Le courant de l'évolution semble indiquer que la vie recherche en tout la création, création en
quantité et en qualité. En cela la joie est fruit de la création, adéquation avec la finalité du monde.
L'effort né de la confrontation avec la matière, source de création, est par là même source de joie.
Les deux branches qui semblent l'aboutissement de l'évolution, les insectes d'une part, les
hommes d'autre part, se heurtent au dilemme de tout groupe social: faut-il privilégier la survie du
groupe ou l'instinct créateur de l'individu ?
On peut enfin s'interroger sur le but de notre "passage à travers la matière." N'y-a-t-il pas dans
l'effort un moyen de parfaire notre conscience avant son accession à un au-delà ?
Autant de questions pour le moment insolubles mais auxquelles on saura peut-être un jour
répondre...
B. Les concepts:
Les lignes de faits:
Dans la conception de la vérité que présente ici Bergson, il rejette toute prétention à une
méthode parfaite, donc à une vérité parfaite. Plutôt que de prendre le risque de mener son étude avec
des concepts créés a priori (donc à partir de ses préjugés), il préfère s'en tenir aux faits, à l'expérience.
Grâce à la conjonction des résultats des différentes voies de son études, qu'il choisit d'appeler
"lignes de faits", il entend arriver à un degré de probabilité important, seul objectif accessible. Et, selon
lui, "il y a une foule de cas où [la] probabilité est assez haute pour équivaloir pratiquement à la
certitude."
Bergson cherche donc à approcher la vérité de plus en plus près, par la multiplication des
lignes de faits, c'est-à-dire par l'augmentation de la probabilité.
Pour cette raison même il se refuse à construire a priori des concepts comme celui des
conscience. Il écrit ainsi: "Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi
constamment présente à l'expérience de chacun de nous." Il se refuse à "donner de la conscience une
définition qui serait moins claire qu'elle."
L'intuition (dans "La conscience et la vie"):
En rejetant l'hypothèse d'une accession à une connaissance définitive par l'intelligence,
Bergson introduit le concept d'intuition, qui lui permet de conserver l'idée de progrès de la
connaissance.
L'intuition est pour Bergson le seul biais pour atteindre à ces mêmes connaissances que Kant
déclarait inaccessibles. Il y a certes confusion dans l'intuition, mais par là même, elle est en mesure de
"suivre les contours sinueux et mobiles de la réalité..."
Bergson, lorsqu'il s'interroge sur le moyen de "pénétrer jusqu'au principe même de la vie" n'en
appelle qu'à un moyen: "l'acte d'intuition"; ici il s'agirait de "tâcher d'éprouver sympathiquement ce que
[les hommes qui incarnent le mieux la vie] éprouvent..."
III. Commentaire de quelques citations.
Premier extrait (page 36): "Une réflexion prématurée de l'esprit sur lui-même le découragera
d'avancer, alors qu'en avançant purement et simplement il se fut rapproché du but et se fût aperçu, par
surcroît que les obstacles signalés étaient pour la plupart des effets de mirage."
Ce propos est indissociable de la méthode de recherche que Bergson se propose d'employer,
méthode que nous avons déjà étudiée.
On peut cependant s'interroger: en rejetant toute réflexion préalable, Bergson rejette toutes les
tentatives qui, telles que le doute méthodique de Descartes, cherchent à atteindre une vérité absolue.
En cela, Bergson accepte de s'en tenir au probable; il accepte de ne jamais accéder à la certitude.
La démarche proposée par Bergson, si on ne peut lui nier un certain pragmatisme, a donc ses
imperfections. Elle est le reflet d'une philosophie qui se veut "plus modeste" (tout en étant plus
optimiste).
Il apparaît en outre que Bergson semble réaliser un compromis entre philosophie et science:
s'il dénie à celle-ci et à son outil, l'intelligence, le pouvoir de traiter de certains sujets, il emprunte
cependant, dans sa réflexion, des modes de pensée propres à la science. En se tenant proche de
l'expérience, il en appelle à la multiplications des "lignes de faits" ainsi qu'à la collaboration de chacun.