociaux. Le droit est de plus en plus en retard sur les
faits qu’il prétend régir.
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Le constat qu’on peut déjà dresser des observations ci-dessus, c’est qu’en l’absence de règles de
droit, il est fait appel à un autre type de normes comportementales issues du bon sens, de la morale, en
un mot de l’éthique.
Ce même constat peut être dressé dans les pays en développement et, plus particulièrement, dans
les pays africains avec la nuance que le droit n’y est pas souvent en retard, mais plutôt inexistant ou
ignoré par les populations qui se prévalent, à ce propos, de règles et coutumes ancestrales.
En conséquence, il y a forcément conflit entre ces pratiques coutumières et la loi très souvent
d’inspiration étrangère. Cette problématique entre tradition et modernité, bien connue des juristes
africains, prend une dimension particulière et dramatique avec la donnée sida qui se perçoit comme la
pandémie de cette fin de millénaire avec parfois une résonance philosophique ou religieuse : le sida ne
se présente-t-il pas par certains comme une sorte de punition des dérèglements sociaux ? Des
processus de rejet ne sont-ils pas apparus çà et ? Le sida n’est-il pas le nom d’une mort annoncée ?
Certaines stratégies de prévention ne sont-elles pas souvent imprégnées de relents de stigmatisation,
voire même d’exclusion ?
Toutes ces questions montrent que le sida ne concerne pas seulement la médecine : de problème
médical, il est devenu un phénomène social qui appelle donc un traitement social nécessitant la
pluridisciplinarité. Aussi n’est-il pas étonnant que les questions morales et éthiques coexistent avec les
questions juridiques, surtout dans les essais cliniques.
Il n’est pas nécessaire d’être juriste pour comprendre que l’éthique n’est pas le droit. Le sida donne
lieu à certains dilemmes très complexes : faut-il par exemple dire à la femme d’un homme ayant le
VIH qu’elle court un risque ? Faut-il arrêter des essais cliniques dès lors qu’une partie du groupe
recevait un placebo pour établir une comparaison avec l’AZT ?
Ces deux questions montrent que les principes juridiques existants peuvent se révéler insuffisants à
réconcilier tous les intérêts en présence ou peuvent même conduire à des résultats inadéquats ou
anormaux.
En tout état de cause, les insuffisances potentielles du droit, face au sida ouvrent la porte à
l’élaboration de nouveaux principes juridiques qui devraient être inspirés par des considérations
éthiques.
C’est donc dire que les problèmes d’ordre moral soulevés par les essais cliniques nous serviront de
prétexte pour un appel à une plus grande prise en compte de l’éthique dans les expérimentations
médicales dans les pays en développement.
I. Les questions d’ordre moral soulevées par le rapport du droit a la recherche
clinique et aux essais thérapeutiques dans le sida
Les essais cliniques et thérapeutiques représentent la section humaine du développement d’un
médicament. Ils se réalisent sous la forme d’une étude contrôlée visant à préciser sur une population
sélectionnée et particulièrement surveillée, les effets d’un médicament sur une maladie bien précise.
Par définition et de manière générale, ils soulèvent deux questions d’ordre moral. La première est
globale et a trait à la moralité de l’utilisation de l’être humain comme support d’une recherche
médicale.
Les autres questions sont ponctuelles, car correspondant à chaque étape de l’essai et de sa
réalisation.
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Je vais les aborder successivement.
A. Une question globale : Recherche médicale et personne humaine
La recherche clinique est-elle conciliable avec les droits de l’homme ? Cette question se pose tant
particulièrement dans les expériences biomédicales qui opposent les droits de l’individu aux intérêts
de la collectivité.
Pour aller un peu plus loin dans la réponse à cette question en ce qui concerne l’Afrique, il ne sera
pas sans intérêt de poser la définition de la notion de personne dans la recherche biomédicale.
1. La notion de personne dans la recherche biomédicale
Sous le rapport juridique, la personne est l’individu de l’espèce humaine considéré en tant que sujet
conscient et libre.
Dans une acceptation plus large, c’est l’être individuel en tant qu’il possède la conscience, l’unité,
la continuité de la vie mentale, la liberté et sur le plan moral la capacité de distinguer le bien du mal et
de se déterminer par des motifs dont il puisse justifier la valeur devant d’autres êtres raisonnables.
Nous voyons qu’il s’agit d’une notion univoque que le droit protège par les principes de
l’indépendance de l’individu (toute personne peut prendre librement des décisions concernant son
corps) et de l’inviolabilité de la personne (droit à l’intégrité physique par exemple).
Mais appliquée en Afrique, la notion perd de son univocité.
2. Le particularisme de la notion en Afrique
Il est vrai que la plupart des pays africains renferment les mêmes principes permettant d’affirmer la
notion de personne telle que décrite ci-dessus. Par exemple, au Sénégal, la Déclaration Universelle des
Droits de l’Homme et la déclaration de 1789 sont dans le préambule de la Constitution et font donc
partie de notre droit interne.
Mais, les contextes sont différents, les traditions et coutumes communautaires empêchent de
concevoir l’individu comme un être libre au sens occidental du terme. Très souvent, l’individu n’existe
que par le groupe. C’est une donnée importante à prendre en considération lors des essais cliniques en
zone rurale. En revanche pour certains segments de la population ou en zone urbaine, une application
du droit individualiste pourrait être concevable.
En tout état de cause, la place de l’individu et de la personne dans les essais cliniques doit, pour
l’instant, être discutée au cas par cas. Une réglementation n’est peut être pas nécessaire en ce sens. Il
suffit de sensibiliser le chercheur et le médecin à la notion d’innovation et de respect de l’individu.
B. Deux questions ponctuelles: le consentement et la confidentialité
Chaque phase de l’essai et de sa réalisation doit être confrontée à sa dimension juridique. A ce
propos l’examen portera ici sur deux notions fondamentales en matière de sida : le consentement et la
confidentialité.
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1. Le consentement
Le consentement libre et éclairé est au cœur du droit et de l’éthique de la recherche avec des sujets
humains et doit être vu comme un processus débutant avec la prise de contact initiale et s’achevant
lorsque le projet ne nécessite plus le concours des sujets. En plus bref c’est le processus permettant à
des sujets pressentis d’accepter ou de refuser de participer à une recherche.
Pour être juridiquement acceptable, la recherche exige un consentement libre et éclairé, donné sans
manipulation, coercition ou influence excessive.
Les caractéristiques d’un consentement libre et éclairé se trouvent dans les droits civils des pays
francophones d’Afrique avec les protections nécessaires aux personnes inaptes.
Mais il est certain que ce consentement à la recherche à propos du sida risque de ne jamais
apparaître comme un consentement à un acte juridique banal. Que ce soit pour le dépistage, l’essai ou
le traitement, l’entourage immédiat interviendra. Les interconnexions religieuses et culturelles
empêchent ici l’expression individuelle du consentement (car avec le droit musulman du mariage qui
complète le consentement personnel des époux par celle du tuteur matrimonial).
2. La confidentialité
C’est la chose la moins bien partagée en Afrique. On peut même ne pas s’y étendre.
Il convient toutefois de souligner que cette question fait l’objet de débats assez intenses à propos de
la “nécessité de protéger la vie” qui justifierait la levée de l’obligation au secret qui est imposé au
personnel médical.
En conclusion sur cette première partie, retenons que le droit à lui seul ne peut régler le problème
des essais médicaux liés au sida.
Le sida n’est pas seulement une affaire de réglementation. C’est un fait social. Aussi l’éthique vient
elle compléter ou modifier la règle de droit.
II. L’appel à l’éthique pour combler les lacunes du droit
L’apparition de l’éthique comme mode de régulation sociale consiste au plan pratique, à instaurer
des normes de contenu évolutif, tendant généralement à provoquer plus qu’à imposer une adhésion au
comportement souhaité, par la persuasion morale, exprimant la nécessité d’observer dans les pratiques
les exigences de loyauté, de transparence et de respect des professionnelles partenaires.
Seules ces règles peuvent valoriser et légitimer l’exercice de l’activité considérée en insistant sur le
souci de se conformer tout autant à l’esprit qu’à la lettre des règles en élevant même parfois leur portée
à la hauteur de la participation au bien commun.
Cette apparition traduit en réalité un retours à la règle morale qui prend des formes variées tels que
les codes d’éthique ou de bonne conduite et les règles déontologiques rédigés par des organismes para-
étatiques ou corporatistes comme les ordres professionnels.
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En plus bref, on peut considérer que dans le domaine du sida, les normes éthiques visent à restaurer
la dignité humaine en évitant que l’approche médicale et sociologique de la maladie ne conduise à des
déviations fâcheuses.
Mais pour l’opérationnalité de l’éthique, il convient de savoir la place que lui donne le droit.
Autrement dit, comment s’opère la réception de l’éthique par le droit ?
En principe, les règles éthiques sont dans la catégorie des règles morales dépourvues d’effets
juridiques donc non sanctionnées par le droit étatique. Cette position est aujourd’hui fortement
critiquée par ceux qui considèrent qu’elle traduit le dogmatisme des juristes pour qui, il n’est du droit
que celui sanctionné par l’Etat.
Les partisans du pluralisme juridique voient entre le droit et l’éthique une complémentarité. Soit
l’éthique est un auxiliaire du droit, soit alors c’est un phénomène d’autorégulation qui peut être reçu
par le droit ou être cantonné dans son propre ordre juridique (dans ce dernier cas, le droit prend une
fâcheuse tendance à qualifier ces règles d’usage contra legem).
Pour terminer retenons simplement qu’étant donné le grand nombre de questions juridiques
nouvelles soulevées par l’épidémie, l’élaboration de nouveaux principes juridiques sera nécessaire.
Ces principes devront être animés par des considérations éthiques. Il existe donc des possibilités bien
réelles qu’un débat éthique prudent et informé puisse guider l’évolution du droit dans ce domaine.
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