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Cours, Printemps 2011, Martine Nida-Rümelin, handout 6
Le rôle des intuitions en philosophie (suite)
Suite des remarques sur les intuitions (voir handout 5) :
(Je reprends les points sur le handout 5 à partir du point (c) avec quelques modifications.)
(c) Les intuitions peuvent avoir une force justificatif.
Terminologie : On doit distinguer les intuitions des croyances intuitives intuitive
beliefs »). Les croyances intuitives sont des croyances qui sont basées sur une intuition.
Remarque : Les croyances intuitives sont donc caractérisées par la manière dont on les
acquiert (et non pas par leur contenu).
Exemple pour la distinction entre intuition et croyance intuitive :
L’intuition que Mary apprend quelque chose quand elle sort de son environnement noir et
blanc, peut justifier la croyance (l’opinion, l’acceptation de la thèse philosophique) que Mary
apprend quelque chose quand elle sort de son environnement noir et blanc.
Une personne qui partage l’intuition peut tout de même ne pas former la croyance intuitive
correspondante.
La thèse (c) est très controversée.
Certains philosophes soutiennent que les intuitions ne sont que des réactions qui expriment
nos préjugées. Dans ce cas il ne serait pas rationnel de baser une croyance sur une intuition.
Problème pour ceux qui soutiennent (c) :
- le désaccord intuitif très répandu en philosophie
- les résultats de la philosophie expérimentale : on démontre que les réactions intuitives des
gens varient selon le contexte culturel.
- les données de la psychologie empiriques sur les erreurs systématiques dans les jugements
intuitifs des gens.
(Voir l’article de Ernest Sosa dans la documentation du cours).
Stratégies possibles pour argumenter en faveur de (c) :
S1 : Montrer que les intuitions sont indispensables.
(i) On peut essayer de montrer que celui qui attaque la thèse (c) ne peut pas éviter de se baser
de nouveau sur des intuitions.
(ii) On peut essayer de montrer que, de manière générale, certaines parties reconnues de notre
connaissance sont basées sur des intuitions et ne peuvent pas être basées sur autre chose.
Exemple : le principe de l’additivité dans la théorie de la probabilité.
La théorie de probabilité est construite pour un certain type d’application.
Pour cette raison, la définition formelle de la probabilité n’est pas introduite de manière
arbitraire mais elle essaie de capturer la notion intuitive de la probabilité.
(iv) Développer une théorie de connaissance générale selon laquelle les intuitions sont une
source de connaissance.
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Deux exemples de telles théories :
E1 : La théorie de Ernest Sosa : Les intuitions proviennent d’une source de connaissance
fiable, la capacité de former des intuitions est une ‘vertu épistémique’, une capacité
intellectuelle. Les intuitions ont une force justificative parce qu’elles sont le produit d’une
telle capacité (d’une telle vertu épistémique). Cette théorie s’inscrit dans la théorie de
connaissance appelé « virtue epistemology ».
E2 : La théorie de George Bealer : Dans les intuitions se manifestent la compréhension
conceptuelle. Dans les cas typiques pour la philosophie, les concepts nous donnent accès à la
nature des propriétés qu’ils expriment. Pour cette raison, les intuitions sont une source de
connaissance sur les propriétés que nous sommes capables de saisir à travers nos concept.
Exemple : La souffrance est intrinsèquement mauvaise. (Un exemple de Roderick Chisholm.)
Il suffit d’avoir acquis le concept de la souffrance et de ce que c’est d’être intrinsèquement
mauvais pour ‘voir’ la vérité de cette proposition.
Dans ce cas, le sujet ‘voit’ cette vérité parce qu’il a saisi la nature des propriétés concernées.
D’autres exemples ?
(v) Défense contre les objections basées sur le désaccord et sur les erreurs intuitifs répandus :
- Par rapport aux désaccords : montrer qu’il s’agisse en grande partie de malentendus.
- Par rapport aux erreurs : montrer qu’il ne s’agisse pas d’intuitions réfléchies.
(d) Mêmes les intuitions réfléchies et persistantes peuvent être erronées.
Justifications de (d) :
J1 : Par rapport à des paradoxes il est habituel qu’une seule personne puisse avoir, même
après réflexion approfondie, deux intuitions dont les contenus se contredisent.
J2 : En principe, il semble possible que l’architecture cognitive des être humain ne soit pas
adéquate dans un certain domaine et que ceci puisse être découvert dans les sciences. Dans ce
cas, les intuitions réfléchies et persistantes peuvent éventuellement être démontrées fausses
dans une discipline empirique.
Exemples potentiels de ce type :
E1 : Nos intuitions par rapport au temps et la théorie de relativité spéciale. Selon nos
intuitions la simultanéité est absolue. Selon la théorie de relativité elle dépend du système de
référence.
E2 : Selon nos intuitions l’espace qui nous entoure à une structure géométrique euclidienne.
Selon une interprétation répandue de la théorie de relativité générale ces intuitions sont
fausses.
E3 : Selon nos intuitions nous sommes au moins parfois libres dans nos choix. Selon certain
scientifiques il s’agit d’une illusion.
(e) Pas toutes les intuitions peuvent justifier une opinion (une croyance intuitive).
Exemple : les intuitions initiales par rapport au problème de sleeping beauty.
Il s’agit d’un cas qui requiert une analyse approfondie pour former une croyance justifiée.
Dans le cas donné nous avons les outils formels de la théorie de probabilité à disposition pour
une telle analyse.
Tout de même, si le résultat d’une telle analyse approfondie est en conflit avec les intuitions
initiales et si les intuitions initiales persistent, cela peut être une bonne raison pour revenir sur
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l’analyse formelle. Peut-être cette analyse n’était pas adéquate. Un tel contrôle pourrait
relever que les outils formels n’étaient pas appliqués de manière adéquate.
Un exemple parallèle : les intuitions par rapport aux dilemme des prisonniers.
Dans ce cas aussi, un conflit entre intuition et résultat de l’analyse avec les outils de la théorie
de décision, justifie éventuellement un contrôle de l’application de la théorie de décision.
(Voir la notion de l’équilibre réflectif [reflective equilibrium/ Überlegungsgleichgewicht]
introduite par John Rawls dans son œuvre « Theory of Justice »).
(d) Les intuitions peuvent être corrigées (et dans ce cas disparaître) sur la base d’une
réflexion plus approfondie.
Exemple : le principe de dominance dans une formulation qui ne prend pas en compte si les
probabilités des circonstances dépendent du propre choix.
Dans ce cas, on peut facilement avoir l’intuition initiale que le principe de dominance est
correcte sous sa forme non-modifié.
Lors que l’on a compris le contre-exemple vue dans le cours, cette intuition ne persistera
normalement pas.
L’exemple était celui-ci:
C1 C2
A1 10 4
A2 8 3
P(C1,A1) = 0,2
P(C2,A1) = 0,8
P(C1,A2) = 0,9
P(C2,A2) = 0,1
L’action A1 est dominante et devrait être choisi selon le principe de dominance non-modifié.
Mais A1 rend la condition défavorable C2 beaucoup plus probable (probabilité 0,8 au lieu de
0,1 si on choisit A2) que la condition favorable C1 (probabilité 0,2 au lieu de 0,9 si on choisit
A2).
Si on a compris ce cas, l’intuition qu’il soit rationnel dans tous les cas possibles de suivre le
principe de dominance disparaîtra.
(f) En philosophie les intuitions jouent un rôle particulier différent du rôle des intuitions
dans d’autres disciplines. (Thèse controversée)
Le rôle des intuitions dans d’autres disciplines : purement heuristique, c'est-à-dire que le
intuitions peuvent aider à former des hypothèses qui seront ensuite justifiées d’une autre
manière. (Exemple : mathématiques ; physique ( ?)).
Le rôle des intuitions dans la philosophie n’est pas purement heuristique. Dans la philosophie
les intuitions ont un rôle analogue aux données empiriques dans d’autres disciplines.
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