l'information «mathématique», c.-à-d. une propriété objectivement existante de
prétendues molécules informationnelles telles que l'ADN, l'ARN ou les protéines. Ainsi
par exemple,«le dogme central» célèbre formulé par Francis Crick, soutient-il que
l'information est toujours passée de l'ADN à l'ARN et de l'ARN à la protéine, mais
jamais dans l’autre sens. L'information, dans ce cas, est quelque chose qui peut être
déplacé ou transporté.
Cette conception de l'information biologique a été critiquée assez souvent (Rosen,
1985 ; Yates et Kugler, 1984 ; Kampis, 1991 ; Hoffmeyer et Emmeche, 1991 ; Sharov
1992 ; Hoffmeyer, 1996). Disons pour préciser cela que, fondamentalement, quand les
biologistes et les physiciens parlent de l'information, ils parlent de choses
différentes. Alors que l'information, telle que la conçoivent les physiciens, n'a aucun
rapport avec les valeurs, la pertinence ou le but, les biologistes pensent à l'information
dans un sens beaucoup plus courant du langage; l'information biologique atteint
toujours un objectif dans un système, au minimum elle sert à favoriser la survie
de ce système. Un point essentiel est que l'information biologique est inséparable
de son contexte, elle doit être interprétée pour agir. Par exemple, si nous discutons
d'information génétique, il faudrait noter que, contrairement à l'image généralement
véhiculée dans les manuels, il n’y a aucune relation simple entre les messages codés
par l’ADN et la construction de l'organisme, qu’il soit unicellulaire ou multicellulaire
(Hoffmeyer 1995c). Ce qui est décrit dans le texte-ADN concerne surtout l'ordre des
acides aminés des squelettes des protéines et même avant que ces squelettes ne
soient réellement assemblés, les prétendus processus d'édition-ARN pourraient avoir
présenté un élément dépendant du contexte dans le processus (Rocha, 1995). En
outre, comment les squelettes d'acides aminés (chaines peptidiques) sont repliés en
molécules protéiques tridimensionnelles: ce processus n'est pas directement indiqué.
N’est spécifié ni comment les protéines vierges devraient être mises au bon endroit
dans l'architecture incroyablement complexe de la cellule, ni quand et comment, dans
les organismes multicellulaires, les cellules se divisent, se différencient ou migrent dans
le tissu embryonnaire. Comme le généticien de Harvard Richard Lewontin a dit :
"d'abord, l'ADN n'est pas auto-reproductible, deuxièmement, il ne fait rien et
troisièmement, les organismes ne sont pas déterminés par lui" (Lewontin, 1992). Une
critique plus étendue de la conception ADN-centrique de l'information biologique a été
avancée par les adeptes de la «théorie développementale des systèmes» (Oyama
1985, 1995 ; Johnston et Gottlieb 1990 ; Griffiths et Gray 1994).
Tout ceci pour en venir à un fait simple mais crucial : L'ADN ne contient pas la clef
de sa propre interprétation. Dans un sens, la molécule est hermétique. Dans le cas
typique d’organismes se reproduisant sexuellement, seul l'oeuf fécondé «a su»
l'interpréter, c.-à-d., employer son texte comme manuel contenant les instructions
nécessaires pour produire l'organisme (Hoffmeyer, 1987 ;1991 ;1992). L'interprétant
du message porté par l'ADN est dans le cytosquelette de l'oeuf fécondé (et de
l'embryon en croissance), qui à son tour est le produit de l'histoire, c.-à-d., de
milliards d'habitudes moléculaires ayant été acquises par l'évolution de la cellule
eucaryote (Margulis, 1981) en général, et de l'histoire phylogénétique successive des
espèces en particulier. L‘Evolution a mis deux milliards d'années pour produire cette