Krugman (Paul), La Mondialisation n'est pas coupable
Note sur l'auteur
Paul Krugman (né en 1954) ancien professeur au célèbre MIT, aujourd'hui enseignant à l'université de
Stanford, est un éminent spécialiste du commerce international. En 1994, alors que l'Asie connaît une
prospérité qui semble durable, il annonce la chute économique de la région devant un public alors très
sceptique. Trois ans plus tard ses prédictions se révèlent être d'une justesse déconcertante. Depuis il
s'efforce de vulgariser les théories du commerce international et notamment les effets de la
mondialisation. Il a conseillé le Président Clinton avant de prendre ses distances récemment. Pour cet
économiste inclassable (il se prétend « liberal » au sens américain du terme, d'autres voient en lui un
éminent néo-keynésien), le libre-échange est bénéfique mais il a des limites. Iconoclaste, Paul
Krugman milite actuellement pour le retour d'une faible inflation (entre 3 et 4%) ;à ce sujet il faut
consulter un article décapant publié dans L'Expansion n°. Il est l'auteur de Pop Internationalism mais
surtout d'interventions et d'articles très remarqués (dans Foreign Affairs par exemple) .
Thèse de l'auteur
S'opposant aux idées reçues d'un commerce international qui se réduirait à une lutte pour la conquête
d'un marché mondial, Krugman défend le libéralisme tout en montrant ses imperfections. Reprenant
les théories de Smith, Ricardo ou du trio Heckseker-Ohlin-Samuelson il démontre que la spécialisation
et l'échange permettent une augmentation du niveau de vie des populations concernées. Mais dans
certaines situations très particulières et peu nombreuses (l'auteur prend l'exemple de l'aéronautique)
l'intervention de l'état peut être bénéfique. En fait, tout l'objet de l'ouvrage de Krugman est de montrer
l'efficacité du libre-échange tant qu'il s'inscrit dans le respect d'une concurrence loyale. Par ailleurs, il
montre qu'il ne faut pas voir dans la mondialisation l'origine du chômage de masse. Le chômage
dépend de la croissance qui, elle, se trouve sous l'influence directe des taux d'intérêts et de
l'innovation. La mondialisation n'est donc pas coupable.
Résumé de l'ouvrage
Paul Krugman s'oppose, en introduction, à l'idée qui voudrait que l'économie soit une «compétition
darwinienne ». Une telle idée n'est pas digne d'un économiste qui se respecte (L.Thurow, I.Magaziner
et R.Reich sont ici explicitement visés). La mondialisation n'est pas coupable, qui rassemble des
articles et des interventions de l'auteur, s'ouvre sur une explication de la division du travail, tout
comme Smith dans La richesse des nations. La comparaison peut paraître osée mais elle se justifie:
Smith et Krugman désirent convaincre leurs lecteurs du bien fondé fondamental de l'échange.
1. Un monde à somme nulle ?
L'auteur dénonce l'obsession de la compétitivité et surtout le concept de compétitivité nationale.
Comment mesurer une telle notion ? Par la balance commerciale ? Non, un solde négatif des
échanges extérieurs peut signifier une bonne santé insolente (cf les USA). En effet, si l'économie
européenne est forte elle dopera la croissance mondiale. Ainsi, aujourd'hui les Etats-Unis soutiennent
l'activité des pays européens; le déficit de la balance courante américaine est un signe de bonne
santé. Ce que Krugman nomme le Pop internationalism confond donc, selon lui, compétitivité et
productivité, produits High Tech et produits à forte valeur ajoutée, puissance économique et prestige.
Le chiffre d'affaire importe moins que la valeur ajoutée; « la croissance de l'emploi ne s'explique pas
par la capacité des Etats-Unis à vendre leurs produits sur les marchés mondiaux ». Ainsi, la politique
volontariste du commerce extérieur est largement surestimée…aux dépens du niveau des taux
d'intérêts ou de l'inflation.
De même, Krugman explique la faible responsabilité de la mondialisation dans la baisse des salaires
réels des travailleurs américains les moins qualifiés. Les pertes dues à la désindustrialisation
imputable à la concurrence étrangère seraient inférieures à 0,07% du revenu national ; ce qui est
négligeable. L'auteur infirme donc la thèse selon laquelle la concurrence du tiers-monde menacerait le
niveau de vie des pays développés, et cela d'autant plus que la baisse des coûts des produits
manufacturés par les délocalisations permet une hausse du pouvoir d'achat dans les pays
consommateurs. Le vrai danger vient de l'illusion d'un conflit économique; certaines personnes qui se
disent économistes (Paul Kennedy) ont tendance à confondre avantages absolus et comparatifs (il
vaut mieux se spécialiser là où on est le moins mauvais et échanger le reste de la production), à
ignorer Ricardo et rester à Smith.
2. La théorie économique pour le pire et le meilleur
Tout d'abord, l'auteur veut mettre fin au mouvement actuel qui tend à comparer l'état et l'entreprise.
Leurs buts diffèrent; l'état vise au bonheur et la sécurité de ses membres alors que l'entreprise
capitaliste maximise l'utilité de ceux qui la possède. Par ailleurs, la concurrence internationale ne met
pas les états en faillite si leurs entreprises manquent de compétitivité, d'autres facteurs tels que la
croissance ou le progrès technique sont à prendre en compte. D'autre part les avantages comparatifs
montrent que le commerce entre deux pays relèverait plutôt les niveaux de vie (théorème d'HOS
aboutit à terme à une égalisation du prix des facteurs). Toute la question est de savoir si l'avantage
comparatif est créé ou subi. Dans certaines circonstances les pays peuvent prendre la direction d'un
secteur de manière à permettre la naissance d'une industrie, et d'un avantage comparatif. Krugman
réintroduit en cela paradoxalement l'école historique allemande de F.List : l'Etat protège un futur
avantage comparatif.
Cette seconde partie se termine par un chapitre intitulé : « ce que tout étudiant doit savoir sur le
commerce international » où il rappelle que les 2/3 de la VA américaine est constituée de biens et
services non exportables, et que l'emploi dépend à court terme de la demande solvable et à long
terme de facteurs structurels (progrès technique, productivité…).
3. Le monde émergent
Pour Krugman la prospérité ne se limite pas à une simple addition marchés libres + monnaie saine (
ce qu'il nomme en toute ironie « la sagesse dominante »). La crise du SME en 1992 a montré qu'une
dévaluation pouvait être bénéfique: l'accrochage autour du DM des autres monnaies européennes
alors que les taux d'intérêts étaient élevés (le coût de la réunification) a généré un chômage
conjoncturel considérable début 1993. Quant à l'ALENA, même si cet accord à l'avantage d'élargir le
marché américain au Canada et au Mexique, c'est avant tout une question de politique étrangère sans
effet notable sur l'économie.
A contrario, la libéralisation dans les pays en voie de développement a attiré des capitaux et permit le
fameux miracle asiatique. Miracle que P.Krugman sera le premier à relativiser dans un article devenu
célèbre. A partir de 1993, l'auteur définit la croissance asiatique comme extensive: elle mobilise
beaucoup de facteurs (capital et travail) sans pour autant améliorer le rendement de ces facteurs de
production (rendements qui deviennent décroissants), d'où un ralentissement dans la croissance.
L'auteur termine par une analyse très personnelle et assez originale du progrès technique. Dans un
premier temps les emplois les moins qualifiés sont les plus touchés d'où un développement des
inégalités. Mais avec le temps les ordinateurs progressent et deviennent capables de tâches plus
complexes, la machine pourrait donc bientôt remplacer des cadres. Krugman prédit ainsi que « l'ère
de l'inégalité cédera sa place à une ère d'égalité ».
Epilogue: le libre-échange est-il dépassé ?
Krugman reconnaît qu'en théorie l'interventionnisme peut s'avérer efficace dans certains cas, mais ce
dernier comporte des difficultés de chiffrage. De plus l'interventionnisme est souvent le résultat d'un
lobbying efficace, ce qui écarte les entreprises les plus faibles (et celles qui auraient le plus besoin
d'aide) au profit des plus influentes. Tout interventionnisme contient, en outre, un risque de
représailles d'où un surcoût. Le libre échange n'est pas supérieur parce que les marchés sont
efficaces mais parce que les gains d'une intervention de l'état sont faibles.
Commentaires sur l'ouvrage
P. Krugman a repensé et renouvelé les théories du commerce international. Il apporte un modèle
cohérent où le libre-échange est la condition efficace mais où l'innovation et les rendements d'échelles
sont incorporés. L'ouvrage de Krugman est très convaincant, sans pour autant tomber dans la
propagande (la mondialisation n'est pas heureuse comme chez A.Minc mais elle n'est pas coupable
non plus). Les exposés théoriques sont clairs et le souci pédagogique évident. Il reconnaît des limites
au libre-échange tout en critiquant avec férocité l'interventionnisme commercial des administrations
occidentales.
Toutefois, il semble que son analyse de la crise asiatique ne prenne pas assez en compte un élément
fondamental de la question : la panique des investisseurs étrangers. Comme l'a montré J.Sachs les «
fondamentaux » de l'économie asiatique restent bons depuis 10 ans: éducation, inflation,
croissance… Le sentier de croissance des pays de l'Asie du sud-est est resté le même, le
ralentissement de1996 n'était que passager. En fait, la faute incombe aux investisseurs étrangers qui,
en se retirant brutalement, ont fait chuter la monnaie et donc explosé l'endettement de ces pays, car
libellé en dollars. D'où la nécessité d'une dévaluation.
En outre, l'analyse d'un progrès technique initiant l'égalité me paraît hors de propos. Les «
manipulateurs de symboles » (R.Reich) ne peuvent être absent du processus de conception.
Autrement dit, la matière grise n'est pas remplaçable. Certes l'informatique va progresser, mais toute
l'innovation est effectuée par des hommes ; et des hommes qui ne seront pas touchés par un
chômage technologique. Il en est de même pour le secteur du divertissement : comment remplacer un
présentateur vedette de la TV. Pour le reste les théories de Krugman complètent les raisonnements
de Ricardo tout en réhabilitant modestement F.List : c'est un véritable exploit sur le plan théorique !
Mais la réalité est plus difficile à cerner, à savoir que tous les états cherchent à protéger leur
économie que ce soit par des règlements (type normes européennes ou section 301 américaine)ou
par la monnaie (une sous évaluation est une forme de protectionnisme pour M.Allais). D'ailleurs
Krugman souscrit-il pas lui-même à un « libéralisme ordonné » ?
En libéral de raison, l'auteur inaugure une nouvelle école de la pensée économique, un courant qui se
veut moins dogmatique et plus réaliste. Krugman se définit comme un libéral par raison, qui a
abandonné toute position idéologique pour mieux appréhender la complexité de la réalité. L'ouvrage
est donc salutaire.
effets du Progrès
Tehnique sur l'emploi
à court terme
à long terme
sur le volume de
l'emploi
le Progrès technique
(dans sa dimension
"procédé de
fabrication"
notamment) a un effet
négatif. On doit
cependant nuancer le
propos en tenant
compte de la relation de
Fourastié.
le Progrès technique
(dans sa dimension
"nouveau produit"
notamment) a un effet
positif sur l'emploi. on
mentionnera ici l'effet de
déversement (d'A.
Sauvy). On pourrait
évoquer également le
rapport entre hausse de
la productivité, hausse
de la compétitivité
notamment structurelle
et créations d'emplois.
sur la nature des
emplois
le progrès technique a
plutôt tendance à
supprimer des emplois
peu qualifiés, plus
facilement substituables
que le travail
"intellectuel", qualifié.
Se pose alors l'enjeu de
la reconversion, la
formation continue
pour éviter le
chômage.*
le progrès technique
affecte les conditions de
travail de façon
complexe. il a tendance
à transformer les
contraintes qui pèsent
sur le travailleur
(exemple : de la
contrainte de la machine
à celle du client). Il
contribue également au
phénomène de
tertiarisation .
* additif : P. Krugman, dans "la mondialisation n'est pas coupable" La Découverte 1998, met
en cause un certain nombre d'idées reçues.
Par exemple, sur la relation entre progrès technique et essor de l'emploi qualifié au détriment
de l'emploi non qualifié (la revanche de la technologie p. 183) ; il est estime qu'effectivement
"depuis 1970 le progrès technique a augmenté la prime que le marché donne aux travailleurs
hautement qualifés". Et ce n'est pas là, la conséquence de la mondialisation. Selon lui cette
tendance tient à l'évolution de la façon dont nous produisons et notamment l'usage de plus en
plus important de l'ordinateur "la moitié de l'augmentation de l'écart en faveur des diplômés
de l'enseignement supérieur au cours des années 80 s'explique par l'utilisation croissante de
l'informatique" p. 190. Et cette tension sur l'emploi qualifié aujourd'hui est telle que les
inégalités de salaires sont réorientées à la hausse. et voici une autre conséquence du Progrès
technique ; celui ci accroît aujourd'hui les inégalités de revenus.
Cependant P. Krugman considère que ce qui se produit aujourd'hui ne va pas nécessairement
perdurer p. 192. Il estime que le progrès technique n'augmente pas nécessairement le travail
qualifié. Il a donc une vision différente du futur. La technologie devient conviviale, les
logiciels deviennent tellement puissants qu'ils ne nécessitent plus de qualification poussée. La
technologie se concilie à nouveau avec des qualitifications individuelles moindres. Il va plus
loin, la machine ne remplacera jamais " le bon sens humain nécessaire à l'accomplissement de
tâches dites simples". p. 194. En écho, il croît dans le développement des services aux
particuliers (jardinage, ménage ...) et dans les créations d'emplois peu qualifiés qui s'en
suivraient. Il insiste : "l'ère de l'inéglité croissante et de la dévaluation du travail ordinaire
n'est qu'une phase transitoire" p. 194. on en tire l'idée que l'effet du progrès technique sur
l'emploi non qualifié est différent selon les secteurs. Il a tendance à détruire des emplois non
qualifiés dans l'industrie alors qu'il s'accompagne d'une croissance de ce type d'emplois dans
les services. (si ce n'est pas du déversement, çà y ressemble .!! )
Résumé :
La mondialisation n'est pas coupable est incontestablement l'un des meilleurs essais
économiques que j'ai jamais lus. Et avant que quiconque m'accuse d'encenser Krugman,
permettez moi de présenter ses arguments. Ceux-ci sont clairs, par définition faciles à
comprendre, et démolissent bien des idées reçues.
Il est courant d'affirmer que le protectionnisme est une façon de protéger efficacement une
économie tout en lui donnant les moyens de se développer. C'est ainsi que Carey, qui il y a un
siècle était libre échangiste, fut converti au protectionnsime lorsqu'il vit que l'instauration de
celui-ci fut positif à la croissance de son pays. Mais ceci était valable dans un régime de
changes fixes, c'est à dire de devises liées entre elles par un taux de change constant. Dans ce
système, il est en effet incontestable qu'une plus grande productivité globale d'un pays
concurrent amène la faillite des industrie de ses voisins. Cela a par exemple été le cas pour les
pays colonisés (une monnaie unique étant l'équivalent d'un taux fixe)
Toutefois, l'effondrement du système de Bretton wood et du système monétaire européen a
provoqué la mise en place d'un système de changes flottants. Dans ce système, la fluctuation
de ce taux élimine les différences de productivité globale entre les nations. En effet, deux pays
à productivité différentes d'un facteur 2 (1 contre 1/2) auront des taux de change de 2 contre 1
puisque l'offre et la demande de biens passant sur le plan international par l'échange de
devises fera que des produits plus onéreux seront moins demandés, donc la monnaie des pays
les fabriquant perdra de la valeur par rapport aux autres. C'est pourquoi Krugman affirme qu'il
n'y a pas de différences de compétitivité des nations, et réfute l'analogie souvent faite entre les
entreprises et les pays. Si une entreprise doit être plus productiviste que ses concurrentes, un
pays lui n'a pas ce problème à cause de son taux de change.
Il est intéressant de noter qu'à la sortie de ce livre, Lester Turrow, qui a écrit : Face à face, la
future bataille économique entre le Japon, les Etats-Unis et l'Europe, a anoncé vouloir dire
cela dans le livre cité précédemment. Or son livre ne parle que de compétitivité, de
productivité, de la bataille économique mondiale perdue d?avance par les Etats-Unis, etc.
Incapable de répondre aux arguments de Krugman, elle a concédé que le problème de
compétitivité n'explique que 8 % des problèmes des pays en voie de développement. Ces 8¨%
représentent en fait les rares cas où Krugman reconnait la nécessité du protectionnisme : le cas
des industries à rendements croissants (c'est à dire les industrie où il y a de lours frais
premiers d'installation, comme l'industrie aéronautique), où les capitaux de démarrages sont
considérables et ne peuvent être amenés que par les Etats. De plus, dans quelques rares cas de
crises économiques, où la dette en dollar peut exploser mais peut être limitée si l'on importe
moins de marchandises étrangères.
La mondialisation n'est pas coupable est un livre qui enfin est très clair, pédagogique :
Krugman, d'ailleurs, indique avec un peu de vanité, mais on peut le dire sans prétention, qu'il
a aussi démontré que les économistes pouvaient écrire.
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