De l`apport à l`aporie dans l`abord de la psychanalyse

Congrès Marx international VI. Université de Nanterre. Septembre 2010. Section Etudes marxistes 1
Hervé HUBERT
Entre apport et aporie de la critique marxiste : retour sur la critique de
Georges Politzer faite à la psychanalyse. Perspectives actuelles.
Georges Politzer, philosophe marxiste, s’est exprimé de façon très importante sur la
psychanalyse freudienne entre 1928 et 1939.
1. La psychanalyse freudienne porte une inspiration nouvelle, celle du concret
Il est tout d’abord l’auteur de la première tentative majeure de présentation de l’œuvre de
Freud aux lecteurs français ainsi que l’indique la quatrième de couverture de l’édition de
poche de son ouvrage célèbre « Critique des fondements de la psychologie », qui était paru
pour la première fois en 1928. Il met en avant le projet d’une « psychologie concrète », et
pense que la psychanalyse freudienne, dans la Traumdeutung, porte une « inspiration
nouvelle, contraire à celle de la psychologie classique »
1
Il trouve alors une vraie opposition
entre la psychanalyse et la psychologie officielle, une opposition qu’il qualifie de « formes
irréductibles de la psychologie : la psychologie abstraite et la psychologie concrète »
2
La
psychologie abstraite est la psychologie classique, et la psychologie concrète peut naître avec
la psychanalyse. Il y a clairement un mouvement pour lui fécond qui naît avec la
psychanalyse « C’est en approfondissant la manière dont Freud pose les problèmes et conçoit
sa méthode que nous sommes arrivés à gager les principales caractéristiques de la
psychologie concrète, et une fois en possession de ses exigences, elles nous ont permis de
découvrir les démarches fondamentales de la psychologie classique, comme le réalisme, le
formalisme et l’abstraction »
3
La psychanalyse freudienne permet donc avec bonheur de faire ligne de séparation entre la
dimension concrète et la dimension abstraite de la psychologie dans sa pratique et sa théorie.
2. L’obstacle pour la psychanalyse : donner un sens à l’inconscient
Il est cependant critique de Freud dès cette étape « Il se trouve cependant que cette
psychologie concrète, issue de la psychanalyse, doit commencer par se retourner contre cette
dernière et servir de principe à une critique interne : nous avons dû, en effet, constater chez
1
POLITZER G, Critique des fondements de la psychologie , PUF, Quadrige, 2003, p. 239
2
idem
3
idem
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Freud, surtout au moment de l’élaboration théorique des faits, un franc retour à l’abstraction.
Ce retour est très net et nous en avons établi l’existence, non seulement par nos remarques
faites sur les notions que Freud introduit dans la Traumdeutung, mais surtout en montrant que
les démarches classiques seules permettent de donner un sens à l’inconscient. Nous avons
retrouvé ainsi à l’intérieur même de la psychanalyse l’opposition entre la psychologie
concrète et la psychologie abstraite »
4
L’obstacle qui ramène vers la psychologie abstraite est donc de « donner un sens » à
l’inconscient.
Il pense alors que les « erreurs freudiennes » représentent une étape nécessaire dans le
développement de la psychologie concrète, insiste sur le fait que la psychologie concrète qui
résulte de la psychanalyse est déjà actuellement vivante, et « qu’il existe dans la psychanalyse
même un certain nombre de notions et d’explications qui, étant intégralement conformes aux
exigences de la psychologie concrète, prouvent par là même sa vitalité »
5
3. « Drame, récit, signification », un triptyque contre la métapsychologie
Il développe l’idée originale du drame humain comme fondement, drame humain éclairé par
le récit du sujet : « Le récit en question est essentiellement un récit significatif, et la
psychologie ne s’en occupe que précisément dans la mesure où il éclaire le drame »
6
D’où la formule lumineuse « l’élément proprement dramatique (…) n’est rien d’autre que la
signification »
7
Faisant un long développement sur le béhaviorisme et la Gestalttheorie, il conclue alors sur le
fait que pour lui, « le développement de la psychologie nous réserve certainement de grandes
surprises, car l’histoire d’une science ne se devine pas à priori »
8
mais que « La psychologie
ne pourra jamais revenir au réalisme et à l’abstraction : le problème est maintenant posé sur
un terrain tout à fait nouveau. Et jamais elle ne pourra revenir, ni à la psychologie
physiologique, ni à la psychologie introspective ; deux obstacles lui barrent le chemin : le
béhaviorisme et la psychanalyse. En un mot, et quelles que soient l’imprécision de nos
formules techniques et la résonance désagréable des formules de ce genre : la
métapsychologie a vécu et l’histoire de la psychologie commence »
9
4
Idem, p. 240
5
idem
6
Idem, p. 249
7
Idem, p. 251
8
Idem, p.262
9
Idem,
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Cette dernière formule condamne par anticipation le développement d’un versant théorique de
la psychanalyse : la métapsychologie freudienne.
Politzer est donc lecteur critique de Freud, un Freud qu’il juge en 1928 comme l’inventeur
d’une trouvaille qui peut faire révolution dans l’abord psychologique humain. Il note pour
autant des contradictions importantes qu’il déploiera dans le premier numéro de sa revue de
Psychologie concrète en 1929 avec l’article « Crise de la psychanalyse »
4. Une essence foncièrement idéaliste et réactionnaire
En novembre 1933, l’analyse de Georges Politzer est toute autre. Dans l’article
« Psychanalyse et Marxisme, Un faux contre-révolutionnaire, Le « Freudo-Marxisme », il est
beaucoup plus sévère : « Jamais à aucun moment, il (Freud) n’a dépassé les limites de la
culture bourgeoise littéraire et médicale, contrairement, par exemple à Marx et Engels. Ainsi
il n’a pas la moindre idée de la méthode dialectique »
10
Il indique encore très justement « On a beaucoup parlé, en effet à propos de la psychanalyse,
de la dialectique des tendances, et Jean Audard nous parle de la ‘’dialectique du principe du
plaisir et du principe de réalité’’. Mais le ‘’principe du plaisir’’ et le ‘’principe de réalité’’
sont des abstractions qu’on voudrait mettre sur le même plan que les principes fondamentaux
des sciences, comme le ‘’principe de l’inertie’’, mais qui sont en réalité calqués sur le modèle
des principes métaphysiques, comme le ‘’principe du bien’’ et le ’’ principe du mal’’. Or il ne
suffit pas de se faire battre entre eux des principes abstraits pour être un dialecticien
11
Ainsi poursuit-il, dans la sociologie psychanalytique, la lutte des classes est ramenée à un
conflit idéal des instances psychanalytiques, et d’après lui la porte de la matière est fermée à
la psychanalyse. « (…) d’une façon systématique, les psychanalystes ont ramenés les conflits
et les luttes réels à des conflits n’existant que dans leur tête »
12
Il condamne Freud : « En construisant derrière le monde réel son monde idéal, Freud a subi
l’influence, non pas des courants scientifiques et philosophiques les plus avancés, mais des
courants les plus actionnaires »
13
Voilà ce qui échappe aux freudo-marxistes « Les
admirateurs de Freud disent ‘’Copernic’’ Les freudo-marxistes répètent servilement
‘’Copernic’’ »
14
10
POLITZER G, Ecrits 2 les Fondements de la Psychologie, Editions Sociales, Paris, 1973, p. 270
11
Idem, p. 272
12
Idem, p. 271
13
Idem, p. 272
14
Idem
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Freud se sert de la théorie réactionnaire de l’énergie libidinale pour expliquer la
problématique de l’humain, reprenant la ‘’philosophie énergétique’’ de W.Ostwald « qui
affirmait le mouvement concevable sans la matière »
15
« La psychanalyse, en tant que théorie, est enfermée dans une démarche unique : ramener tout
à ‘’une énergie pure’’, c’est-dire idéale, c'est-à-dire idéaliste »
16
« (…) sortir de cette
démarche la psychanalyse ne le peut pas. C’est pourquoi son développement n’a consisté que
dans la répétition mécanique, abstraite et purement spéculative de cette démarche, jusqu’au
moment son application à la sociologie a dévoilé son essence foncièrement idéaliste et
réactionnaire »
17
La falsification matérialiste fonctionne du fait qu’il s’agit de la falsification énergétiste de
l’instinct sexuel, et il peut affirmer « Toute l’énergétique libidineuse de la psychanalyse est
une invention mythologique »
18
La démonstration est limpide « Le matérialiste marxiste montre derrière la vertu du bourgeois
‘’ la convoitise, l’avarice, la cupidité, la chasse aux profits et les manœuvres à la Bourse ‘’-
derrière la philanthropie patronale, les tentatives de corruption. Mais le psychanalyste ramène
tout cela à la libido. Et comme il y ramène aussi l’avarice, la cupidité, la chasse aux profits et
les manœuvres à la Bourse, le bourgeois se trouve absous de son humiliation. Et la seule
chose qui pourrait encore l’inquiéter et qui l’a, en fait, inquiété dans les débuts de la
psychanalyse, le rappel du génital dans la libido, les psychanalystes l’ont supprimé au milieu
des contorsions les plus compliquées ! Que de fois n’ont-ils répété qu’il ne fallait pas
confondre « sexuel » et « génital », que « libido » ne signifie pas « érotisme nital (...) Mais
il est clair que les contorsions psychanalytiques étaient destinées à calmer les bourgeois. Les
psychanalystes qui parlent tant de la peur devant la morale bourgeoise se sont eux-mêmes
dégonflés devant elle lamentablement. Pour calmer ‘’l’idéalisme’’ philistin, ils ont castré la
libido et en ont fait l’énergie sexuelle des eunuques. Par ce procédé, ils l’ont calmé
effectivement. La psychanalyse ne fait plus scandale».
19
Derrière cette démonstration limpide et juste, face à l’absence totale de critique de Freud
envers le capitalisme, se trouve cependant la contradiction portée par la jouissance humaine et
la dialectique du désir, leur complexité : « pas-tout » de l’humain ne se résout à l’exploitation
15
LENINE, Matérialisme et empiriocriticisme, p. 138
16
POLITZER G, opus cité, p. 273
1717
Idem, p. 274
18
idem
19
Idem, p.277
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capitaliste de l’humain par l’humain. Lacan pourra éclairer en partie cette contradiction avec
le concept de jouissance dans la dernière partie de son enseignement, nous y reviendrons.
L’autre argument déployé vise également juste « Mais les psychanalystes ont offert aux
bourgeois une autre compensation. Ils leur disent : ‘’Nous ‘dépouillons’ vos vertus, mais, ne
vous en faites pas ; nous en faisons autant avec le prolétariat’’ »
20
Ainsi Georges Politzer peut conclure que « la sociologie psychanalytique est une pièce
maîtresse de la psychanalyse en général et de l’œuvre de Freud en particulier. Naturellement,
cette sociologie qui ramène les faits sociaux, qui explique les idéologies, par l’énergétique de
la libido, est une sociologie idéaliste (…) extrêmement réactionnaire : les aspirations du
prolétariat se ramènent à l’énergétique libidineuse, au même titre que les aspirations de la
bourgeoisie. En compensation de de l’explication libidineuse de la religion, la psychanalyse
offre à la bourgeoisie l’explication libidineuse du socialisme. La volution sociale n’aura
plus de bases objectives, mais seulement des bases subjectives libidineuses »
21
La remarque de Politzer est importante : dans la nécessité actuelle d’articuler le singulier et le
collectif, il ne peut être fait l’impasse sur l’apport de Marx, et Freud produit bien cette
impasse, ce qui peut faire écrire à Politzer « La psychanalyse a incontestablement enrichi
l’arsenal idéologique de la contre-révolution »
22
Nous retiendrons comme boussole ces deux phrases de la fin de cet article « Psychanalyse et
Marxisme » : « (…) on a le droit de se tromper et nous avons tous fait et nous pouvons tous
faire des fautes théoriques et pratiques »
23
et « Il s’agit de comprendre les faits à la lumière de
ce matérialisme »
24
5. La décadence scolastique de la psychanalyse
Nous ne nous étonnerons pas que Georges Politzer fasse un enterrement de première classe à
Sigmund Freud lors de la mort de ce dernier « La mort de Sigmund Freud replace devant
notre esprit la psychanalyse qui, en fait, appartient déjà au passé »
25
20
Idem,
21
Idem, p. 278
22
Idem, p.278
23
Idem, p. 280
24
Idem, p. 281
25
Idem, p. 282, publié une première fois in La Pensée n°3, oct-nov-déc 1939; signé du
pseudonyme de Th. W. Morris
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