Notes - tcc

publicité
Biosémiotique : Vers une nouvelle synthèse en biologie
Jesper Hoffmeyer
Université de Copenhague, institut de biologie moléculaire, groupe de Biosémiotique
Journal européen d’études sémiotiques, numéro 2, 1997, vol. 9 p 355 à 376
traduction de http://www.gypsymoth.ento.vt.edu/~sharov/biosem/hoffmeyr.html
(+surlignements et commentaires par D.Seban)
Brève Biographie :
Jesper Hoffmeyer, né en 1942, est biochimiste à l'université de Copenhague (1967).
Professeur associé à l'institut de biochimie (1968), il a travaillé sur la régulation
génétique et biochimique de la biosynthèse de la purine pendant les années 70. Il a
commencé des études d'histoire de la science et de la technologie et est graduellement
passé à la biologie théorique. En 1988, il a établi le groupe de Biosémiotique à l'institut
de biologie moléculaire. Intérêts actuels de recherches: La relation entre nature et
culture dans son développement historique ; Sémiotique de la nature ; Bioanthropologie.
Sommaire :
La sémiotisation de la nature comme tendance dans les sciences de la vie au 20ème
siècle, est discutée. Les raisons de cette tendance sont analysées pour soutenir que la
sémiosis est une propriété émergente apparaissant dans notre univers avec les
premières formes de vie il y a presque 4 milliards d'années. A partir de cette tendance,
la liberté sémiotique débutante s’est accrue à travers toute l'évolution organique, et
nous suggérons qu’elle soit un pas fondamental créant un pont entre l'histoire au sens
de l'irréversibilité thermo-dynamique et l'histoire au sens de la culture humaine. Une
unification de la biologie et de vraies « synthèses modernes », devraient baser la
compréhension de son évolution sur une théorie sémiotique de la vie.
1- La sémiotisation de la nature
Les sciences de la vie du 20ème siècle ont été caractérisées par deux tendances
principales. L’une d’elle est le réductionnisme moléculaire et génétique. Cette tendance
est bien connue et n'a besoin d'aucun autre commentaire. Débutant comme une vague
de fond sous-jacente à cette tendance, une autre est beaucoup moins connue mais se
dévoile à la longue comme une tendance de plus en plus importante: la sémiotisation
de la nature.
La manifestation la plus précoce de cette tendance apparaît probablement dans le
travail du biologiste allemand Jakob Von Uexküll, qui dans la première partie de ce
siècle, a développé son concept d’«umweltsforschung». Le terme «umwelt» se rapporte
aux mondes phénoménaux des organismes, les mondes que les animaux construisent
avec les perceptions de leur environnement et d’eux-mêmes. "Chaque action, écrit
Uexküll, qui se compose de la perception et de l'opération qui la suit, imprime sa
signification sur l'objet - objet au départ sans signification - et la transforme de ce fait en
un «porteur de signification connectée au sujet » dans l'umwelt du sujet" (Uexküll, 1982
[1940]) ; Le travail d'Uexküll a été passé en revue (Sebeok, 1979, ch. 10, et Uexküll,
1982). Konrad Lorenz a été inspiré par le travail d'Uexküll. La croissance de la nouvelle
discipline qu’est l'éthologie, peut être vue comme l’importante étape suivante dans la
sémiotisation de la nature. Thomas A. Sebeok a d'abord a explicitement observé que
l'éthologie n’est guère plus qu'un cas particulier de sémiotique diachronique
(Sebeok, 1976, 156) et a dès 1963, inventé le terme de «zoosémiotique» (Sebeok,
1963). L'éthologie elle-même s'est ramifiée en plusieurs nouvelles disciplines telles que
la «communication animale» et la «sociobiologie».
Une percée importante dans notre compréhension du caractère sémiotique de la vie
fut l'établissement en 1953 du modèle de la double-spirale d’ADN de Watson et Crick et
du déchiffrement du code génétique qui s’en est suivi. Jusqu'alors, la compréhension
sémiotique de la nature avait été concernée principalement par des processus
communicationnels entre les organismes, nommés exosémiotiques par Sebeok (1976),
mais il est maintenant apparu clairement que les processus sémiotiques étaient
également répandus au niveau biochimique (endosémiotique). En 1973 Roman
Jakobsen a précisé que le code génétique partageait plusieurs propriétés avec le
langage humain et que tous les deux sont basés sur un principe de doublearticulation (Jakobsen, 1973 ; Emmeche et Hoffmeyer, 1991). Cependant, en raison
de son penchant réductionniste, la biologie traditionnelle n'a généralement pas utilisé de
terminologie sémiotique (une exception : Florkin, 1974).
Eugene F. Yates a repéré la mutation étrange qui a eu lieu dans le vocabulaire en
biochimie (Yates, 1985). Il semble qu’on ne puisse plus enseigner la biochimie moderne
- ou même la penser - sans employer des termes de communication tels que
«reconnaissance», «haute fidélité», «ARN-messager», «signal», «présentation» ou
même «chaperons» moléculaires*. Ces mots apparaissent à chaque page des
manuels modernes de biochimie malgré le fait qu’ils n'aient pourtant rien à voir avec
l'univers physicaliste auquel ces livres sont consacrés. Comme Yates l’a pertinemment
remarqué: "il n'y a pas plus de consistance dans le discours biologique moderne : «le
développement direct des gènes» que dans la proposition : «les ballons montent par
légèreté » . Des expressions comme celles-ci apparaissent même dans les journaux
scientifiques. Ainsi, sur un total de 60 articles synoptiques pris dans les volumes de
TIBS (tendances en sciences biochimiques) de 1994, j'ai compté 27 articles avec des
titres contenant des mots présupposant un contexte sémiotique.
Plutôt que de parler de «processus signifiant» (= action sémiotique), les biochimistes
préfèrent parler «d'échange d'information». Selon la théorie mathématique de
l'information, l'information est une entité mesurable objectivement existante, une
propriété sensée appartenir à un objet donné. La prétention tacite derrière l'idée
d'information biologique, semble être qu'une telle information est du même genre que
l'information «mathématique», c.-à-d. une propriété objectivement existante de
prétendues molécules informationnelles telles que l'ADN, l'ARN ou les protéines. Ainsi
par exemple,«le dogme central» célèbre formulé par Francis Crick, soutient-il que
l'information est toujours passée de l'ADN à l'ARN et de l'ARN à la protéine, mais
jamais dans l’autre sens. L'information, dans ce cas, est quelque chose qui peut être
déplacé ou transporté.
Cette conception de l'information biologique a été critiquée assez souvent (Rosen,
1985 ; Yates et Kugler, 1984 ; Kampis, 1991 ; Hoffmeyer et Emmeche, 1991 ; Sharov
1992 ; Hoffmeyer, 1996). Disons pour préciser cela que, fondamentalement, quand les
biologistes et les physiciens parlent de l'information, ils parlent de choses
différentes. Alors que l'information, telle que la conçoivent les physiciens, n'a aucun
rapport avec les valeurs, la pertinence ou le but, les biologistes pensent à l'information
dans un sens beaucoup plus courant du langage; l'information biologique atteint
toujours un objectif dans un système, au minimum elle sert à favoriser la survie
de ce système. Un point essentiel est que l'information biologique est inséparable
de son contexte, elle doit être interprétée pour agir. Par exemple, si nous discutons
d'information génétique, il faudrait noter que, contrairement à l'image généralement
véhiculée dans les manuels, il n’y a aucune relation simple entre les messages codés
par l’ADN et la construction de l'organisme, qu’il soit unicellulaire ou multicellulaire
(Hoffmeyer 1995c). Ce qui est décrit dans le texte-ADN concerne surtout l'ordre des
acides aminés des squelettes des protéines et même avant que ces squelettes ne
soient réellement assemblés, les prétendus processus d'édition-ARN pourraient avoir
présenté un élément dépendant du contexte dans le processus (Rocha, 1995). En
outre, comment les squelettes d'acides aminés (chaines peptidiques) sont repliés en
molécules protéiques tridimensionnelles: ce processus n'est pas directement indiqué.
N’est spécifié ni comment les protéines vierges devraient être mises au bon endroit
dans l'architecture incroyablement complexe de la cellule, ni quand et comment, dans
les organismes multicellulaires, les cellules se divisent, se différencient ou migrent dans
le tissu embryonnaire. Comme le généticien de Harvard Richard Lewontin a dit :
"d'abord, l'ADN n'est pas auto-reproductible, deuxièmement, il ne fait rien et
troisièmement, les organismes ne sont pas déterminés par lui" (Lewontin, 1992). Une
critique plus étendue de la conception ADN-centrique de l'information biologique a été
avancée par les adeptes de la «théorie développementale des systèmes» (Oyama
1985, 1995 ; Johnston et Gottlieb 1990 ; Griffiths et Gray 1994).
Tout ceci pour en venir à un fait simple mais crucial : L'ADN ne contient pas la clef
de sa propre interprétation. Dans un sens, la molécule est hermétique. Dans le cas
typique d’organismes se reproduisant sexuellement, seul l'oeuf fécondé «a su»
l'interpréter, c.-à-d., employer son texte comme manuel contenant les instructions
nécessaires pour produire l'organisme (Hoffmeyer, 1987 ;1991 ;1992). L'interprétant
du message porté par l'ADN est dans le cytosquelette de l'oeuf fécondé (et de
l'embryon en croissance), qui à son tour est le produit de l'histoire, c.-à-d., de
milliards d'habitudes moléculaires ayant été acquises par l'évolution de la cellule
eucaryote (Margulis, 1981) en général, et de l'histoire phylogénétique successive des
espèces en particulier. L‘Evolution a mis deux milliards d'années pour produire cette
entité merveilleuse : la cellule eucaryote. Après avoir accompli cette prouesse,
l’Evolution a passé seulement un milliard et demi d'années pour produire tout le reste.
Bien qu'il soit compréhensible que la biologie, en tant que science, préfère fonder sa
compréhension des processus de base de la vie sur un concept d'information ayant été
développé dans le monde sûr de la physique, cette manière de sauver les sciences de
la vie des eaux boueuses des processus interprétatifs semble toutefois de plus en plus
illusoire au fur et à mesure que nous découvrons les subtilités de ces processus. Les
processus cellulaires sont naturellement des processus chimiques, mais ce qui fait leur
différence avec les autres processus chimiques est la manière dont ils sont organisés
autour d'une multitude de membranes cytosquelettiques, et en réponse aux besoins
dynamiques de la sémiosis.
Les cellules, comme les organismes, sont des entités historiques portant dans
leur cytosquelette et dans leur ADN des traces de leur passé remontant à plus de
trois milliards d'années. Elles mesurent perpétuellement les situations actuelles
par rapport à ce fond ancestral, et font des choix basés sur de telles
interprétations. Ainsi, on pourrait dire que le signe, plutôt que la molécule, est
l'unité de base pour étudier la vie (Hoffmeyer, 1996).
Pendant la dernière décennie, la tendance vers la sémiotisation de la nature discutée
ici, s'est manifestée encore à de nouveaux niveaux. Ainsi, dans la biologie
évolutionniste, le néo-Darwinisme a-t-il été sérieusement défié par un ensemble d'idées
désignées sous le nom d'infodynamique (Brooks et Wiley, 1986 ; Weber, et autres,
1989; Weber et Depew, 1995 ; Goodwin, 1989 ; Salthe, 1993). L’Infodynamique dans
les mots de Stanley Salthe «englobe la théorie thermodynamique et de l'information,
animant essentiellement la dernière au moyen de la première »(Salthe, 1993, 6). L'idée
générale telle que suggérée au départ par Dan Brooks et ED Wiley est que la capacité
de l'information (désordre) augmente spontanément dans les systèmes en
développement, étant produite avec l'entropie physique pendant que le système
se développe et se différencie. Puisqu'une telle auto-organisation est une propriété
répandue dans notre univers, la sélection naturelle ne devrait pas être vue comme
la force dominatrice de l'évolution, mais plutôt comme un second rôle, agissant
plus modestement en « taillant par le bas » la nouveauté qui, constamment et de
façon autonome, est produite par les exigences de la deuxième loi de la
thermodynamique. J'ai discuté ailleurs la correspondance étonnante entre ces idées et
«la philosophie cosmogonique» de Charles Sanders Peirce (Hoffmeyer 1996, Salthe,
1993)
Un autre développement intéressant de ce point de vue a lieu dans le secteur de la
«vie artificielle». Ici la thèse forte, telle que soutenue par Chris Langton, est que la vie
n'est pas une propriété exclusivement de «chair et de sang», mais plutôt un phénomène
formel, qui peut se manifester dans la gamme entière des substrats matériels, par
exemple dans le silicium (Langton, 1989). Les chercheurs dans le domaine de la vie
artificielle ( a-lifers, comme ils s'appellent pour se distinguer des b-lifers, les biologistes!)
ont développé une multitude de simulations sur ordinateur montrant telle ou telle
propriété considérée comme essentielle pour les systèmes vivants. Pour un examen
critique de ce domaine de recherche, voir Claus Emmeche (1994) qui souligne la
productivité pour la biologie d'un dialogue avec ces idées concurrentes sur la vie mais
émet également ses réserves quant à la version forte du programme. Du point de vue
sémiotique, la vie artificielle est une recherche intéressante parce qu'elle identifie
radicalement la vie avec son aspect informationnel numérique. Néanmoins, en
soustrayant la vie à son incarnation, elle menace de la priver de sa nature historique et
du coup la prive également de sa nature sémiotique inhérente, le besoin continu de
traduction des représentations entre analogiques et digitales (Hoffmeyer et
Emmeche, 1991, voir également Etxeberria, 1995). Il reste à voir si la recherche en vie
artificielle sera capable de se libérer de cette vision trop simplifiée de la vie, pour
contribuer ainsi à une sémiotisation véritable de notre vision de la nature.
En récapitulant cette discussion, nous pouvons voir que tout au long du 20ème
siècle, les sciences de la vie ont été de plus en plus engagées dans ce que Claus
Emmeche a nommé une sémiotique spontanée. La sémiotique spontanée implique que
«la communication biologique est étudiée non pas comme un phénomène exigeant une
théorie spéciale ou un cadre explicatif mais comme une accumulation d’expériences
provenant de différentes disciplines biologiques au sujet des processus signifiants dans
la nature» (Emmeche 1995). Les biologistes acceptent que la communication ait lieu à
tous les niveaux de la nature vivante mais généralement, ils hésitent à dire si ceci
implique le besoin de rechercher un éventuel modèle plus profond derrière ce genre de
comportement. Car ils se contentent de penser à l'évolution par la sélection naturelle
pour expliquer l'aspect de tous ces phénomènes, qui, dans chaque cas, peuvent être
réduits à la mécanique moléculaire au niveau des cellules. Cette tendance
réductionniste en biologie bloque le développement d'une biosémiotique plus théorique.
Il n’ y a aucun doute que le réductionnisme dans les sciences de la vie a été
sainement considéré comme une stratégie de recherches, et il devrait être poursuivi en
tant que tel. Mais quand il s’applique à la théorie, il semble que ce réductionnisme et le
dualisme sur lequel il se base (cf. Searle 1992, 54), s’est confronté à de sérieux
problèmes. Expliquer la vie avec «rien d’autre que des interactions moléculaires»
occulte une dimension entière de la vie, omission à laquelle la stratégie de recherche
réductionniste a elle-même contribué, la dimension de la sémiosis. En conséquence, le
but de la biosémiotique serait de développer la théorie biologique à un niveau qui égale
notre connaissance expérimentale au sujet de la biosphère.
2- L’espoir d'une biologie unifiée
"Nous devons comprendre notre monde de telle manière qu'il ne soit pas absurde
d’affirmer que ce monde lui-même nous a produit" (Prigogine et Stenger 1984). En
écrivant ces mots, Prigogine et Stenger ont voulu nous rappeler le problème logique
induit par une vision scientifique traditionnelle du monde: si nos théories physiques
expliquent la nature comme une chose stupide, comment se fait-il que cette «chose» ait
été en fait capable de nous créer ? La créativité ne peut pas logiquement se développer
hors d'un monde non-créateur. Ironie de taille, la science traditionnelle a donc besoin
d’un miracle (ou bien elle peut naturellement éliminer la créativité en revendiquant un
déterminisme absolu - mais ceci nous mène dans l'absurdité de croire que nous ne
pourrions probablement pas avoir cru autre chose que ce que nous croyons, ce qui
n'est alors pas une croyance mais plutôt un genre de spasme mental).
Maintenant, c’est bien connu, la réponse de Prigogine devait prouver que les théories
traditionnelles sont insuffisantes. Prigogine a obtenu le prix Nobel pour son travail sur la
thermodynamique des systèmes irréversibles et c’est d'une manière primordiale
dans ce contexte qu'il a montré que dans ce qu’il a nommé les «structures
dissipatives», c.-à-d. des systèmes loin de leur équilibre thermo-dynamique, des
états ordonnés peuvent parfois survenir spontanément à partir d’états
désordonnés. Notre univers selon Prigogine est, en soi, créateur. A cause en grande
partie de cette révolution dans notre connaissance de la thermodynamique moderne, la
cosmologie présente maintenant notre monde comme un lieu d'auto-organisation, un
point de vue qui a peut-être été dévoilé avec le plus d’importance dans les travaux
récents de Stuart Kauffman (Kauffman 1991, 1993). (voir en particulier « l’antichaos »
dans les réseaux booléens aléatoires http://didier.seban.free.fr/k/antichaos.doc )
Au niveau de la biologie, ce changement des bases physiques de l'évolution
organique est naturellement très encourageant puisqu'il permet de se passer de miracle
pour expliquer l'évolution organique. Mais on devrait se rappeler que l’ensemble des
buts d'une biologie unifiée, c.-à-d. d’une synthèse moderne, devrait comprendre
comment le monde a donné naissance aux êtres humains, c.-à-d. comment la vie est
née d'un monde sans vie et s’est transformée en toute cette diversité de formes de vies
actuelles, à tous les niveaux de complexité, y compris celui des êtres humains. D’un
côté de cette échelle nous avons l'histoire, au sens des êtres humains intentionnels et
conscients d’eux-mêmes et des cultures qu'ils ont créées (ou qui les ont créés), et à
l'autre bout, nous avons le genre d'histoire auto-organisée prédite par la deuxième loi
de la thermodynamique, et ce qui relie les deux extrémités de cette échelle est le sujet
de la biologie évolutionniste. Dans ce sens, la biologie est un lieu de réunion entre la
physique et les sciences humaines. Les biologistes, cependant, se considèrent comme
étant des scientifiques de la nature et, comme Darwin lui-même, ils essayent de se
conformer au genre de stratégies explicatives développées par la physique. Comme
Michael Ruse l’a montré, Darwin n'a pas eu besoin de Malthus pour inventer sa théorie,
puisqu'il avait déjà fait des commentaires lui-même sur la brutalité de la nature, avant
qu'il ne lise ce que Malthus en disait. Ce dont il a eu besoin dans les lois de Malthus
pour élaborer sa théorie de la sélection naturelle, est une apparence de loi qu'il espérait
acceptable au regard de la physique (Ruse 1979, 175).
Voir la biologie en tant qu'élément des sciences naturelles est bien sûr conforme au
dualisme cartésien séparant l'étude de la nature de l'étude de la culture. Ironie de
l’histoire, le travail de Darwin, dans son principe, sape complètement cette idée. Si
l'esprit humain est un produit de l'évolution, il ne peut pas être considéré
indépendamment du monde dans lequel il a pris naissance. Mais si, par conséquent, le
dualisme est révoqué, pourquoi alors la biologie devrait-elle être considérée avec autant
de fermeté comme une partie des science naturelles? La perspective évolutionniste
pose des questions limites et tend à contenir la biologie dans un no man’s land confus
coincé entre la physique et la sémiotique. Je suspecte que ceci est peut être la raison
pour laquelle les philosophes et les physiciens évitent si fréquemment les terrains
glissants des processus vivants, préférant expliquer des choses telles que la
conscience ou s'occuper directement de physique, d’ordinateurs ou de quanta.
L'élégance de tels découpages n’est assortie qu’à la nature subjective de leurs
affirmations.
Le sémiotisation de la nature abordée dans la section précédente est profondément
reliée à ces problèmes. Le navire «réductionnisme en biologie» laisse dans son sillage
un désordre confus de banalités sémiotiques évitant innocemment - ou du moins le
croit-on - le besoin de descriptions plus formellement réductrices. Bien que ceci puisse
bien fonctionner en laboratoire, c’est certainement insuffisant au niveau de la biologie
théorique. Si la connaissance croissante des processus de vie nous force constamment
à adopter une terminologie sémiotique, et à plus forte raison, en fait, si nous pénétrons
dans la dynamique fondamentale des systèmes vivants encore plus profondément,
alors le rasoir d'Occam exigerait de nous d'accepter l'idée que la sémiosis est en fait
centrale à la vie, et qu'il est fortement peu probable que l'extraction d'une dynamique
non-sémiotique «au niveau le plus bas» soit possible. Ceci peut être une reformulation
moderne de la relation de complémentarité que Niels Bohr a vu entre l'analyse physique
et les processus biologiques typiques tels que la conservation et la reproduction (Bohr,
1932). Plutôt que de comprendre la biologie comme une couche séparée «entre » la
physique et la sémiotique, nous devrions alors voir la biologie comme science de
l'interface dans laquelle ces deux sciences se rencontrent, une interface dans laquelle
nous étudions l'origine et l'évolution des processus signifiants : la sémiosis.
J'ai discuté la question de «l'origine de la sémiosis» ailleurs (Hoffmeyer 1992, 1996).
Le problème essentiel est le suivant : Comment les systèmes pré-biotiques ont-ils pu
acquérir les capacités de transformer les différences dans leurs environnements en
points de repère? Même une bactérie est capable de s'orienter (en se déplaçant) dans
un gradient alimentaire. La quantité de molécules nutritives frappant les récepteurs de
la membrane cellulaire externe varie pendant que la bactérie se déplace, et ce
changement est enregistré par la cellule, permettant à la cellule de choisir la direction
dans laquelle d'autres mouvements seront faits. Je pense que l'état nécessaire mais
suffisant pour qu'un système fasse des distinctions dans ce sens est qu'il a
développé une auto-référence basée sur une dualité dans le codage, c.-à-d. dans
la chaîne continue des ré-interprétations numérique-analogiques (c.-à-d. l’ADN
cellulaire) guidant l’extension de la lignée (Hoffmeyer 1987, 1991). Alors que
l'origine d'un tel système exige la création d'un agrégat fortement structuré et
chimiquement très compliqué de macromolécules, il n'y a aucune raison de douter qu'il
puisse avoir été créé par des processus d’'auto-organisation tels que suggéré par
exemple par Weber et Depew (1995). Rod Swenson a précisé que les champs thermodynamiques se comportent pour atteindre l'état final - réduire au minimum le potentiel
du champ ou maximiser l'entropie - avec la vitesse la plus rapide possible en fonction
des contraintes («loi de la production maximum d'entropie» (Swenson, 1989)), et ceci
implique que «la mise en ordre évolutionnaire progressive nécessite la production
d’états d’un niveau d’ordre de plus en plus élevé - les symétries d'ordre supérieur du
monde lui-même dans son propre devenir - et la perception-action est la physique à ces
niveaux (Swenson et Turvey 1991):
le monde s’occupe de production d'ordre, y
compris pour produire des choses vivantes et leurs capacités de perception et
d'action, parce que l'ordre produit l'entropie plus rapidement que le désordre.»
La Sémiosis sous sa forme la plus modeste a surgi dans le processus même qui a
créé les premiers systèmes vivants sur terre. A partir de là, une nouvelle dynamique
évolutive commençait a être mise en application dans le monde, et au cours du temps
se sont développés des organismes de plus en plus capables de maîtriser des
interactions sémiotiques de plus en plus sophistiquées. Ou pour le dire autrement, les
aspects sémiotiques des processus matériels ont graduellement augmenté leur
autonomie, créant de ce fait une sémiosphère toujours plus sophistiquée - une
sémiosphère qui finalement (après trois milliards et demi d'années) a eu la puissance
de créer les systèmes sémiotiques, tels que les pensées et le langage, systèmes qui ne
sont que très faiblement dépendants du monde matériel, duquel ils sont pourtant issus
(Hoffmeyer 1994, 1996).
3- La recherche erronée de la quantification
Sur ce tableau de fond, nous pouvons voir que la vieille « nouvelle synthèse des
années 40 » ne fut jamais une vraie synthèse. D’un côté, elle n'a pas vu que
la sélection naturelle avait elle-même besoin d'explication et ne pouvait donc pas
être la pierre angulaire d'une théorie synthétique de l'évolution. Le terme même
«sélection» signale des problèmes: dans le langage courant, la sélection présuppose
une personne intentionnelle, on dit d’un entraîneur qu’il sélectionne les «meilleurs »
joueurs pour un match de football. Une sélection présuppose un sélectionneur.
Maintenant c’est bien connu, Darwin prenait soin de souligner que la sélection naturelle
était un processus très différent de la sélection artificielle du fait qu’aucune intention ou
finalité ne sous-tendait ce processus. La sélection naturelle était une sélection sans
sélectionneur (ou même sans vrai principe de sélection puisque l'évolution organique
n'a eu aucune direction privilégiée). Je pense qu'il est utile de préciser que l'ambiguïté
sémantique induite par l’expression sélection naturelle est la raison principale de la
polémique autour de la théorie darwinienne de l'évolution et des malentendus causés
par cette expression à l'intérieur et en dehors de la biologie. Après tout, si ce n'est pas
une fumisterie d’attribuer une puissance sélective à la nature, alors la nature devrait
être décrite comme capable d'exercer une telle puissance.
Or la physique des années 40 n'avait pas encore élaboré les moyens de décrire la
nature d’une telle manière. C’est seulement dans les deux dernières décennies que
nous avons obtenu une connaissance de la thermodynamique et de la dynamique des
systèmes complexes qui rend possible une approche «infodynamique» de la théorie
évolutionniste (comme mentionné ci-dessus). Et c’est seulement maintenant que nous
pouvons voir que la capacité des processus sélectifs à se déployer dans le monde a
elle-même évolué (Brooks 1989). La sélection n'est pas un principe séparant la sphère
humaine (une sphère des processus sélectifs) de la sphère pré-humaine comme cela
semble être présupposé par les sciences humaines; la sélection n’est pas non plus une
sélection dans le sens humain courant de ce mot quand il s’agit de nature pré-humaine,
comme les biologistes semblent souvent le penser. La sélection est un concept de
plus-et-moins, elle a sa propre histoire naturelle, et ceci pourrait bien être l'essence
même de l'évolution. Ou pour l'énoncer différemment : même l’historicité a une
histoire (Hoffmeyer, 1995a).
Une conséquence de cette confusion a été que la recherche d'une théorie
quantitative de l'évolution basée au niveau génétique - une vraie hantise pour le néo-Darwinisme depuis le travail de Fisher, de Haldane et de Wright - a été mal dirigée.
Comme Depew et Weber l'ont exprimé : «la sélection naturelle au niveau des individus
et la notion d’adaptation* (fitness) employée pour la mesurer, surfent elles-mêmes en
équilibre au bord du chaos (Depew et Weber, 1995) : «l’adaptation* de diverses sortes
d'organismes n'est pas nécessairement, ou même probablement pas augmentée par la
supériorité d’un simple caractère... (la survenue d’une meilleure adaptation par
l’apparition d’une modification phénotypique due à une mutation aléatoire serait un
mythe). En fait, l'apparition de la capacité de prendre l’avantage dans la compétition
pour l’accès aux ressources, d'un nombre indéfini de différences souvent
infinitésimales, crée des degrés de liberté, au sens technique et au sens courant, bien
au delà de ce qui peut être réalisé par des systèmes simplement chimiques et
physiques. Elle crée également plus de variables et d'interactions parmi elles qui
peuvent être exploitées. Donc il est impossible de réduire les composantes de
l’adaptation à n'importe quel langage unique ou système de variables» (ibid, 471).
Dans la terminologie du présent article, nous pouvons dire que quand la vie, et donc
la sélection naturelle, ont émergé à l'intérieur du système terrestre, nous étions
déjà passé de la sphère fermée de la physique à la sphère de la communication et
de l'interprétation. Dans cette sphère, la dynamique de l'histoire (l’évolution) a changé
et a commencé à devenir individualisée, de sorte que chaque petite section de l'histoire
est devenue unique et de ce fait aucune formule universelle n’a pu être érigée pour
couvrir le processus entier. L'évolution organique est narrative plutôt que
déterminée par une loi (Gould 1989, Lewontin 1991), et si la quantification est
souhaitée, elle devrait être recherchée non pas au niveau de la génétique, mais au
niveau du système thermo-dynamique qui encadre et soumet à ses contraintes
l'évolution organique.
4- Les lièvres avertissent les renards : les contraintes éco-sémiotiques du
discours
A l’autre bout de l’échelle, les «vieilles synthèses» n’ont pas intégré dans leur savoir
explicatif le comportement communicatif ou sémiotique des animaux. La réification de la
communication réduite à «rien d’autre» que la transmission de signaux (comme par
exemple des gènes) a favorisé la génétique quantitative mais au prix d'une grave sousestimation de la compétence interprétative ou sémiotique des systèmes vivants. Les
paragraphes suivants de cet article sont concernés par les taches aveugles provoquées
par cette lacune des «vieilles synthèses».
Que l'évolution ait lieu dans «le théâtre écologique», comme Evelyn Hutchkinson l'a
exprimé, implique que l'évolution est toujours une Co-évolution. Mais dans la tradition
néo-Darwinienne, la co-évolution, avec l'Hypothèse de la Reine Rouge (ref. Alice au
Pays des Merveilles) comme illustration standard, est toujours traitée comme un
problème de course aux armements qui représente implicitement l'évolution comme un
jeu contre quelque chose "en dehors" (Kampis 1995). Bien que ceci puisse
naturellement être une métaphore, c'est probablement dans la plupart des cas une
caricature grossière.
Considérons la situation entre lièvres et renards récemment discutée par Anthony
Holley (Holley 1993). Un lièvre brun peut courir presque 50 pour cent plus vite qu'un
renard, mais quand il repère un renard s'approchant de lui, il se maintient à une certaine
distance et signale sa présence (avec les oreilles dressées et la fourrure blanche
ventrale clairement évidente), au lieu de fuir le plus loin possible. Après 10 ans et 5000
heures d'observation, Holley en a conclu que ce comportement représentait une
économie d'énergie: si un renard sait qu’il a été repéré, il ne prendra pas la peine de
donner la chasse, évitant ainsi aux lièvres l'effort de courir. Holley rejette une explication
alternative: celle disant que les lièvres veulent juste mieux mesurer les mouvements de
leurs prédateurs ; il rejette cette idée en partie parce que le comportement ne les aide
en fait pas à voir le renard plus clairement, et en partie parce qu'ils ne réagissent pas de
la même manière face aux chiens. Tandis que la chasse du renard dépend de sa
discrétion, même s’il attire dans un guet-apens un lièvre pour l’attraper, un chien peut
agir plus rapidement et il serait donc contre-productif pour le lièvre de signaler sa
présence dans ce dernier cas.
Cette situation est un exemple d'interaction particulière que j'ai nommée l'interaction
sémétique (du grec semeion = signe, et etos = habitude), c.-à-d. que les habitudes
d’une espèce sont interprétées comme signes déclenchant d'autres habitudes
chez les individus d'autres (ou de la même) espèces (Hoffmeyer 1994b, 1995b) : le
lièvre «sait» que le renard a l'habitude de ne pas le chasser s’il est repéré. Par
conséquent, il développe l'habitude de montrer au renard que ce dernier est devenu
repéré. Que cette habitude soit devenue fixée dans le déploiement génomique des
lièvres ou qu’elle soit basée la plupart du temps sur l'expérience, nous ne le saurons
probablement pas, mais ça n’a pas beaucoup d’importance.
Une idée centrale est que les organismes appartiennent non seulement à des
niches écologiques, mais ils sont toujours également liés à une niche sémiotique,
c.-à-d. qu’ils devront maîtriser un ensemble de signes d'origine visuelle,
acoustique, olfactive, tactile et chimique afin de survivre. Et il est très possible que
les aptitudes sémiotiques des populations soient souvent un défi décisif pour leur
réussite.
La dynamique d'un écosystème devra donc inclure une connaissance
appropriée des réseaux sémiotiques opérationnels dans ces écosystèmes
(Hoffmeyer 1994a).
On devrait noter que le renard profite autant de cette communication que les lièvres
puisqu'elle lui épargne au moins le temps et l'effort de la tentative de course inutile
après les lièvres. Ainsi, est-ce réellement une sorte de mutualisme, la situation entière
présuppose l'existence d'un univers interprétatif partagé ou «motif», que nous pourrions
nommer une structure éco-sémiotique du discours (avec l'aide de Michel Foucault et
son concept de «discours (3)», qui, pour résumer très brièvement, se rapporte à
l'ordre symbolique reliant les sujets humains à un monde commun (Foucault 1970,
Cooper 1981). Quelle quantité de ce genre de coopération sémiotique continue d’exister
dans la nature? Nous avons probablement seulement entrevu le commencement de ce
type d'études, et je pense que notre connaissance actuelle nous donne seulement un
petit aperçu de la masse presque inépuisable de patterns d’interactions sémiotiques
rusés se mettant en scène à tous les niveaux de complexité des cellules et des tissus à
l'intérieur des corps et jusqu'au niveau des écosystèmes.
Si c'est ainsi, on pourrait pousser plus loin notre hypothèse que l'évolution est peutêtre autant contrainte par l'existence de ces structures éco-sémiotiques du
discours que par des contraintes développementales. Alors que la plupart des
biologistes supposent que le mutualisme symbiotique est un cas exceptionnel sans
importance générale pour la théorie évolutionniste, le mutualisme sémiotique,
impliquant un équilibre sensible des interactions entre beaucoup d'espèces,
pourrait se révéler extrêmement répandu. Et dans de telles situations, l'adaptation de
n'importe quel comportement modifié dans une espèce dépendrait du système
sémiotique en totalité, c.-à-d. que la limite entre organisme et environnement
tendrait à se dissoudre. Un nouveau niveau d'intégration intermédiaire entre les
espèces et l'écosystème devrait être considérée: le niveau de la structure écosémiotique du discours. Cette situation est particulièrement intéressante dans les cas
où l'expérience et l'apprentissage créent un pattern interactif, ce qui pourrait souvent
être le cas chez les mammifères et les oiseaux. Dans ces cas particuliers, apprendre
aurait englobé le processus évolutionniste, en quelque sorte (car c'est le cas dans la
culture humaine), et réciproquement on pourrait déduire si une structure éco-sémiotique
du discours relativement autonome n'est pas exactement ce qui serait nécessaire pour
qu'apprendre évolue en premier lieu.
L'essentiel de cette réflexion est, je suppose, que l'évolution ne maximise pas
simplement la complexité ou le contenu de l'information (quel qu'il soit) mais
plutôt elle maximise la sophistication des interactions sémiotiques, c.-à-d. la
liberté sémiotique (Hoffmeyer 1992). Par extension, l'évolution favorise
l'établissement de patterns sémiotiques de raffinement des interactions entre les
espèces, elle tend également à ouvrir la voie à une multitude d'interactions physiques
entre les espèces. Dans cette perspective, les relations symbiotiques ne doivent pas
être considérées justes comme de drôles d'accidents mais plutôt comme des
phénomènes d'occurrence systématique dans la sémiosphère (cf. Salthe 1993,
chp. 6).
5. Liberté sémiotique et ambiguïté adaptative
La liberté sémiotique est une propriété émergente et devrait toujours être analysée
par rapport au niveau adéquat. Ainsi la liberté sémiotique de la cellule a-t-elle sans
doute diminué dans une certaine mesure quand l'organisme unicellulaire est devenu un
organisme multicellulaire. "L'écologie somatique" du corps (Buss, 1987) a réduit par
ses contraintes la liberté des cellules, mais au niveau de l'organisme total, un
gain énorme de liberté sémiotique a été alors atteint. Par la différentiation de ses
tissus, l'organisme multicellulaire a acquis une capacité beaucoup plus grande
pour traiter et communiquer des informations dans le sens qu'il peut traiter de
plus grandes parties de son environnement dans l'espace aussi bien que dans le
temps. Ou, pour employer l'expression de Jakob von Uexküll, son umwelt a augmenté.
Finalement, la croissance de la liberté sémiotique dans notre univers semblerait
suivre le principe de la production maximum d'entropie (Swenson 1989).
Tout ceci indique qu'il y a un aspect de jeu dans le processus évolutionnaire, un
aspect qui a été plus ou moins occulté par une focalisation –avec des œillères - sur la
sélection naturelle. Le jeu, selon mon dictionnaire, est une activité qui porte son but en
elle-même. "Ce qui est caractéristique du "jeu", écrit Gregory Bateson, c'est que c'est
un nom pour des contextes dans lesquels les actes constitutifs ont une sorte
d'importance ou d'organisation différente de ce qu'ils auraient eu dans le non-jeu"
(Bateson 1979, 139). Bateson suggère également la définition du jeu comme
"établissement et exploration du rapport" par opposition au rituel : "l'affirmation du
rapport" (ibid 151).
Par conséquent, la nature est engagée dans une exploration sans limite prédéfinie ou non préparée des rapports entre les systèmes à de multiples niveaux
de complexité ; la nature manifeste en fait le jeu comme un comportement, et il serait
aussi légitime de parler de "jeu naturel" que de parler de "sélection naturelle". La
sélection agit pour "arranger les choses", c.-à-d. pour fixer des comportements, des
morphologies ou installer des gènes, arrêtant de ce fait le jeu mais permettant aussi le
commencement de nouveaux jeux. Ainsi, par exemple, il y a plus de 50 millions
d'années, une espèce particulière de fourmi a commencé à interagir avec un genre
spécial de champignon et la sélection naturelle a finalement établi ceci comme une
nouvelle habitude de croissance pour ce champignon. Le jeu naturel, cependant, a
continué à explorer ce tout nouveau pattern sémétique d'interaction ou "motif écosémiotique" puisque la totalité des 200 espèces de croissance existant maintenant ont
évolué à partir de ces simples espèces de fourmi. À peu d'exceptions près, elles
cultivent toutes des champignons de la même famille : Lepiotaceae. Les formes plus
évoluées de fourmis sont ainsi devenues maintenant spécialisées au point qu'elles ne
peuvent plus survivre sans avoir exactement la bonne variété fongique (New Scientist
17/12 94, 15), tellement ici la sélection naturelle a pu finalement obtenir une
cristallisation totale des relations de la forme ouverte du jeu en une forme fermée de
rituel.
Dans la plupart des cas étudiés, les relations entre les organismes en interaction
sont, comme dans le cas cité, basé sur une dépendance physique lourde (nourriture,
protection ou équivalents). Mais en plus de ces exemples, il y a probablement toutes
sortes de cas dans lesquels un organisme emploie des régularités manifestées par
d'autres organismes simplement comme des sélections (pour l'orientation, le vol, la
nidification, ou quoi que ce soit d'autre) de la même manière que les facteurs abiotiques
de sélection sont souvent des sélections importantes dans la vie des animaux (comme
par exemple quand les oiseaux migrateurs trouvent leur chemin par la lecture de la
configuration des étoiles).
Évidemment, la liberté sémiotique croissante tendra à pousser l'influence des forces
sélectives à des niveaux plus élevés: plus il y a d'interaction sémiotique inter-espèces,
plus "l'aspect sélectif" de l'évolution se relâche à ce niveau, et plus sera prépondérant
l'aspect "jeu". Ceci parce qu'un pattern d'interaction riche sur le plan sémiotique produit
une certaine ambiguïté au niveau adaptation. Quand des organismes sont reliées dans
un réseau de relations sémiotiques complexes, n'importe quelle propriété ou
comportement développée de novo peut potentiellement être contrecarrée ou intégrée
de multiples façons. Le nombre de solutions possibles pour que la sélection opère, et la
subtilité des interactions communicationnelles, tendront à produire une situation sans
réel gagnant. En conséquence, la sélection ne peut pas vraiment "mesurer" les
avantages de joueurs simples (individus, territoires ou espèces) dans le jeu, mais
elle pourrait encore influencer le choix du jeu lui-même. Des jeux, pas des
joueurs, sont alors sélectionnés.
Aussi ai-je suggéré qu'à la place de la sélection génétique, la biologie
évolutionniste essaye plutôt de développer un concept d'adaptation sémiotique
(Hoffmeyer 1995a). Après tout, l'adaptation dépend d'une relation, or quelque chose ne
peut être adapté que dans un contexte donné. Des gènes peuvent être adaptés
seulement dans certaines conditions environnementales, ou inversement on pourrait
peut-être dire que des environnements sont adaptés dans le sens que leur capacité
dynamique d'auto-maintenance a été adaptée aux ressources génotypiques réelles qui
y sont présentes. Mais si les génotypes et les "envirotypes" (Odling-Smee et Patten
1994) constituent réciproquement le contexte dans lequel l'adaptation devrait être
mesurée, il semble que nous devrions plutôt parler de l'adaptation dans sa globalité
relationnelle, qui est en fait comme une capacité sémiotique.
Le concept évolutionniste approprié de l'adaptation, l'adaptation sémiotique, devrait
idéalement mesurer la compétence ou le succès sémiotique des systèmes naturels en
contrôlant les processus de traduction génotype-envirotype. L'optimisation de
l'adaptation sémiotique a comme conséquence la croissance continue de la profondeur
des modèles interprétatifs accessibles à la vie. Et c'est ce qui me parait le plus près de
ce que nous pouvons définir, je pense, comme "un approfondissement croissant de la
signification" au niveau de la biologie.
6. Reconnaissance et spéciation
Dans tout cet article, j'ai écarté le problème qui consiste à expliquer les tendances
suggérées en termes d'analyse quantitative basée sur des forces sélectives. J'ai fait
ceci non pas par négligence du problème de justification des principes évolutionnistes
en termes de processus causaux, mais parce que je pense que les modèles
mathématiques ne sont pas (encore ?) développé à un niveau qui les rendent
appropriés au regard de telles questions. Bien sûr, la sélection naturelle classique au
niveau des individus reste un processus continuel d'importance incontestable pour
l'évolution. Mais il ne semble y avoir aucune bonne raison de favoriser ce processus au
point qu'il doive nécessairement déterminer nos explications sur les patterns macroévolutionnaires. Déjà au niveau de la spéciation, c.-à-d. la formation de nouvelles
espèces, les modèles explicatifs sélectionnistes traditionnels peuvent apparaître d'une
valeur limitée.
Nos idées de spéciation pourraient profiter de la prise en compte de la dimension
sémiotique des interactions intra-espèces. Paterson l'a fait indirectement en
formulant sa théorie de spéciation par l'identification de partenaire. (Paterson 1993).
D'un point de vue sémiotique, cependant, l'idée de l'identification de partenaire semble
être de conception un peu trop restrictive. L'identification non seulement des partenaires
sexuels, mais également d'une multitude d'autres sélections dans l'environnement,
pourrait influencer le pattern reproducteur de façon à créer un isolement reproductif.
Ainsi cette spéciation sympatrique (4) - qui, pour beaucoup de raisons, semble être le
modèle le plus attrayant, si seulement on pouvait lui trouver un mécanisme plausible pourrait-elle être obtenue par un certain nombre de barrières purement sémiotiques (et
non pas l’apparition de nouveaux gènes par mutation aléatoire, limitant le croisement
de certains individus) . Ainsi la sémiotique pourrait-elle même être le facteur
déterminant pour le plus central des événements darwiniens : l'origine de
nouvelles espèces.
Mais même le processus de spéciation n'est pas forcément la clef du macrodéveloppement évolutionnaire. Les trajectoires morphologiques suivies par un certain
nombre de lignées successives peuvent nécessiter une explication à un niveau encore
plus élevé, comme l'a suggéré Stanley Salthe, qui voit le déploiement perpétuel de la
trajectoire développementale, depuis le commencement et l'immaturité jusqu'à la
sénescence, en passant par la maturité comme un pattern général sous-tendant la
formation de trajectoires situées à un niveau plus élevé (Salthe 1993). Si c'était le cas,
les trajectoires morphologiques seraient effectivement découplées non seulement du
point de vue de la spéciation mais aussi du point de vue de l'adaptation.
7- Alors pourquoi une nouvelle synthèse sémiotique ?
Une synthèse est une combinaison de parties, d'éléments, de substances, etc.
séparés, en une totalité ou en un système. On ne trouve rien de tel dans "la synthèse
moderne des années 40". Bien qu'il y ait des nuances dans la conception de ce qui est
précisément désigné par "synthèse moderne", le terme devrait au moins impliquer un
certain genre de synthèse théorique entre des champs biologiques autrefois disparates,
comme dans les mots de Depew et de Weber : "la synthèse moderne apparaît comme
un appel à l'unification explicative parmi une variété de disciplines aussi disparates à
l'intérieur de la biologie que la biogéographie, la paléontologie, la systématique
phylogénétique et l’étude de la morphogénèse, en s'appuyant sur l'hypothèse que la
génétique des populations - dans l'une ou l'autre de ses variantes - rendrait maintenant
cette unification possible" (Depew et Weber 1995 : 299-300).
Bien qu'il puisse être vrai que la "synthèse" de l'époque fournissait une perspective
relativement unifiée à ces différentes branches de la biologie, il est maintenant évident
que des domaines importants des sciences de la vie ne sont pas inclus dans cette
unification. La créativité sémiotique des systèmes biologiques à tous les niveaux de
complexité est systématiquement exclue de l'univers explicatif de cette "synthèse".
Comme cela a déjà été noté, c’est une situation paradoxale, parce que le concept le
plus central de la "synthèse", le concept de "sélection", est tout simplement sans
signification en dehors d'un contexte sémiotique.
Darwin était dans le vrai quand il voyait la sélection comme un processus central
dans la nature vivante, mais pendant plus de cent ans, les Darwiniens ont rechigné à
déduire pleinement toutes les conséquences de cette intuition. Il est maintenant
nécessaire de bien considérer ces conséquences et d'admettre l'évidence : ces
processus sélectifs présupposent des interprétations (avec la possibilité implicite
d'interprétations fausses). Donc par extension, la sélection est un processus naturel, la
sémiosis est un processus naturel - la sémiosis opère tout le temps et à tous les
niveaux de la biosphère. On peut craindre qu'une telle position théorique mette la
biologie en dehors du champ habituel des sciences naturelles, puisque l'interprétation
semble présupposer l'existence d'un certain genre de subjectivité. Ce risque,
cependant, doit être confronté par une analyse complète des implications, plutôt qu'être
éludé par la répression.
L'idée de voir la sémiosis comme concept d'unification dans l'étude de la vie est
souvent taxée de vitalisme. En fait, je pense au contraire que la stratégie de réprimer la
dimension sémiotique de la vie est justement ce qui nourrit la renaissance continuelle
des notions vitalistes. Bien sûr, aucun principe vital n'est invoqué dans la
compréhension biosémiotique de la vie. La biosémiotique est confrontée au même
problème ontologique que la biologie traditionnelle : le problème d'expliquer comment le
codage des surfaces pourrait survenir dans une nature sans vie. Comme je l'ai déjà
mentionné , j'ai discuté de ce problème ailleurs (Hoffmeyer et Emmeche 1991,
Hoffmeyer 1992), et je ne vois aucune difficulté insurmontable à l'expliquer à l'intérieur
des principes physiques connus de l'univers. La différence entre la biosémiotique et la
biologie doit plutôt tenir compte des conséquences à déduire de l'existence du codage.
Selon la conception biosémiotique, la vie était dès le début suspendue dans un
univers de sens, et bien que la structure interne des cellules ou des organismes
soit probablement descriptible en termes purement biochimiques, ceci ne nous
donnera pas une connaissance vraie de telles structures, puisqu'elles ont été
développées pendant des milliards d'années sous la logique du guidage des
interactions sémiotiques. L'ordonnancement sémiotique (à travers l'histoire de
l'évolution) de la chimie détermine la fonction de cette chimie. Dans ce sens, et
seulement dans ce sens, la vie est un phénomène irréductible.
Une unification moderne de la biologie doit donc être basée sur la nature
fondamentalement sémiotique de la vie.
Notes
(1) fitness a été traduit par adaptation or fitness veut dire aussi capacité à produire
beaucoup de descendants
(2) chaperon moléculaire http://www.lebs.cnrs-gif.fr/melki/melkifr.html
(Une classe de protéines, les chaperons moléculaires, interagissent avec les
polypeptides dépliés immatures et favorisent leur voyage vers l'état correctement
replié ou mature)
(3) pour Michel Foucault, la structure est de l’ordre du discours
« …ne plus traiter les discours comme des ensembles de signes (d'éléments signifiants
renvoyant à des contenus ou à des représentations) mais comme des pratiques qui
forment systématiquement les objets dont ils parlent.»
(4) spéciation sympatrique : http://www.nserc.ca/news/2005/c050329-3bio.htm
Bibliographie :
Bateson, Gregory (1979). Mind and Nature. A Necessary Unity, New York: Bentam Books.
Bohr, Niels (1932). "Light and Life". Reprinted in Niels Bohr (1961): Atomic Physics and Human Knowledge. New
York: Science Editions.
Brooks, Daniel and E. O. Wiley (1986). Evolution as Entropy. Toward a Unified Theory of Biology, Chicago/London:
University of Chicago Press.
Brooks, Daniel, J. Collier, B. Maurer, J. D. H. Smith and E. O. Wiley (1989). "Entropy and Information in Evolving
Biological Systems", Biology and Philosophy 4: 407-432.
Buss, Leo (1987). The Evolution of Individuality, Princeton: Princeton University Press.
Cooper, Barry (1981). Michel Foucault. An Introduction to his thoughts, New York: Edwin Mellan.
Depew, David L. and Bruce H. Weber (1995). Darwinism Evolving: Systems Dynamics and the Genalogy of Natural
Selection, Cambridge, MA: Bradford/The MIT Press.
Emmeche, Claus (1994). The Garden in the Machine. The Emerging Science of Artificial Life, Princeton, N.J.:
Princeton University Press.
Emmeche, Claus (forthcoming). "Den biosemiotiske tanke". In Keld Gall Jørgensen (ed.). København: Gyldendal
Emmeche, Claus and Jesper Hoffmeyer (1991). "From Language to Nature: The Semiotic Metaphor in Biology",
Semiotica 84(1/2): 1-42.
Etxeberria, A (1995). Embodyment of Natural and Artificial Agents” In G. Van de Vijver, S. Salthe and M. Delpos
(eds.) Proceedings of The International Seminar on Evolutionary Systems ISES, Vienna: forthcoming.
Florkin, Marcel (1974). "Concepts of Molecular Biosemiotics and of Molecular Evolution". In M Florkin and Elmer H.
Stoltz (eds.). Comprehensive Biochemistry. Amsterdam: Elsevier, 1-124.
Foucault, Michel (1970). The Order of Things. An Archaeology of the Human Sciences, London: Tavistock.
Goodwin, B. C. (1989). "Evolution and the generative order". In B. Goodwin and P. Saunders (eds.). Theoretical
Biology: Epigenetic and evolutionary order from complex systems. Edinburgh: Edinburgh University Press,
Gould, Stephen Jay (1989). Wonderful Life: The Burgess Shale and the Nature of History, New York: Norton.
Gregory, R. L. (eds.) (1987). The Oxford Companion to the Mind, Oxford: Oxford University Press.
Griffiths, Paul and Russel D. Gray (1994). "Developmental Systems and Evolutionary Explanations", Journal of
Philosophy 91, 277-304.
Hoffmeyer, Jesper (1987). "The Constraints of Nature on Free Will". In Viggo Mortensen and R. C. Sorensen (eds.).
Free Will and Determinism. Aarhus: Aarhus University Press, 188-200.
Hoffmeyer, Jesper (1992). "Some Semiotic Aspects of the Psycho-Physical Relation: The Endo-Exosemiotic
Boundary". In Thomas A. Sebeok and Jean Umiker-Sebeok (eds.). Biosemiotics: The Semiotic Web 1991. Berlin:
Mouton de Gruyter, 101-123.
Hoffmeyer, Jesper (1994 a). "The Global Semiosphere". In Irmengard Rauch (eds.) Proceedings of 5th Congress of
The International Association for Semiotic Studies, Berkeley: Mouton Gruyter (forthcoming).
Hoffmeyer, Jesper (1994 b). "The Swarming Body". In Irmengard Rauch (eds.) Proceedings of 5th Congress of The
International Association for Semiotic Studies, Berkeley: Mouton Gruyter (forthcoming).
Hoffmeyer, Jesper (1995 a). "The Unfolding Semiosphere". In Gertrudis van de Vijver, Stanley Salthe and Manuela
Delpos (eds.) Proceedings of The International Seminar on Evolutionary Systems, Vienna, forthcoming:
Hoffmeyer, Jesper (1995 b). "The Swarming Cyberspace of the Body", Cybernetics & Human Knowing 3(1): 1-10.
Hoffmeyer, Jesper (1995 c). Molekularbiologie und Genetik in Semiotischer Sicht”. In Thure von Uexküll (ed.)
Psychosomatische Medizin, 5. Auflage. München: Urban & Schwarzenberger, 53-62.
Hoffmeyer, Jesper (1996). Signs of Meaning in the Universe Nature. The Natural History of Signification,
Bloomington, IN: Indiana University Press.
Hoffmeyer, Jesper and Claus Emmeche (1991). "Code-Duality and the Semiotics of Nature". In Myrdene Anderson
and Floyd Merrell (eds.). On Semiotic Modeling. New York: Mouton de Gruyter, 117-166.
Holley, Anthony J. (1993). "Do Brown Hares Signal to Foxes?", Ethology 94: 21-30.
Jakobsen, Roman (1973). Main Trends in the Science of Language, New York:
Johnston, Thimothy D. and Gilbert Gottlieb (1990). "Neophenogenesis: A Developmental Theory of Phenotypic
Evolution", Journal of Theoretical Biology 147: 471-95.
Kampis, George (1991). Self-Modifying Systems in Biology and Cognitive Science. A New Framework for Dynamics,
Information and Complexity, Oxford: Pergamon.
Kampis, George (1995). "Evolution as its own Cause". In G. Van de Vijver, S. Salthe and M. Delpos (eds.)
Proceedings of The International Seminar on Evolutionary Systems ISES, Vienna: forthcoming.
Kauffman, Stuart A. (1991). "Antichaos and Adaptation", Scientific American 265: 78-84.
Kauffman, Stuart A. (1993). Origins of Order: Self-Organization and Selection in Evolution, New York/Oxford: Oxford
University Press.
Langton, Christopher (ed.) (1989). Artificial Life. The Proceedings of an Interdisciplinary Workshop on the
Synthesis and Simulation of Living Systems held September 1987 in Los Alamos, Redwood City: Addison-Wesley.
Lewontin, Richard C. (1991). "Facts and factitious in natural science", Critical Inquiry 18(1): 140-153.
Lewontin, Richard C. (1992). "The Dream of the Human Genome", The New York Review, May 28, 31-40.
Margulis, Lynn (1981). Symbiosis in Cell Evolution: Life and Its Environment on Earth, San Fransisco: Freeman.
Margulis, Lynn and René Fester (eds.) (1991). Symbiosis as a Source of Evolutionary Innovation. Speciation and
Morphogenesis, Cambridge, Mass/London: MIT Press.
Margulis, Lynn and Dorion Sagan (1991). Mystery Dance. On the Evolution of Human Sexuality, New York: Summit
Books.
Odling-Smee, F. John and Bernard Patten (1994). "The Genotype-Phenotype-Envirotype Complex: Ecological and
Genetic Inheritance in Evolution", Manuscript .
Oyama, Susan (1985). The Ontogeny of Information, Cambridge: Cambridge University Press.
Oyama, Susan (1995). "The Accidental Chordate: Contingency in Developmental Systems", The South Atlantic
Quarterly 94(2): 509-526.
Paterson, Hugh E. H. (1993). "Collected Writings". In Shane F. McEvey (eds.). Evolution and the Recognition
Concept of Species. Collected Writings. Baltimore: The Johns Hopkins University Press,
Prigogine, Ilya and Isabelle Stengers (1984). Order out of Chaos, London: Heinemann.
Rocha, Luis M. (1995). "Contextual Genetic Algorithms: Evolving Developmental Rules in Artificial Life Models". In
Gertrudis Van de Vijver, Stanley Salthe and Manuela Delpos (eds.) Proceedings of Proceedings of the International
Seminar on Evolutionary Systems, ISES, Vienna: forthcoming.
Rosen, Robert (1985). "On Information and Complexity". In J. L. Casti and A. Karlqvist (eds.). Complexity,
Language, and Life: Mathematical Approaches. Berlin: Springer,
Ruse, Michael (1979). The Darwinian Revolution, Chicago/London: University of Chicago Press.
Salthe, Stanley N. (1991). "Formal Considerations on the Origin of Life", Uroboros 1: 45-56.
Salthe, Stanley N. (1993). Development and Evolution. Complexity and Change in Biology, Cambridge,
Mass./London: MIT Press.
Sapp, Jan (1994). Evolution by Association. A History of Symbiosis, New York/Oxford: Oxford University Press.
Searle, John R. (1992). The Rediscovery of Mind, Cambridge, Massachusetts: MIT Press.
Sebeok, Thomas A. (1963). "Communication in Animals and Men", Language 39: 448-466.
Sebeok, Thomas A (1976). Contributions to the Doctrine of Signs, Bloomington, IN: Indiana University Press.
Sebeok, Thomas A. (1979). The Sign & Its Masters, University of Texas Press.
Sharov, Alexei (1992). `Biosemiotics. A functional-evolutionary Approach to the Analysis of the sense of evolution`.
In Thomas A. Sebeok and Jean Umiker-Sebeok (eds.). Biosemiotics: The Semiotic Web 1991. Berlin: Mouton de
Gruyter, 345-373.
Swenson, Rod (1989). "Emergent Attractors and the Law of Maximum Entropy Production", Systems Research 6:
187-197.
Swenson, Rod and M. T. Turvey (1991). "Thermodynamic Reasons for Perception-Action Cycles", Ecological
Psychology 3(4): 317-348.
Uexküll, Jakob von (1982 [1940]). "The Theory of Meaning", Semiotica 42(1): 25-87.
Uexküll, T. v.: 1982 Introduction: Meaning and Science in Jacob von Uexküll’s Concept of Biology”, Semiotica 42,
(1), pp. 1-24.
Weber, Bruce H. and David J. Depew (1995). "Natural Selection and Self-Organization", Biology and Philosophy :
Weber, Bruce H., D. J. Depew, C. Dyke, S. N. Salthe, E. D. Schneider, R. E. Ulanowics and J. S. Wicken (1989).
"Evolution in Thermodynamic Perspective: An Ecological Approach", Biol. Phil. 4: 373-405.
Yates, Eugene F. (1985). "Semiotics as Bridge Between Information (Biology) and Dynamics (Physics)", Recherches
Sémiotiques/ Semiotic Inquiry 5: 347-360.
Yates, Eugene F. and Peter N. Kugler (1984). "Signs, Singularities and Significance: A Physical Model for
Semiotics", Semiotica 52(1/2): 49-77.
Téléchargement