ATON

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Avec le règne du pharaon Akhenaton, le vieux pays d'Égypte va
connaître une exceptionnelle période de bouleversements et une des
expérience spirituelle et religieuse les plus fascinante de l'histoire de
l'humanité.
Sous l'impulsion du pharaon Aménophis (Amenhotep) IV- Akhenaton
et de sa belle et célèbre épouse Néfertiti, ce que l'on a coutume
d'appeler "l'hérésie amarnienne" (du nom de sa capitale Amarna) ou
"l'expérience amarnienne" va tenter de bouleverser les croyances
traditionnelles d'une civilisation multimillénaire.
Il s'agit d'un sujet assez à la mode et de nombreux ouvrages paraissent
régulièrement sur Akhenaton et Néfertiti, de qualité variable et qui
reflètent hélas souvent plus les rêves de leurs auteurs que la réalité de la
documentation. Quant encore les protagonistes ne sont pas
complètement désacralisés dans des réclames pour savonnette ou
autre… Mais même chez les égyptologues professionnels l'évocation de
cette période entraîne des réactions et prises de position souvent
passionnées, tant les questions sous tendues sont importantes pour
l'histoire religieuse et l'histoire des idées en général.
Amenhotep Néferkhépérourê. Nom grec : Aménophis IV/
AKHENATON – 1353 - 1338
Période Nouvel Empire 18ème Dynastie
UN TEXTE DE Thierry BENDERITTER
Il faut dire que la personnalité du roi Akhenaton, ainsi que la
signification et la portée de son action et de sa pensée ont été très
diversement appréciés. Ainsi à la fin du XIXème siècle, le grand
égyptologue anglais, Sir Flinders Petrie, le premier à avoir compris
l'importance historique d'Akhenaton, le décrivait à la fois comme le
premier monothéiste et le premier individu de l'histoire et écrivait : "un
homme qui fut incontestablement un génie et qui parvint à broyer la
carapace millénaire des habitudes, des superstitions et des conventions
de la société et tint courageusement tête à la puissance du clergé et des
autres dignitaires". Freud dans "L’homme Moïse et la religion
monothéiste" voyait une filiation entre le prophète et le roi
De nos jours, beaucoup d' historiens plus matérialistes ont renversé du
tout au tout ce jugement et nombreux sont ceux qui considèrent
Akhenaton comme un tyran, un despote fanatique, voire un malade
mental et un athée !
Alors, nous allons essayer d'y voir un peu plus clair, en nous appuyant
sur les faits avérés dont nous disposons et en proposant des hypothèses
plausibles sinon toujours certaines. Pour cela, il nous faut remonter
loin dans le temps, vers les années 1350 avant notre ère, dans l'Égypte
impériale du Nouvel Empire, au temps du père d'Akhenaton, le pharaon
Aménophis III...
LA SOCIETE EGYPTIENNE A LA FIN DU REGNE
D'AMENOPHIS III
L'Égypte est déjà une très ancienne civilisation, puisque les pyramides
se dressent depuis plus de 1000 ans sur le plateau de Gizeh. Le pays
possède une très vieille tradition, qui a su résister et s'affirmer malgré
les vicissitudes de l'histoire. Ce sont les pharaons de la glorieuse
XVIIIème dynastie qui gouvernent le double pays d'Égypte depuis un
siècle après en avoir chassé les envahisseurs étrangers. Cette occupation
du pays a laissé des marques profondes dans l'imaginaire collectif. Et
c'est pour se garantir de nouvelles invasions, que l'Égypte s'est constitué
un immense empire qui s'étend depuis la 4ème cataracte du Nil, dans
l'actuel Soudan, jusqu'à l'Euphrate et à la limite de l'Anatolie. Et sous le
règne d'Aménophis III, l'empire est à son apogée. Les immenses
richesses que représentent les tributs payés par les nations sous
domination affluent vers la vallée du Nil et contribuent à une prospérité
générale qui se marque notamment par les riches dotations aux temples
traditionnels et par l'abondance d'une production architecturale et
artistique dont le raffinement ne sera jamais dépassé par la suite.
L'enrichissement du pays et les contacts externes ont favorisé la
transformation de la société égyptienne. Désormais, c'est une société
plus ouverte, une société surtout devenue cosmopolite, avec une
présence et une influence de plus en plus importante des étrangers
installés en Égypte. Et ainsi, petit à petit, les mentalités se sont
modifiées… Les conséquences en sont multiples, aussi bien pour ce qui
concerne les conceptions sur la nature de la royauté que sur la
spiritualité, avec un développement de l'idée impériale qui se superpose
au développement du culte solaire. On proclame l'universalisme du
pouvoir royal sur terre comme celui du soleil Ra dans le ciel. Les
épithètes laudatives fleurissent, le roi étant appelé "roi des rois, prince
des princes", et déjà "Aton pour tous les pays". Et les théologiens vont
de plus en plus associer le dieu solaire par excellence, Ra, à tous les
autres dieux du panthéon, à commencer par Amon
AMON
La XVIIIème dynastie s'est placée depuis le début sous la protection -le
patronage- du dieu Amon de Thèbes, promu dieu dynastique, dieu
d'empire "Roi des dieux et dieu des Rois", Amon a vu son rôle de
divinité principale du pays se renforcer petit à petit, et il est maintenant
amalgamé au grand dieu Ra, sous la forme d'Amon-Ra. Cette
solarisation d'Amon fait du soleil la principale forme de la divinité,
tandis que les autres dieux représenteraient des manifestations
particulières à un moment donné et à un endroit précis Amon -dont le
nom veut dire "le caché", celui qui ne s'est pas encore manifestéreprésente maintenant un dieu démiurge par excellence, un dieu qui a
créé et qui recréé chaque jour le monde. De plus en plus on le considère
comme l'un dans lequel le tout est contenu Cette interprétation qui
consiste à faire dériver le multiple de l'un s'impose progressivement
dans les classes dominantes et chez les lettrés -de plus en plus
nombreux-. Elle est typiquement dans la tradition et la mentalité
égyptienne, et il ne viendrait à l'esprit de personne à ce moment de
vouloir effacer, renier d'autres entités divines pour autant ! Amon, c'est
aussi le garant suprême du droit et de la morale, dont la volonté se
manifeste par des oracles, notamment par ceux qu'il rend aux fidèles
qui le consultent lors de ses sorties en procession les jours de grandes
fêtes.
Inutile de dire que ces spéculations passent largement au dessus de la
tête du fidèle de base, et d'ailleurs aucun effort de vulgarisation n'a
jamais été entrepris pour essayer d'expliquer ces conceptions à un
peuple misérable qui avait bien d'autres soucis beaucoup plus concrets
et qui faisait largement confiance aux petits dieux et génies qui
veillaient sur sa vie quotidienne.
Toutefois, Amon n'est pas resté uniquement un dieu officiel et lointain.
Il a su gagner la confiance de nombreux égyptiens qui en ont fait leur
dieu personnel, leur interlocuteur divin privilégié. Car à cette période se
développe progressivement une nouvelle conception des rapports entre
dieu et les hommes, qu'Assmann appelle la "nouvelle théologie de la
volonté divine". Elle accompagne l'émergence d'une forme de piété
personnelle, d'une relation directe de l'homme avec son dieu, qui
n'existait pas dans les époques antérieures. Amon est ainsi devenu celui
qui sait écouter celui qui l'implore, qui sait pardonner, qui sait consoler.
Il est désigné comme "celui qui secourt les humbles", "celui qui donne
la force aux malheureux". On peut le prier, le fléchir, il pardonne les
fautes si on peut justifier d'une conduite irréprochable si, comme le
disent les textes, on a "suivi le chemin de la Maat".
Il faut dire ici un mot de la déesse Maat. Maat est le fondement de la
compréhension du système religieux et de la société égyptienne. La
Maat, c'est le monde organisé, l'ordre, la stabilité la justice qui règne.
Maat c'est l'équilibre entre les forces antagonistes qui gouvernent le
monde. L'univers apparaît comme une machine harmonieusement
réglée selon ses lois qui établissent un équilibre dynamique entre le
monde lointain des dieux et la solidarité sociale du monde des hommes
dont Pharaon a la responsabilité.
Le rôle du roi, est donc de faire régner la Maat sur terre. Et l'offrande
suprême que le roi fait aux dieux, c'est celle d'une figurine de cette
déesse. Par cette offrande, le roi leur signifie que, grâce à son action
personnelle aidée par celles des hommes, le monde terrestre est
conforme à ce que eux, les dieux, demandent. A charge maintenant
pour eux d'agir en retour pour les hommes.
C'est cette réciprocité qui est fondamentale dans toute la religion
égyptienne et c'est sur elle que repose la continuité du monde.
Remarquons ici quelque chose de très important pour la suite, dans la
conception traditionnelle, le roi fait régner la Maat sur terre mais il n'est
pas la Maat.
Parallèlement à la montée du dieu Amon, la puissance temporelle de
son clergé s'est considérablement accrue, ainsi que son pouvoir
politique. Pour s'en convaincre, il n'est que de regarder la magnificence
du grand temple de Karnak où chaque souverain avait à cœur de laisser
sa marque par des travaux architecturaux et les listes impressionnantes
de dons divers qu'il recevait.
De plus, la volonté d'Amon, on l'a dit, s'exprimait par l'intermédiaire
des oracles. Oracles rendus par les prêtres bien sûr ! Ces oracles ont
même parfois pu permettre à certains souverains dont la légitimité
n'était pas évidente d'accéder au trône (par exemple la reine
Hatchepsout).
Et de fait, cette puissance du dieu et de son clergé se manifeste très
clairement dans l'apparition de la notion de théogamie. Le pharaon va
apparaître non plus comme le fils de son père et de sa mère, mais
comme le fils de sa mère et d'Amon qui s'est incarné dans son père. Par
ce processus de théogamie, il renforce ainsi sa filiation divine et son
rôle traditionnel de garant de la Maat.
Par le biais des oracles, le dieu et son clergé pouvaient approuver ou
censurer la conduite des particuliers, mais il existait un danger potentiel
qu'il en fasse de même de la conduite royale. Cette menace semble
avoir été insupportable à Akhenaton, nous le verrons. Ainsi donc, on
assiste à cette époque à une consécration du dieu Amon-Ra, et
parallèlement à une reviviscence des cultes et de la dévotion solaire, en
particulier dans la famille royale. Et c'est dans ce contexte d'un dieu
Amon triomphant, que le dieu Aton va faire son apparition.
son palais. Cette montée d'Aton sous Aménophis III est aussi attestée
par le nom "Aton est resplendissant" donné à un des palais et à la
barque royale d'apparat. Un des corps d'armée égyptien prend
également le nom d'Aton.
ATON
On assiste aussi à une multiplication des colosses à l'effigie du
souverain. Ces colosses représentent une matérialisation du corps divin
du roi, et ils sont l'objet d'un culte. Ils se multiplieront sous Akhenaton
conformément à l'idée que celui ci se faisait de sa fonction.
Qui est ce dieu Aton qui sera le centre de la religion qu'Akhenaton
essaiera d'imposer ? En fait, ce n'est pas vraiment un dieu nouveau, car
on trouve mention de son nom dans les textes des pyramides, soit 1000
ans plus tôt. A l'origine Aton représente un des noms communs
désignant le soleil, dérivé d'une racine verbale signifiant "être loin".
Cela devait se prononcer quelque chose comme "yati(n)". Avec le
temps, le "n" terminal est tombé. Il n'est pas vraiment ressenti comme
une divinité particulière, mais comme tout simplement le disque en
mouvement. Nous avons vu que sous le règne du père d'Akhenaton,
Aménophis III, le dieu Amon est considéré de plus en plus comme une
manifestation du soleil sous la forme Amon-Ra. Eh bien, on considère
maintenant qu'il accompli en tant qu'Aton, le disque solaire visible
partout et par tous, son périple céleste et qu'il enserre de ce fait tout
l'univers de sa puissance.
Pendant toute la XVIIIème dynastie, cette dynamique solaire
universelle est mise en parallèle avec le pouvoir royal qui est lui aussi
de plus en plus considéré comme universel. Il y a là une sorte de retour
en arrière vers l'Ancien Empire, une sorte de néo-héliopolitannisme
religieux et à partir du règne de Thoutmosis IV (un règne charnière
pour de nombreuses choses) une volonté politique de retour à la toute
puissance monarchique des temps plus anciens.
Progressivement on voit une relation de plus en plus forte se nouer
entre Aton et le roi. Ainsi quand Aménophis III sort de son palais, c'est
Aton qui se lève à l'horizon, quand il marche sur les pays étrangers,
c'est Aton qui parcourt le ciel, et un vizir a pu se décrire comme étant
"celui qui contemple le disque en son horizon", c'est à dire le roi dans
Nous voyons ainsi qu'Aton est donc déjà bien présent à la fin du règne
d'Aménophis III. Notons, et c'est important, que la dévotion solaire de
ce souverain est très différente de ce que sera celle d'Akhenaton. Le roi
continue à participer au grand voyage diurne et nocturne du soleil, et
aide celui ci a renaître au matin après avoir vaincu ses ennemis du
monde souterrain, et notamment le serpent Apophis.
AMENOPHIS IV - AKHENATON MONTE SUR LE
TRONE
Voilà où nous en sommes lorsque en l'an 1356 avant JC un grand
malheur frappe le Double-Pays d'Égypte : le pharaon Aménophis le
troisième vient de mourir…
Après les 70 jours rituels, il a été inhumé en grande pompe dans son
hypogée de la vallée des rois, et c'est son fils aîné survivant qui monte
sur le trône. Sa légitimité est incontestable, et incontestée puisque son
frère aîné Thoutmosis était déjà mort. Cette montée sur le trône a peut
être été précédée par une période de corégence avec son père, mais ceci
est très discuté. C'est un débat toujours passionné qui a donné lieu à une
excellente thèse de Leslie Bailey qui conclut...qu'on ne peut pas
conclure ! Les arguments les plus récents vont contre une telle
corégence.
1)- Le nouveau souverain
En l'état actuel de la documentation, il n'est pas possible de répondre
avec certitude à la question : quel âge avait Amenhotep lors de son
accession au trône ? Question pourtant essentielle pour comprendre si
ses idées et son énergie à les appliquer sont ceux d'un homme ou d'un
adolescent. La plupart des historiens pensent que, en l'état actuel des
connaissances, le roi devait avoir entre 10 et 15 ans lors de son
avènement. Il s'appelle donc Amenhotep, comme son père, (ou
Aménophis, déformation grecque du nom égyptien Amenhotep - Imn
htp, "Amon est satisfait"). Cette dénomination fait donc directement
référence au dieu Amon [NB: selon Jan Qaguebeur, Aménophis serait
une faute car ne dériverait pas d'Imn-htp mais d'Imn-m-Ipt].
2)- L'enfance du roi
Nous ne savons pratiquement rien de la jeunesse de celui qui est devenu
le pharaon Aménophis IV. Ce dont on est sûr c'est qu'elle s'est déroulée
à une période de réelle crise du polythéisme, comme si les Égyptiens
n'arrivaient plus tout d'un coup à gérer leur immense monde divin et
avaient éprouvé la nécessité d'insister sur l'unité du divin plus que sur la
diversité des dieux, notamment en redonnant une place de choix aux
très anciens cultes solaires. Certains lettrés, minoritaires, allaient même
très loin en rejetant comme autant de superstitions les arcanes
compliquées de la religion traditionnelle au profit d'une interprétation
d'esprit rationaliste qui privilégiait la seule réalité visible.
Ce mouvement de pensée a été qualifié par le grand spécialiste de la
religion Égyptienne Jan Assman de phénoménologie. Il aboutit à abolir
tout ce qui est construction intellectuelle (spéculations théologiques et
mythes) ou spiritualité : la foi n'a rien à faire dans un tel système.
Tout ceci marquera profondément le jeune prince, comme
probablement aussi l'influence de sa mère, la Grande Épouse Royale
d'Aménophis III, la reine Tiy dont la puissante personnalité a
certainement joué un rôle Le jeune Aménophis a déjà épousé celle qui
est -peut être- sa cousine, -peut être la fille de Ay- la belle Néfertiti
(dont le nom signifie "la belle est venue") qui devient de ce fait la
Grande Épouse Royale qui est censée donner naissance à l'héritier mâle
du trône, ce qu'elle ne fera pas.
3)- An I et an II
Pendant les deux premières années du règne, rien ne semble changer.
Le roi s'est fait couronner à Thèbes, la ville d'Amon, comme ses
prédécesseurs avant lui. Il a adopté une titulature très traditionnelle, qui
fait clairement référence à Amon, et garde son nom de naissance Imenhtp. Ses très rares représentations à n'avoir pas été détruites adoptent le
canon traditionnel. C'est ainsi que sur le linteau d'entrée de la tombe de
Kherouef TT 192, qui exerça ses fonctions à cheval sur les règnes
d'Amenhotep III et IV, on voit le roi (dont les cartouches sont martelés)
faire offrande classique à Amon
Cependant dès cette époque (il a donc entre 11 et 12 ans) il introduit
une nouvelle entité divine solaire basée sur Horus de l'Horizon
(Horakhty) qu'il nomme "Ra-Horakhty en sa nature de lumière solaire
qui émane du Disque Aton", faisant ainsi de Ra un "souverain de
l'horizon" établissant ainsi sa proximité avec la royauté terrestre.
En l'an 2, le roi se proclame Grand Prêtre de cette nouvelle
composition divine, tout en continuant à honorer les dieux traditionnels,
jusqu'à la coupure de l'an IV. Ces deux périodes sont bien illustrées
dans la tombe du vizir de l'époque, Ramose. Amenhophis IV a alors 14
ans. Il vient d'épouser Néfertiti qui apparaît à ses côtés sur les
monuments, et décide de célébrer sa fête-Sed (une cérémonie qui
normalement n'est célébrée qu'après 30 ans de règne). Le but de cette
fête-Sed semble avoir été la volonté du roi de "se diviniser" lui même et
de souligner la nature consubstantielle de sa royauté et de celle d'Aton
dont le nom dogmatique apparaît maintenant dans des cartouches.
Les choses commencent à bouger aussi au point de vue architectural.
Le roi ordonne la construction, à l'Est du domaine d'Amon à Karnak, de
plusieurs édifices dédiés au dieu Aton Pour cela, il a choisi la zone
entourant l'obélisque dit unique (ils vont habituellement par paires) de
Thoutmosis III, symbôle hiélopolitain et icône de la pierre solaire
primitive d'Héliopolis, le Benben, qui unit le ciel et la terre. Et dès ce
moment, on note des innovations qui ont profondément ébranlé et
choqué les mentalités de cette société si traditionnelle et conservatrice.
Tout d'abord, pour aller plus vite, on ne construit plus en gros blocs,
mais à l'aide de briques de grès, les talatates, qui pouvaient être portées
par un homme seul La construction s'en trouve considérablement
accélérée, mais le démantèlement qui suivra l'époque amarnienne aussi,
bien sûr.
Surtout, les représentations figuratives subissent des changements
importants. Certes, les canons de fond, notamment la perspective
couchée sont respectés et l'on n'hésite pas à reconnaître les œuvres
comme égyptiennes, mais les personnages deviennent très étranges,
même pour nous autres modernes. Alors imaginons l'effet sur les
égyptiens de l'époque Cette innovation dans la décoration apparaît
clairement comme une volonté royale délibérée. Certains sculpteurs,
comme Bak disent d'ailleurs expressément qu'ils ont reçu leur
enseignement du souverain lui même. C'est cela qui est frappant avant
la rupture officielle avec Amon qui surviendra plus tard: cette espèce de
style naturaliste, réaliste, poussé parfois jusqu'à la caricature et qui
caractérise l'époque amarnienne.
Le roi (et les autres personnages de la famille royale d'ailleurs), est
représenté avec un crâne allongé, un long cou mais une tête rejetée vers
l'arrière, de grosses lèvres Il est presque toujours coiffé du casque bleu
(Khepresh) ou du némès, et ce dernier adopte une forme ronde qui
rappelle le disque solaire Des hanches larges et féminines lui donnent
parfois un aspect androgyne qui a fait couler beaucoup d'encre, puisque
certains en ont conclu qu'il était un dégénéré, atteint d'une maladie
endocrine (Syndrome de Frölich). Ce qui est faux ! On peut être certain
aujourd'hui qu'Akhenaton n'est pas atteint d'une forme d'eunucchisme,
et les 8 filles au moins qu'il engendrera en sont une preuve
formelle...Par contre, il est possible qu'il ait souffert d'un syndrome de
Marfan, et les troubles oculaires qui ont pu en résulter pourraient
expliquer une partie de sa théologie
Dans l'art amarnien, tout ce qui était statique, fixé pour l'éternité est
maintenant en mouvement. Les axes verticaux deviennent des
diagonales, d'où l'allongement des têtes et des couronnes. Cette notion
de mouvement se retrouvera, comme nous le verrons, dans les relations
du roi avec son Dieu et notamment dans la présentation haute des
offrandes On la retrouve aussi dans les scènes de la vie privée de la
famille royale, ainsi par exemple les rubans flottant au vent pour
matérialiser le souffle divin.
Il est probable que le roi a donné l'ordre de ne rien cacher des
caractéristiques physiques de la famille royale ( les crânes retrouvés
sont effectivement allongés) et même de les accentuer, à la fois par ce
souci de ce naturalisme qui va caractériser la nouvelle religion, et à la
fois par souci de créer un choc dans les esprits par rapport à la tradition.
L'art amarnien apparaît ainsi comme une distorsion maniériste de la
réalité, une forme d'expressionnisme en rupture avec les canons
classiques.
Rappelons qu'en Égypte ancienne les représentations ne sont jamais
neutres. Au contraire, elles sont l'essence même de l'idéologie royale.
En se faisant représenter sous une forme ambiguë, à la fois masculine et
féminine, ou encore sous forme asexuée, le roi a au moins deux buts.
D'abord il se représente ainsi comme la fusion du père et de la mère du
pays, comme l'Être humain primordial, l'émanation non sexuée du dieu
Aton, dont il est l'unique représentant sur terre.
D'autre part, en rapprochant son iconographie de celle de la reine
Néfertiti, il gomme de plus en plus les différences qui pouvaient exister
entre eux. Et c'est une nécessité, une sorte de chassé croisé car lui, le
roi, va monter d'un cran en s'assimilant à Aton, et il faudra que la place
qu'il laisse vide soit occupée : elle le sera par la reine Néfertiti.
4)-Rôle de Néfertiti
Néfertiti va ainsi jouer un rôle majeur dans la religion amarnienne. Déjà
aux époques précédentes, la Grande Épouse Royale avait pris une place
de plus en plus grande dans la théologie et l'organisation du culte, mais
maintenant elle tient une place presque aussi importante que le roi. Et
ainsi sur les stèles, les statues, chaque fois que l'on aura la place
matérielle pour le faire, c'est le couple royal que l'on représente et non
le roi seul. Et l'on verra aussi la reine s'approprier des insignes du
pouvoir qui étaient strictement réservés auparavant à pharaon seul. Elle
sera représentée par exemple en train de massacrer -fictivement- les
ennemis de l'Égypte, ou d'accomplir des rites spécifiquement royaux du
culte divin ce qui était impensable avant cette époque.
Des restes de grands colosses "osiriaques" qui alternaient avec les
piliers sur la façade de la cour du temple montrent cet aspect
extraordinaire que roi avait adopté. On trouve trace par ailleurs de
représentation d'une fête-Sed. Le roi n'ayant bien entendu pas, et de
loin, atteint le délai habituel pour ce type de fête jubilaire, il faut y voir
une autre signification, qui est plausible mais qui reste hypothétique : la
volonté de marquer le début d'une nouvelle ère.
LE DEPART VERS AMARNA
Jusqu'à la 4ème année de son règne, celui qui est toujours Aménophis
IV partage sa résidence entre Memphis (près du Caire) qui est toujours
resté la capitale administrative de l'Égypte, et Thèbes qui est plutôt la
capitale religieuse.
A l'évidence, il conçoit dès le début l'état égyptien comme une
théocratie dont Aton est le souverain, et lui même le représentant sur
terre. Pendant cette période, il s'emploie donc à développer le culte de
son dieu Aton, et parallèlement à essayer de reprendre à son profit
l'administration du domaine d'Amon, aussi bien pour casser la
dynamique religieuse du grand dieu que pour essayer de réduire la
puissance temporelle de son clergé et aussi pour récupérer les immenses
richesses d'Amon dont il a besoin pour son programme de grands
travaux.
Car en effet à partir de l'an IV, le roi décide de rompre franchement
avec Thèbes. Ceci est une simple constatation, car il n'existe aucun
document qui nous parle de la crise religieuse avec le clergé d'Amon. Il
va choisir d'édifier une nouvelle capitale en Moyenne Égypte à mi
distance entre Thèbes et Memphis, sur le site connu actuellement
comme Tell el Amarna ou plus simplement Amarna Cet endroit est
également proche d'Akhmim, d'où l'on suppose que sont originaires les
parents de la reine.
Le roi nous explique comment il aurait (?) choisi cet endroit : il a été
guidé par Aton lui même qui, un jour où il naviguait sur le fleuve, s'est
levé exactement dans l'échancrure que faisait dans la falaise rocheuse
l'ouverture du lit desséché d'un ouadi, dessinant ainsi le hiéroglyphe
Akhet qui représente l'horizon en égyptien ancien.
Des calculs astronomiques ont permis de situer l'épisode fondateur le
21 février 1351 avant JC, à 5h30 du matin : c'est alors que le soleil
apparu dans l'échancrure du ouadi principal qui troue la falaise cernant
le cirque rocheux, réalisant le signe hiéroglyphique de l'horizon
(Akhet). Et la nouvelle capitale fut baptisée Akhet-Aton, càd l'Horizon
du Disque.
Tout autour de l'immense cirque rocheux qui entoure l'emplacement de
la ville le roi va faire graver dans le rocher 14 stèles où il précisera les
raisons du choix du site : outre l'endroit de la " révélation " d'Aton, c'est
également un terrain vierge n'appartenant à aucun temple, à aucun
domaine funéraire. Ce qui n'est pas entièrement exact, car de l'autre
côté du Nil, tout près, se trouve la cité d'Hermopolis, l'antique cité du
dieu Thot La construction de la ville s'étendra de l'an V à l'an VII ou
VIII, ce qui est très rapide bien sûr, et mobilisera une part importante
des ressources économiques et humaines du Royaume.
C'est sur ce site qu'il a choisi lui même que le roi va pouvoir pleinement
développer ses conceptions sur Aton et sa nouvelle vision du monde.
AKHENATON ET LA COUR A AMARNA
Voici donc la famille royale dans sa nouvelle capitale.
Le roi et la reine ont tous deux entre 17 et 18 ans et ils ont modifié leurs
noms. Aménophis IV est maintenant devenu Akhenaton, Akh-n-Itn,
"Celui qui est utile à Aton" (on a aussi proposé, mais cela semble moins
correct, "La radiance d'Aton") et il modifie un autre de ses noms de
titulature en "Neferneferouré-Ouaenré" c'est à dire "Parfaites sont les
perfections de Ra, l'Unique de Ra", et la reine Néfertiti s'appelle
maintenant Neferneferouiten - Neferetiti, "Parfaites sont les perfections
d'Aton - La belle est venue".
Akhenaton n'a hélas pas laissé de texte sacré canonique. Son
"enseignement" à ses fidèles était oral surtout, aidé par des images
mnémoniques. Nous pouvons néanmoins nous faire une bonne idée de
ses conceptions religieuses grâce d'une part à l'explicitation qu'il a
donné des noms du dieu Aton, et d'autre part à deux séries d'hymnes,
que l'on trouve gravés dans les tombes des courtisans à Tell El Amarna.
LES NOMS D'ATON
Akhenaton attache une très grande importance au nom qu'il a forgé -sur
le modèle d'une titulature pharaonique, chose tout à fait inhabituellepour le dieu Aton.
En effet le nom exact du dieu n'est pas Aton, qui est une abréviation.
Les textes parlent de Pa-Iten-Ankh, c'est à dire "L'Aton vivant", le
Disque vivant. On remarque l'utilisation de "pa", article défini pour
"L'".Mais ceci n'est encore que l'abréviation d'un nom officiel et
didactique beaucoup plus long, véritable explication théologique. Ainsi
de l'an 1 à l'an 9 du règne, ce sera "Ra-Horakhty-qui-se-réjouit-dansl'horizon-en-son-nom-de-Shou-qui-réside-dans-le-disque" On voit
figurer dans ce nom " développé " de l'Aton les noms de trois autres
divinités classiques de l'Égypte, toutes à connotation solaire : Ra, le
grand dieu soleil, le faucon Horus qui en est la manifestation figurative
classique, et le dieu Shou qui représente l'air, l'espace entre ciel et terre.
Ensuite on peut remarquer que, pour la première et la dernière fois en
Égypte, les noms divins sont inclus dans des cartouches, ce qui était
exclusivement réservé au pharaon. La signification est claire : Aton
gouverne le monde comme un pharaon d'Égypte le fait du Double-Pays.
Et c'est une manière de proclamer la consubstantialité d'Akhenaton et
du dieu dont il est l'émanation : la royauté d'Aton dans le ciel est de
même nature que celle d'Akhenaton sur terre. On peut considérer qu'il y
a corégence entre Aton et Akhenaton.
Après l'an 9 et jusqu'à la fin du règne, Akhenaton change le nom du
dieu en même temps qu'il radicalise sa politique mais sans changer de
doctrine en faisant disparaître la forme animale du faucon Horus et le
nom du dieu Shou, ne laissant subsister que Ra.
Ce gouvernement du monde par l'Aton-roi est également manifesté par
l'iconographie du dieu. On ne sait quel génial théologien a imaginé le
célèbre aspect du disque rayonnant mais cette extraordinaire idée de
représentation illustre parfaitement le propos : les rayons issus du
disque se terminent par des mains et descendent sur toute la création. Ils
embrassent l'univers entier auquel ils donnent vie par l'intermédiaire du
couple royal, lequel est toujours le seul à recevoir le signe de vie ankh.
LES HYMNES
Outre le nom développé du dieu, deux séries d'Hymnes à Aton nous
sont parvenus, gravés sur les parois de tombes de hauts dignitaires. Le
Grand Hymne à Aton, n'existe qu'à un seul exemplaire, gravé dans le
couloir d'entrée de la tombe de Ay, tandis qu'on connaît 5 exemplaires
du Petit Hymne à Aton.
Ces hymnes, pour originaux qu'ils soient, ne sont cependant pas
entièrement nouveaux dans leur inspiration. On a retrouvé en effet des
exemples d'hymnes solaires écrits juste avant l'époque amarnienne qui
sont dérivés de ce courant rationaliste dont nous avons parlé et qui
prennent déjà comme thème de réflexion la seule réalité visible. Ceux
qui fréquentent l'Égypte pharaonique savent qu'il s'agit des textes parmi
les plus célèbres de tout l'ancienne Égypte, et comme il est fréquent,
cette célébrité alimente indirectement des idées reçues ou des rêves
parfois bien éloignés de la réalité de la source. On ne sait pas qui a
rédigé ces hymnes à Aton, peut être le roi lui même. Mais en tout cas ils
sont le reflet de la doctrine officielle. Ils s'adressent à trois personnes :
au dieu Ra-Horakhty d'abord, dont Aton est la manifestation visible,
mais aussi à Akhenaton et à Néfertiti mêlant inextricablement la
louange divine à l'éloge royal. Ils traitent successivement de deux
thèmes : le cycle quotidien du soleil, et la révélation du dieu à son fils
Akhenaton.
Ces hymnes prennent la forme de poèmes rédigés maintenant en langue
vernaculaire. Akhénaton a en effet élevé la langue parlée du Nouvel
Empire en un nouveau language écrit. Il s'agit là d'une évolution
importante (et qui perdurera) puisque jusque là, les textes canoniques,
et en particulier ceux gravés dans les tombes ou sur les parois des
temples étaient rédigés en Moyen-Égyptien, langue qui n'avait plus
cours depuis des siècles (pensons au latin dans nos églises...). Dans le
souci général de naturalisme qui guide la nouvelle religion, Akhenaton
ordonne que désormais tous les textes soient rédigés dans la langue
courante que nous appelons néo-égyptien.
Les Hymnes étaient probablement des textes liturgiques destinés à être
récité ou psalmodiés lors du culte dans les temples de la capitale. Ce
sont des textes dont la haute élévation spirituelle est incontestable.
Alors écoutons les (dans les traductions de Grandet et Mathieu): " Que
ton apparition est belle, Aton vivant, seigneur de l'éternité ! quand tu es
éblouissant, radieux, puissant, ton amour est majestueux et grand ! tes
rayons éclairent tous les visages, ton teint étincelant vivifie les cœurs,
car tu as empli le Double Pays de ton amour, dieu auguste qui t'es
formé toi même ! toi qui as fait l'univers et créé tout ce qui s'y trouve
hommes, troupeaux et tous les animaux tous les arbres qui poussent sur
le sol vivent quand tu te lèves pour eux. Tu es la mère et le père de ceux
dont tu as fait les yeux Quand tu te lèves, ils voient grâce à toi Dès que
tes rayons ont éclairé le pays entier, Tous les cœurs exultent de te voir
Car tu es apparu comme leur seigneur. "
La démythologisation du grand drame cosmique
nocturne
Nous voyons qu'Aton, qui s'est créé lui même, tient entièrement sous sa
dépendance la vie du monde, qu'il renouvelle quotidiennement la
création dont il est "père et mère". Il n'y a plus de "première fois" pour
la création, cet aspect n'est jamais évoqué dans la théologie amarnienne.
Le monde est recréé chaque jour -dans la journée- par le disque, lequel
n'a aucune existence ou nature cachée. Nous touchons là, aussi étrange
que cela puisse paraître, le point fondamental de rupture entre les
conceptions religieuses traditionnelles et la conception amarnienne : la
démythologisation. C'est dans cette négation du fait qu'il se passe
quelque chose la nuit et dans ses conséquences que réside vraiment
l'hérésie amarnienne. En effet jusqu'à ce moment la réapparition du
soleil chaque jour ne pouvait avoir lieu qu'après un gigantesque conflit
dans le monde de l'Au-delà. Le soleil du jour, après avoir perdu sa
radiance se couchait et continuait son périple nocturne dans sa barque
en se rechargeant progressivement en énergie. Mais dans ce trajet
nocturne, il devait affronter toutes sortes d'ennemis redoutables qui
essayaient de faire chavirer la barque solaire et d'empêcher la
renaissance du soleil au matin. C'est de cette manière imagée que les
égyptiens avaient exprimé la tendance à la désorganisation spontanée
du monde, que nous nommons l'entropie. Et pour aider le soleil à
gagner chaque jour son combat, il fallait l'action combinée du roi
rendant les cultes appropriés et des dieux, il fallait que règne la Maat.
Dans la nouvelle religion, tout cet aspect dramatique de la course
solaire disparaît. Il n'y a plus d'Apophis ni de barque divine. Le soleil
réapparaîtra obligatoirement, mécaniquement, demain comme il est
apparu aujourd'hui. Que l'on fasse quelque chose ou que l'on ne fasse
rien, il sera là, les jours et les saisons s'écouleront. Le soleil a
désormais une trajectoire non cyclique, qui s'interrompt la nuit, comme
la vie qu'il véhicule à lui tout seul. Le Grand Hymne le dit clairement :
"Te lèves-tu qu'ils (les hommes) vivent, te couches-tu qu'ils meurent.
Tu es l'existence par toi-même, c'est de toi que l'on vit"; "dès que tu te
couches dans l'horizon occidental, le pays est plongé dans les ténèbres,
en état de mort". La nuit c'est pour les hommes l'expérience de la mort.
Toute la vie du monde se passe le jour, la nuit est considérée comme un
état de non-vie où il ne se passe rien, qui ne sert à rien. néanmoins le roi
précise que l'astre reste vivant dans son coeur. Mais le voyage nocturne
traditionnel du soleil avait une autre fonction majeure : réanimer les
défunts dans la Douat, leur rendre la vie pendant le temps de son
périple. Supprimer ce rôle, c'est ipso facto nier l'existence de tout le
système traditionnel imaginé pour que les défunts aient une nouvelle
vie dans l'Au-delà. Osiris, le dieu traditionnel des morts justifiés et
régénérés n'a plus de place dans le nouveau système et disparaît.
Pour Akhénaton il n'y a pas d'autre réalité ni d'autre vie que celle,
physique, baignée par les rayons d'Aton. L'organisation de la société
qui devait tendre à la réalisation de la Maat traditionnelle est remise en
question. La Maat n'a pourtant pas disparu, elle a en fait changé de
nature. Certes elle est devenue une vision optimiste du monde, mais
mécanique, implacable. Maintenant la Maat n'est plus l'œuvre collective
de mise en ordre du monde que le roi doit présenter aux dieux. Elle est
partout, immuable, et seul le roi interprète sa volonté. En fait,
maintenant la Maat, c'est Akhenaton lui même ! Ainsi tous ses gestes et
paroles deviennent sacrés, et les courtisans s'adressent à lui en le
nommant "mon soleil", où comme dans la lettre d'Amarna N°138 "le
soleil de tous les pays". Akhenaton change de ce fait la nature même de
la royauté égyptienne qui est maintenant un absolutisme sans limites,
comme jamais le pays n'en a connu ni n'en connaîtra après lui. Ce qui
doit faire mettre aux oubliettes cette légende tenace d'un roi doux,
faible et pacifiste, poète rêveur imprégné d'amour pour toute
l'humanité: elle est un contresens historique
L'universalisme d'Aton
Ceci n'empêche pas les Hymnes de représenter de magnifiques
morceaux littéraires, notamment par l'approche universaliste qu'on y
trouve pour la première fois : " Astre du jour, grand de prestige, toutes
les contrées lointaines, tu les fais vivre, tu as placé le Nil dans le ciel
pour qu'il tombe sur elles … le Nil du ciel tu le donnes aux contrées
étrangères, tandis que le Nil vient de la Douat pour le pays d'Égypte " "
les langues sont différenciées et les races de même et les peaux séparées
pour distinguer les peuples " Ainsi, Aton est présenté comme un dieu
universel, mais Akhenaton lui même est toujours resté un pharaon
d'Égypte et n'est jamais devenu un prophète pour toute l'humanité.
Akhenaton est le " Seigneur des deux terres ", tandis qu'Aton est "
seigneur du monde ".
On peut même se demander si le roi avait vraiment l'intention d'imposer
le culte d'Aton dans toute l'Égypte? En tout cas, cela n'est écrit nulle
part. Le texte sur les pays étrangers se poursuit par : " tes rayons
encerclent les pays jusqu'aux limites de toute ton œuvre, étant Ra, tu
atteints leurs limites afin de les subjuguer pour ton fils aimé " On voit
dans cette dernière phrase les limites de ce message universaliste : Aton
est bien le dieu qui gouverne le monde, y compris les pays étrangers et
les ennemis traditionnels de l'Égypte, mais ceux ci continuent à être
considérés exactement comme avant. Et ainsi les scènes rituelles très
classiques où l'on voit le roi (ou la reine) massacrer les-dits ennemis
sont représentées à l'identique.
Certes il s'agit de scènes prophylactiques, à visée magique, sans rapport
avec la réalité, mais elles sont toujours présentes. De même, on a voulu
déduire de ces textes et du non interventionnisme militaire du roi
qu'Akhenaton était un souverain philosophe et pacifiste. Là encore, il
n'en est rien ! Akhenaton, mal conseillé, n'intervient pas militairement
en Asie pour redresser un empire égyptien en train de s'effriter. Mais
son père Aménophis III avant lui n'était pas plus intervenu, préférant
une diplomatie de l'or à des expéditions guerrières. Rien de neuf donc
ici. Et la seule trace qu'on ait d'une expédition militaire qui a été menée
contre de malheureuses peuplades nubiennes qui osaient se soulever,
une fois de plus, contre l'Égypte a été réprimée avec autant de vigueur
que d'habitude. Mais revenons encore aux Hymnes. Le lyrisme se
poursuit par la louange du créateur : au matin, quand Aton se lève, la
terre redevient habitable et est en fête, hommes, animaux et plantes
rendent hommage au créateur par leur activité renouvelée. C'est Aton
qui tient toute vie sous sa dépendance puisque "il produit les germes
chez les femmes et change la semence en être humain ". C'est aussi lui
qui donne le souffle de vie, aussi bien à l'enfant dans le sein de sa mère
qu'à l'oisillon dans son œuf. A la fois lointain et proche, il est celui qui
prend des millions de formes à partir de son unicité.
Le naturalisme amarnien
Cette religion d'Aton apparaît comme une religion naturaliste, de
contemplation de la nature, œuvre du créateur solaire unique. Ainsi,
lorsqu'Aton se lève, on nous dit : " arbres et plantes verdoient, les
oiseaux se sont envolés de leurs nids et tous les animaux dansent sur
leurs pattes, le pays entier fait son travail ".On voit ici s'exprimer ce
contexte optimiste : toute la nature est une œuvre du créateur, et elle est
donc intrinsèquement bonne. On considère que l'ordre voulu par le
créateur est l'ordre naturel des choses, et qu'il n'y a pas de raison de le
modifier. Ceci explique le style si particulier des représentations
amarniennes, dont nous avons parlé plus haut. Non seulement on
n'idéalise plus les représentations comme avant, mais on n'essaie plus
de cacher les défauts et même on les accentue. On voit aussi
représentées des scènes de la vie quotidienne inouïes! Ainsi le couple
royal en train de manger, ou tenant sur les genoux leurs petites filles et
les embrassant. On remarque toutefois que les canons généraux de la
figuration égyptienne restent respectés notamment la perspective
couchée, qui font qu'on reconnaît du premier coup d'œil ces scènes
comme égyptiennes. De plus vers la fin du règne les outrances des
débuts sont abandonnées, et les modèles qu'on a retrouvé chez les
ateliers de sculpteurs nous donnent une vraie image du roi et de la reine
tandis que la dolichocéphalie reste parfois présente
La fin des hymnes parle du rôle du roi lui même :
" Disque vivant qui se plaît au ciel chaque jour pour enfanter son noble
fils l'unique de Ra, et ce à son image, sans un instant de cesse " " il
n'est personne qui te connaisse excepté ton fils Akhenaton dont tu as
fait qu'il soit conscient de ton dessein et de ta puissance " et il conclut :
" tous ceux qui s'agitent depuis que tu as fondé le pays, tu les dresses
pour ton fils issu de ta chair, le roi de Haute et Basse Égypte Akhenaton
et pour la grande épouse royale, son aimée, la maîtresse du Double
Pays, Néfertiti " C'est extrêmement clair : le roi est le seul intercesseur
divin, le seul à avoir reçu la révélation d' Aton et qui puisse la
transmettre.
LE CULTE EN AMARNA
Alors comment se passe la vie dans la nouvelle capitale ? C'est bien sûr
encore un chantier bourdonnant quand la cour s'y installe. Plusieurs
temples dédiés exclusivement à Aton y sont bâtis, dont le grand temple,
le principal. Il s'appelle " Gem-pa-Aton ", c'est à dire "Trouver" ou
"Rencontrer l'Aton"). Il est très différent des temples dédiés à cette
époque aux autres divinités, notamment à Amon. Mais il n'est pas d'un
style entièrement nouveau car il est assez proche des temples solaires
de la Vème dynastie, quelques 9 siècles auparavant. Ce rapprochement
avec la Vème dynastie est encore prouvé par l'étude faite par Benoit
Lurson sur la chaussée montante du complexe pyramidal d'Ounas
(dernier roi de cette dynastie) : "j'ai vraiment été frappé par la grande
ressemblance entre certaines scènes de cette chaussée (qui, de surcroît,
s'inscrivent dans un répertoire commun aussi aux autres chaussées
montantes de l'Ancien Empire) et celles qui montrent la cour
rassemblée et prosternée autour d'Akhenaton. Je pense qu'il serait très
intéressant de voir plus en détail si ces compositions d'Ancien Empire
ont pu inspirer les artistes d'Akhenaton". Dans un temple traditionnel, le
cheminement se faisait de la lumière vers l'ombre, vers le saint des
saints ou reposait la statue du dieu. Ici tout est à ciel ouvert afin que
l'énergie vivifiante des rayons d'Aton puisse se répandre sur les
centaines d'autels en plein air qu'on avait couvert d'offrandes animales,
végétales et de fleurs et où le culte journalier était célébré.
C'est Akhenaton et Néfertiti eux mêmes qui rendaient le culte au soleil
levant chaque matin. Et l'on peut voir des représentations du roi
humblement prosterné devant la divinité qu'il a seul le droit de vénérer
sans intermédiaire. Il existe toujours des prêtres, et même un grand
prêtre d'Aton, mais ils ne participent plus directement à l'offrande, à
l'entretien de la puissance divine. Prosternés pendant le culte devant le
couple royal (et non devant la divinité), leur rôle est purement
administratif : ils gèrent matériellement le domaine d'Aton. C'est tout.
On les appelle d'ailleurs " Domestiques du dieu ". Le sens de l'offrande
a radicalement changé : puisqu'elle ne sert plus à entretenir, à
renouveler la vie divine chaque jour, l'offrande est devenue une action
de grâce. On offre à Aton une partie de sa création en signe de
reconnaissance de sa bonté. On n'en attend rien en contrepartie. Une
autre image fréquente est celle du roi faisant offrande des noms du
disque solaire au disque solaire ! L'apparition du roi à la "fenêtre
d'apparition" enjambant la voie processionnelle principale est assimilée
à l'apparition d'Aton dans le ciel. Voici une vue de l'endroit où était
située cette fenêtre:. Un autre aspect du culte, c'est la sortie
processionnelle du roi lorsqu'il quitte son palais pour se rendre au
temple. L'apparition du roi et de la reine est l'équivalent du lever
d'Aton. Ils sont toujours représentés montés sur un char et escortés de
policiers et militaires Ces déplacements en char tiré par deux chevaux
rendent compte d'un aspect important du symbolisme cher au souverain
: le mouvement. Akhénaton et Néfertiti se déplacent sur leur char
comme Aton dans le ciel et apportent le souffle de vie. Ces sorties du
couple royal remplacent les anciennes processions traditionnelles des
autres dieux et notamment d'Amon lors des grandes fêtes. Mais ici, pas
d'oracles, le dieu d'Akhenaton est un dieu silencieux dont seul le roi est
habilité à révéler la volonté. Plus de vrais prêtres, plus d'oracles...
Akhenaton a trouvé là un moyen très efficace d'empêcher toute critique
de son action! Remarquons également que la pratique de la magie, si
importante dans la religion traditionnelle, n'a rien à faire dans le
système amarnien et disparaît. Ceci nous montre, s'il en était encore
besoin, que le roi n'est pas du tout le personnage faible et mou que
certains se sont plu à imaginer. Pour tenter d'imposer à l'Égypte des
réformes si contraires à ses traditions, pour étouffer toute velléité de
résistance dans le pays, il fallait une main de fer, et dans un gant de
plomb. D'ailleurs il n'est que de regarder l'attitude de tous les
personnages face au roi : jamais en Égypte on ne voit autant de gens
courbés devant leur maître, ni autant de militaires et de policiers
représentés.
C'est aussi à Amarna qu'on a retrouvé la plus grande caserne de police
jamais mise à jour en Égypte. Le choix de l'emplacement de la capitale
est également sans équivalent, avec ce cirque rocheux qui entoure la
ville de toute part sauf du côté du Nil, constituant une protection
naturelle Une autre conséquence majeure du système, c'est que le
nouvel ordre du monde est immuable, et que le roi est seul à le fixer. Et
ainsi disparaît la nécessité pour les hommes d'adopter une attitude
conforme à la Maat. Il faut maintenant une attitude conforme à la
volonté du roi! De même, les statues auxquels les égyptiens avaient de
tout temps rendu un culte comme étant les hypostases où leurs dieux se
manifestaient disparaissent. Akhenaton est très clair sur ce point : dans
une harangue aux courtisans datant du début du règne, il dit
expressément qu'il s'agit d'idoles de pierre sans aucune valeur. On
imagine l'effet ! Dans sa religion, nul besoin de statue puisque le soleil
est visible par tous. Les seules représentations iconiques admises sont
celles du disque rayonnant et du couple royal, "statues" vivantes. Ainsi
chez les particuliers ce sont des effigies du couple royal qui vont
remplacer les statues devenues inutiles. On en a retrouvé plusieurs
exemples dans les maisons d'Amarna, dans de petits autels
domestiques. Le culte des particuliers ne pouvant s'adresser directement
au Dieu, c'est à ces effigies qu'il était rendu .
LA DEUXIEME PARTIE DU REGNE
Qu'est ce que les égyptiens pouvaient bien penser de leur roi et de sa
religion ? Il est bien clair que seul le roi et une poignée de gens très
proches comprenaient ce qui se passait ! Le reste du pays reste très
largement fidèle à la religion traditionnelle. Cette opinion doit
cependant être nuancée par la découverte récente des restes d'un temple
d'Aton à Héliopolis, et par la certitude qu'on a maintenant que le roi ne
vivait pas cloîtré à Akhetaton, même si c'était son lieu de prédilection.
Des temples à Aton ont été retrouvés ailleurs en Égypte et en particulier
à Héliopolis, en Basse Égypte où se trouvait déjà le centre de culte le
plus important et le plus ancien du dieu Ra. Même parmi les courtisans,
les opinions sont certainement très dubitatives derrière une approbation
de façade soit forcée, soit par carriérisme. L'opposition ne pouvait être
que souterraine. Un signe qui ne trompe pas c'est le très petit nombre
de tombes creusées dans la falaise qui entoure la ville et dont une seule
semble avoir été vraiment utilisée pour un enterrement, et ce malgré
une exhortation spécifique du roi indiquant qu'il était impensable pour
les courtisans de se faire enterrer ailleurs qu'à Amarna…ce qui n'allait
donc pas de soi. Et puis on a retrouvé jusque sur le site même d'Amarna
et dans le village des ouvriers notamment des représentations des dieux
traditionnels et même des statuettes de l'exécré dieu Amon !
Cette persistance, et même probable reviviscence des cultes
traditionnels vers la fin du règne semble avoir irrité profondément le
roi. Comme probablement l'opposition des principales institutions
religieuses du pays qui, étranglées économiquement, ont du passer à un
moment donné de la critique larvée à la critique ouverte.. L'attitude du
roi se radicalise alors en même temps qu'il change les noms qualificatifs
de son dieu Aton vers l'an IX, et on a vu que toutes les représentations
divines anthropomorphes disparaissent. De même disparaissent les
représentations thériomorphes où le roi est représenté, entre autre, en
sphinx Va alors commencer une campagne de destruction et de
persécutions d'autres divinités absolument incroyable dans cette Égypte
polythéiste qui respectait toutes les formes divines, même étrangères.
Le roi et ses zélateurs vont s'en prendre surtout à Amon et à sa parèdre
Mout, et à tout ce qui se rapproche de lui, brisant les statues, martelant
les noms du dieu partout, jusqu'au sommet des obélisques ou dans les
cartouches portant son propre nom de couronnement, effacement du
nom d'Amon dans le cartouche Amenhotep).
Un fait intéressant est que l'on gomme même parfois le pluriel au mot
"dieux". Par contre on n'a pas l'impression qu'il y ait eu des
persécutions de personnes pour leurs croyances (sauf pour certains
hauts dignitaires des clergés, mais il s'agit là de politique et non de
religion). La première ébauche de monothéisme s'accompagne ainsi des
premières persécutions systématiques de l'histoire de l'Égypte. Il y en
aura d'autres, mais il faudra attendre encore 14 siècles pour les voir, ce
seront celles du christianisme. Ceci dit, ces destructions n'ont pas
touché tous les dieux ni les différentes partie du pays de la même façon.
Les destructions se sont concentrées clairement dans la région thébaine
et sur tout ce qui rappelait de près ou de loin l'exécré Amon. Que ce soit
par volonté, par incapacité ou par négligence, de nombreux cultes ne
sont pas inquiétés. Tout se passe comme si on avait divisé les dieux en
deux groupes : ceux qui, de près ou de loin, gênaient théologiquement
ou politiquement et qu'on s'est efforcé de faire disparaître et ceux qui,
comme Osiris, n'étaient pas une gêne et qu'on a ignorés. Ainsi à
Hermopolis, quasiment en face de TEA, le culte de Thot, s'est poursuivi
sans problème apparent.
Par contre Amon et tous les dieux créateurs sont poursuivis : il n'y a pas
de "première fois" dans l'atonisme.. Mais contrairement à une légende,
les temples ne sont pas complètement fermés, on en est sûr, même
Karnak. Par contre ils ont gravement périclité, ce que soulignera plus
tard l'édit de restauration de Toutankhamon. Le roi aurait d'ailleurs pu
les faire démolir, mais cela n'a pas été le cas sans qu'on puisse vraiment
dire pourquoi.
Cette campagne iconoclaste et sacrilège a certainement beaucoup
choqué les égyptiens, d'autant qu'elle était perpétrée au nom d'un dieu
qui n'avait pas su acquérir leur confiance. Et comment aurait t'il pu en
être autrement? Akhenaton a institué une religion mécaniste, abstraite,
et pour tout dire inhumaine. On peut même se demander si on doit
parler de religion devant cette force froide, dotée d'un mouvement
inéluctable et sans conscience. Aton n'est absolument pas un dieu
personnel à qui l'on peut s'adresser ou que l'on peut prier. Il est aveugle
à la destinée des hommes, sourd à leurs prières et totalement muet: on
ne peut en attendre ni consolation ni espoir. On ne pouvait lui prêter
aucun des traits humains que l'homme assigne toujours à ses dieux. Et
donc pour les égyptiens, comme le dit Pierre Grandet c'était "à peine un
dieu" ! Il n'est finalement que le corégent d'Akhénaton.La piété
personnelle ne peut se tourner que vers le couple royal, nous l'avons vu.
Le lien affectif qui pouvait auparavant lier un individu avec une divinité
représentait jusqu'alors pour lui une petite liberté de penser. Maintenant
ce lien est détourné au seul profit du couple royal dont l'emprise est
ainsi totale.
L'AU-DELA AMARNIEN ET OSIRIS
Il existe un changement profond et radical dans la conception de l'Audelà, et même quand à son existence en tant qu'entité indépendante. Si
des références à Amon existent encore au début du règne d'Akhénaton,
par contre Osiris, souverain des morts et du Royaume d'En-Bas
disparaît immédiatement comme nous l'avons dit plus haut. Les défunts
cessent de devenir des Osiris. Il n'y a plus de place pour le grand Dieu
dans le système amarnien Ceci rend encore plus mystérieuse la
découverte de Chaouabtis (serviteurs funéraires) dans la tombe
d'Akhénaton, car ils répondent à une conception purement osirienne de
l'Au-Delà. Nous avons déjà évoqué le problème de la signification de la
nuit, du côté obscur du monde, qui ne peut plus correspondre à rien et
est assimilé à la mort ; les hommes "dorment comme s'ils étaient
morts". On ne sait pas ce que devenait le soleil atonien la nuit.
Apparemment on se contentait de constater qu'il n'était plus là...Il est
bien sûr hors de question dans ce contexte d'imaginer le réveil des
morts par le soleil qui pénétrerait dans le monde d'En Bas, qui disparaît.
D'où aussi l'abandon de l'orientation vers l'Ouest de l'entrée des
sépultures qui regardent maintenant vers l'Est. Mais on peut se poser la
question: pourquoi faut t'il encore une sépulture? Or des tombes ont
bien été creusées à Amarna, y compris pour le roi lui même. Elles
semblent conçues comme de simples coquilles vides, mais qui ne
participent plus magiquement à la survie de leur propriétaire.
Cependant leur existence est capitale, ainsi que leur architecture,
puisqu'elles sont le véritable "royaume" des défunts qui ne bénéficient
plus de celui d'Osiris.
Un des problème majeur du système amarnien est justement de n'offrir
aucune réponse claire à la question fondamentale: qu'est ce qui se passe
après la mort ? On ne sait presque rien ; rien n'a apparemment été
proposé de manière formelle par le roi. On suppose que les hommes
devaient errer de jour et de façon plus ou fantomatique sur terre près du
grand temple de Tell El Amarna (ou à défaut du temple d'Aton le plus
proche), leur Ba venant profiter des offrandes offertes à Aton chaque
matin. Il était donc capital de devenir un "Ba vivant". Et ainsi, comme
on nous le dit la tombe de Toutou, le principal moment est, comme
pour les vivants, l'éveil le matin, parallèle à l'apparition des rayons
d'Aton. Plus besoin du "Champ des offrandes" et du "Champ des
roseaux", pas plus que des livres funéraires traditionnels...
Ainsi l'au delà se déroule sur terre, dans le site d'Akhétaton
essentiellement (c'est ainsi que Meryra dans sa tombe se proclame
"Justifié dans Akhétaton"), et il est entièrement dépendant du roi qui est
ainsi le dispensateur de vie sur terre, que l'individu soit vivant ou mort.
C'est lui qui décidait si un individu était "maa-kherou" (justifié) ou non.
Le roi ETAIT la Maat, ceux qui avaient agi conformément à ses
prescriptions -et eux seuls- étaient justifiés, comme nous l'avons déjà
vu.
Les problèmes que pose cette destinée post mortem vont apparaître de
façon criante à partir de l'an 14 quand des deuils apparaissent dans la
famille royale, avec notamment le décès d'une des filles d'Akhenaton,
Maketaton. On perçoit alors un grand désarroi chez le roi, matérialisé
dans sa tombe par la scène célèbre où l'on voit le couple royal en train
de déplorer la mort en couches de leur fille. Certains ont vu dans le
bébé le futur Toutankhamon. De plus, le roi, peut être malade, a bien
conscience d'un problème pour sa succession. Or la Grande Epouse
Royale Néfertiti a bien donné six filles au roi, mais aucun héritier mâle.
La dame Kiya, dont le rôle reste peu clair, mais qui semble avoir
succédé à Nefertiti en tant que Grande Epouse Royale (mais sans son
rôle cultuel et qui de plus disparaît à la fin du règne), pourrait
également avoir enfanté Toutankhamon. Quoi qu'il en soit, Akhenaton
savait donc que son successeur aurait probablement des problèmes de
légitimité, et qu'il aurait donc besoin de s'appuyer sur les clergés
traditionnels.
Tout ceci fait que la réflexion royale semble alors commencer à
s'infléchir, au point que l'on se demande même si à la fin de son règne
le roi croyait encore vraiment à son système. Il est impossible de
répondre. On ne peut que constater que dans deux tombes amarniennes
tardives -mais qui pourraient dater d'après la mort du roi- le nom
d'Amon réapparaîtà côté de celui d'Aton. Certains, comme Alain Zivie,
se demandent si Akhénaton n'a pas été écarté du pouvoir réel à cette
période.
En tout cas, il s'est fait creuser une tombe, sur un modèle nouveau par
rapport à celles de la vallée des rois. Des sarcophages externes et
internes ont également été réalisés. Le sarcophage externe en pierre a
été partiellement reconstitué. Le sarcophage interne du roi a été restauré
en Bavière et vient d'être rendu à l'Égypte.
Tous ces préparatifs sont ceux habituels pour un roi d'Égypte. Il est
probable que le roi leur ait donné une signification particulière, mais
nous ignorons laquelle. De même la momification des corps est
maintenue, et en particulier on est sûr qu'Akhénaton lui même a été
momifié, probablement enterré initialement dans sa tombe d'Amarna,
puis ultérieurement rapatrié à Thèbes. Certains ont cru voir dans la
mystérieuse momie de la tombe KV 55 de la Vallée des Rois celle du
roi, mais le débat reste entier.
LA MORT DU ROI
1)- L'an XVI
Et puis un jour de la 17ème année de son règne, le roi meurt ! Il doit
avoir 27 ou 28 ans.Et le désarroi des prêtres est immédiatement
perceptible. N'étant plus dirigés par le souverain et ne sachant que faire,
ils agissent exactement comme pour les enterrements des souverains
précédents ! Akhenaton est momifié, et son enterrement a lieu dans la
tombe qu'il s'était faite aménager. Nul ne sait précisément quel a été le
sort de la reine Néfertiti. A t'elle été mise en disgrâce pendant le règne?
Est elle morte peu de temps après sa fille Makétaton? Ou après le décès
d'Akhénaton, auquel certains pensent même qu'elle aurait pu succéder
pour une brève période? Autant d'hypothèses. Peut être possédons nous
sa momie,.
2)- Devenir de l'Atonisme
On va rapidement mesurer tout le fossé qui s'était creusé entre le roi et
ses sujets à la vitesse à laquelle la religion d'Aton en tant que telle va
être abandonnée, du moins dans sa forme exclusive niant les autres
dieux. La ville se vide apparemment assez vite de ses habitants. Outre
des raisons idéologiques, on peut se demander si cet abandon n'était pas
lié à la peste. En effet la paléoanthomologiste Eva Panagiotakopulu a
trouvé en abondance dans les maisons des ouvriers des insectes divers,
parmi lesquels des puces porteuses du bacille de la peste (voir
Geotimes).
Par contre, la vraie destruction systématique des monuments amarniens
remonte à Sethi I et Ramses II, qui avaient sans doute des problèmes de
légitimité et qui voulaient aussi utiliser certaines des thèses
amarniennes sans qu'on puisse douter de leur orthodoxie Amonienne.
Toute référence au roi, toutes ses représentations et son nom furent
systématiquement détruits, son sarcophage fracassé, et sa momie
d'abord rapatriée à Thèbes a ensuite disparu Et ceci se fait avec
l'adhésion générale de tout un peuple, et sans qu'aucune voix ne semble
s'être élevée pour défendre la religion hérétique. La stèle "du
Renouveau" proclamera sous Toutankhamon que la réforme est
terminée, que les cultes trop longtemps négligés des dieux et déesses
traditionnels sont rétablis. Un peu comme si le pays était guéri après
une maladie...Cette damnatio memoria s'étendra ensuite à ses trois
successeurs immédiats - dont Toutankhamon [NB : nous n'aborderons
pas ici la délicate et largement controversée succession d'Akhenaton,
sujette à trop de controverses pour qu'une synthèse intelligible et qui ait
quelque chance d'être réelle puisse être faite.] Finalement, lorsque le
général Horemheb sera devenu pharaon, on lui attribuera 59 ans de
règne, comme s'il avait été le successeur d'Aménophis III, gommant
ainsi littéralement de l'histoire égyptienne toute la période amarnienne.
Trois quarts de siècles après sa mort, sous Ramsès II, on ne se
souviendra du roi que sous les termes d'"ennemi", de "rebelle".
3)- Évolution des idées
Cependant les idées d'Akhénaton ont marqué beaucoup plus
profondément qu'on ne l'a parfois dit les mentalités de la période
ramesside et au delà. Ainsi, on assiste à de nouveaux développements
théologiques sur la question de "l'Un", notamment en relation avec "la
première fois", le début du monde. On tend à concevoir l'Un comme
une manifestation d'avant la création, qui se divise en "millions" dès la
création, et dont les parties valent pour le tout et sont donc susceptibles
de recevoir un culte. C'est là la différence fondamentale d'avec la
religion inventée par Akhénaton, comme d'ailleurs des monothéismes
ultérieurs. L'importance du "Ba vivant" initiée par l'atonisme va se
développer, et on peut considérer que les représentations d'oiseaux-bas
près de la déesse du sycomore dans de nombreuses tombes post
amarniennes en dérivent.
On voit également apparaître, comme séquelle importante de l'époque
amarnienne un certain doute sur la destinée dans l'Au-Delà en même
temps que les "chants du harpiste" qui s'interrogent sur ce qu'il advient
vraiment après la mort car "Nul n'en est revenu" et conseillent de faire
"un jour heureux". Finalement, selon Assmann, l'effet de la tentative
amarnienne aurait été de clarifier les anciennes croyances en les
confrontant à leur antithèse, et cela est particulièrement vrai pour la
conception qu'on aura du Royaume d'En-Bas et de son souverain Osiris
qui va progressivement se fondre complètement en Ré.
ÉPILOGUE
1)-Akhenaton a t'il fondé une religion nouvelle et le
monothéisme?
Un intéressant article sur les monothéismes de l'UCRI introduit bien le
sujet: "Aborder le thème du monothéisme en Égypte ancienne est un
exercice aussi passionnant que périlleux. Si les spécialistes sont
d'accord sur de nombreux points, leurs conclusions divergent
sensiblement, et nous n'avons pas la prétention de donner ici une
réponse définitive, mais seulement de proposer quelques éléments de
réflexion. Appartenant nous-mêmes à un monde judéo-chrétien, de
nombreux préjugés peuvent nous empêcher d'analyser sainement
d'autres formes de pensée religieuse que la nôtre. Les spécialistes ont
souvent eux-mêmes une religion et jugent celles des autres avec
condescendance. D'un autre côté, il serait également vain de vouloir à
tout prix faire de l'Égypte ce que nous voudrions qu'elle soit. Mieux
vaut la prendre telle qu'elle est : elle a bien plus à nous apprendre
ainsi."
La plupart, comme Erik Hornung ou Jan Assmann, pensent que le
système mis au point par Akhénaton est suffisamment complet et
original pour qu'on puisse parler de nouvelle religion, qui nous serait
alors - pour la première fois dans l'histoire du monde - accessible dans
sa genèse. D'autres estiment que sa réforme ne doit pas être regardée
comme une religion, mais simplement comme une philosophie de la
nature. "L'expérience amarnienne" représente finalement surtout
l'expérience personnelle du roi. Akhenaton avait "trouvé" Aton par une
recherche philosophique ou une intuition profonde (il dit bien que le
dieu est dans son cœur) et pensait que la lumière, comme principe
unique, pouvait expliquer tout le cosmos. Remarquons tout de même,
sans en tirer de conclusion, l'existence d'un fait troublant : les théories
cosmologiques actuelles supposent bien un Univers survenu dans un
jaillissement de lumière-énergie.
Ainsi se mêlait indissociablement l'immanent et le transcendant: " bien
que tu sois loin, tes rayons sont sur terre " disent les Hymnes. Mais
avec la lumière, il se liait à l'univers visible, ce qui l'obligeait à nier tout
ce qui ne lui appartenait pas : la nuit, la vie dans le Monde d'En-Bas, et
les divinités du panthéon traditionnel et surtout bien sûr Amon, "le
caché" ou encore Osiris. Akhenaton avait fait d'Aton un concentré, une
synthèse de tous les dieux à connotation solaire d'Égypte. Mais le débat
n'est pas clos pour savoir si nous avons affaire à un vrai monothéisme,
cohérent. Nous avons vu que le nom même du dieu fait référence, au
début au moins, à trois entités divines Ra, Horus et Shou. De même
Aton formait une triade avec le couple royal, calquée sur celle
réunissant Atoum (le Dieu créateur unique), Shou (dont le roi porte
parfois les plumes et Tefnout. L'existence d'une triade semble à priori
surprenante, mais nous avons appris depuis le christianisme que la
notion de trinité ne semble pas incompatible avec celle de dieu
"unique"... Il faut d'ailleurs faire attention au mot "unique" aussi en
Égypte ancienne. Il est très souvent employé par les fidèles pour donner
la préférence au dieu qu'ils se sont choisi. Et cela ne gène personne de
faire figurer sur une stèle le nom de "Aton l'unique", et de citer tout de
suite après Osiris et Khnoum En tout état de cause, Akhénaton n'a pas
créé cette religion de novo. Il a poussé à l'extrême (peut être en raison
de son jeune âge) les conclusions de tout ce courant de pensée dont
nous avons parlé qui tendait à rassembler le multiple dans l'un.
Je pense que son intuition personnelle était vraiment celle d'un seul
dieu, ainsi lorsqu'on lit gravé sur les tombes : "il n'y a que lui", et il se
considère très clairement comme son seul interlocuteur : "aucun autre
ne te connaît", ce qui rappelle étrangement certains passages de la
Bible. On peut également suivre le cheminement intellectuel du roi qui
dit à ses débuts "il n'y pas d'autre Dieu COMME toi" puis on passe à
Amarna à "il n'y a pas d'autre Dieu QUE toi". Cependant ceci ne permet
pas de parler de monothéisme, car ce terme ne recouvre pas seulement
un dieu unique, mais aussi un dieu communicant, ce qui n'est pas le cas
comme nous l'avons vu. Et surtout il suppose une révélation, qui
n'existe pas du tout ici : le dieu d'Akhénaton est immanent et non
transcendant.
2)- Akhénaton est il un "révolutionnaire"
Si l'on admet qu'une révolution dans un domaine (politique, mode,
technique...) représente une rupture brutale et drastique avec le passé,
on peut admettre ce qualificatif pour la politique religieuse du roi, car
quoiqu'il n'ait pas tout changé comme on le prétend trop souvent, il a
tout de même provoqué un séisme dans l'histoire égyptienne. On a
toutefois ici le prototype d'un mot moderne, qui a des connotations bien
éloignées de celle de l'époque amarnienne, et qu'il convient d'utiliser
avec une grande prudence. Quand on lit les Hymnes, on ne peut qu'être
frappé par l'apparente discordance entre leur hauteur de vue et ce que
nous avons déjà dit sur la personne et l'action du roi lui même, dont on
pourrait dire qu'il s'agit d'un personnage passionnant mais
infréquentable. De plus, les idées originales du roi se sont
accompagnées de l'apparition d'une cour comportant des gens
nouveaux, dont probablement un nombre non négligeable
d'opportunistes, d'où le sévère jugement de Morenz: "Terreur en haut,
carriérisme en bas". Et là se situe un problème récurrent dans l'histoire
de l'humanité et dont Akhenaton semble être le précurseur : au nom
d'idées séduisantes -du moins pour ceux qui sont adeptes d'une des
religions du Livre-, Akhenaton va bâtir un système d'une inexorable
rigueur et utiliser toute la puissance temporelle et religieuse dont
dispose un pharaon d'Égypte pour essayer de l'imposer envers et contre
tout, par la force, sans qu'il y ait adhésion véritable ni des élites ni du
peuple d'Égypte. Cette religion, centrée sur le roi qui est le "seul à
connaître l'Aton", était donc condamnée à disparaître avec son
fondateur. Et elle est effectivement tombée dans l'oubli pendant 2300
ans, jusqu'à la fin du 19ème siècle. Mais,… mais Aton lui même ne
disparaît pas… et des traces inconscientes des idées d'Akhenaton vont
s'incorporer dans la religion égyptienne, et perdurer jusqu'à sa fin. Nous
en avons déjà donné plusieurs exemples. On peut donc considérer d'une
certaine manière la période amarnienne comme un terreau pour la vie
spirituelle et artistique future de l'Egypte.
3) Akhénaton et Moïse
On a fait un rapprochement entre les textes des Hymnes et le psaume
104 de l'ancien testament, écrit plusieurs siècles plus tard dont les
accents sont certes voisins. Inévitablement, certains en ont déduit
l'existence d'un culte secret, d'une communauté d'initié qui aurait
perpétué les idées d'Akhenaton jusqu'à Moïse. Quand encore on ne lit
pas qu'Akhenaton et Moïse étaient tout simplement la même personne !
Sigmund Freud de son côté considérait Moïse comme un Égyptien qui
aurait transmis le savoir d'Akhénaton aux tribus d'Israël. Il est plus
prudent et probablement plus vrai de considérer que les rapprochements
-incontestables- qui peuvent être établis sont dus à une évolution
parallèle des réflexions dans ce monde proche-oriental devenu
cosmopolite où les brassages de population et d'idées sont incessants.
Remarquons au passage l'ironie de l'Histoire: la religion fondée par
Akhénaton, personnage dont l'historicité est certaine a disparue, tandis
que la religion des Hébreux qui se fonde sur un personnage mythique,
Moïse, dont jamais personne n'a prouvé l'existence, a perdurée avec le
succès que l'on sait. Le mono-atonisme d'Akhenaton était la première
manifestation dans l'histoire de la distinction "vrai Dieu - faux Dieu",
qui sera reprise dans le mono-Javhisme de Moïse. C'est par cette
recherche opiniâtre du "principe unique" au 14ème siècle avant JC
qu'Akhénaton peut apparaître comme un homme moderne.
Malheureusement, c'est aussi la base des fondamentalismes, de toutes
les intolérances et persécutions que le monde polythéiste n'avait jamais
connu. Heureusement, la civilisation égyptienne ancienne pourra encore
survivre 18 siècles après Akhenaton. C'est un vrai monothéisme, celui
du Christ qui finira par l'abattre. Et par une intuition extraordinaire,
plusieurs siècles avant cette fin, des théologiens avaient pressenti que
l'abandon du culte des dieux signifierait la fin de l'Égypte. Ecoutons les
: "les dieux, quittant la terre regagneront le ciel ; ils abandonneront
l'Égypte. Cette contrée qui fut jadis le domicile des saintes liturgies,
maintenant veuve de ses dieux, ne jouira plus de leur présence…
Égypte, Égypte, il ne restera de tes cultes que des fables et tes enfants,
plus tard, n'y croiront même pas. Rien ne survivra que des mots gravés
sur les pierres qui racontent tes pieux exploits".
OPINION SUR AKHÉNATON ET SON ÉPOQUE
Il est difficile de s'affranchir de notre éducation religieuse et générale
pour essayer de juger non pas d'après nos valeurs mais d'après celles du
temps d'alors. Pourtant c'est la seule manière de faire. Personnellement,
je n'adhère pas à l'idée que les monothéismes soient un progrès spirituel
-ou autre- dans l'histoire de l'humanité (de même d'ailleurs que
l'alphabet par rapport aux hiéroglyphes, mais ce n'est pas le lieu d'en
débattre). Aussi je suis mitigé sur ce qu'il faut penser du personnage
d'Akhénaton. Il exerce sur moi un mélange de répulsion et d'irrésistible
attirance. Son règne introduit de manière tangible un "désordre" (au
sens Séthien du terme) dans la succession en apparence si bien huilée
des souverains du Nouvel Empire aussi bien que dans l'histoire
égyptienne, et tout le monde distingue un "avant Amarna" et un "après
Amarna", que ce soit dans les représentations mais aussi dans les idées.
De même la singularité des réalisations architecturales ou artistiques de
ce temps fait immédiatement reconnaître une oeuvre comme étant de la
période amarnienne.Je me suis demandé quelle pouvait être la
personnalité et la psychologie du roi? Le roi est certainement un
homme intelligent et qui a l'esprit religieux, le sens du sacré. Je
considère comme absurde les thèses qui feraient de lui une sorte d'athée
sous prétexte qu'il n'aurait pas élaboré une religion mais une
philosophie de la nature. Je pense même que la thèse faisant du roi un
être torturé, presque un mystique, est juste mais dans un sens
pathologique. Car cet esprit religieux devait se doubler d'un caractère
exalté et égocentrique très prononcé. Aton était le seul Dieu, et
Akhénaton son "prophète". Un prophète combinant les personnes de
Mahomet pour le message et de Jésus comme l'intermédiaire
indispensable (et voila un anachronisme! je n'ai pas pu trouver de
meilleure analogie). Il est difficile de savoir s'il se croyait investi d'une
mission divine où si l'intransigeance qu'il montrera est seulement liée à
son caractère. Les deux sont peut être vrais.
Akhénaton était sans doute un homme à poigne, sauf peut être dans les
dernières années de son règne. Il aurait été impossible à un esprit timoré
de s'opposer comme il l'a fait aux traditions millénaires, à un clergé
puissant, et d'y réussir partiellement sans une poigne de fer. Que son
tempérament ne le pousse pas à l'action militaire ne change rien à cela.
Par contre, je me demande s'il ne souffrait pas d'une phobie de la nuit,
de l'obscurité avec comme corollaire une angoisse métaphysique qui ne
se dissipait qu'au matin. Ceci pourrait expliquer sa joie et son
soulagement à chaque lever du soleil, qu'il aurait alors retranscrit dans
les hymnes. J'en viens même à me demander si cette phobie n'est pas le
moteur principal de sa démarche, et s'il ne faudrait pas voir les choses à
l'inverse de ce qui est habituel, c'est à dire la lumière comme repoussoir
de la nuit.
Je pense que le roi avait une vision du monde paradoxale, à la fois
universaliste quand à l'étendue du pouvoir de son dieu, et
réductionniste, presque régionaliste, dans le culte à lui rendre. A moins
qu'il n'ait conçu la création d'Akhétaton comme une étape préliminaire?
On ne voit pas vraiment jusqu'où Akhénaton aurait aimé pousser son
action. Dans le système amarnien, la création toute entière étant le fait
d'Aton, rien ne peut être mauvais. Remarquons cependant qu'il n'y a pas
vraiment de notion d'amour dans cette relation mais de dépendance vis
à vis de la divinité. Il me semble bien clair qu'il voulait que ses sujets
aient vis à vis de lui le même type de relation qu'il avait avec son dieu,
il voulait le pouvoir absolu sur les âmes, comme il l'avait déjà sur les
corps. Pas question par exemple qu'un autre que lui soit le "refuge du
pauvre", rôle qui était dévolu auparavant à Amon. Une raison de plus
pour éliminer ce dernier. Son action n'aurait elle eu qu'un but politique
comme on l'a parfois dit?, établir un absolutisme royal total? Je ne le
crois pas, même si cela a du être un motif non négligeable car la
puissance qu'avait acquise le clergé thèbain inquiétait les rois d'Égypte
depuis Thoutmosis IV au moins.
Au total, je vois Akhénaton comme un esprit partiellement malade,
dans un corps peut être malade, comme quelqu'un (au sens propre, un
individu ) fascinant malgré (et par) la répulsion qu'il m'inspire. Nous
avons tous les jours dans nos actualités des équivalents de personnages
intelligents mais fanatiques de la même trempe. Fanatiques n'est peut
être pas correct, disons plutôt des fondamentalistes qui laisseront
prudemment à d'authentiques fanatiques le soin de s'exposer
physiquement. Un personnage donc monomaniaque et dangereux. Ceci
constitue une des raisons de la modernité du roi. Ce n'est pas la seule.
En effet, il est indéniable qu'il a apporté un souffle nouveau à la pensée
théologico-philosophique de l'Ancienne Egypte (j'emploie à dessein le
mot philosophie, dont je ne vois pas pourquoi il ne devrait être utilisé
qu'à partir des Grecs) et qu'il représente un précurseur des pensées
"monothéistes" qui surgiront plusieurs siècles plus tard. Son échec final
peut nous apporter une lueur d'espoir: le fanatisme ne règle jamais les
problèmes, il les masque. Il finit par s'autodétruire, mais
malheureusement au bout d'un temps impossible à prévoir.
Thierry BENDERITTER
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