mythes « secondaires » et tournants historiques inaperçus

MYTHES « SECONDAIRES » ET TOURNANTS HISTORIQUES
INAPERÇUS
On ne peut parler de sujets secondaires en économie : « l’histoire vraie est la narration
d’événements qui ont eu des conséquences importantes » : pour Bairoch, l’inflation de la fin
des années 60 est responsable de la crise de 73 qui « changea le cours de l’histoire ».
1. Quelques mythes de moindre importance
Le commerce fut-il le moteur de la croissance économique ?
C’est plutôt l’inverse. Pour le ralentissement comme pour la reprise, les tournants du PNB
précèdent ceux du volume des X. Dans les années 30, l’effondrement du commerce suivit le
déclin de la P industrielle, croissant encore en octobre 29 avant de régresser progressivement.
Pour Denison, la libéralisation des échanges a contribué pour 2 % à la croissance de l’après-
guerre en Europe ; au Japon, l’importance des X est un résultat du taux élevé de croissance.
La concurrence a pu aussi bien favoriser la croissance que le contraire (mais chut, pas touche
aux dogmes). Le commerce n’a pas stimulé la croissance du tiers monde. En fait, le RU
jusqu’en 1860 constitue la seule exception parmi les grandes puissances. Pour les petits pays,
le rôle du commerce international a pu être plus important (et encore).
La Première Guerre mondiale fut-elle précédée d’une crise ? (ouvrages marxistes)
La croissance par habitant entre 1900 et 1913 a été plus forte (1,5 %) qu’à aucun moment
avant. Malgré la récession en 1910 (sauf EU), les trois suivantes furent très bonnes, surtout
pour les futurs belligérants (sauf 1913 pour la France du fait de l’agriculture) et pour
l’industrie (5,2 % de TCAM pour 1910-1913). Les X croissent également de 4,7 % par an en
Europe. Comme en 1870, la guerre est déclarée en période d’expansion.
Les exportations de produits primaires ouvrent-elles la voie au sous-développement ?
De fait, trop souvent les X de produits primaires dictaient la politique du tiers monde. Mais 5
des pays veloppés exportaient en 1913 ces produits, EU notamment (66 % de leurs X au
XIX°), et même des matières premières (Canada, Australie, Danemark, NZ). La plupart
s’étaient industrialisés grâce au protectionnisme (sauf la NZ, dont l’industrie est encore
centrée sur les produits agricoles), condition quasi nécessaire d’accès au développement.
Le XIX° siècle fut-il une période de forte croissance économique ?
Bien que la RI ait été un tournant fondamental de l’histoire, la croissance au XIX° (1 % par
habitant) ne paraît spectaculaire qu’en comparaison avec les moins de 0,1 % des siècles anté-
rieurs. Ce qui montre qu’une croissance très forte est impossible au démarrage. La croissance
du tiers monde (2%) est donc plutôt bonne, mais on aurait dû limiter le boom démographique.
Le monde traditionnel était-il peu urbanisé ?
« L’étude des sociétés post-industrielles peut influencer dans un sens négatif les travaux
effectués sur les sociétés préindustrielles » : on a cru qu’en 1800, la population mondiale
n’était urbanisée qu’à 3 % (Davis, années 50). Doxiadis en 74 (6,2) et Bairoch en 77 (7,9)
n’ont pas imposé leurs vues aux universitaires trop formatés. Aujourd’hui, on estime que s
1500 ans après l’apparition de la première ville dans toute société, le taux d’urbanisation (+
2000 hab) se situait entre 13 et 16 %, le cas en 1800. C’est certes peu (1990 : 68 % dans les
PDEM, 34 % dans le tiers monde) mais permet de corriger pas mal de conclusions infondées.
L’Occident fut-il l’unique grand colonisateur ?
« L’histoire du monde se confond avec celle du colonialisme » : il y avait eu des précédents à
la colonisation européenne : les Empires égyptien, perse, romain, chinois, précolombien,
ottoman. S’ils ont été limités (et encore, comparativement non), c’est parce qu’alors les
technologies l’étaient aussi. Les flux économiques étaient moins intenses, mais le processus
d’acculturation semblable, qu’ils soient plutôt positifs (arabe) ou non (sur l’Amérique latine).
L’Occident fut-il le plus grand marchand d’esclaves ? (qui vient du mot « slave »)
La traite des Noirs par les Européens, commencée au XVI°, se réduisit après 1815 pour
disparaître en 1870 : 10 millions d’esclaves (sans compter les morts à route, 1,5 million). Le
trafic musulman se poursuit du VII° à fin XIet concerne 15 millions de personnes (8 entre
1500 et 1890), dont la plupart n’ont pas de descendants (castration). Il y en eut sans doute
d’autres, mais celui de l’Occident est retenu car celui-ci sut y mettre fin.
2. Quelques tournants historiques généralement passés inaperçus
L’inversion du taux comparatif de croissance de la productivité dans l’industrie et
dans l’agriculture (1950)
Les contraintes physiques et climatiques ont toujours freiné la productivité (≠ rendements qui
désignent la « productivité de la terre ») agricole, le décalage avec l’industrie s’accélérant
avec la RI. Entre 1850 et 1950, les gains de productivité étaient pour l’agriculture de 1,2 %
par an et 1,9 pour l’industrie ; de 1950 à 90, le rapport s’inverse (années 30 aux EU) : 5,5
contre 3,5. Cela explique la détérioration « normale » des termes de l’échange pour
l’agriculture, ainsi que le fait que l’Europe ait cessé ses M de céréales (constante de 1860 à
1983) et les conséquences sur le tiers monde (surplus agricole des PDEM).
Le tiers monde est devenu importateur net de denrées alimentaires et il en est
presque de même pour l’ensemble des produits agricoles
Depuis le XVI°, le tiers monde (y compris l’Asie, malgré un secteur textile exportateur)
exportait surtout des produits agricoles et ces X équivalaient en 1800 à 2,2 à 2,5 fois leurs M
agricoles. De 1830 à 1913, ces produits représentaient 82 % des X du tiers monde. Jusqu’à la
fin des années 40, l’excédent commercial agricole du tiers monde était de 190 %. Mais ces X
ralentirent (hausse du pétrole) alors que la valeur des M croissait : l’excédent disparut début
80, puis leficit s’installa (89), surtout pour le Moyen-Orient (qui compensa grâce au
pétrole) et l’Afrique. Le déficit est encore plus grand en termes caloriques (M surtout de
céréales contre X de produits tropicaux).
Le cas des oléagineux et du sucre : plus d’équilibrage de « l’arme alimentaire »
La D croissant dans les PDEM, l’Afrique devint dès 1850 exportateur d’oléagineux pour s’y
spécialiser. Mais l’excédent de 1,4 million de tonnes en 66 se transforma dès 79 en déficit qui
atteignit 1,4 million de tonnes en 90 et le tiers monde entier serait déficitaire sans la Malaisie.
Pour le sucre, on passe d’X nettes de 12 millions de tonnes en 68 à seulement 4 en 90.
Le coût de production des denrées alimentaires est devenu plus faible dans le monde
occidental développé que dans le tiers monde (entre 1972 et 1978)
Début 50, malgré une productivité 7 fois moindre, les produits agricoles du tiers monde
coûtaient moins cher en raison du coût de la main-d’œuvre (15 à 20 fois moins), contre 36 et
22 à 28 en 1985. Les prix réels diminuant, le tiers monde est un débouché de choix (ainsi plus
récemment que les pays de l’Est). Que reste-t-il alors comme X au tiers monde ?
Expédier du coton dans le tiers monde, c’est comme importer du nougat à
Montélimar
Au XVIII°, l’industrie cotonnière se développa en Europe, la C de coton passant de 4000
tonnes en 1700 à 12 en 1750. Le coton venait juste après le sucre pour les X du tiers monde.
En 1970, les X nettes atteignaient 1 760 000 tonnes, avant de gresser (déplacement des
industries) : en 1980, le tiers monde est en déficit commercial pour le coton.
Le pétrole devient moins cher que le charbon : avantages et inconvénients
Vers 1880, en termes caloriques, le pétrole était 1,7 fois plus cher que la houille. Vers 1950,
les prix réels baissèrent et le pétrole devint moins cher que le charbon qui fournissait 100 %
de l’électricité en Europe occidentale, contre 47 % en 75 (et 36 pour le pétrole). La
dépendance énergétique européenne se développe (58 % en 73, -1 en 37), ainsi que les
automobiles (exode des urbains) et les régions minières se dégradent. Mais surtout
l’instabilité économique s’installe avec deux récessions (75 et 82), l’accélération de l’inflation
(+ 22,9 % en 74 pour les prix de gros) et la hausse des taux d’intérêt (taux d’escompte des
EU : 13 % en 80), d’où les répercussions sur la dette du tiers monde. Le pétrole coûta donc 3
fois plus que le charbon, d’où sa baisse après 83. Le sucre dépend aujourd’hui du prix du
pétrole (si si !).
3. Conclusion : le paradoxe de l’histoire économique, ou l’absence de
lois économiques absolues
Une même politique commerciale peut avoir des conséquences diverses
Malgré des concordances certaines entre croissance et protectionnisme, « le libéralisme peut
être bénéfique » : ainsi du RU en 1846, mais parce qu’il était dominant dans le coton (produit
d’X) et la sidérurgie. La croissance des 50s et 60s est due à la libéralisation des échanges
(moins qu’on le croit, mais un peu quand me !). Mais l’approche libérale est purement
théorique et « anhistorique » et voit l’essor du commerce comme un but en soi égalisant par le
haut les niveaux de développement. Empiriquement, le RU se trompa en conservant en 1906
avec Marshall le libre-échange, son avance s’amenuisant. En 1932 (abandon du libéralisme),
les EU étaient 50 % plus industrialisés que lui (quoique le LE n’en soit pas seul responsable).
Les limites de la stratégie du développement axée sur les exportations dans le tiers
monde : les « quatre dragons » (4 D)
Certes le libéralisme a été bon pour les PDEM entre 50 et 73, mais les pays du tiers monde
ayant appliqué alors des politiques plus libérales que celles des PDEM au XIX°sont des
« quasi-déserts industriels » : la croissance du tiers monde provient de protections favorisant
les substitutions d’M, mais s’est arrêtée après 70 sauf pour les 4 D. La croissance par les X ne
fut possible que dans un nombre limité de pays (4 D : 53 % des X industrielles pour 2 % pop).
Le vainqueur est celui qui ne joue pas le jeu
Début 60s, au moment où se répandit le libéralisme, le Japon n’était pas plus industrialisé que
l’Italie mais était bien plus protégé (barrières non tarifaires), a eu une croissance plus forte et
créé des emplois industriels (alors que 52 % de la perte d’emplois cotonniers en GB entre 50
et 70 s’explique par l’évolution de la structure des échanges extérieurs) jusqu’en 90, rattrapant
l’industrialisation occidentale en 73. Son excédent industriel * 12 en volume entre 65 et 90.
Mais Eva Ehrlich souligne que l’éthique du travail est un facteur majeur de croissance.
Six faits indiscutables de l’histoire du XIX° siècle illustrent les bienfaits du
protectionnisme :
La (TRES) grande dépression, plus profonde que celle des 30s, à l’apogée du libéralisme
La régression des échanges internationaux en volume entre 1870 et 1890
Les EU protectionnistes ont connu la période la plus prospère de leur histoire
La reprise (et celle des échanges !) s’engage dans une politique protectionniste
Les théories libérale et protectionniste avaient tort, l’agriculture avait besoin de protection
L’ouverture du tiers-monde fut une cause majeure de son non-développement
Le bilan économique du colonialisme est difficile à établir
Les pays pauvres ne l’étaient pas plus que l’Occident avant 1700 (pas de retard initial)
Les termes de l’échange du tiers monde se sont améliorés entre 1890 et 1930
L’absence de décélération démographique handicape le tiers monde
Les M alimentaires du tiers monde ne sont pas dues aux X de produits tropicaux
L’X de produits primaires n’est pas une voie vers le sous-développement
Les krachs de 1929 et 1987 et les modifications structurelles
Le krach de 87 ne fit pas disparaître la croissance (3,1 % pour l’OCDE), ce dont la Fed fut
félicitée : elle aurait paré « à la déflation en évitant les erreurs des années 30 »
1
. Mais la PA
(OCDE) était en 87 à plus de 60 % tertiaire, contre 33 % en 1930, d’où plus de stabilité la
hausse comme à la baisse) du chômage. Les prestations sociales sont passées de 4 % à 30 %
du PNB. Entre 50 et 90, le PNB/ hab d’Europe occidentale *3,6 (3,2 entre 1750 et 1949).
Avec l’ex-URSS, la planification a échoué. Certains économistes « font preuve d’une grande
ignorance de l’histoire » (thèse partagée par Galbraith). L’histoire moderne est discontinue. Il
n’existe pas de loi en macroéconomie (ni sans doute en micro) : « je doute qu’un tel Homo
œconomicus ait jamais existé ». Les attitudes et comportements humains changent. Les
économistes devraient profiter des expériences historiques (et vlan dans la gueule !)
Je reproduis intégralement l’excellente (car très facile !) définition que Bairoch donne des
aspects négatifs de la colonisation :
- Tentative d’imposer par la persuasion ou par la force (ou par un mélange des deux) la
civilisation (religion et langue) de la puissance coloniale aux habitants des colonies
- Application d’un certain nombre de règlements tendant à subordonner les intérêts
économiques et politiques des colonies à ceux des puissances coloniales
- Discrimination à l’encontre des habitants des colonies et en faveur des métropolitains sur
la base de la race, de l’origine ou de la religion.
1
Editorial de The Economist
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