Amélie Artis, Sciences Po Grenoble, PACTE CNRS [email protected] Regards sur la loi de juillet 2014 relative l’ESS en France La reconnaissance de l’économie sociale et solidaire par la voie législative est une stratégie partagée par plusieurs pays de l’Union Européenne (Belgique, Espagne, Portugal et Grèce) et au-delà de l’Europe (Quebec, Brésil, Equateur)1 depuis quelques années. Ces avancées législatives ont pour ambition de définir un périmètre pour ces entreprises collectives privées afin de favoriser leur développement dans un contexte général de crises (crise économique, crise sociale, crise politique, crise écologique). Dans le cas de la France, la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire résulte d’un processus de reconnaissance et d’institutionnalisation du champ de l’ESS depuis plusieurs années. Son originalité réside dans son ambition de donner une loi commune aux organisations d’ESS marquées autant par leur diversité statutaire, sectorielle, économique et stratégique que par leur unité fonctionnelle2. En effet, un retour historique sur trente ans de politiques publiques montre qu’il n’existe pas une politique publique d’ESS, celles-ci sont construites soit selon une approche par les secteurs soit selon une approche par les statuts. Depuis longtemps, l’ESS est éclatée entre plusieurs ministères de tutelles en séparant le monde associatif, les coopératives et les mutuelles. Ces cloisonnements participent à « l’incertitude sur l’objet des politiques publiques [qui] renforce l’incertitude sur le périmètre de l’Economie sociale, sur son identité, et donc son rattachement administratif» (Wilson-Courvoisier, 2012, p 84). Le premier objectif de la loi de juillet 2014 est de reconnaitre le rôle de l’ESS dans une politique économique, en particulier dans les dynamiques de développement local et dans la création d’emplois locaux et non délocalisables. Cette reconnaissance et les moyens définis par la loi doivent permettre son développement et son changement d’échelle. Une des spécificités de cette loi ESS est le vaste processus de consultation des différents groupes d’intérêts de l’ESS, cette élaboration collaborative a été voulue dès le départ par le ministère. Pourtant cette consultation n’a pas réussi à renforcer un message politique unique, structurant et stratégique du champ, plusieurs voix ont défendu leur propre position, ayant pour conséquence un texte morcelé et faiblement stratégique. L’architecture de la loi se compose de IX titres. Le premier titre porte sur : - Le périmètre des organisations de l’ESS, l’utilité sociale et met en lumière les bonnes pratiques du secteur (chapitre Ier) ; - Les instances de concertation, de promotion et d’élaboration des politiques publiques territoriales de l’ESS (chapitre II) ; - Les dispositifs publics concourant au développement du secteur (agrément, commande publique, fonds européens, etc) (chapitre III) ; - Les cas spécifiques (innovation sociale, monnaie sociale, etc.) (chapitres IV et V). Tous les pays cités ont voté une loi en faveur de l’ESS. Les théories de Claude Vienney comme d’Henri Desroche ont mis en lumière cette unité conceptuelle et ils ont participé à la construction de l’unité autour du concept d’économie sociale. 1 2 Plusieurs autres titres sont propres à un champ statutaire : le titre III est concerne les coopératives3 tandis que le titre IV s’attache au monde mutualiste ; le titre VI est consacré aux associations suivi du titre VII dédié aux fondations. Le titre V présente les dispositifs publics de soutien et d’accompagnement du champ (subvention, dispositif local d’accompagnement). Le titre II fait référence à des débats plus large : il est relatif à la transmission d’entreprises à leurs salariés. Les deux derniers titres sont liés aux éco-organismes d’une part, et à des dispositions diverses d’autre part. Plusieurs mesures méritent d’être soulignées : - L’article 1 définit le périmètre légal de l’ESS : celui-ci reconnait le périmètre statutaire mais aussi, au delà de cette vision historique, les entreprises qui répondent à certaines conditions cumulatives (autre but que le profit, aspect démocratique, gestion particulière des excédents notamment). Ces conditions permettent à ces structures de faire partie de l’ESS s’ils sont respectés et d’assurer aux acteurs historiques qu’un minimum de règles doivent être entendues, notamment celles qui caractérisent depuis si longtemps l’entrepreneuriat spécifique qu’est celui de l’économie sociale. - La reconnaissance et la création d’instances représentatives, comme la reconnaissance des Chambres régionales de l’ESS (CRESS) (Chapitre 2 - Section 3 – article 6), du Conseil supérieur de l’ESS Chapitre 2 – section 1 - article 4) ainsi que la création d’une Chambre française de l’ESS (Chapitre 2 Section 2 – article 5) qui aura pour vocation d’être l’interlocuteur légitime et représentatif de l’ESS face aux pouvoirs publics sur les questions transversales de ce secteur. - L’agrément d’ « entreprise solidaire d’utilité sociale » (article 11) et la définition de l’utilité sociale (article 2) afin d’orienter les outils de financements publics. - La définition légale de la subvention (Titre 5 – section1) et le droit à la subvention sont reconnues comme forme de partenariat entre l’ESS et les acteurs publics. Le projet de loi sur l’ESS a le mérite d’entériner la place de l’ESS dans le cadre de l’action publique et de fournir des outils pour son essor : actualisation de statuts, réforme du financement, accès à la commande publique, les clauses sociales, la subvention pour les associations, etc. Cependant l’orientation de la loi n’est pas sans poser de questions : - Quel modèle de développement pour l’ESS ? entre une logique de partenariat et le renforcement de la logique entrepreneuriale ? - Quel intérêt de l’appartenance à l’ESS ? entre opportunisme pour accéder à des dispositifs publics ou revendication d’un modèle spécifique ? - Quels moyens d’actions (financiers en particulier) au niveau national dans un contexte de réduction des financements publics à toutes les échelles ? Pour le monde coopératif, plusieurs mesures sont présentes : l’extension de la révision coopérative, la reconnaissance de la Société coopérative d’intérêt collectif (Scic) (articles 33 et 34), les Coopératives d’activité et d’emploi (CAE) (article 47 et 48), l’information sur les scop pour les salariés d’entreprises en difficulté (article 27 et 28). 3