Dire pour lire et interpréter
La démarche
Il est intéressant pour les élèves de faire travailler le théâtre comme une
discipline artistique qui met en jeu l'intelligence mais aussi la sensibilité,
l'imaginaire, la mémoire... Il est nécessaire de regarder ensuite ce que ce travail
artistique peut permettre dans le domaine de la langue. On se rend compte que
lorsque des enfants lisent un texte après l'avoir joué, ils le comprennent de
l'intérieur, car ils sont "entrés dedans".
On travaille alors sur la relation de l'élève au livre en préparant la rencontre
entre le lecteur et le texte. Cela revient à mettre en chantier l'imaginaire d'un
élève pour que son imaginaire puisse rencontrer celui de l'auteur et qu'il y ait
réciprocité.
Il est intéressant de travailler sur la mise en voix d'un texte avec une légère
mise en espace car l'enseignant gagne à être lui-même passé par ce cheminement
avant de le proposer à des élèves. Il n'est pas facile de se présenter devant un
groupe et de "dire". Il est donc indispensable pour les enseignants de se trouver
parfois dans la situation qu'ils installent en permanence pour les élèves.
Cette mise en pratique se déroule en trois étapes :
- Proposition de fragments de texte répartis sur plusieurs groupes pour
permettre des lectures différentes sans indications, volontairement.
- Une activité décrochée de travail sur la diction
- Retour au texte de départ avec de nouveaux outils pour qu'il soit parfaitement
dit.
Les activités proposées s'appuient chaque fois sur un texte différent, choisi
pour le travail qu'il permet sur le matériau lexical, mais aussi et autant pour un
implicite aisément repérable, susceptible d'alimenter la lecture interprétative.
Mémorisation collective
Mémorisation collective d'un fragment de pièce de théâtre à partir d'une
mise en espace
Improvisation autour de deux répliques de la pièce de théâtre de Philippe Dorin
Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu.
Le groupe est partagé en quatre petits groupes de deux à quatre.
Chaque petit groupe reçoit un passage court et dense, dont les autres groupes
n'ont pas connaissance. Deux groupes se retrouvent donc sans le savoir avec le
même fragment. Cela permet de découvrir, au moment de la présentation des
improvisations, des lectures plurielles d'un même passage.
Chaque participant choisit une phrase et est invité à l a mémoriser.
Travail en petits groupes. Préparer une mise en espace dans la classe avec la
charge de se répartir l'ensemble du passage. Présentation.
La décontextualisation des passages permet de garder l'apport d'un texte
d'écrivain, la force de ses mots, et rend possible, en même temps, un
investissement imaginaire intense des participants qui comblent les lacunes du
texte.
Extrait de texte 1
Extrait de texte 2
LA PETITE FILLE :
Là, c'est la porte. Là, c'est le couloir.
Là, c'est la cuisine. Là, c'est la table.
Là, c'est la chaise. Lui, c'est mon petit
frère. Pousse-toi !
Là, c'est la fenêtre. Derrière, c'est la
mer. Non, c'est la montagne. Non, c'est
le désert. Non, c'est juste un petit
pré, avec des moutons, un berger et
son chien. Là, c'est le salon. Là, c'est le
tapis. Ça, c'est moi qui attends.
Éteins !
Extraits de Dans ma maison de papier,
j'ai des poèmes sur le feu, de Philippe
Dorin (L'école des loisirs)
VOIX DE LA PETITE FILLE : Allume !
LA VIEILLE DAME : Déjà ? Comme
elle est venue vite, la nuit ! À peine le
temps d'une pensée, et le jour a passé.
Où étais-tu pendant cet éclair ?
Comme elle est devenue petite, ta
maison, ma vieille, tout à coup ! Comme
t'es devenue vieille, ma petite,
soudain ! À peine le temps d'y voir et,
déjà, il fait noir.
Bonne nuit, moutons ! Bonne nuit,
fenêtre ! Bonne nuit, porte, table,
chaise, tapis, chaussures !
Bonne nuit, toi !
Éteins !
Cet exercice permet de se rendre compte de la démarche. Les élèves sont
amenés à être alternativement spectateurs et acteurs. On peut remarquer, suite
à l'exercice dans le groupe, que les interprétations sont différentes pour les
mêmes textes, ce qui permet de visualiser l'idée capitale que chaque lecteur est
seul devant un texte et qu'il projette dans le texte un certain nombre
d'éléments de son univers, même si cet univers est collectif.
La possibilité reste ouverte pour les élèves de choisir entre dire le texte et le
jouer. Les deux propositions sont intéressantes car elles font entendre le texte
de manière différente. La position debout est un début de mise en espace : par
cette position, on quitte la position d'élève habituelle.
Le statut d'acteur demande des compétences diverses : mémorisation du texte,
lecture, appropriation, diction, prise en compte de l'autre, accord entre les
partenaires... Chaque groupe doit mettre en place une cohérence pour restituer
le texte. Le manque de temps pour préparer cessite d'autant plus l'adaptation
et l'écoute de l'autre au moment du jeu.
Les acteurs sont amenés à réagir aux imprévus, sans s'arrêter pour autant, et
donc à faire preuve de créativité à tout instant. Chacun est responsable du
travail du groupe devant le reste de la classe : il est rare par exemple qu'un fou
rire s'éternise dans un groupe d'élèves.
La situation d'apprentissage est importante : on revient sur ce qu'on a fait, on
tente de comprendre ce qui s'est passé et d'installer l'alternance acteur-
spectateur.
Travail sur les fondamentaux
Travail sur les fondamentaux du théâtre pour améliorer la mise en espace et
la diction
Activité décrochée qui donne l'occasion de revenir sur l'improvisation et de la
retravailler avec des outils plus appropriés.
Il s'agit d'un travail sur la clarté du message à partir de la maîtrise du souffle,
de l'articulation et du regard.
La démarche :
En cercle : respiration abdominale. À partir d'un texte poétique de Raymond
Queneau (Il pleut, in L'instant fatal, © Gallimard, 1987), chacun à son tour lit un
vers sur l'expiration.
- Mettre davantage d'énergie sur le vers en faisant « sonner » les consonnes.
- Lier l'ensemble en travaillant la préparation de l'expiration et en modulant
l'attaque relative des consonnes.
- Texte dit sans respecter la ponctuation, puis en tendant le bras pour désigner
le destinataire. Regard d'abord, puis adresse d'un bout de phrase. Le regard
devient le soutien de la ponctuation orale.
- Même travail sur l'unité de sens avec l'énergie d'une adresse à un
interlocuteur qu'on agresse avec la puissance des mots ( Le grand combat - Henri
Michaux, Qui je fus, © Gallimard, 2000).
- Création d'une scène : ouverture du cercle. Venir dire un vers en l'adressant à
l'ensemble du cercle, poser le regard circulaire.
Cette manière de dire modifie totalement la perception du texte. Lorsque le
lecteur est placé dans cette recherche, son débit est ralenti, il ne pense plus à
jouer. Le texte devient très audible car cette technique oblige à articuler. La
musique des mots ressort d'autant plus.
Porter la voix, muscler la voix
Il s'agit de faire résonner la voix en soi : "Je suis gong, gong, gong, gong" (Je
suis gong - Henri Michaux)
Articuler au maximum, en sentant les vibrations du crâne que provoque la
prononciation de cette phrase.
Voix normale, voix aiguë, voix grave
Articuler
- Déambulation dans l'espace avec, dans l'esprit, « secouru, dur, sûr ».
- Au signal, énoncer silencieusement les trois mots, continuellement. En
exagérant l'articulation de toutes les syllabes, et en avançant au maximum les
lèvres sur le son « u » et « ou ». Regard, arrêt, face à face, répéter autant de
fois que nécessaire pour que l'autre comprenne. - Lorsque le message est passé,
se remettre en marche, sans rien dire. Arrêt lorsque tout le monde a fini.
- Même chose avec « y, tristesse, vie, qui, dis, je suis ». Même consigne, écarter
au maximum les lèvres pour prononcer les « i ». Travail spécial sur « je suis ».
- Chaque couple assis face à face. À tour de rôle, l'un de chaque couple articule
sa phrase silencieusement tandis que l'autre, regardant les lèvres du premier,
émet le son du texte. Quand tout le monde est passé, on inverse.
Chuchoter
Chacun choisit en secret deux vers et les adresse à un autre élève situé à un
mètre au moins pour forcer la concentration de chacun.
Le chuchotement permet de faire travailler l'articulation des lèvres, l'ouverture
de la mâchoire.
La chambre des murmures
- Chaque élève reçoit un morceau du texte et est invité à le mémoriser tout en
marchant. Regard tourné vers soi. Le signal de la mémorisation achevée est la
disparition du papier dans la poche. En même temps celui-ci est toujours
accessible en cas d'oubli. C'est une mastication intérieure, les mots sont tournés
et malaxés dans la bouche comme du chewing-gum.
- L'étape suivante consiste à articuler silencieusement le vers en utilisant
uniquement les lèvres. Aucun son, aucun souffle. Le regard est toujours tourné
vers soi.
- Puis au hasard de la déambulation, laisser son regard aller à la rencontre des
autres regards, en accrocher un, s'approcher de l'autre et écouter sa présence,
sa respiration.
- Au hasard de la déambulation, accrocher le regard de l'autre, s'approcher et
murmurer à l'oreille, à la suite, son vers. Avoir le souci de rencontrer tout le
monde, depuis le vers dit mentalement dans sa tête à la voix projetée à un petit
groupe puis à un public dans des gradins. Toujours un appui sur le regard.
Travail sur la création d'un espace
Le travail a pour support le premier texte auquel on ajoute deux éléments : une
chaise ou une porte.
Cinq ou six participants volontaires viennent s'installer l'un après l'autre autour
de la chaise, par exemple, comme ils le veulent. La seule contrainte est pour
chacun d'avoir un point de contact avec l'objet. Lorsque la figure paraît
construite, un temps d'immobilité, et on la défait.
Autour d'une chaise, du cadre d'une porte.
Application de ce système à la présentation des deux répliques : on ne touche pas
à la mise en voix du texte, on se contente de la reprendre avec le support de
cette mise en espace.
Travail sur l'espace du plateau
Porte, couloir, escalier.
Dire les deux répliques dans ces différentes situations, en situation de
proximité ou d'éloignement. On passe plus facilement d'une lecture de
restitution pure et simple à une lecture interprétative, influencée par le lieu d'où
l'on parle.
Travail avec l'objet théâtral : un morceau de tissu
Trois groupes se font passer un morceau de tissu avec des intentions
différentes, suggérées par l'enseignant : « il est lourd, terriblement lourd et
pourtant on ne le laisse pas tomber, il est léger comme une bulle, il est
fragile... ».
Application aux deux répliques : utiliser le tissu avec une intention.
Mise en espace veut dire
Que l'on réfléchit à voir ce que donne le regroupement des voix, le changement
de niveau, le choix d'un endroit où dire ( ex de la porte, dans un escalier, de dos,
sur une table). Faire varier la proximité du public, pour varier la voix et son
intensité. Pendant ce temps le texte est de nouveau brassé.
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