FORUM PUBLIC DE L`OMC 2011

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INT/SUB/2472
FORUM PUBLIC DE L'OMC 2011
Quelles sont les incidences du printemps arabe
sur le commerce et la compétitivité?
Transcription
Modérateur: Bernard Kuiten, Chef du Service des relations extérieures de l'OMC
M. Taleb Rifai, Secrétaire général de l'Organisation mondiale du tourisme
M. Naguib Sawiris, ancien Président et PDG d'Orascom Telecom
Bernard Kuiten
Mesdames et Messieurs. Bienvenue au Forum de l'OMC.
Les soulèvements qui ont eu lieu en 2011 dans la région arabe ont donné lieu à des débats et à
des analyses intenses. Les possibilités qu'offrent ces événements sont immenses. Elles le sont
politiquement, socialement et économiquement, mais elles sont aussi fragiles. Le monde observe
attentivement la situation, en ce qui concerne aussi bien l'insécurité et l'instabilité que les
changements en cours. Mais il y a désormais aussi une impatience quant au changement social
demandé. Afin d'exploiter ces possibilités, il est probablement indispensable, comme le disent les
observateurs, que l'État et le secteur privé coopèrent de façon étroite, notamment pour transformer ce
changement social en perspectives et en stabilité économiques à plus long terme. Le commerce est un
élément important de cette équation globale, et nous savons – indéniablement – que ces événements
ont modifié la position des pays de la région dans les relations commerciales régionales aussi bien que
mondiales. Les questions posées aujourd'hui sont les suivantes: quels sont ces effets et comment et
où se font-ils sentir?
Nous avons la grande chance d'avoir deux éminents visiteurs avec nous: M. Taleb Rifai,
Secrétaire général de l'Organisation mondiale du tourisme, et M. Naguib Sawiris, ancien Président et
PDG d'Orascom Telecom. Messieurs, bienvenue dans notre forum. Vous avez tous deux une grande
expérience de et dans la région. Je commence par vous, M. Rifai. Pourriez-vous nous faire part de
votre point de vue et de vos réflexions sur les conséquences que les événements récents ont eues sur la
situation de la région arabe en matière de commerce et de concurrence?
Taleb Rifai
Je pense que, pour des raisons objectives, ces conséquences doivent être divisées en deux
parties.
L'une comprend les incidences immédiates et temporaires des événements et de leur
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évolution sur le commerce et les autres secteurs de l'économie; l'autre concerne le moyen et long
termes. Et elles peuvent être passablement différentes à cet égard. Les effets immédiats sont
évidemment dévastateurs. Je prendrai le tourisme et les voyages comme exemple pour le commerce
des services et les exportations de services. Et pour montrer comment des pays tels que l'Égypte et la
Tunisie ont payé concrètement un lourd, très lourd tribut à court terme, plus de 40 pour cent de baisse
jusqu'à présent, bien que la situation se soit quelque peu stabilisée, mais il s'agit d'une perte de
revenus très précieux pour deux pays qui sont à ce point tributaires de l'industrie des voyages et du
tourisme. C'est juste un exemple.
Je propose que nous divisions ces pays en trois groupes. Le premier est composé de pays qui
sont directement touchés par les événements, comme la Tunisie et l'Égypte, et maintenant la Libye
bien entendu. Et certains autres aussi tels que le Yémen et la Syrie, où l'impact se ressent très, très
directement maintenant. Et puis, il y a le deuxième groupe, celui des pays qui sont touchés en raison
de leur association ou de leur proximité avec les premiers. La Jordanie et le Liban, par exemple, ont
beaucoup pâti du point de vue du tourisme, je les prends là aussi comme exemples, simplement du fait
que les événements ont lieu dans leur voisinage. Le Maroc est moins touché, mais la perception
concerne l'ensemble de la région. Et il y a un troisième groupe de pays qui, de façon surprenante,
n'ont pas été affectés.
Ils ont même peut-être retiré des avantages.
Les pays du Conseil de
coopération du Golfe, par exemple, dans le domaine du tourisme – pour faire une comparaison
correcte et pertinente – ont en fait connu une embellie et une croissance. Donc, l'effet immédiat est
varié, mais il est généralement dévastateur. À long terme, cependant, nos avis divergent, et nous
pouvons en parler tandis que nous avançons dans ce débat.
Bernard Kuiten
Souscrivez-vous à ce point de vue, M. Sawiris?
Naguib Sawiris
C'est un excellent point de vue. Je pense que, pour ne pas répéter ce que mon collègue vient
de dire, nous souffrons à court terme d'une catastrophe économique, d'une pénurie de devises, d'une
pénurie de revenus. Ce dont nous avons besoin à court terme, c'est d'un plan Marshall qui garantisse
le bon déroulement du processus démocratique, des élections, etc. Nous avons besoin de ce type de
financement pour passer cette période, que j'estime à environ 12 mois. L'autre partie, l'aide dont nous
avons besoin, c'est une aide pour éviter les erreurs du passé, quand nous avons adopté un modèle
d'économie libérale, et nous avons déjà dit qu'il n'a pas entraîné de retombées pour les catégories
défavorisées. Nous avons besoin d'une certaine aide pour éviter de répéter cette erreur et faire en
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sorte que le modèle libéral ait des retombées sur les masses, qui ont été privées dans le passé d'une vie
décente, d'éducation et de soins de santé. Ensuite, lorsque nous aurons un État démocratique et un
gouvernement démocratiquement élu, ce dont nous aurons besoin durant cette phase, c'est d'un
encouragement à l'investissement étranger de la part des gouvernements occidentaux pour dire à la
population: "D'accord, maintenant, vous avez un régime démocratique dans ces pays". Nous avons
besoin d'aller vers eux pour les aider à établir leur économie, et puis nous avons besoin de l'aide de
toutes les institutions, qu'il s'agisse de la SFI ou de la KfW ou toutes ces organisations telles que la
vôtre, l'OMC, pour nous proposer des méthodes permettant d'accroître les exportations de ces pays à
titre temporaire ou d'alléger les taxes et les droits de douane et d'encourager la création de PME, mais
avec un modèle dynamique et accéléré. Le problème que nous avons avec les institutions et les
donateurs internationaux, c'est qu'il faut une éternité pour la mise en œuvre, et quand l'argent arrive,
les gens sont déjà noyés ou morts.
Bernard Kuiten
Il semble qu'on en revienne à la question de l'urgence et du besoin d'aide, et vous avez dit que
l'aide devrait ou pourrait venir des institutions internationales. Pourrait-elle venir aussi d'ailleurs, des
gouvernements ou du secteur privé?
Taleb Rifai
Oui, bien sûr. L'aide peut venir de partout, mais je pense aussi qu'elle doit être qualifiée.
L'aide doit aller là où elle change les choses et de façon à changer les choses. Pour l'instant, elle est
absolument nécessaire au moins dans les trois grands pays où la transformation a déjà eu lieu:
Égypte, Libye et Tunisie. Et c'est là que la bonne volonté doit se manifester, de la part de la
communauté internationale aussi bien que du secteur privé. Et, pour le secteur privé, c'est une chose
particulièrement bénéfique à long terme. Il est prioritaire d'investir maintenant dans ces pays, parce
qu'il arrivera un moment où ils seront plus compétitifs et plus attractifs et où l'investissement sera plus
exigeant encore. L'aide dans les autres pays arabes doit être calculée, parce que les choses sont encore
en train de se faire et d'évoluer. Nous ne pouvons pas nous adresser à la communauté internationale
comme si le monde arabe constituait un seul bloc. Il y a des stades différents d'évolution politique en
cours, et nous devons faire preuve de beaucoup d'habileté et d'intelligence à ce sujet.
Bernard Kuiten
Étant donné l'urgence, qui devrait concrètement calculer quelle aide est nécessaire et où?
Est-ce le gouvernement? Est-ce le secteur privé ou d'autres institutions indépendantes?
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Naguib Sawiris
Non, principalement les gouvernements, parce qu'ils sont aux commandes maintenant, mais
les gouvernements ont besoin d'interlocuteurs internationaux. Et ces interlocuteurs sont généralement
très lents et bureaucratiques, or nous avons besoin d'aide maintenant. Nous avons des difficultés
maintenant. Il y a un déficit maintenant. Les gens ont fait cette révolution et ils en attendent des
résultats: ils attendent une vie meilleure, de la nourriture, des soins de santé, de l'éducation. Ils
pensent que cette révolution leur apportera tout cela, mais le fait est que nous ne pouvons faire cela
seuls, car nous sommes engagés pour l'instant dans la mise en place de notre processus démocratique
afin d'instaurer un gouvernement fort, donc nous avons besoin que toutes ces institutions – SFI,
Banque mondiale, Union européenne – interviennent et réduisent vraiment la paperasserie pour que
cet argent assure la stabilité entre-temps et nous aide de la façon dont l'Allemagne de l'Est a aidé à
l'intégration ou dont le bloc de l'Est a été aidé pour développer ses pays selon le modèle démocratique
d'économie libérale.
Bernard Kuiten
Vous voyez donc un rôle très fort pour les gouvernements, mais il y a des commentateurs qui
disent que les gouvernements ne sont pas encore prêts ou pas suffisamment en place pour prendre
réellement cette position et offrir ce type d'aide, car il pourrait y avoir un décalage. Voyez-vous ce
décalage aussi?
Taleb Rifai
Oui, si vous parlez des gouvernements en place actuellement dans les pays dont nous parlons,
bien sûr, car ce sont des gouvernements en cours de formation. Dans six mois, nous verrons peut-être
une morphologie politique totalement différente.
Mais le fait est que l'aide internationale est
nécessaire et qu'une aide de bonne foi est nécessaire, et je dois le souligner le plus possible, car le
climat, la situation dans ces pays ne sont pas non plus totalement dénués de scepticisme et de
suspicion quant aux motifs et aux intentions, et c'est en partie justifié et en partie injustifié.
La deuxième chose est que nous avons besoin de gérer les attentes de la population dans ces
pays, maintenant qu'ils ont accompli à un prix très lourd ce qu'ils pensaient que le monde attendait
qu'ils accomplissent, et maintenant ils ont besoin d'être récompensés. Nous savons très bien que ce ne
sera pas demain, mais nous avons besoin de gérer ces attentes, donc c'est là que la communauté
internationale doit intervenir, et intervenir avec style et de bonne foi.
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Bernard Kuiten
Quelques réflexions finales à ce sujet?
Naguib Sawiris
Non, je pense que nous devons être optimistes. Nous avons retrouvé notre liberté, nous avons
gagné à nouveau le respect du monde en nous montrant capables de lutter pour notre liberté et de
lutter pour le droit à un État démocratique. Notre rôle maintenant à l'intérieur de nos pays est de nous
battre pour préserver cette liberté chèrement acquise que nous avons obtenue en évitant que la
révolution soit prise en otage par l'une ou l'autre des forces extrémistes, mais nous avons besoin d'aide
et nous n'avons pas honte de le dire.
Bernard Kuiten
Voilà qui est bien dit!
Taleb Rifai
Je souscris entièrement au point de vue de M. Sawiris. Je suis aussi très optimiste. Je pense
que la nouvelle réalité politique encouragera de nouveaux investissements, de nouvelles activités
commerciales et une meilleure évolution économique. L'évolution économique ne peut jamais être
considérée comme séparée de l'évolution politique; et les entreprises, le commerce, les échanges et le
développement économique ne peuvent prospérer que dans un environnement de primauté du droit, de
transparence et de loyauté. C'est le seul moyen pour que les avantages puissent s'étendre à tous et
créer de meilleurs environnements. Nous parions donc sur un bon environnement politique qui
facilite, soutienne et alimente un bon développement économique, et c'est pourquoi nous espérons que
c'est ce qui se produira d'ici à quelques mois au moins dans les pays dont nous parlons.
Bernard Kuiten
M. Sawiris, M. Rafai, merci de ces observations très intéressantes et merci d'observer le
Forum de l'OMC.
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