La Tunisie ou le progrès en dents de scie (1/2) : Kapitalis : http

publicité
This page was exported from Kapitalis [ http://kapitalis.com/tunisie ]
Export date: Sun Apr 16 0:29:49 2017 / +0000 GMT
La Tunisie ou le progrès en dents de scie (1/2)
Des défis économiques sérieux menacent la transition de la Tunisie vers un gouvernement démocratique. Et
des réformes indispensables tardent à être mises en œuvre…
Par Francis Ghilès *
Cela fait six ans depuis que la chute du dictateur Zine El-Abidine Ben Ali a déclenché une vague de
soulèvements sans précédent à travers les régions d'Afrique du Nord et du Moyen Orient. Loin d'avoir ouvert
la voie à une période de transition démocratique, l'on a plutôt assisté à un retour en force de conflits tribaux,
claniques et religieux – et tous de la pire espèce. La Tunisie a été le seul pays à avoir réussi une sorte de
transition démocratique –qui demeure fragile et également incomplète.
Cependant, cette mutation tunisienne a donné naissance à un espace pour la liberté d'expression qui est plus
grand qu'avant 2011, la torture n'est pas courante dans le pays et des élections libres ont été tenues – et ces
scrutins ont été remportés par le parti islamiste d'Ennahdha puis perdus…
Marche des diplômés chômeurs à Tunis.
Une économie à bout de souffle
Il reste que cette transition s'est déroulée dans un contexte de stagnation économique. Les Tunisiens des
régions relativement pauvres du pays, qui ont été à l'origine du soulèvement contre le régime prédateur de Ben
Ali, attendent toujours les dividendes des risques qu'ils ont pris en se soulevant contre le dictateur pour
revendiquer des emplois, de meilleures conditions sociales et plus de respect de la part de leurs frères riches
des régions côtières de la Méditerranée.
Depuis 2010, l'économie tunisienne a souffert d'une perte annuelle de produit interne brut (PIB) d'environ
5,5%. Et c'est l'investissement direct étranger qui s'en trouvé le plus affecté.
L'économie est à bout de souffle: le PIB a crû de 0,8% l'an dernier et il enregistrerait une croissance de 1,5%
en 2016. Cependant, les attentes d'une croissance plus forte, la création de plus d'emplois et le partage plus
équitable des richesses du pays, dont la stabilité de la Tunisie dépend fondamentalement, ont été déçues.
La croissance forte ne se réalise que sur la base de réformes audacieuses, mais celles-ci semblent tout à fait
irréalisables tant que les gouvernements dirigés par les partis de Nidaa Tounes et Ennahdha n'ont pas entrepris
de réformer un système fiscal qui permet à certaines professions – les avocats, les médecins et les architectes,
par exemple – de ne pas payer d'impôts, tant que des gouvernements offrent des majorations salariales à des
sociétés nationales et à un secteur public déjà surdimensionnés, et laissent faire les barons de l'économie
informelle – qui importent illégalement voitures, produits électroménagers, denrées alimentaires et cigarettes,
très souvent avec la complicité prouvée de certains dirigeants et partis politiques de premier plan.
En dépit de tout cela, les investisseurs étrangers ne se laissent pas décourager. En début d'année 2016, Actis,
un fonds de marchés émergents basé à Londres, a acquis 40% du capital de Medis, une entreprise spécialisée
dans la production de médicaments génériques qui se glorifie de la réussite d'une joint-venture florissante en
Algérie et qui enregistre une croissance appréciable de ses exportations vers l'Afrique francophone et le Moyen
Orient. Il y a aussi le fonds émirati Abraaj qui a pris des parts dans le capital de Lilas, une société spécialisée
dans les produits d'hygiène et de papier. Peugeot, dans le même temps, envisage d'étendre bientôt sa
production de pièces détachées pour automobiles.
C'est dans les secteurs de la pharmacologie, la mécatronique, la production de pièces aéronautiques et les
services de la santé – sous la forme de cliniques privées pour ressortissants étrangers – que la Tunisie a
beaucoup à offrir. Si la sécurité est garantie dans le pays, les investisseurs étrangers renoueront, de toute
évidence, avec la Tunisie.
La production de phosphates a repris après 5 années de ralentissement.
Entre pessimistes et optimistes…
Entre-temps, la reprise de la croissance régulière de la production du minerai de phosphate, et par conséquent
celle des engrais, est de bon augure pour un secteur qui a miné par des grèves à répétition – depuis 2010, la
production de ce minerai a été réduite de plus de la moitié. Une sécurité améliorée devrait entraîner la levée de
l'interdiction de voyage en Tunisie décidée par les autorités du Royaume-Uni au lendemain de l'attentat
terroriste de Sousse, l'an dernier. Le scénario de rêve serait également que la situation en Libye s'améliore:
l'instabilité dans ce pays, autant que la montée du terrorisme local, a effrayé les investisseurs étrangers. La
reconstruction de la Libye voisine pourrait offrir aux entreprises tunisiennes la possibilité de réaliser de gros
profits et augmenter la croissance du PIB tunisien de 2%, selon certaines estimations.
Les observateurs pessimistes estiment que la réussite de la transition démocratique en Tunisie, qui est unique
dans le mode arabe, reste soumise au risque de l'échec tant que le pays n'aura pas été capable d'offrir des gains
tangibles à la majorité de la population tunisienne. L'interminable succession de gouvernements a accentué les
problèmes auxquels le pays est confronté. Depuis 2011, les institutions de l'Etat n'ont pas cessé de plier sous le
poids du recrutement de 160.000 nouveaux fonctionnaires – qui manquent très souvent de qualification. Ce qui
était, à une certaine période de l'histoire du monde arabe, le secteur public le plus efficace manque aujourd'hui
d'autorité, et le moral de plusieurs employés de l'Etat est actuellement à son plus bas.
Les optimistes préfèrent attirer l'attention sur un contexte plus général pour expliquer les difficultés présentes
de la Tunisie: la situation économique désastreuse en Egypte – qui, elle aussi, a vu le départ de son dictateur en
2011 pour se trouver, aujourd'hui, sous le joug d'un régime encore plus tyrannique – et le ralentissement de la
croissance de l'Union européenne, le principal partenaire commercial de la Tunisie, le pays a la jeunesse la
plus instruite dans toute la région.
Ces mêmes observateurs optimistes soutiennent qu'une période de six années est une courte durée pour porter
un jugement définitif sur l'expérience tunisienne. Ils ajoutent que des progrès ont été réalisés: certes, ces
progrès sont parcellaires mais ils sont indéniablement réels.
La sécurité en Tunisie s'est nettement améliorée, depuis 2015, année où le pays a subi les coups terroristes les
plus durs. La consolidation de la coopération sécuritaire avec les Etats Unis, la France, l'Allemagne, le
Royaume Uni et l'Algérie a permis de rendre la violence terroriste un phénomène gérable et sous contrôle, en
2016. Durant les douze derniers mois, il n'y a pas eu d'attaque majeure, grâce notamment à la désignation de
professionnels compétents pour diriger l'appareil sécuritaire du pays, à la suite de l'attaque terroriste qui a pris
pour cible la garde présidentielle, en novembre 2015.
Le dialogue entre le gouvernement et la centrale syndicale demeure très difficile.
Quatre défis à relever de toute urgence
Plusieurs rapports d'organisations internationales pointent les activités des djihadistes tunisiens et l'éradication
de l'islamisme radical comme étant les menaces les plus sérieuses qui pèsent sur l'avenir du pays. Pourtant,
l'échec du gouvernement tunisien à mettre en œuvre les réformes économiques indispensables et la sourde
oreille des politiciens aux revendications sociales légitimes pourraient, en définitive, être l'épreuve la plus dure
à laquelle la jeune démocratie tunisienne sera soumise.
L'Etat consomme 65,5% du PIB – selon l'économiste tunisien Hechmi Alaya, dans une récente révélation faite
sur les perspectives économiques du pays. Les fonctionnaires et les employés des sociétés nationales
représentent près de 70% des 3,4 millions Tunisiens disposant d'un emploi stable. A l'instar des autres pays du
Moyen Orient et d'Afrique du nord, les Tunisiens, depuis l'Indépendance, ont toujours eu une préférence
marquée pour un fonctionnariat pour la vie, plutôt que de se risquer dans le secteur privé. Le déficit budgétaire
de l'Etat est monté en flèche de 0,6% du PIB en 2011 à 6,2% en 2013 pour être ramené à 4,8% en 2015.
Pourtant, selon une étude récente du Fonds monétaire international (FMI), le déficit global serait nettement
plus élevé si l'on y associait les budgets des trois fonds de protection sociale et la myriade d'institutions
contrôlées par l'Etat. Si l'on ajoute aussi le coût de la recapitalisation de deux banques nationales, l'an dernier,
et d'une autre qui est en voie, le déficit augmentera encore plus… En des termes crus, les statistiques officielles
sont loin de présenter des indicateurs fiables sur le véritable état des lieux des finances tunisiennes. Et cet
aspect est d'une grande importance pour apprécier le lourd fardeau que représente l'Etat pour l'économie du
pays.
Des nombreux défis économiques auxquels la Tunisie est confrontée, quatre devraient être relevés de toute
urgence et avec courage et détermination.
Les classes professionnelles devraient faire preuve de plus de bonne volonté à payer leur juste part d'impôt; les
décaissements effectifs des investissements publics inclus dans le budget de l'Etat pour 2017 devraient être
augmentés.
L'Union générale tunisienne du travail (UGTT) devrait éviter, en défendant les intérêts de ses membres, de
céder trop facilement à la démagogie. Le nombre des adhérents de l'UGTT, estimé actuellement à 700.000, et,
même si ses membres représentent une minorité de la main-d'œuvre tunisienne ainsi qu'il est le cas dans les
entreprises privées, la centrale syndicale dispose d'une influence excessive.
Le quatrième défi devrait consister à réduire l'activité de l'économie informelle, qui représente au moins le 1/3
du PIB réel, étant donné que les produits importés par le biais de la contrebande sont souvent moins coûteux et
meilleurs que ce qui est produit localement –ce qui a forcé de nombreuses usines tunisiennes à mettre la clé
sous la porte.
Article traduit de l'anglais par Marwan Chahla
Source: ‘‘The Cairo Review''.
*Francis Ghilès est chercheur associé principal auprès du Centre pour les Affaires internationales de
Barcelone.
**Le titre est de l'auteur et les intertitres sont de la rédaction.
Post date: 2016-11-29 10:47:40
Post date GMT: 2016-11-29 09:47:40
Post modified date: 2016-11-29 10:57:26
Post modified date GMT: 2016-11-29 09:57:26
Powered by [ Universal Post Manager ] plugin. MS Word saving format developed by gVectors Team www.gVectors.com
Téléchargement