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Module 1 octobre/décembre 2002
M Rizoulières
La durabilité
Selon certains auteurs, la notion de développement et celle de durabilité sont antinomiques.
Durabilité : pistes pour réinsérer l’économie dans la société civile, en tenant compte de toutes ses
formes sociales et de la dimension écologique.
Plan du cours :
I Conditions du décalage entre l’économie et la société : voir comment il s’est opéré.
Les éléments de séparation entre l’économique et le politique sont apparus avec la montée du
libéralisme au XVIIIème siècle.
L’économique va produire tout un ensemble de concepts qui se renforcent les uns les autres et
faussent les rapports de l’homme avec la nature.
Trois concepts de base : besoin, rareté, travail.
Des critiques apparaîtront plus tard sur la base de ces concepts :
Ex : l’anthropologue Pierre Clastres notamment dans son ouvrage « la société contre l’Etat » (étude
du besoin et de la rareté) ; le mouvement anti-utilitariste ; Louis Dumont.
II Développement durable :
Tentative de réconcilier l’économique, le social et l’environnement.
1-Conditions d’émergence de cette notion.
2-Critique : Serge Latouche.
III Dimension territoriale de la durabilité :
1-Loi Voynet : a renforcé la prise en compte du développement durable dans l’économie, avec le
concept de Pays, qui s’articule avec d’autres territoires.
2-Politiques urbaines : elles sont le vecteur privilégié de l’expérimentation de nouveaux modèles.
a) Prospective urbaine.
b) Exemple des temps à l’intérieur de la ville (« bureaux des temps » : repositionner la sphère
économique, sociale et culturelle).
Introduction : repères pour comprendre à quel point l’économique s’est séparé du social et de
l’écologie .
Il y a eu remise en cause globale de la toute puissance de l’économique et de l’auto-régulation par le
marché. Cette remise en cause est née de constats forts et violents. Les déséquilibres et inégalités se
creusent. Du point de vue de l’écologie, la représentation à l’échelle humaine de la somme des
modifications par rapport à la nature n’est pas mesurable.
Indicateurs :
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Croissance économique : ce modèle de développement montre de plus en plus ses limites,
quant à la répartition des richesses. Aujourd’hui, les pays les moins avancés sont passés en 30 ans
de 25 à 49. De plus, les situations sont très disparates entre ces pays (il faudrait même créer des
sous-classes).
Attribution des aides : depuis les années 60, 1000 milliards de dollars ont été dépensés dans
l’aide publique au développement (en tenant compte des remboursements de la dette, cela atteint des
sommes considérables).
la libéralisation commerciale a contribué à une dégradation des économies de beaucoup de pays
en voie de développement. Elle les a exposés à l’incertitude des marchés internationaux.
Des prix Nobel (ex : Joseph Stiglitz) reconnaissent qu’il est faux de dire que les pays en voie de
développement profitent de l’intégration économique.
Causes : les pays en voie de développement ont dévelopdes activités la valeur ajoutée est
assez faible. Les fluctuations sur les marchés créent des tensions importantes. De plus, les pays
industrialisés ne jouent pas le jeu au niveau alimentaire.
Ex : certains pays africains ont développé les activités de coton. Les USA ont décidé de subventionner
le coton américain.
Ex : tous les produits de la Politique Agricole Commune vont être libéralisés d’ici 2007 (les
subventions vont s’arrêter) sauf l’huile d’olive, qui ne fait pas partie des accords. Or 70% des recettes
d’exportation de la Tunisie viennent de ce produit.
PNB mondial : il a été multiplié par 16 depuis le début du XXème siècle, mais il n’a pas crû de
manière uniforme.
Au regard de la répartition de la croissance économique, on constate des chocs : en 2000, les
échanges mondiaux de biens et services ont atteint 7,6 milliards de dollars. Ceux du commerce
équitable se sont élevés à 400 millions.
Population : en 1998, 20% de la planète vit avec moins de 1 dollar par jour. Environ 40% de la
population mondiale vit avec moins de 2 dollars. Cela représente 50% de plus qu’il y a 20 ans.
OCDE : ces disparités de revenus sont beaucoup plus prononcées aujourd’hui qu’au début du siècle.
L’écart entre les 5 pays les plus riches et les 5 pays les plus pauvres était de 3 contre 1 en 1820. Il est
de 72 contre 1 en 2001. 20% des habitants consomment 80% des ressources communes. 20 pays
représentent 81% du PIB de la planète.
Même des entreprises, pourtant assez peu centrées jusque sur l’intérêt général, commencent à
comprendre que ces contrastes ne sont plus acceptables (leurs futurs marchés pourraient être
hypothéqués par la dégradation de l’environnement).
Sommet du « millénium » : 149 pays, le FMI et l’OCDE se sont fixé pour objectif de réduire la pauvreté
de moitié d’ici 2015.
Représentation des pays en voie de développement : ils sont sous-représentés dans les institutions.
Selon les discours convenus, « les pays en voie de développement doivent concevoir leurs propres
programmes et faire leurs choix ». En réalité, ils sont sous-représentés dans les négociations
internationales. L’Europe, qui est la première puissance commerciale mondiale et la première
contributrice à l’aide au développement dispose de voix de votes supérieures aux autres régions du
monde. Le problème de l’Europe, c’est qu’elle ne parvient pas à parler d’une seule voix. Elle a
pourtant un pouvoir beaucoup plus important que les USA, notamment aux Nations-Unies (de plus, les
USA ne payent pas leur participation).
Au sein même des pays industrialisés, les écarts entre les populations s’accroissent. Les inégalités se
sont creusées très profondément entre 1980 et 1990.
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En France, le niveau de vie, l’espérance de vie et la scolarisation avaient véritablement progressé
avant 1980. Aujourd’hui, les disparités ont recommencé à s’accroître entre les revenus les plus forts et
les plus faibles. 1% des français les plus riches possèdent 15 à 20% du patrimoine du pays.
Ces disparités s’accroissent très fortement à l’intérieur même des territoires. Cela met en doute
l’équilibre républicain et l’égalité des chances devant la santé, l’école. La promotion sociale a
tendance à reculer. En 1965, l’accès des classes modestes aux grandes écoles (ENA, Normal Sup)
était de l’ordre de 15,4 %. Il représentait 7,1% en 1993.
Population mondiale : 2,5 milliards il y a 50 ans. On l’évalue entre 8 et 9 milliards en 2050. Le
problème de la surpopulation vient surtout de la mauvaise répartition de la population sur l’ensemble
des territoires.
Forêts : la moitié ont été détruites au cours du siècle dernier. A chaque minute, 26 hectares de
forêts disparaissent. Il semblerait que la déforestation ralentisse mais c’est surtout parce que
beaucoup de pays ont des problèmes économiques et ont donc moins besoin de bois.
La déforestation par an est l’équivalent d’un quart du territoire français.
Pêche : c’est un des secteurs les plus menacés aujourd’hui, à cause de la surexploitation due
aux moyens technologiques avancés.
Il y a donc une désegmentation très forte entre la sphère de l’économique et du social, et une
distorsion entre la sphère économique et environnementale en raison de la surexploitation.
Il faudra faire une déconstruction des trois concepts de base pour comprendre l’origine du décalage,
et envisager les pistes des nouveaux utopistes du développement durable.
Aujourd’hui, l’objectif est de trouver la voie médiane entre les trois sphères : l’économique, le social et
l’environnement. La durabilité se situe à l’intersection.
Il faut travailler sur ces trois sphères en même temps.
C’est un défi par rapport à la mixité sociale actuelle et intergénérationnelle.
Beaucoup d’analystes pensent qu’il n’est pas trop tard. L’effort commence à payer dans le domaine
de l’environnement. Dans certains territoires, des projets de territoire réussissent (ex : Parcs naturels).
Il existe une forte mobilisation du côté de l’environnement.
I - Conditions du décalage entre l’économique et la société :
La théorie économique s’est affirmée au fur et à mesure de sa construction en tant que discipline
scientifique. Elle a revendiqué son autonomie. Pour cela, elle a essayé d’identifier des caractéristiques
universelles.
Pour les auteurs critiques de l’économie politique, l’économie possède un argument de poids : pour
eux, elle est pensée comme autonome car elle repose sur un réseau fermé et cohérent de
représentations qui se renforcent mutuellement.
Les représentations sont les concepts-clé : besoin, rareté, travail (transformation de la nature pour
satisfaire les besoins naturels), production, revenus, consommation.
Tous ces concepts ont dessiné un système clos de significations sans une véritable ouverture sur
l’extérieur. Ces concepts ont d’autres significations chez les anthropologues, par exemple. Ils n’ont
rien d’évident. Leur mise en place ne relève pas de critères universels. Les historiens du capitalisme
(ex : Karl Polanyi) ont montré que la mise en place et l’inter-relation de ces concepts est le résultat
d’une très longue histoire. On peut les dater historiquement et les insérer dans une culture particulière,
souvent associée à l’Occident.
1 La séparation de l’économique et du politique :
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Premiers auteurs : les mercantilistes au XVIIème siècle (Bodin, Richelieu, Colbert. Le mercantilisme
s’annonce dès le XVème siècle et s’efface au XVIIIème siècle avec la révolution industrielle. Cette
doctrine est liée aux théories monétaires) et les physiocrates (Quesnay : il a mis en place la
comptabilité nationale et a étudié le mécanisme de l’impôt) au XVIIIème siècle : pour eux, l’Etat était
en corrélation avec l’intérêt individuel. Ces auteurs mélangeaient sans problème les phénomènes
économiques et politiques. Les phénomènes économiques étaient perçus par eux du point de vue de
la politique.
Selon ces auteurs, la finalité est davantage la prospérité et le pouvoir de l’Etat que la recherche d’un
bien être individuel.
Ils sont centrés sur l’impôt, conçu comme un impératif de paix sociale. A cette époque, la création de
richesse se fait dans et pour la nation. L’Etat est l’autori chargée de défendre les intérêts de la
nation et donc, implicitement, d’encourager, de stimuler la production de richesses.
L’économie devient politique au sens libéral : elle est étendue à tout l’horizon des individus. Dans la
deuxième moitié du XVIIIème siècle, les rapports entre l’Etat et l’individu vont devenir progressivement
antagonistes. Le problème sera de réduire les prérogatives de l’Etat pour faire place à l’intérêt
individuel comme étant seul repère.
La réflexion sur l’Etat dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle va évoluer en deux temps :
- Opposition entre l’espace public et l’espace privé (espace politique et économique) : cette
opposition va retracer le renversement des hiérarchies sociales. On passe du triptyque clergé-
noblesse-travailleurs, à une nouvelle hiérarchie représentant les fonctions économiques
(l’éthique protestante a beaucoup joué dans la transformation des valeurs cf Marx Weber).
Ce n’est plus la propriété ou le titre qui importe, mais la fonction économique vis à vis de
l’enrichissement de la nation. Ce sont bien des liaisons fonctionnelles entre les individus dans
l’échange et la production de richesse qui deviennent le centre de la vie économique. Le
renversement se fait en faveur des travailleurs.
- L’Etat national, le gouvernement, va être progressivement considéré comme subordon
dans le mécanisme des échanges. On ne pourra penser cet Etat que comme un défenseur
des valeurs de marché qui lui sont au dessus : l’Etat doit garantir que la concurrence soit
assurée.
Ce mouvement de la pensée ne peut être isolé du reste de la société. On doit le relier à la philosophie
libérale et individualiste. Le libéralisme n’est pas une théorie économique. On ne peut non plus
comprendre son développement sans le relier à la philosophie des Lumières. Cette philosophie
considère la Raison critique comme principe unificateur du savoir. Le libéralisme amènera la pensée
économique à considérer l’individu comme unité de base.
La philosophie des Lumières apportera le principe de rationalité.
Proposition de base du Libéralisme : l’homme existe seul, dans son opposition à la nature, mais aussi
à l'égard du reste de la société. A partir de là, la question qui se pose est de savoir comment il peut
survivre dans un état de guerre permanent.
La réponse se situe à deux niveaux :
- Bien sûr, l’homme existe seul, mais il possède des attributs particuliers, que sont ses
capacités productives, ses besoins, ses goûts. Les individus étant différents les uns des
autres, ils pourront échanger des choses différentes.
- L’opposition au reste de la société va fournir une réponse quant à la survie de l’homme :
pour les auteurs libéraux, c’est la rareté de la nature qui le met en concurrence avec ses
semblables. C’est parce que cet état de guerre permanent existe qu’il y aura une
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neutralisation dans les sociétés « civilisées » par le marché, mécanisme de gouvernement qui
fait que cette opposition fondamentale entraîne le progrès général de tous.
Cette forme de pensée se focalise sur les rapports de l’individu avec le reste de la société, et sur
l’importance de l’Etat, mais uniquement parce qu’il établit des lois, des règles de comportement
destinées à éviter le déchirement du corps social. Cette philosophie libérale reste une vision
désespérée du monde.
Dans ce modèle, l’homme est séparé de ses semblables par ses propres attributs, par ses propres
intérêts, mais surtout, il n’existe que par ses fonctions. L’homme devient un être seulement matériel
qui peut être considéré comme la somme de ses nécessités. Cette philosophie, profondément
matérialiste, réduit l’être humain à tout ce qui est hors de la spiritualité et de la psychologie. C’est une
philosophie qu’on peut qualifier d’atomiste.
A partir du XIXème siècle, on va voir apparaître une segmentation entre l’économie et la sociologie :
l’économie va se centraliser sur l’individualisme et la sociologie sur l’aspect holiste.
Ex : la valeur : pour l’économiste, la valeur d’une chose dépend de sa fonction dans la société. Pour la
sociologie, on ne peut penser un objet seulement en fonction du besoin auquel il répond, et
indépendamment de sa fonction sociale (ex Baudrillard : l’objet est profondément un signe).
Hayek refuse complètement l’interventionnisme de l’Etat qui, selon lui, ne représente que des intérêts
catégoriels qui créent des distorsions par rapport à la vie économique. Hayek rejette le planisme.
Il n’existe donc pas une seule forme de libéralisme.
La séparation entre l’économique et le politique fait partie du raisonnement des philosophes libéraux
pour concilier la satisfaction de l’intérêt individuel et l’intérêt de tous. Ils vont tenter de montrer
comment l’individu peut cohabiter avec la société sans compromettre ses buts propres.
En fait, le libéralisme est fondé sur l’idée qu’il y a de bonnes et de mauvaises passions. Certaines
peuvent mettre en péril la société civile.
A Smith va avancer que le seul contrepoids naturel pour l’ensemble des passions, c’est toujours
l’avarice. Ce vice, cette soif illimitée de possessions va être la piste pour trouver par quel moyen les
individus vont pouvoir coexister. Si l’Etat intervient, il ne représentera qu’une seule catégorie
d’individus. Il ne pourra donc neutraliser qu’une certaine partie des mauvaises passions.
De manière paradoxale, si la solution ne peut venir de l’Etat, il faut laisser libre-cours à l’avarice, dans
une société ouverte, parce qu’ainsi, l’individu se trouve naturellement limité par les mêmes appétits
que les autres individus.
Finalement, l’individu canalise sa soif illimitée dans l’activité de travail, et dans la pratique de
l’échange monétaire, le marché. Pour comprendre la neutralisation de la soif illimitée, il faut réinsérer
le calcul rationnel. C’est parce que l’individu est rationnel et qu’il cherche à maximiser son intérêt, qui
est pécuniaire, et en participant à l’échange, qu’il s’aperçoit que le gain est supérieur à ce qu’il aurait
pu obtenir si le marché n’existait pas.
La recherche du gain monétaire passe par le fonctionnement des mécanismes de marché. Le marché
devient le mécanisme universel qui fonde le rapport social.
Les libéraux fondent la société sur ce principe universel qu’est l’avarice, et sur le mécanisme universel
de marché. On peut donc trouver un mode de régulation des conflits par le mécanisme des marchés.
Il faut prendre en compte deux éléments pour expliquer comment évacuer ou limiter les conflits :
- L’avarice est une passion universelle qui agit en tous temps, en tous lieux et sur tout le
monde. De ce point de vue, tous les individus sont égaux et peuvent être comparés.
- Puisque cette passion est universelle, le gouvernement des hommes peut être prévisible.
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