Amenhotep Néferkhépérourê. Nom grec : Aménophis IV/
AKHENATON 1353 - 1338
Période Nouvel Empire 18ème Dynastie
UN TEXTE DE Thierry BENDERITTER
Avec le règne du pharaon Akhenaton, le vieux pays d'Égypte va
connaître une exceptionnelle période de bouleversements et une des
expérience spirituelle et religieuse les plus fascinante de l'histoire de
l'humanité.
Sous l'impulsion du pharaon Aménophis (Amenhotep) IV- Akhenaton
et de sa belle et célèbre épouse Néfertiti, ce que l'on a coutume
d'appeler "l'hérésie amarnienne" (du nom de sa capitale Amarna) ou
"l'expérience amarnienne" va tenter de bouleverser les croyances
traditionnelles d'une civilisation multimillénaire.
Il s'agit d'un sujet assez à la mode et de nombreux ouvrages paraissent
régulièrement sur Akhenaton et Néfertiti, de qualité variable et qui
reflètent hélas souvent plus les rêves de leurs auteurs que la réalité de la
documentation. Quant encore les protagonistes ne sont pas
complètement désacralisés dans des réclames pour savonnette ou
autre… Mais même chez les égyptologues professionnels l'évocation de
cette riode entraîne des réactions et prises de position souvent
passionnées, tant les questions sous tendues sont importantes pour
l'histoire religieuse et l'histoire des idées en général.
Il faut dire que la personnalité du roi Akhenaton, ainsi que la
signification et la portée de son action et de sa pensée ont été très
diversement appréciés. Ainsi à la fin du XIXème siècle, le grand
égyptologue anglais, Sir Flinders Petrie, le premier à avoir compris
l'importance historique d'Akhenaton, le décrivait à la fois comme le
premier monothéiste et le premier individu de l'histoire et écrivait : "un
homme qui fut incontestablement un génie et qui parvint à broyer la
carapace millénaire des habitudes, des superstitions et des conventions
de la société et tint courageusement tête à la puissance du clergé et des
autres dignitaires". Freud dans "L’homme Moïse et la religion
monothéiste" voyait une filiation entre le prophète et le roi
De nos jours, beaucoup d' historiens plus matérialistes ont renversé du
tout au tout ce jugement et nombreux sont ceux qui considèrent
Akhenaton comme un tyran, un despote fanatique, voire un malade
mental et un athée !
Alors, nous allons essayer d'y voir un peu plus clair, en nous appuyant
sur les faits avérés dont nous disposons et en proposant des hypothèses
plausibles sinon toujours certaines. Pour cela, il nous faut remonter
loin dans le temps, vers les années 1350 avant notre ère, dans l'Égypte
impériale du Nouvel Empire, au temps du père d'Akhenaton, le pharaon
Aménophis III...
LA SOCIETE EGYPTIENNE A LA FIN DU REGNE
D'AMENOPHIS III
L'Égypte est déjà une très ancienne civilisation, puisque les pyramides
se dressent depuis plus de 1000 ans sur le plateau de Gizeh. Le pays
possède une très vieille tradition, qui a su résister et s'affirmer malgré
les vicissitudes de l'histoire. Ce sont les pharaons de la glorieuse
XVIIIème dynastie qui gouvernent le double pays d'Égypte depuis un
siècle après en avoir chassé les envahisseurs étrangers. Cette occupation
du pays a laissé des marques profondes dans l'imaginaire collectif. Et
c'est pour se garantir de nouvelles invasions, que l'Égypte s'est constitué
un immense empire qui s'étend depuis la 4ème cataracte du Nil, dans
l'actuel Soudan, jusqu'à l'Euphrate et à la limite de l'Anatolie. Et sous le
règne d'Aménophis III, l'empire est à son apogée. Les immenses
richesses que représentent les tributs payés par les nations sous
domination affluent vers la vallée du Nil et contribuent à une prospérité
générale qui se marque notamment par les riches dotations aux temples
traditionnels et par l'abondance d'une production architecturale et
artistique dont le raffinement ne sera jamais dépassé par la suite.
L'enrichissement du pays et les contacts externes ont favorisé la
transformation de la société égyptienne. Désormais, c'est une société
plus ouverte, une société surtout devenue cosmopolite, avec une
présence et une influence de plus en plus importante des étrangers
installés en Égypte. Et ainsi, petit à petit, les mentalités se sont
modifiées… Les conséquences en sont multiples, aussi bien pour ce qui
concerne les conceptions sur la nature de la royauté que sur la
spiritualité, avec un développement de l'idée impériale qui se superpose
au développement du culte solaire. On proclame l'universalisme du
pouvoir royal sur terre comme celui du soleil Ra dans le ciel. Les
épithètes laudatives fleurissent, le roi étant appelé "roi des rois, prince
des princes", et déjà "Aton pour tous les pays". Et les théologiens vont
de plus en plus associer le dieu solaire par excellence, Ra, à tous les
autres dieux du panthéon, à commencer par Amon
AMON
La XVIIIème dynastie s'est placée depuis le début sous la protection -le
patronage- du dieu Amon de Thèbes, promu dieu dynastique, dieu
d'empire "Roi des dieux et dieu des Rois", Amon a vu son rôle de
divinité principale du pays se renforcer petit à petit, et il est maintenant
amalgamé au grand dieu Ra, sous la forme d'Amon-Ra. Cette
solarisation d'Amon fait du soleil la principale forme de la divinité,
tandis que les autres dieux représenteraient des manifestations
particulières à un moment donné et à un endroit précis Amon -dont le
nom veut dire "le caché", celui qui ne s'est pas encore manifesté-
représente maintenant un dieu démiurge par excellence, un dieu qui a
créé et qui recréé chaque jour le monde. De plus en plus on le considère
comme l'un dans lequel le tout est contenu Cette interprétation qui
consiste à faire river le multiple de l'un s'impose progressivement
dans les classes dominantes et chez les lettrés -de plus en plus
nombreux-. Elle est typiquement dans la tradition et la mentali
égyptienne, et il ne viendrait à l'esprit de personne à ce moment de
vouloir effacer, renier d'autres entités divines pour autant ! Amon, c'est
aussi le garant suprême du droit et de la morale, dont la volonté se
manifeste par des oracles, notamment par ceux qu'il rend aux fidèles
qui le consultent lors de ses sorties en procession les jours de grandes
fêtes.
Inutile de dire que ces spéculations passent largement au dessus de la
tête du fidèle de base, et d'ailleurs aucun effort de vulgarisation n'a
jamais été entrepris pour essayer d'expliquer ces conceptions à un
peuple misérable qui avait bien d'autres soucis beaucoup plus concrets
et qui faisait largement confiance aux petits dieux et génies qui
veillaient sur sa vie quotidienne.
Toutefois, Amon n'est pas resté uniquement un dieu officiel et lointain.
Il a su gagner la confiance de nombreux égyptiens qui en ont fait leur
dieu personnel, leur interlocuteur divin privilégié. Car à cette période se
développe progressivement une nouvelle conception des rapports entre
dieu et les hommes, qu'Assmann appelle la "nouvelle théologie de la
volonté divine". Elle accompagne l'émergence d'une forme de piété
personnelle, d'une relation directe de l'homme avec son dieu, qui
n'existait pas dans les époques antérieures. Amon est ainsi devenu celui
qui sait écouter celui qui l'implore, qui sait pardonner, qui sait consoler.
Il est désigné comme "celui qui secourt les humbles", "celui qui donne
la force aux malheureux". On peut le prier, le fléchir, il pardonne les
fautes si on peut justifier d'une conduite irréprochable si, comme le
disent les textes, on a "suivi le chemin de la Maat".
Il faut dire ici un mot de la déesse Maat. Maat est le fondement de la
compréhension du système religieux et de la société égyptienne. La
Maat, c'est le monde organisé, l'ordre, la stabilité la justice qui règne.
Maat c'est l'équilibre entre les forces antagonistes qui gouvernent le
monde. L'univers apparaît comme une machine harmonieusement
réglée selon ses lois qui établissent un équilibre dynamique entre le
monde lointain des dieux et la solidarité sociale du monde des hommes
dont Pharaon a la responsabilité.
Le rôle du roi, est donc de faire régner la Maat sur terre. Et l'offrande
suprême que le roi fait aux dieux, c'est celle d'une figurine de cette
déesse. Par cette offrande, le roi leur signifie que, grâce à son action
personnelle aidée par celles des hommes, le monde terrestre est
conforme à ce que eux, les dieux, demandent. A charge maintenant
pour eux d'agir en retour pour les hommes.
C'est cette ciprocité qui est fondamentale dans toute la religion
égyptienne et c'est sur elle que repose la continuité du monde.
Remarquons ici quelque chose de très important pour la suite, dans la
conception traditionnelle, le roi fait régner la Maat sur terre mais il n'est
pas la Maat.
Parallèlement à la montée du dieu Amon, la puissance temporelle de
son clergé s'est considérablement accrue, ainsi que son pouvoir
politique. Pour s'en convaincre, il n'est que de regarder la magnificence
du grand temple de Karnak chaque souverain avait à cœur de laisser
sa marque par des travaux architecturaux et les listes impressionnantes
de dons divers qu'il recevait.
De plus, la volonté d'Amon, on l'a dit, s'exprimait par l'intermédiaire
des oracles. Oracles rendus par les prêtres bien sûr ! Ces oracles ont
même parfois pu permettre à certains souverains dont la légitimité
n'était pas évidente d'accéder au trône (par exemple la reine
Hatchepsout).
Et de fait, cette puissance du dieu et de son clergé se manifeste très
clairement dans l'apparition de la notion de théogamie. Le pharaon va
apparaître non plus comme le fils de son père et de sa mère, mais
comme le fils de sa mère et d'Amon qui s'est incarné dans son père. Par
ce processus de théogamie, il renforce ainsi sa filiation divine et son
rôle traditionnel de garant de la Maat.
Par le biais des oracles, le dieu et son clergé pouvaient approuver ou
censurer la conduite des particuliers, mais il existait un danger potentiel
qu'il en fasse de même de la conduite royale. Cette menace semble
avoir été insupportable à Akhenaton, nous le verrons. Ainsi donc, on
assiste à cette époque à une consécration du dieu Amon-Ra, et
parallèlement à une reviviscence des cultes et de la dévotion solaire, en
particulier dans la famille royale. Et c'est dans ce contexte d'un dieu
Amon triomphant, que le dieu Aton va faire son apparition.
ATON
Qui est ce dieu Aton qui sera le centre de la religion qu'Akhenaton
essaiera d'imposer ? En fait, ce n'est pas vraiment un dieu nouveau, car
on trouve mention de son nom dans les textes des pyramides, soit 1000
ans plus tôt. A l'origine Aton représente un des noms communs
désignant le soleil, dérivé d'une racine verbale signifiant "être loin".
Cela devait se prononcer quelque chose comme "yati(n)". Avec le
temps, le "n" terminal est tombé. Il n'est pas vraiment ressenti comme
une divinité particulière, mais comme tout simplement le disque en
mouvement. Nous avons vu que sous le règne du père d'Akhenaton,
Aménophis III, le dieu Amon est considéré de plus en plus comme une
manifestation du soleil sous la forme Amon-Ra. Eh bien, on considère
maintenant qu'il accompli en tant qu'Aton, le disque solaire visible
partout et par tous, son périple céleste et qu'il enserre de ce fait tout
l'univers de sa puissance.
Pendant toute la XVIIIème dynastie, cette dynamique solaire
universelle est mise en parallèle avec le pouvoir royal qui est lui aussi
de plus en plus considéré comme universel. Il y a une sorte de retour
en arrière vers l'Ancien Empire, une sorte de néo-héliopolitannisme
religieux et à partir du règne de Thoutmosis IV (un gne charnière
pour de nombreuses choses) une volonté politique de retour à la toute
puissance monarchique des temps plus anciens.
Progressivement on voit une relation de plus en plus forte se nouer
entre Aton et le roi. Ainsi quand Aménophis III sort de son palais, c'est
Aton qui se lève à l'horizon, quand il marche sur les pays étrangers,
c'est Aton qui parcourt le ciel, et un vizir a pu se décrire comme étant
"celui qui contemple le disque en son horizon", c'est à dire le roi dans
son palais. Cette montée d'Aton sous Aménophis III est aussi attestée
par le nom "Aton est resplendissant" donné à un des palais et à la
barque royale d'apparat. Un des corps d'armée égyptien prend
également le nom d'Aton.
On assiste aussi à une multiplication des colosses à l'effigie du
souverain. Ces colosses représentent une matérialisation du corps divin
du roi, et ils sont l'objet d'un culte. Ils se multiplieront sous Akhenaton
conformément à l'idée que celui ci se faisait de sa fonction.
Nous voyons ainsi qu'Aton est donc déjà bien présent à la fin du règne
d'Aménophis III. Notons, et c'est important, que la dévotion solaire de
ce souverain est très différente de ce que sera celle d'Akhenaton. Le roi
continue à participer au grand voyage diurne et nocturne du soleil, et
aide celui ci a renaître au matin après avoir vaincu ses ennemis du
monde souterrain, et notamment le serpent Apophis.
AMENOPHIS IV - AKHENATON MONTE SUR LE
TRONE
Voilà où nous en sommes lorsque en l'an 1356 avant JC un grand
malheur frappe le Double-Pays d'Égypte : le pharaon Aménophis le
troisième vient de mourir…
Après les 70 jours rituels, il a été inhumé en grande pompe dans son
hypogée de la vallée des rois, et c'est son fils aîné survivant qui monte
sur le trône. Sa légitimité est incontestable, et incontestée puisque son
frère aîné Thoutmosis était déjà mort. Cette montée sur le trône a peut
être été précédée par une période de corégence avec son re, mais ceci
est très discuté. C'est un débat toujours passionné qui a donné lieu à une
excellente thèse de Leslie Bailey qui conclut...qu'on ne peut pas
conclure ! Les arguments les plus récents vont contre une telle
corégence.
1)- Le nouveau souverain
En l'état actuel de la documentation, il n'est pas possible de répondre
avec certitude à la question : quel âge avait Amenhotep lors de son
accession au trône ? Question pourtant essentielle pour comprendre si
ses idées et son énergie à les appliquer sont ceux d'un homme ou d'un
adolescent. La plupart des historiens pensent que, en l'état actuel des
connaissances, le roi devait avoir entre 10 et 15 ans lors de son
avènement. Il s'appelle donc Amenhotep, comme son père, (ou
Aménophis, déformation grecque du nom égyptien Amenhotep - Imn
htp, "Amon est satisfait"). Cette dénomination fait donc directement
référence au dieu Amon [NB: selon Jan Qaguebeur, Aménophis serait
une faute car ne dériverait pas d'Imn-htp mais d'Imn-m-Ipt].
2)- L'enfance du roi
Nous ne savons pratiquement rien de la jeunesse de celui qui est devenu
le pharaon Aménophis IV. Ce dont on est sûr c'est qu'elle s'est déroulée
à une période de réelle crise du polythéisme, comme si les Égyptiens
n'arrivaient plus tout d'un coup à gérer leur immense monde divin et
avaient éprouvé la nécessité d'insister sur l'unité du divin plus que sur la
diversité des dieux, notamment en redonnant une place de choix aux
très anciens cultes solaires. Certains lettrés, minoritaires, allaient même
très loin en rejetant comme autant de superstitions les arcanes
compliquées de la religion traditionnelle au profit d'une interprétation
d'esprit rationaliste qui privilégiait la seule réalité visible.
Ce mouvement de pensée a été qualifié par le grand spécialiste de la
religion Égyptienne Jan Assman de phénoménologie. Il aboutit à abolir
tout ce qui est construction intellectuelle (spéculations théologiques et
mythes) ou spiritualité : la foi n'a rien à faire dans un tel système.
Tout ceci marquera profondément le jeune prince, comme
probablement aussi l'influence de sa mère, la Grande Épouse Royale
d'Aménophis III, la reine Tiy dont la puissante personnalité a
certainement joué un rôle Le jeune Aménophis a déjà épousé celle qui
est -peut être- sa cousine, -peut être la fille de Ay- la belle Néfertiti
(dont le nom signifie "la belle est venue") qui devient de ce fait la
Grande Épouse Royale qui est censée donner naissance à l'héritier mâle
du trône, ce qu'elle ne fera pas.
3)- An I et an II
Pendant les deux premières années du gne, rien ne semble changer.
Le roi s'est fait couronner à Thèbes, la ville d'Amon, comme ses
prédécesseurs avant lui. Il a adopté une titulature très traditionnelle, qui
fait clairement férence à Amon, et garde son nom de naissance Imen-
htp. Ses très rares représentations à n'avoir pas été détruites adoptent le
canon traditionnel. C'est ainsi que sur le linteau d'entrée de la tombe de
Kherouef TT 192, qui exerça ses fonctions à cheval sur les règnes
d'Amenhotep III et IV, on voit le roi (dont les cartouches sont martelés)
faire offrande classique à Amon
Cependant dès cette époque (il a donc entre 11 et 12 ans) il introduit
une nouvelle entité divine solaire basée sur Horus de l'Horizon
(Horakhty) qu'il nomme "Ra-Horakhty en sa nature de lumière solaire
qui émane du Disque Aton", faisant ainsi de Ra un "souverain de
l'horizon" établissant ainsi sa proximité avec la royauté terrestre.
En l'an 2, le roi se proclame Grand Prêtre de cette nouvelle
composition divine, tout en continuant à honorer les dieux traditionnels,
jusqu'à la coupure de l'an IV. Ces deux périodes sont bien illustrées
dans la tombe du vizir de l'époque, Ramose. Amenhophis IV a alors 14
ans. Il vient d'épouser Néfertiti qui apparaît à ses côtés sur les
monuments, et décide de célébrer sa fête-Sed (une cérémonie qui
normalement n'est célébrée qu'après 30 ans de règne). Le but de cette
fête-Sed semble avoir été la volonté du roi de "se diviniser" lui même et
de souligner la nature consubstantielle de sa royauté et de celle d'Aton
dont le nom dogmatique apparaît maintenant dans des cartouches.
Les choses commencent à bouger aussi au point de vue architectural.
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