De l`apport à l`aporie dans l`abord de la psychanalyse

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Congrès Marx international VI. Université de Nanterre. Septembre 2010. Section Etudes marxistes
1
Hervé HUBERT
Entre apport et aporie de la critique marxiste : retour sur la critique de
Georges Politzer faite à la psychanalyse. Perspectives actuelles.
Georges Politzer, philosophe marxiste, s’est exprimé de façon très importante sur la
psychanalyse freudienne entre 1928 et 1939.
1. La psychanalyse freudienne porte une inspiration nouvelle, celle du concret
Il est tout d’abord l’auteur de la première tentative majeure de présentation de l’œuvre de
Freud aux lecteurs français ainsi que l’indique la quatrième de couverture de l’édition de
poche de son ouvrage célèbre « Critique des fondements de la psychologie », qui était paru
pour la première fois en 1928. Il met en avant le projet d’une « psychologie concrète », et
pense que la psychanalyse freudienne, dans la Traumdeutung, porte une « inspiration
nouvelle, contraire à celle de la psychologie classique »1 Il trouve alors une vraie opposition
entre la psychanalyse et la psychologie officielle, une opposition qu’il qualifie de « formes
irréductibles de la psychologie : la psychologie abstraite et la psychologie concrète »2 La
psychologie abstraite est la psychologie classique, et la psychologie concrète peut naître avec
la psychanalyse. Il y a clairement un mouvement pour lui fécond qui naît avec la
psychanalyse « C’est en approfondissant la manière dont Freud pose les problèmes et conçoit
sa méthode que nous sommes arrivés à dégager les principales caractéristiques de la
psychologie concrète, et une fois en possession de ses exigences, elles nous ont permis de
découvrir les démarches fondamentales de la psychologie classique, comme le réalisme, le
formalisme et l’abstraction »3
La psychanalyse freudienne permet donc avec bonheur de faire ligne de séparation entre la
dimension concrète et la dimension abstraite de la psychologie dans sa pratique et sa théorie.
2. L’obstacle pour la psychanalyse : donner un sens à l’inconscient
Il est cependant critique de Freud dès cette étape « Il se trouve cependant que cette
psychologie concrète, issue de la psychanalyse, doit commencer par se retourner contre cette
dernière et servir de principe à une critique interne : nous avons dû, en effet, constater chez
1
POLITZER G, Critique des fondements de la psychologie , PUF, Quadrige, 2003, p. 239
idem
3
idem
2
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2
Freud, surtout au moment de l’élaboration théorique des faits, un franc retour à l’abstraction.
Ce retour est très net et nous en avons établi l’existence, non seulement par nos remarques
faites sur les notions que Freud introduit dans la Traumdeutung, mais surtout en montrant que
les démarches classiques seules permettent de donner un sens à l’inconscient. Nous avons
retrouvé ainsi à l’intérieur même de la psychanalyse l’opposition entre la psychologie
concrète et la psychologie abstraite »4
L’obstacle qui ramène vers la psychologie abstraite est donc de « donner un sens » à
l’inconscient.
Il pense alors que les « erreurs freudiennes » représentent une étape nécessaire dans le
développement de la psychologie concrète, insiste sur le fait que la psychologie concrète qui
résulte de la psychanalyse est déjà actuellement vivante, et « qu’il existe dans la psychanalyse
même un certain nombre de notions et d’explications qui, étant intégralement conformes aux
exigences de la psychologie concrète, prouvent par là même sa vitalité »5
3. « Drame, récit, signification », un triptyque contre la métapsychologie
Il développe l’idée originale du drame humain comme fondement, drame humain éclairé par
le récit du sujet : « Le récit en question est essentiellement un récit significatif, et la
psychologie ne s’en occupe que précisément dans la mesure où il éclaire le drame »6
D’où la formule lumineuse « l’élément proprement dramatique (…) n’est rien d’autre que la
signification »7
Faisant un long développement sur le béhaviorisme et la Gestalttheorie, il conclue alors sur le
fait que pour lui, « le développement de la psychologie nous réserve certainement de grandes
surprises, car l’histoire d’une science ne se devine pas à priori »8 mais que « La psychologie
ne pourra jamais revenir au réalisme et à l’abstraction : le problème est maintenant posé sur
un terrain tout à fait nouveau. Et jamais elle ne pourra revenir, ni à la psychologie
physiologique, ni à la psychologie introspective ; deux obstacles lui barrent le chemin : le
béhaviorisme et la psychanalyse. En un mot, et quelles que soient l’imprécision de nos
formules techniques et la résonance désagréable des formules de ce genre : la
métapsychologie a vécu et l’histoire de la psychologie commence »9
4
Idem, p. 240
idem
6
Idem, p. 249
7
Idem, p. 251
8
Idem, p.262
9
Idem,
5
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Cette dernière formule condamne par anticipation le développement d’un versant théorique de
la psychanalyse : la métapsychologie freudienne.
Politzer est donc lecteur critique de Freud, un Freud qu’il juge en 1928 comme l’inventeur
d’une trouvaille qui peut faire révolution dans l’abord psychologique humain. Il note pour
autant des contradictions importantes qu’il déploiera dans le premier numéro de sa revue de
Psychologie concrète en 1929 avec l’article « Crise de la psychanalyse »
4. Une essence foncièrement idéaliste et réactionnaire
En novembre 1933, l’analyse de Georges Politzer est toute autre. Dans l’article
« Psychanalyse et Marxisme, Un faux contre-révolutionnaire, Le « Freudo-Marxisme », il est
beaucoup plus sévère : « Jamais à aucun moment, il (Freud) n’a dépassé les limites de la
culture bourgeoise littéraire et médicale, contrairement, par exemple à Marx et Engels. Ainsi
il n’a pas la moindre idée de la méthode dialectique »10
Il indique encore très justement « On a beaucoup parlé, en effet à propos de la psychanalyse,
de la dialectique des tendances, et Jean Audard nous parle de la ‘’dialectique du principe du
plaisir et du principe de réalité’’. Mais le ‘’principe du plaisir’’ et le ‘’principe de réalité’’
sont des abstractions qu’on voudrait mettre sur le même plan que les principes fondamentaux
des sciences, comme le ‘’principe de l’inertie’’, mais qui sont en réalité calqués sur le modèle
des principes métaphysiques, comme le ‘’principe du bien’’ et le ’’ principe du mal’’. Or il ne
suffit pas de se faire battre entre eux des principes abstraits pour être un dialecticien11
Ainsi poursuit-il, dans la sociologie psychanalytique, la lutte des classes est ramenée à un
conflit idéal des instances psychanalytiques, et d’après lui la porte de la matière est fermée à
la psychanalyse. « (…) d’une façon systématique, les psychanalystes ont ramenés les conflits
et les luttes réels à des conflits n’existant que dans leur tête »12
Il condamne Freud : « En construisant derrière le monde réel son monde idéal, Freud a subi
l’influence, non pas des courants scientifiques et philosophiques les plus avancés, mais des
courants les plus réactionnaires »13 Voilà ce qui échappe aux freudo-marxistes « Les
admirateurs de Freud disent ‘’Copernic’’ Les freudo-marxistes répètent servilement
‘’Copernic’’ »14
10
POLITZER G, Ecrits 2 les Fondements de la Psychologie, Editions Sociales, Paris, 1973, p. 270
Idem, p. 272
12
Idem, p. 271
13
Idem, p. 272
14
Idem
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Freud se sert de la théorie réactionnaire de l’énergie libidinale pour expliquer la
problématique de l’humain, reprenant la ‘’philosophie énergétique’’ de W.Ostwald « qui
affirmait le mouvement concevable sans la matière »15
« La psychanalyse, en tant que théorie, est enfermée dans une démarche unique : ramener tout
à ‘’une énergie pure’’, c’est-à-dire idéale, c'est-à-dire idéaliste »16
« (…) sortir de cette
démarche la psychanalyse ne le peut pas. C’est pourquoi son développement n’a consisté que
dans la répétition mécanique, abstraite et purement spéculative de cette démarche, jusqu’au
moment où son application à la sociologie a dévoilé son essence foncièrement idéaliste et
réactionnaire »17
La falsification matérialiste fonctionne du fait qu’il s’agit de la falsification énergétiste de
l’instinct sexuel, et il peut affirmer « Toute l’énergétique libidineuse de la psychanalyse est
une invention mythologique »18
La démonstration est limpide « Le matérialiste marxiste montre derrière la vertu du bourgeois
‘’ la convoitise, l’avarice, la cupidité, la chasse aux profits et les manœuvres à la Bourse ‘’derrière la philanthropie patronale, les tentatives de corruption. Mais le psychanalyste ramène
tout cela à la libido. Et comme il y ramène aussi l’avarice, la cupidité, la chasse aux profits et
les manœuvres à la Bourse, le bourgeois se trouve absous de son humiliation. Et la seule
chose qui pourrait encore l’inquiéter et qui l’a, en fait, inquiété dans les débuts de la
psychanalyse, le rappel du génital dans la libido, les psychanalystes l’ont supprimé au milieu
des contorsions les plus compliquées ! Que de fois n’ont-ils répété qu’il ne fallait pas
confondre « sexuel » et « génital », que « libido » ne signifie pas « érotisme génital (...) Mais
il est clair que les contorsions psychanalytiques étaient destinées à calmer les bourgeois. Les
psychanalystes qui parlent tant de la peur devant la morale bourgeoise se sont eux-mêmes
dégonflés devant elle lamentablement. Pour calmer ‘’l’idéalisme’’ philistin, ils ont castré la
libido et en ont fait l’énergie sexuelle des eunuques. Par ce procédé, ils l’ont calmé
effectivement. La psychanalyse ne fait plus scandale».19
Derrière cette démonstration limpide et juste, face à l’absence totale de critique de Freud
envers le capitalisme, se trouve cependant la contradiction portée par la jouissance humaine et
la dialectique du désir, leur complexité : « pas-tout » de l’humain ne se résout à l’exploitation
15
LENINE, Matérialisme et empiriocriticisme, p. 138
POLITZER G, opus cité, p. 273
1717
Idem, p. 274
18
idem
19
Idem, p.277
16
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capitaliste de l’humain par l’humain. Lacan pourra éclairer en partie cette contradiction avec
le concept de jouissance dans la dernière partie de son enseignement, nous y reviendrons.
L’autre argument déployé vise également juste « Mais les psychanalystes ont offert aux
bourgeois une autre compensation. Ils leur disent : ‘’Nous ‘dépouillons’ vos vertus, mais, ne
vous en faites pas ; nous en faisons autant avec le prolétariat’’ »20
Ainsi Georges Politzer peut conclure que « la sociologie psychanalytique est une pièce
maîtresse de la psychanalyse en général et de l’œuvre de Freud en particulier. Naturellement,
cette sociologie qui ramène les faits sociaux, qui explique les idéologies, par l’énergétique de
la libido, est une sociologie idéaliste (…) extrêmement réactionnaire : les aspirations du
prolétariat se ramènent à l’énergétique libidineuse, au même titre que les aspirations de la
bourgeoisie. En compensation de de l’explication libidineuse de la religion, la psychanalyse
offre à la bourgeoisie l’explication libidineuse du socialisme. La révolution sociale n’aura
plus de bases objectives, mais seulement des bases subjectives libidineuses »21
La remarque de Politzer est importante : dans la nécessité actuelle d’articuler le singulier et le
collectif, il ne peut être fait l’impasse sur l’apport de Marx, et Freud produit bien cette
impasse, ce qui peut faire écrire à Politzer « La psychanalyse a incontestablement enrichi
l’arsenal idéologique de la contre-révolution »22
Nous retiendrons comme boussole ces deux phrases de la fin de cet article « Psychanalyse et
Marxisme » : « (…) on a le droit de se tromper et nous avons tous fait et nous pouvons tous
faire des fautes théoriques et pratiques »23 et « Il s’agit de comprendre les faits à la lumière de
ce matérialisme »24
5. La décadence scolastique de la psychanalyse
Nous ne nous étonnerons pas que Georges Politzer fasse un enterrement de première classe à
Sigmund Freud lors de la mort de ce dernier « La mort de Sigmund Freud replace devant
notre esprit la psychanalyse qui, en fait, appartient déjà au passé »25
20
Idem,
Idem, p. 278
22
Idem, p.278
23
Idem, p. 280
24
Idem, p. 281
21
25
Idem, p. 282, publié une première fois in La Pensée n°3, oct-nov-déc 1939; signé du
pseudonyme de Th. W. Morris
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Il décrit sa vision de l’histoire de la psychanalyse alors en décrivant trois périodes
successives :
-
une période d’élaboration
-
une période de grandes controverses et de prestige croissant
-
la période d’insertion dans la science officielle et de décadence scolastique
Au départ, il note que la psychanalyse est combattue par les représentants de la psychiatrie
universitaire, s’étend dans le milieu dit cultivé, est à son apogée après la première guerre
mondiale, puis qu’après la passion cesse, « la résistance des psychiatres classiques tombe, la
psychanalyse s’intègre à son tour dans la science officielle, cependant que chez ses
représentants « authentiques », elle prend l’allure d’une véritable scolastique : libido,
complexe, surmoi etc., deviennent autant de clichés, et les travaux psychanalytiques tournent
en rond en ruminant constamment les mêmes thèmes »26.
Pour lui il est certain que « (…) la méthode de Freud n’a pas justifié les grands espoirs qu’elle
a suscités »27 et trouve caractéristique « que dans ses derniers ouvrages Freud a déclaré,
parlant de l’efficacité de la psychanalyse, qu’elle n’était, comparée aux autres méthodes, que
prima inter pares »28
Il poursuit à juste titre « Le fait est que nos moyens d’action en psychiatrie restent, après la
psychanalyse, aussi insuffisants qu’auparavant. Le problème qui se pose dans ce domaine
dépasse très vraisemblablement les cadres aussi bien des médications psychologiques et
physiologiques prises séparément, que des méthodes qui se bornent à les combiner, en faisant
abstraction des conditions historiques objectives au milieu desquelles se développe l’homme
psychopathe en tant que phénomène social, et de la nécessité d’une action sur ces conditions
elles-mêmes »29
Ce qui lui laisse penser « En fin de compte, la psychanalyse est plus intéressante comme fait
historique qu’en tant que mouvement scientifique, et elle est plus instructive par les faits
sociaux dont elle contient les reflets que par le contenu des théories au moyen desquelles elle
a voulu nous instruire »30
26
Idem, p.282-283
Idem, p. 284
28
idem
29
Idem,
30
Idem, p. 286
27
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6. Une psychologie abyssale
Il décrit la méthode de l’interprétation des rêves comme l’extraction, à la lumière des
matériaux fournis par le sujet, du contenu latent du contenu manifeste. Cette réduction écrit-il
« est présentée comme une pénétration dans les profondeurs de l’âme du sujet et c’est à cause
de ce procédé que la psychanalyse est considérée comme une ‘’psychologie abyssale’’. Cette
distinction entre le contenu manifeste et le contenu latent fut, ensuite, généralisée par Freud,
et appliquée non seulement à l’interprétation des symptômes névrotiques, mais aussi à des
sujets sociologiques et historiques. Et c’est ainsi qu’elle fût appliquée à l’histoire des
idées. »31
Dans le problème des rapports entre l’individu et la réalité qui agit sur lui et sur laquelle il agit
« Jamais Freud et ses disciples ne sont parvenus à une compréhension claire des rapports entre
l’individu, entre la loi psychologique individuelle et la loi historique »32
Tel est bien l’enjeu actuel. Ainsi que l’indique Politzer la psychologie individuelle ne peut
être séparée de l’histoire concrète de l’humanité et soutient que « Freud a été amené, en fait, à
employer quelques formules générales passe-partout et à négliger l’homme concret dans sa
réalité historique »33
Si les allusions sont nombreuses chez Freud et ses disciples à l’influence de la société sur
l’individu, poursuit Politzer, « (…) la psychanalyse cherche à expliquer l’histoire par la
psychologie et non la psychologie par l’histoire »34
De cette orientation idéaliste de la psychanalyse, en découle une tendance irrationaliste, la
psychologie abyssale « On sait, en effet, que la psychanalyse fut proclamée ‘’psychologie
abyssale’’ principalement à cause de ses ‘’révélations’’ concernant ‘’l’inconscient’’ »35
Cette question de l’inconscient des profondeurs fait écrire à Politzer « Ici, encore, les
psychanalystes se sont rencontrés avec un courant idéologique réactionnaire. L’irrationnel,
l’inconscient sont donc la loi de la vie de l’âme. Le passage du point de vue théorique au point
de vue normatif fut accompli aisément : puisqu’en fait la vie mentale est basée sur
l’inconscient dynamique, pourquoi lutter contre l’inconscient au lieu de se plonger en lui ?
Ainsi la psychanalyse qui est apparue tout d’abord comme donnant des mystiques sacrées des
explications profanes et qu’on a accusées même d’être profanatrices – a fini par appuyer la
mystique sous toutes ses formes. Les contacts multiples établis entre la religion et la
31
Idem, p. 292
Idem, p. 293
33
Idem, p. 295
34
Idem, p.297
35
idem
32
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psychanalyse, la fréquence des thèmes psychanalytiques chez les obscurantistes de toute
sortes, y compris les nazis, le prouvent suffisamment»36
Politzer conclue que du point de vue révolutionnaire, la psychanalyse a servi d’enveloppe au
révisionnisme, alors que l’argument principal pour vanter le caractère révolutionnaire de la
psychanalyse « consistait à dire que la psychanalyse a osé, enfin, assigner la vraie place à
l’instinct sexuel, à la libido, l’érotisme »37
Ainsi un certain parallélisme a été établi « La sociologie scientifique a créé les bases
théoriques pour la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme. La psychanalyse a
brisé les chaînes de l’instinct sexuel, doctrine de la libération dans les deux cas »38
Politzer trouve absurde de mettre en parallèle le prolétariat, c'est-à-dire une classe sociale, et
l’instinct sexuel, c’est-à-dire dans le meilleur des cas un concept biologique. Il cite le grand
utopiste Fourier qui avait donné des analyses géniales de l’hypocrisie, de ce qu’il a appelé la
morale bourgeoise, hypocrisie dans ce domaine qui caractérise l’âge de la civilisation, c’est-àdire l’étape historique que représente le capitalisme, et que « c’est la solution du ‘’problème
sexuel’’ qui dépend de de la solution du problème social et non la solution du problème social
de la solution du ‘’problème sexuel’’, comme les psychanalystes ont tendance à le croire »39
Cette dernière tendance, poursuit-il « précisément relève l’abstraction caractéristique des
milieux de la petite bourgeoisie. L’observation des faits confirme entièrement cette façon de
voir. Ce ne sont pas, en effet, les masses populaires qui ont fourni à la psychanalyse ses bases
sociales »40
Politzer évoque ce qui a pu faire illusion dans la psychanalyse : « (…) surtout à ses débuts, la
psychanalyse a trouvé des adversaires violents dans les milieux conservateurs. Cette réaction
des milieux conservateurs était liée notamment aux conceptions religieuses »41
Politzer évoque deux faits majeurs par rapport au lien avec le milieu conservateur :
-
Des contacts officiels ont pu être établis entre la religion et la psychanalyse
-
Le rapport entre le nazisme et la psychanalyse
7. Le rapport entre nazisme, psychanalyse et science
Ce dernier point est très actuel. Politzer considère l’effet médiatique de l’exil de Freud à
Londres pour faire retour sur des faits concrets qui révèlent un autre lien.
36
Idem, pp. 297-298
Idem, p. 299
38
idem
39
idem
40
Idem, pp.299-300
41
P. 300
37
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« Il est vrai que l’on a souvent fait état, dans les milieux psychanalytiques, de l’exil de Freud
symbolisant la condamnation de la psychanalyse par les nazis.
Certes il y a eu des déclamations nazies contre la psychanalyse. Il n’en est pas moins vrai que
la psychanalyse et les psychanalystes ont fourni pas mal de thèmes aux théoriciens nazis, en
premier lieu celui de l’inconscient.
L’attitude pratique du nazisme à l’égard de la psychanalyse a été déterminée essentiellement
par des raisons tactiques.
En prenant des allures d’iconoclastes, les psychanalystes ont profondément heurté les
sentiments des masses des classes moyennes. Telle est la spécialité historique de l’anarchisme
petit-bourgeois. En plus de la question raciale, c’est pour exploiter ce fait que le nazisme a
dénoncé quelque peu le freudisme, mais cela ne l’a pas empêché, ni d’intégrer les
psychanalystes parmi le personnel nazi, ni d’emprunter des thèmes à la doctrine freudienne
»42
Politzer parle d’un éclectisme confus concernant les bases théoriques de la psychanalyse et
indique « Dans ces conditions, Freud était mal outillé, au sens propre du mot, pour analyser
correctement les faits nouveaux ou relativement nouveaux qu’il a pu signaler. Et,
effectivement, plus la psychanalyse s’est développée, plus elle est tombée sous l’influence de
courants idéologiques rétrogrades »43
Politzer note pourtant des contradictions « Cependant, c’est un fait que la psychologie
classique parlait à peine de la sexualité, qu’elle s’est désintéressée de l’individu concret et de
son milieu historique concret, de son milieu vital. C’est un fait aussi que la psychanalyse a
attiré avec une particulière insistance l’attention sur ces sujets ‘’tabou’’ »44
Il y a donc des oscillations concernant l’apport de la psychanalyse, notamment dans son
rapport à la science : « Mais parler de sujets ‘défendus’’ n’est pas un titre suffisant en matière
de science, et il apparaît bien aujourd’hui que la psychanalyse n’a guère fait davantage ; elle
n’a apporté aucune clarté nouvelle sur les problèmes que posent les faits dont elle s’est
occupée.
Les faits auxquels la psychanalyse a touché doivent être repris pour être compris
correctement »45
S’il semble se dessiner un espoir pour construire du nouveau à partir de la psychanalyse, en
partant des faits touchés par la psychanalyse, la fin lui paraît vraisemblable « Il est
42
idem
P. 301
44
idem
45
Op cité, pp. 301-302
43
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vraisemblable aujourd’hui que la psychanalyse subira un sort analogue à celui de la
phrénologie et de l’hypnotisme. Comme eux elle appartient au passé »46
Le diagnostic est rude engageant le pronostic vital mais Lacan dans les années1950 ne sera
pas moins sévère, plaçant la psychanalyse dans un état critique avancé.
Le contexte en 1939 est sombre et il est un fait historique que les psychanalystes n’ont pas
combattu le nazisme qui produit alors son ombre mortelle sur l’Europe et dont Politzer sera
une des victimes héroïques.
Dans sa condamnation, outre ce fait historique, pèse aussi le poids de la conception de la
science, du rapport à la science qui conclue son texte ainsi « La voie des découvertes réelles et
de la science effective de l’homme ne passe pas par les ‘raccourcis’ sensationnels de la
psychanalyse. Elle passe par l’étude précise des faits physiologiques et historiques, à la
lumière de cette conception dont l’ensemble des sciences modernes de la nature garantit la
solidité »47
Il y a présent dans cette condamnation, la notion de recours à la physiologie, les sciences
modernes de la nature, qui sont alors la référence historique du marxisme, et dont nous avons
étudié l’évolution dans notre séminaire « Le défaut de civilisation, la question portée par
Staline »
Ce qui est notable, ce qui a parfois été oublié et du coup est passé aux oubliettes dans les
critiques faites à Politzer, est que son travail part toujours de l’analyse des faits placés dans
leur histoire, et non du préalable théorique.
8. L’orientation de Politzer : une suspicion du matérialisme historique envers la
psychanalyse
Dans ce contexte historique, face aux avatars psychanalytiques ( la proximité de certains
thèmes nazis et des thèmes de l’inconscient des profondeurs, le détournement fait par la
psychanalyse contre le marxisme et la révolution sociale et politique, la promotion de
l’individuel face au collectif, le lien entre la psychanalyse et le capitalisme, etc.,), l’orientation
donnée par Politzer dans le débat a été très déterminante d’une suspicion du matérialisme
historique envers la psychanalyse. Cela atteindra en France son apogée avec le numéro de la
Nouvelle Critique de juin 1949 où huit psychiatres communistes publient La psychanalyse,
idéologie réactionnaire. Ils reprennent les arguments développés par Georges Politzer dans sa
46
47
Op cité, p. 302
idem
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critique de l’idéologie psychanalytique, notamment sa dégénérescence extrême aux EtatsUnis d’Amérique.
Lacan ne dira pas autre chose, nous l’avons signalé, en dénonçant « la condition
psychologisante », l’abâtardissement » d’une psychanalyse devenue une astrologie plus
décente48
Bien plus tard en 1964 dans son article « position de l’inconscient », il légitimera cette
suspicion et interrogera les psychanalystes sur la part qu’ils ont dans cette suspicion « Nous
trouvons donc justifiée la prévention que la psychanalyse rencontre à l’Est. C’était à elle de ne
pas la mériter (…) »49
L’apport de Politzer nous paraît considérable dans sa critique de la psychanalyse pour
aujourd’hui, légitimé par Lacan, et nous nous démarquons ainsi de certaines études marxistes
antérieures ou contemporaines.
9. Althusser contre Politzer
En effet si la plupart de ces dernières font l’éloge de Politzer c’est pour en souligner l’aspect
daté, notamment après l’arrivée dans l’arène de Lacan et Althusser. Ainsi Lucien Sève note-til l’intérêt du « retour à Freud », sous le signe de l’interprétation structurale, et le fait que se
développe chez certains marxistes une attitude nouvelle, foncièrement non politzérienne, à
l’égard de l’œuvre de Freud, considérée dans son principe comme scientifiquement
homologue à celle de Marx. Il cite alors Althusser :
« Mais on peut bien dire aujourd’hui que ces mêmes marxistes furent, à leur manière,
directement, ou indirectement, les premières victimes de l’idéologie qu’ils dénonçaient :
puisqu’ils la confondirent avec la découverte révolutionnaire de Freud, acceptant ainsi dans le
fait les positions de l’adversaire, subissant ses propres conditions, et reconnaissant dans
l’image qu’il leur imposait la prétendue réalité de la psychanalyse. Toute l’histoire passée des
rapports entre le marxisme et la psychanalyse repose, pour l’essentiel, sur cette confusion et
cette imposture »50
Les faits historiques passés et présents montrent ainsi que l’indique Lacan, contre Althusser
donc, que cela ne fut pas « une prétendue réalité de la psychanalyse » mais une réalité
historiquement vérifiable de la psychanalyse ! Le retour à Freud doit être critique envers
48
LACAN J, Ecrits, Le Seuil, Paris, 1966, pp 45, 52, 833
Idem, p. 833, Position de l’inconscient
50
Pour une critique marxiste de la psychanalyse, Paris, Editions sociales, 1977, pp. 200-201
49
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12
Freud lui-même, ce que fit Lacan dans son ensemble, sauf sur le point essentiel de la
sacralisation du nom de Freud et de ses conséquences.51
Notre thèse est au contraire que Lacan a été l’élève de Georges Politzer et qu’il lui est
redevable sur de nombreux points.
10. Lacan élève de Politzer
Lacan s’est nourri de Politzer. Il le cite à deux moments de son enseignement : juste après la
fin de la seconde guerre mondiale en 1946 puis aux alentours de 1968, dans la période où
Marx devient une référence centrale dans son enseignement.
Lacan, dans son texte de 1946, « Propos sur la causalité psychique »52, s’adresse au psychiatre
français Henri Ey, évoque Politzer et cette « relativité de la réalité » :
« (…) Et de l’horizon de votre cercle vous reviennent des considérations sur la « relativité de
la réalité », qui vous font prendre en aversion votre propre rubrique.
C’est dans un tel sentiment, je le sais, que le grand esprit de Politzer renonça à l’expression
théorique où il aura laissé sa marque ineffaçable, pour se vouer à une action qui va le ravir
irréparablement. Car ne perdons pas de vue, en exigeant après lui qu’une psychologie
concrète se constitue en science, que nous n’en sommes encore là qu’aux postulations
formelles. Je veux dire que nous n’avons encore pu poser la moindre loi où se règle notre
efficience »
Si Lacan évoque Politzer et en fait l’éloge cela n’est pas pour l’enterrer comme le feront
beaucoup : il pose l’exigence, après Politzer, qu’une psychologie concrète initiée par la
psychanalyse se constitue en science et considère également après lui qu’aucune loi n’a pu
être posée qui règle l’efficience d’une pratique.
Certes, la position de Lacan va évoluer quant au rapport entre science et psychanalyse. Il ne
cèdera pas cependant sur la nécessité d’un rapport à la science et son premier texte du 9
octobre 1967 sur la formation du psychanalyste, ce moment de passage du psychanalysant
vers le psychanalyste dans la cure, reprend les thèmes, issus de Politzer, du rapport entre
psychanalyse, nazisme et science.
« C’est l’avènement, corrélatif de l’universalisation du sujet procédant de la science, du
phénomène fondamental, dont le camp de concentration a montré l’éruption. Qui ne voit que
L’inquisition de certains psychanalystes contre Michel Onfray et son ouvrage sur Freud, une affabulation
freudienne témoigne de ce point aveugle, voir HUBERT H, Ce que Michel Onfray apporte à la psychanalyse,
Libération, 19 mai 2010
52
Ecrits, opus cité, p. 161
51
Congrès Marx international VI. Université de Nanterre. Septembre 2010. Section Etudes marxistes
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le nazisme n’a eu ici que la valeur d’un réactif précurseur. La montée d’un monde organisé
sur toutes les formes de ségrégation, voilà à quoi la psychanalyse s’est montrée plus sensible
encore, en ne laissant pas un de ses membres reconnus aux camps d’extermination »53
Lacan parle à cette occasion de « l’obscurantisme incroyable » de l’audience psychanalytique
où il avait à faire valoir en 1956 la situation de la psychanalyse.
Dans sa conférence à l’Institut français de Milan le 18 décembre 1967 « De la psychanalyse
dans ses rapports avec la réalité », il en est de même : il dénonce l’assomption mystique d’un
sens au-delà de la réalité, d’un quelconque être universel qui s’y manifeste en figures, ou
d’expérience intérieure. Il y a également contiguïté entre la réalité de la psychanalyse
américaine et le nazisme : « (…) si vous entendez parler de la fonction d’un moi autonome, ne
vous y trompez pas : il ne s’agit que de celui du genre de psychanalyste qui vous attend 5 ème
avenue. Il vous adaptera à la réalité de son cabinet.
L’on ne saura jamais vraiment ce que doit Hitler à la psychanalyse, sinon par l’analyste de
Goebbels. Mais pour le retour qu’en a reçu la psychanalyse, il est là. »54
En Noël1969, dans sa préface au livre d’Anika Lemaire, Jacques Lacan, il revient sur ce
point : « Pour l’articulation ségrégative de l’institution psychanalytique, il suffira de rappeler
que le privilège d’y entrer après-guerre se mesurait à ce que tous les analystes d’Europe
centrale se fussent, les années d’avant, rescapés dans les pays atlantiques, – de là à la fournée,
à contenir peut être d’un numerus clausus, qui s’annonçait d’une invasion russe à prévoir.
La suite est séquelle maintenue par la domination établie du discours universitaire aux
U.R.S.S. et de son antipathie55 du discours sectaire, par contre aux U.S.A. florissant d’y être
fondateur. »56
Cette position de Lacan témoigne bien de l’enseignement de Politzer. Le nom de ce dernier
d’ailleurs ne tarde pas à venir dans le texte. Faisant allusion à ce qu’il est en train de
construire, les quatre discours : hystérique, maître, universitaire, psychanalytique, il
commente à propos du discours du maître et du discours de l’université, leurs cheminements :
« Les deux cheminements se confondent quand il arrive qu’en son sein quelque chose se fasse
sentir du discours qu’il refoule, et d’autant plus certainement qu’il n’est nulle part assuré. Ce
fut l’épreuve un jour d’un Politzer qui ajoutait à son marxisme d’être une âme sensible.
53
LACAN J, Proposition du 9 octobre 1967 in Ornicar ? Analytica, volume 8, avril 1978, p.22
LACAN J, De la psychanalyse dans ses rapports avec la réalité in Scilicet, Le Seuil, 1968
55
Le refus de la ségrégation est naturellement au principe du camp de concentration.
56
LEMAIRE A, Jacques Lacan, Pierre Margada, Bruxelles 1977, p. 8
54
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À rouvrir le livre de poche où reparaît, contre toute vraisemblance du consentement de son
auteur, cette « Critique des fondements de la psychologie », on n’imagine pas les formules,
dont il interroge « si les pensées abandonnées à elles-mêmes sont encore les actes du
« Je » ? » D’où il répond du même jet : « C’est impossible ». (p. 143 de l’ustensile).
Et p. 151 « Les désirs inconscients…. la conscience les perçoit, mais à aucun moment une
activité en première personne, un acte ayant forme humaine (italiques de l’auteur) et
impliquant le « je » n’intervient. Mais il reste que ce désir est soumis à des transformations
qui ne sont plus des actes du « je »… Les systèmes trop autonomes rompent la continuité du
« je » et l’automatisme des processus de transformation et d’élaboration exclut son activité ».
Voici où en revient la prétendue critique, à l’exigence des postulats tenus pour les plus
arriérés même là où ils ne persistent, à savoir dans la psychologie universitaire, qu’à rester la
fonder quoi qu’elle veuille.
Ce n’est pas d’un recours à l’auteur, dont procéderait le discours universitaire, que
j’expliquerai comment, promouvant justement le « récit » comme cela même dont se cerne
l’expérience analytique, il en ressort, fantôme, pour n’y avoir jamais regardé.
C’est dans le nominalisme essentiel à l’Université moderne, soit celle dont s’enfume le
capitalisme, que je ferai lire l’échec scandaleux de cette critique. Là est le discours où l’on ne
peut que se prendre toujours plus, même et surtout à le maudire. (Opération combien risible
après coup).
Mes L s’en tirent d’un coup d’éventail dont ils chassent cette « première personne » de
l’inconscient. Eux savent bien comment cet inconscient, je l’entu-ile, à leur gré. C’est « en
personne », nous disent-ils, qu’il vaut mieux l’engoncer.
Ils auraient pu se souvenir pourtant que je fais dire à la vérité « Je parle », et que si j’énonce
qu’aucun discours n’est émis de quelque part qu’à y être retour du message sous une forme
inversée, ce n’est pas pour dire que la vérité qu’ainsi un Autre réverbère, soit à Tue et à Toit
avec Lui.
À Politzer, j’eusse proposé l’image du Je innombrable, défini du seul rapport à l’unité qu’est
la récurrence. Qui sait ? Je l’eusse remis au transfini. »57
Lacan commente le colloque de Bonneval où les deux L, Laplanche et Leclaire, élèves qui le
trahiront et participeront à son exclusion de l’association psychanalytique internationale
dominée par les Etats-Unis, et vont développer la thèse contraire à Lacan : l’inconscient est la
condition du langage.
57
Idem, pp. 9-10
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Laplanche se gaussera de la thèse de Politzer concernant la continuité nécessaire du Je. Tout
en critiquant la position de Politzer, de façon respectueuse, Lacan saisira que ce que Politzer
dénonce dans son ouvrage de 1928, il y revient du fait d’être pris dans le discours
universitaire et non dans le discours psychanalytique. Voilà le point essentiel de l’affaire.
Ce propos
de Lacan s’éclaire le 21 janvier 1970 dans le Séminaire « l’Envers de la
psychanalyse », dans la séance intitulée par Jacques-Alain Miller, « Vérité, sœur de
jouissance »
Lacan, alors qu’il définit pour la première fois devant son auditoire, les quatre discours,
insiste sur le discours universitaire et revient vers Georges Politzer. Il va donner plus
clairement une clé de l’aporie de Politzer. Après avoir évoqué le sens et le non sens,
Wittgenstein, Freud et l’unglauben de la psychose, il va insister sur le point du « Ne rien
vouloir savoir du coin où il s’agit de la vérité » Et là viennent l’éloge, et aussi la critique qui
permet de saisir une aporie de Politzer.
Citons Lacan :
« La chose est, pour l’universitaire, si pathétique qu’on peut dire que le discours de Politzer
intitulé Fondements de la psychologie concrète, à quoi l’a incité l’approche de l’analyse, en
est un exemple fascinant.
Tout se commande de cet effort pour sortir du discours universitaire qui l’a formé de pied en
cap. Il sent bien qu’il y a là quelque rampe par quoi il pourrait en émerger.
Il faut lire ce petit ouvrage, réédité en livre de poche sans que rien, à ma connaissance, puisse
prouver que l’auteur eût lui-même approuvé cette réédition, alors que chacun sait le drame
qu’a été pour lui l’accablement des fleurs sous lequel a été couvert ce qui d’abord se pose
comme cri de révolte.
Ses pages cinglantes sur la psychologie, spécialement universitaire, sont étrangement suivies
d’une démarche qui, en quelque sorte, l’y ramène. Mais ce qui lui a fait saisir par où il y avait
espoir pour lui d’émerger de cette psychologie, c’est qu’il ait mis l’accent sur ceci –ce que
personne n’avait fait à son époque-, que l’essentiel de la méthode freudienne pour aborder ce
qu’il en est des formations de l’inconscient, c’est de se fier au récit. L’accent est mis sur ce
fait de langage, d’où tout, à vrai dire, eut pu partir.
Il n’était pas question à l’époque - c’est de la petite histoire – que quelqu’un, fût-il à l’Ecole
Normale, ait la moindre idée de ce qu’est la linguistique, mais il est tout de même singulier
Congrès Marx international VI. Université de Nanterre. Septembre 2010. Section Etudes marxistes
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qu’il ait ainsi approché que c’est là le ressort qui donne espoir de ce qu’il appelle étrangement
psychologie concrète.
Il faut lire ce petit livre, et si je l’avais ici, je le lirais avec vous. Peut-être en ferai-je ici, un
jour, matière à notre entretien, mais j’ ai assez de choses à dire pour n’avoir pas non plus à
m’attarder à quelque chose dont chacun d’entre vous peut voir l’étrangeté significative – que
ce soit à vouloir sortir du discours universitaire, qu’implacablement on y rentre. Ceci se suit
pas à pas.
Que fera-t-il comme objection aux énoncés, je veux dire à la terminologie, des mécanismes
qu’avance Freud dans son progrès théorique ? – sinon qu’à énoncer autour de faits isolables
d’abstraction formelle, comme il s’exprime confusément, Freud laisse échapper ce qui est
pour lui l’essentiel de l’exigible en matière de psychologie,
à savoir que tout fait psychique ne soit énonçable qu’à préserver ce qu’il appelle l’acte du Je,
et mieux encore, sa continuité. Ceci est écrit — la continuité du Je.
Ce terme est sans doute ce qui a permis au rapporteur58 dont je parlais tout à l’heure de briller
aux dépens de Politzer, auquel il introduit une petite référence, histoire, comme cela,
d’amadouer ce qu’il pouvait alors avoir comme auditoire. Un universitaire qui s’est montré
par ailleurs un héros, quelle bonne occasion de le produire. Cela fait toujours bien d’en avoir
un, de temps en temps, mais cela ne suffit pas, si l’on en profite sans pouvoir démontrer pour
autant l’irréductible du discours universitaire par rapport à l’analyse. C’est pourtant d’une
lutte singulière que ce livre témoigne, car Politzer ne peut pas ne pas sentir combien la
pratique analytique est tout près, en fait, de ce qu’il dessine idéalement comme tout à fait hors
du champ de tout ce qui s’est fait jusque-là comme psychologie. Mais il ne peut faire
autrement que de retomber sur l’exigence du Je.
Non, certes, que moi-même j’y voie quelque chose qui soit irréductible. Le rapporteur en
question s’en débarrasse trop aisément à dire que l’inconscient ne s’articule pas en première
personne, et de s’armer pour cela de tel et tel de mes énoncés, sur le fait que son message, le
sujet le reçoit de l’autre sous sa forme inversée.
Ce n’est certes pas là raison suffisante. Ailleurs j’ai bien dit que la vérité parle Je. Moi, la
vérité, je parle. Seulement, ce qui ne vient à l’idée, ni de l’auteur en question, ni de Politzer,
c’est que le Je dont il s’agit est peut-être innombrable, qu’il n’y a nul besoin de continuité du
Je pour qu’il multiplie ses actes.
Ce n’est pas là l’essentiel. »59
58
59
Il s’agit donc de Jean Laplanche
LACAN J, Le Séminaire, L’envers de la Psychanalyse, Seuil, Paris, 1991, pp 72-73
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Lacan fait donc à nouveau l’éloge de Politzer, qui, ignorant la linguistique, a été le seul à
souligner en 1928 le facteur déterminant de la psychanalyse « l’essentiel de la méthode
freudienne pour aborder ce qu’il en est des formations de l’inconscient, c’est de se fier au
récit. L’accent est mis sur ce fait de langage (…) »
Cela est très important et justifie notre titre « Lacan élève de Politzer » : la thèse qui fait
l’originalité du retour à Freud chez Lacan,et qui donnera à terme la formule « l’inconscient est
structuré comme un langage », est bien inaugurée par Politzer en 1928. Le « structuré
comme » n’est pas bien sûr politzerien mais althusserien. Cependant les dernières années de
l’enseignement de Lacan sont marquées par la rupture avec la psychanalyse freudienne et le
structuralisme. L’idée que je soumets et porter au travail est que cette dernière partie de
l’enseignement de Lacan que l’on peut nommer « l’orientation du réel » n’est pas sans lien
avec l’orientation concrète.
Lacan donne donc aussi une clé concernant une première aporie de Politzer. Nous entendons
par aporie le fait de se priver du chemin qui permet de sortir de la contradiction, de trouver
une issue à cette dernière.
De quoi s’agit-il ? Politzer critique la psychologie universitaire, qu’il appèle psychologie
classique, démonte ses avatars entamés par la psychanalyse. Pour autant Politzer ne peut sortir
du discours unversitaire.
Lacan insiste pour dire qu’il y a un irréductible entre le discours universitaire découvre à ce
moment précis de son enseignement et la psychanalyse et souligne que Politzer est alors tout
près de la solution.
Politzer a été tout près avec la construction de la psychologie concrète et du tryptique
« drame, récit, signification » de la solution qui permettait de sortir du discours universitaire
qui est une des apories de la psychanalyse. Dans le discours universitaire, qu’il convient de
différencier du savoir produit par des universitaires en particulier, le savoir scientifique est
aux commandes et répond au discours du maître.
Où se trouve la solution ? Dans la pratique insiste Lacan soit donc la pratique de transfert.
La pratique de transfert permet de sortir de l’aporie du discours universitaire. Politzer n’avait
pas cette pratique.
Actuel Politzer
Actuel Politzer ! pourrait-on énoncer à l’issue de ce bref parcours.
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La critique faite par Politzer à la psychanalyse est toujours très actuelle et le catalogue de
remarques qu’il dresse au début de son ouvrage de 1928 à la psychologie universitaire
mériterait d’être reprise pour la psychologie et la psychanalyse aujourd’hui. Le savoir critique
qu’il produit par la suite à partir de Marx est confirmé par les faits historiques et repris par
Lacan : la psychanalyse n’a pas combattu le nazisme (Freud a été de ce point de vue politique
réactionnaire), elle a connu la voie vers l’American way of life de façon caricaturale puis
larvée, malgré les efforts de Lacan. Le libéralisme a eu clairement un allié objectif à travers la
psychanalyse. Cela est majoritairement fondé aujourd’hui encore même si des critiques
psychanalytiques, la plupart du temps abstraites et idéalistes, du capitalisme se font plus
nombreuses.
Avec le concept de drame qui noue l’action, le regard, le corps, le récit qui place l’humain fait
de langage, la signification qui suppose un savoir, Politzer a tracé les grandes lignes d’une
orientation pour une révolution de la psychanalyse. Lacan s’en est inspiré, l’a cité comme
moteur de travail.
Pour autant il y a eu une aporie Politzer : des contradictions concernant la psychanalyse
freudienne qui n’ont pas trouvé leur chemin et aboutissent à une condamnation de la
psychanalyse. Ces contradictions étaient présentes dès l’analyse de 1928 mais ont abouti à
une impasse du fait de l’impossibilité de sortir du discours universitaire, de rentrer dans le
discours psychanalytique. Ce qui lui fit défaut fut cette absence de référence à la pratique de
transfert. Là est la clé de l’aporie.
Cela est clair pour l’approche de Politzer qui était donc selon Lacan tout près de la solution.
Il s’agit donc de prendre en compte cet outil du transfert et la supposition dans le rapport au
savoir, qui y est afférente.
Avec cet outil, qui lui manquait, les thèses de Politzer me paraissent de plus en plus actuelles
et pertinentes pour sortir de certaines apories : un certain enlisement psychanalytique, des
thèmes répétitifs constamment ruminés qui tournent en rond, une articulation du singulier et
du collectif engoncée dans l’abstractionspéculative.
Les psychanalystes qui travaillent dans les situations concrètes de l’angoisse sociale et de la
folie produisent, transmettent un savoir et son envers du fait même de la rencontre et du
transfert avec ce dont il s’agit dans le conflit social subjectif et objectif. Exerçant dans des
structures publiques héritées de l’influence communiste dans la psychiatrie française entre
1960 et 1970, ces travailleurs de la santé mentale ont pour référence une base sociale
différente pour la psychanalyse et un autre rapport au transfert.
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Lacan fournit également un autre outil à travers le concept de jouissance qui change de statut
dans son enseignement après 1968 avec le terme de plus de jouir, pris en homologie à la plusvalue de Marx. La jouissance de l’humain ne se résout pas au concept d’exploitation. Là aussi
l’abord du concret promu par Politzer me paraît extrêmement porteur, à la condition
cependant de pouvoir faire un retour à Lacan à partir de Politzer ! En effet tout un pan de
l’enseignement de Lacan est à reconsidérer à la lumière de la critique de l’abstraction, du
formalisme ou du spéculatif. C’est ce pan qui a nourri les thèses bricolées par Lacan, au sens
élevé du terme « bricolée » et non péjoratif,
à partir de Lévi-Strauss, Saussure, le
structuralisme, et qui donneront les formules « l’inconscient est structuré comme un
langage », « le signifiant est le symbolique » etc…
Il se trouve que c’est surtout cette référence qui est prise lorsque l’étude du plus de jouir est
faite. Le livre récent de Pierre Bruno, « Lacan, passeur de Marx »60 en témoigne parfaitement.
Cet ouvrage, par ailleurs tout à fait intéressant, ne prend pas en compte l’orientation du réel, la
forclusion du sens dégagées par Lacan en 1976 et qui ne sont donc pas sans lien avec la
psychologie concrète et l’obstacle du « donner un sens à l’inconscient » promus par Politzer.
Il est significatif que dans l’ouvrage « Lacan, passeur de Marx » le nom de Politzer n’y
apparaît que deux fois dans une visée tout à fait anecdotique.
J’ai dégagé dans ma thèse de Doctorat de Psychanalyse en 2003 « Transsexualisme, une
logique de retranchement »61 la rupture épistémologique fondamentale dans l’enseignement
de Lacan qui énonce le 8 décembre 1971 dans son séminaire que « le signifiant, c’est la
jouissance » : l’abstraction spéculative du « le signifiant, c’est le symbolique » tombe. Le
signifiant comme jouissance fonctionne comme « motérialité », matérialité concrète prise
dans une logique.
Cela fournit une dimension concrète à la logique humaine individuelle et collective. J’ai noté
dans le séminaire « Le défaut de civilisation au XXème siècle, la question portée par Hitler –
lecture de l’inconscient »62 la fonction des plus de jouir d’Hitler dans l’articulation du
singulier et du collectif. Je l’ai repris succinctement dans un article « Déchéance de
nationalité et plus de jouir »63
60
BRUNO P, Lacan, passeur de Marx, érès, 2010
HUBERT H, Transsexualisme, une logique de retranchement, Thèse Université Paris 8, 2003
62
HUBERT H, Le défaut de civilisation au XXème siècle, la question portée par Hitler – lecture de
l’inconscient, Séminaire tenu à la Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme, 2008-2009, inédit,
Séminaire du Cedrate (hébergé)
63
HUBERT H, Déchéance de nationalité et plus de jouir, Le Monde.fr le 25 août 2010
61
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Il s’agit donc de prendre l’orientation de travailler dans la pratique et dans la théorie à partir
de Lacan et Politzer, avec comme outil fonctionnel le transfert, en saisissant le plus de jouir
« de l’individu concret et de son milieu historique concret »
L’aporie de Politzer peut se transformer en levier pour avancer sur les apories
psychanalytiques d’aujourd’hui. Les potentiels me paraissent considérables avec des
contributions sur l’envers de la situation de départ : saisir le potentiel subversif sinon
révolutionnaire de la psychanalyse pour transformer le rapport social.
L’outil psychanalytique du transfert et le champ d’expérience de la psychanalyse me permet
en effet d’avancer la thèse que si l’essence de l’homme est dans les rapports sociaux, ainsi que
l’affirme Marx, nous pouvons rajouter que le rapport social est un transfert. Le rapport social
fonctionne comme transfert, dans l’orientation psychanalytique du terme. Cette thèse que j’ai
formulée pour la première fois dans l’introduction au 1er colloque international tenu à La
Havane « Trans-Identité, Genre et Culture » le 10 juin 2010, peut développer ses potentiels
dans les histoires singulières comme dans l’étude de l’Histoire. Tel est le pari issu de l’étude
d’une aporie.
Nanterre, le 24 septembre 2010
Hervé Hubert, Psychiatre, Psychanalyste
Docteur en Psychanalyse (Paris 8), Docteur en Psychologie (Rennes 2)
Ancien Expert près la Cour d’Appel de Rennes
Chef de service d’un centre de consultations psychanalytiques gratuites en langues étrangères
à Paris
A enseigné la psychanalyse au Département de Psychanalyse Paris 8 de 1999 à 2007
Directeur de Séminaires de Psychanalyse à l’Institut Paul Sivadon, Paris
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