Une majorité présidentielle au Parlement pour conjurer cohabitation et instabilités institutionnelles. Professeur Moustapha Kassé Doyen Honoraire de la FASEG La campagne des élections législatives est en train de s’achever sans emballer véritablement les électeurs qui sont fatigués et complètement saturés par deux bonnes années de guerre de politique politicienne que le Président Abdoulaye Wade a imposé au pays. Le coût économique, financier et social sera sans doute très élevé à moyen et long terme et cela en termes de temps de travail perdu, d’Investissements directs étrangers en latence, de perte de nuitées touristiques etc. Sans nul doute, le bénéfice que le peuple en a tiré est la réalisation d’une alternance apaisée. Après bien des péripéties et beaucoup d’inquiétudes, la démocratie sénégalaise a magistralement triomphé en corrigeant par les urnes la défaillance de la juridiction majeure et a permis de se débarrasser d’un régime patrimonial caractérisé par un autisme total d’un homme qui régentait tout. Il s’agissait d’abord d’un autisme social concernant une situation calamiteuse et désastreuse, caractérisée, entre autres, par la pauvreté de masse et la précarité, le chômage endémique qui affecte au premier chef la jeunesse devenue une génération galère, la cherté de la vie et la paupérisation des populations laborieuses ; ensuite un autisme politique qui découle d’une longue absence de dialogue et de concertation avec l’opposition qui, en démocratie, est un pôle de légitimité ; et enfin un autisme économique qui s’est manifesté dans le creusement des inégalités de revenu, la montée de la corruption qui a permis la constitution de fortunes abyssales par un clan et des détournements de deniers publics. Une analyse socio-économique nous indique que plus de 65% des sénégalais de la population ont voté pour le changement qu’ils attendent depuis les années 80. Nier un problème n’a jamais suffi à le supprimer. Or, le combat politique des législatives, dans lequel se sont engagés 24 Partis, coalitions de partis et listes citoyennes, nous permet de constater que la quasi-totalité des acteurs politiques en compétition se contente d‘un catalogue de propositions plus ou moins long et des propositions qui sont, la plupart du temps, des promesses démagogiques. En matière de politique économique et sociale aucun des mouvements en lice ne propose de véritables projets de société. Bien que certains d‘entre eux se présentent comme des forces de gauche, elles ne déclinent cependant pas avec clarté les valeurs caractéristiques de la gauche que sont la justice sociale, la solidarité, et la demande d’équité. Le Parti Démocratique Sénégalais et son versant mou, le Benno Bok Guiss-Guiss, sont les formations défaites qui déroulent une campagne de victimisation en faveur de certains de leurs dirigeants qui ont maille à partir avec la justice. Au total, cette opposition est sans vision de société, ni discours économique cohérent. Tout se passe comme si les sénégalais dont on sollicite les suffrages n’ont pas le droit de savoir comment ils seront gouvernés dans une semaine et comment les politiques prendront en charge leurs préoccupations sociales. On ne gouverne pas avec des vœux, en la matière on ne dépassera jamais les marchands d’illusions. Qu’en sera-t-il quand elle sortira majoritaire des joutes électorales de juillet? Il va alors s’ouvrir une cohabitation entre le Président de la République et un Premier ministre, chef de gouvernement, choisit par la nouvelle majorité parlementaire. I/ Les risques et le coût de la cohabitation, divination sur un scénario du désordre et de la catastrophe. Ne ratons pas l’alternance : le Sénégal est un havre de paix, de stabilité et de cohésion sociale. Ce sont ces vertus qui fondent son leadership dans la sous-région, le continent et le monde. Ces vertus peuvent être compromises par une éventuelle cohabitation. En effet, la coexistence entre le chef de l'État et le chef du gouvernement politiquement antagonistes appelle trois remarques. La première concerne les instabilités qui naissent de la différence des statuts et des fonctions assignés aux deux protagonistes. Le Président de la République est élu par le peuple sénégalais autour d’un programme -1- de redressement économique et social qu’il ne peut mettre en œuvre. Le chef de gouvernement est dans une situation moins favorable car le Président de la République dispose de moyens constitutionnels pour rejeter certains projets du Premier ministre et de son gouvernement. La deuxième remarque est que dans la cohabitation la dyarchie du pouvoir s’auto bloque : chaque camp essayant de contrer les initiatives du camp adverse. Au terme de deux années d’instabilité politique et institutionnelle, le Président de la République finira par dissoudre l’Assemblée nationale et dans le cas d’espèce, le Sénégal fera un bon quinquennat de politique politicienne. La troisième remarque est que ce cafouillage institutionnel et cette instabilité conflictuelle entraînent une élévation du risque pays qui va se traduire par le freinage des investissements extérieurs de même que l’Aide Publique au Développement. De plus, le pays sera pris au piège de l’affrontement entre deux majorités et le travail productif en sera grandement affecté. Toutes ces remarques sur ce scénario indiquent le risque permanent d’incompatibilité et d’affrontement entre deux fonctions, deux légitimités pour le plus grand malheur du pays. C’est dire que la cohabitation débouchera irrémédiablement sur l’immobilisme économique et social ; en conséquence, elle sera coûteuse et va compromettre le progrès et les transformations indispensables pour le redressement du pays. Il s’ensuivra une grave crise politique qui imposera au Président de la République de recourir à la dissolution de l’Assemblée nationale. La solution pour éviter ce scénario catastrophe est de donner au Président de la République une majorité parlementaire afin qu’il applique son programme dans le respect de la logique des institutions de gouvernance. II/ Le redressement économique du pays passe par « Au boulot, citoyens ». En analysant la situation économique et financière, on s’aperçoit qu’il y a encore beaucoup à faire. Cela devrait commencer la remise en ordre des finances publiques pour la croissance. Le Président de la République dispose de programmes pertinents qu’il importe de mettre en harmonie : les Conclusions des Assises nationales, le Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté, la Stratégie de la Croissance Accélérée, le Yonou Yokouté et les Projets du 12ème Plan. A partir de ces documents, il importe d’élaborer une politique macroéconomique qui permet principalement de créer un environnement favorable au développement de l’offre productive au sein d’une économie ouverte et de prendre en charge l’immense ambition de réconcilier l’économique et le social, de parachever l’édification d’une économie sociale de marché à la fois juste et performante et de conduire le pays vers le progrès et la modernité. Cette politique devrait permettre de résoudre la demande sociale c’est-à-dire la réduction du couple pauvreté/chômage, les problèmes de l’Ecole et de la Santé pour tous, d’assurer le logement au plus grand nombre. Sa réussite peut être accélérée par un fort consensus politique dont le moins qu'on puisse dire, est qu'il est effectif avec Le Benno Bok Yakaar. Aujourd’hui, après cette seconde alternance, le pays dispose d’atouts importants qu’il faut exploiter: d’abord des visions stratégiques en matière de croissance économique, des facteurs de production disponibles, une architecture institutionnelle de qualité, une démocratie pluraliste et consensuelle, une élite disponible et des ressources humaines appréciables, mais aussi des personnalités de grande expérience. Lorsqu’on analyse les performances exceptionnelles de l’Asie, pendant ces trente dernières années, elles sont attribuables à quatre éléments interdépendants : le contenu de la stratégie de développement, l’utilisation optimale des facteurs de production, le mode de fonctionnement du gouvernement et la qualité des institutions de gestion de l’économie. La conjugaison de ces éléments a généré une offre de biens et services, l’ouverture sur les marchés extérieurs, le dynamisme du secteur privé, l’efficience de l’administration, des systèmes financiers, de la main d’œuvre, les infrastructures et les institutions d’encadrement. Il faut chercher à quantifier tous ces éléments pour comprendre le processus de génération de cette croissance durable en Asie. Manifestement, le Sénégal peut réussir ce challenge car l’essentiel des facteurs sont en place : le cadre macroéconomique est assaini, la croissance économique n’est pas inhibée par la croissance démographique, le cercle vicieux d'appauvrissement est affaibli (pas trappes inéluctables de pauvreté ni -2- blocage par l'extérieur), la communauté internationale est favorable (multiplication des projets et initiatives d’appui au développement et à la réduction de la pauvreté), les institutions sont solides avec une parfaite interaction entre le local, le national et le régional. Par-dessus tout le pays est dirigé par un leadership qui a une vision et une ambition. Les économistes quant on les interroge sur les voies et moyens pour accélérer les rythmes de croissance vous rétorquent de façon abrupte : « Au boulot, citoyens ». L’Asie illustre parfaitement ce propos car elle abrite les d’ateliers de sueur. On s’y développe par la transpiration. Au Sénégal l’attitude à l’égard du travail est trop permissive et constitue une lourde pesanteur qui empêche la formation d’une société de travail dynamique et innovante. Au-delà de ces perspectives macroéconomiques, le Sénégal dispose d’énormes réserves de croissance non encore exploitées non seulement au niveau des secteurs agricole, industriel et tertiaire mais surtout à l’échelon des facteurs de production comme le travail, le capital et leur productivité. Enfin, le Président de la République a façonné un consensus social fort avec BBY qui génère la confiance et l’acceptation collective de conduire les transformations pour mobiliser le capital social encore en latence. Sans consensus politique, pas de croissance. Celle-ci sera retrouvée grâce à la confiance, à la cohésion et à l’unité nationale; elle rendra possible la satisfaction de la demande sociale. . En effet, une action concertée débouche sur une économie « forte, stable et équilibrée ». L’entente entre les acteurs du terrain politique constitue un cadre d’analyse de la dynamique de la politique consensuelle pour mener à bien les transformations en vue du bien être commun. En Conclusion Assurément, le Sénégal réunit, aujourd’hui, tous les atouts en mesure d’opérer les mutations profondes qui peuvent le conduire au développement durable et à la prospérité à condition que l’élection d’une majorité nouvelle conduise à la mise en œuvre effective de politiques nouvelles fondées sur la construction de bonnes architectures institutionnelles, l’élaboration de bonnes règles de gouvernance économique, le fonctionnement d’une bonne démocratie pluraliste et la mobilisation de tous les acteurs de la société. En effet, l’application rigoureuse du programme présidentiel de gouvernement pourra libérer les forces productives matérielles et humaines, restaurer l’équilibre des finances publiques, renforcer les bases de la compétitivité de I’ économie nationale. Cette politique, à l’évidence, demande la fortification du début de consensus national qu’il faut rendre encore plus large pour ne laisser aucune force patriotique sur le bord de la route. Dans ces conditions, il sera parfaitement possible d’accélérer le développement économique et social et de réussir le projet de modernisation signe de l’émergence économique du Sénégal. Dakar, juin 2012 -3-