Biosémiotique : Vers une nouvelle synthèse en biologie Jesper Hoffmeyer Université de Copenhague, institut de biologie moléculaire, groupe de Biosémiotique Journal européen d’études sémiotiques, numéro 2, 1997, vol. 9 p 355 à 376 traduction de http://www.gypsymoth.ento.vt.edu/~sharov/biosem/hoffmeyr.html (+surlignements et commentaires par D.Seban) Brève Biographie : Jesper Hoffmeyer, né en 1942, est biochimiste à l'université de Copenhague (1967). Professeur associé à l'institut de biochimie (1968), il a travaillé sur la régulation génétique et biochimique de la biosynthèse de la purine pendant les années 70. Il a commencé des études d'histoire de la science et de la technologie et est graduellement passé à la biologie théorique. En 1988, il a établi le groupe de Biosémiotique à l'institut de biologie moléculaire. Intérêts actuels de recherches: La relation entre nature et culture dans son développement historique ; Sémiotique de la nature ; Bioanthropologie. Sommaire : La sémiotisation de la nature comme tendance dans les sciences de la vie au 20ème siècle, est discutée. Les raisons de cette tendance sont analysées pour soutenir que la sémiosis est une propriété émergente apparaissant dans notre univers avec les premières formes de vie il y a presque 4 milliards d'années. A partir de cette tendance, la liberté sémiotique débutante s’est accrue à travers toute l'évolution organique, et nous suggérons qu’elle soit un pas fondamental créant un pont entre l'histoire au sens de l'irréversibilité thermo-dynamique et l'histoire au sens de la culture humaine. Une unification de la biologie et de vraies « synthèses modernes », devraient baser la compréhension de son évolution sur une théorie sémiotique de la vie. 1- La sémiotisation de la nature Les sciences de la vie du 20ème siècle ont été caractérisées par deux tendances principales. L’une d’elle est le réductionnisme moléculaire et génétique. Cette tendance est bien connue et n'a besoin d'aucun autre commentaire. Débutant comme une vague de fond sous-jacente à cette tendance, une autre est beaucoup moins connue mais se dévoile à la longue comme une tendance de plus en plus importante: la sémiotisation de la nature. La manifestation la plus précoce de cette tendance apparaît probablement dans le travail du biologiste allemand Jakob Von Uexküll, qui dans la première partie de ce siècle, a développé son concept d’«umweltsforschung». Le terme «umwelt» se rapporte aux mondes phénoménaux des organismes, les mondes que les animaux construisent avec les perceptions de leur environnement et d’eux-mêmes. "Chaque action, écrit Uexküll, qui se compose de la perception et de l'opération qui la suit, imprime sa signification sur l'objet - objet au départ sans signification - et la transforme de ce fait en un «porteur de signification connectée au sujet » dans l'umwelt du sujet" (Uexküll, 1982 [1940]) ; Le travail d'Uexküll a été passé en revue (Sebeok, 1979, ch. 10, et Uexküll, 1982). Konrad Lorenz a été inspiré par le travail d'Uexküll. La croissance de la nouvelle discipline qu’est l'éthologie, peut être vue comme l’importante étape suivante dans la sémiotisation de la nature. Thomas A. Sebeok a d'abord a explicitement observé que l'éthologie n’est guère plus qu'un cas particulier de sémiotique diachronique (Sebeok, 1976, 156) et a dès 1963, inventé le terme de «zoosémiotique» (Sebeok, 1963). L'éthologie elle-même s'est ramifiée en plusieurs nouvelles disciplines telles que la «communication animale» et la «sociobiologie». Une percée importante dans notre compréhension du caractère sémiotique de la vie fut l'établissement en 1953 du modèle de la double-spirale d’ADN de Watson et Crick et du déchiffrement du code génétique qui s’en est suivi. Jusqu'alors, la compréhension sémiotique de la nature avait été concernée principalement par des processus communicationnels entre les organismes, nommés exosémiotiques par Sebeok (1976), mais il est maintenant apparu clairement que les processus sémiotiques étaient également répandus au niveau biochimique (endosémiotique). En 1973 Roman Jakobsen a précisé que le code génétique partageait plusieurs propriétés avec le langage humain et que tous les deux sont basés sur un principe de doublearticulation (Jakobsen, 1973 ; Emmeche et Hoffmeyer, 1991). Cependant, en raison de son penchant réductionniste, la biologie traditionnelle n'a généralement pas utilisé de terminologie sémiotique (une exception : Florkin, 1974). Eugene F. Yates a repéré la mutation étrange qui a eu lieu dans le vocabulaire en biochimie (Yates, 1985). Il semble qu’on ne puisse plus enseigner la biochimie moderne - ou même la penser - sans employer des termes de communication tels que «reconnaissance», «haute fidélité», «ARN-messager», «signal», «présentation» ou même «chaperons» moléculaires*. Ces mots apparaissent à chaque page des manuels modernes de biochimie malgré le fait qu’ils n'aient pourtant rien à voir avec l'univers physicaliste auquel ces livres sont consacrés. Comme Yates l’a pertinemment remarqué: "il n'y a pas plus de consistance dans le discours biologique moderne : «le développement direct des gènes» que dans la proposition : «les ballons montent par légèreté » . Des expressions comme celles-ci apparaissent même dans les journaux scientifiques. Ainsi, sur un total de 60 articles synoptiques pris dans les volumes de TIBS (tendances en sciences biochimiques) de 1994, j'ai compté 27 articles avec des titres contenant des mots présupposant un contexte sémiotique. Plutôt que de parler de «processus signifiant» (= action sémiotique), les biochimistes préfèrent parler «d'échange d'information». Selon la théorie mathématique de l'information, l'information est une entité mesurable objectivement existante, une propriété sensée appartenir à un objet donné. La prétention tacite derrière l'idée d'information biologique, semble être qu'une telle information est du même genre que l'information «mathématique», c.-à-d. une propriété objectivement existante de prétendues molécules informationnelles telles que l'ADN, l'ARN ou les protéines. Ainsi par exemple,«le dogme central» célèbre formulé par Francis Crick, soutient-il que l'information est toujours passée de l'ADN à l'ARN et de l'ARN à la protéine, mais jamais dans l’autre sens. L'information, dans ce cas, est quelque chose qui peut être déplacé ou transporté. Cette conception de l'information biologique a été critiquée assez souvent (Rosen, 1985 ; Yates et Kugler, 1984 ; Kampis, 1991 ; Hoffmeyer et Emmeche, 1991 ; Sharov 1992 ; Hoffmeyer, 1996). Disons pour préciser cela que, fondamentalement, quand les biologistes et les physiciens parlent de l'information, ils parlent de choses différentes. Alors que l'information, telle que la conçoivent les physiciens, n'a aucun rapport avec les valeurs, la pertinence ou le but, les biologistes pensent à l'information dans un sens beaucoup plus courant du langage; l'information biologique atteint toujours un objectif dans un système, au minimum elle sert à favoriser la survie de ce système. Un point essentiel est que l'information biologique est inséparable de son contexte, elle doit être interprétée pour agir. Par exemple, si nous discutons d'information génétique, il faudrait noter que, contrairement à l'image généralement véhiculée dans les manuels, il n’y a aucune relation simple entre les messages codés par l’ADN et la construction de l'organisme, qu’il soit unicellulaire ou multicellulaire (Hoffmeyer 1995c). Ce qui est décrit dans le texte-ADN concerne surtout l'ordre des acides aminés des squelettes des protéines et même avant que ces squelettes ne soient réellement assemblés, les prétendus processus d'édition-ARN pourraient avoir présenté un élément dépendant du contexte dans le processus (Rocha, 1995). En outre, comment les squelettes d'acides aminés (chaines peptidiques) sont repliés en molécules protéiques tridimensionnelles: ce processus n'est pas directement indiqué. N’est spécifié ni comment les protéines vierges devraient être mises au bon endroit dans l'architecture incroyablement complexe de la cellule, ni quand et comment, dans les organismes multicellulaires, les cellules se divisent, se différencient ou migrent dans le tissu embryonnaire. Comme le généticien de Harvard Richard Lewontin a dit : "d'abord, l'ADN n'est pas auto-reproductible, deuxièmement, il ne fait rien et troisièmement, les organismes ne sont pas déterminés par lui" (Lewontin, 1992). Une critique plus étendue de la conception ADN-centrique de l'information biologique a été avancée par les adeptes de la «théorie développementale des systèmes» (Oyama 1985, 1995 ; Johnston et Gottlieb 1990 ; Griffiths et Gray 1994). Tout ceci pour en venir à un fait simple mais crucial : L'ADN ne contient pas la clef de sa propre interprétation. Dans un sens, la molécule est hermétique. Dans le cas typique d’organismes se reproduisant sexuellement, seul l'oeuf fécondé «a su» l'interpréter, c.-à-d., employer son texte comme manuel contenant les instructions nécessaires pour produire l'organisme (Hoffmeyer, 1987 ;1991 ;1992). L'interprétant du message porté par l'ADN est dans le cytosquelette de l'oeuf fécondé (et de l'embryon en croissance), qui à son tour est le produit de l'histoire, c.-à-d., de milliards d'habitudes moléculaires ayant été acquises par l'évolution de la cellule eucaryote (Margulis, 1981) en général, et de l'histoire phylogénétique successive des espèces en particulier. L‘Evolution a mis deux milliards d'années pour produire cette entité merveilleuse : la cellule eucaryote. Après avoir accompli cette prouesse, l’Evolution a passé seulement un milliard et demi d'années pour produire tout le reste. Bien qu'il soit compréhensible que la biologie, en tant que science, préfère fonder sa compréhension des processus de base de la vie sur un concept d'information ayant été développé dans le monde sûr de la physique, cette manière de sauver les sciences de la vie des eaux boueuses des processus interprétatifs semble toutefois de plus en plus illusoire au fur et à mesure que nous découvrons les subtilités de ces processus. Les processus cellulaires sont naturellement des processus chimiques, mais ce qui fait leur différence avec les autres processus chimiques est la manière dont ils sont organisés autour d'une multitude de membranes cytosquelettiques, et en réponse aux besoins dynamiques de la sémiosis. Les cellules, comme les organismes, sont des entités historiques portant dans leur cytosquelette et dans leur ADN des traces de leur passé remontant à plus de trois milliards d'années. Elles mesurent perpétuellement les situations actuelles par rapport à ce fond ancestral, et font des choix basés sur de telles interprétations. Ainsi, on pourrait dire que le signe, plutôt que la molécule, est l'unité de base pour étudier la vie (Hoffmeyer, 1996). Pendant la dernière décennie, la tendance vers la sémiotisation de la nature discutée ici, s'est manifestée encore à de nouveaux niveaux. Ainsi, dans la biologie évolutionniste, le néo-Darwinisme a-t-il été sérieusement défié par un ensemble d'idées désignées sous le nom d'infodynamique (Brooks et Wiley, 1986 ; Weber, et autres, 1989; Weber et Depew, 1995 ; Goodwin, 1989 ; Salthe, 1993). L’Infodynamique dans les mots de Stanley Salthe «englobe la théorie thermodynamique et de l'information, animant essentiellement la dernière au moyen de la première »(Salthe, 1993, 6). L'idée générale telle que suggérée au départ par Dan Brooks et ED Wiley est que la capacité de l'information (désordre) augmente spontanément dans les systèmes en développement, étant produite avec l'entropie physique pendant que le système se développe et se différencie. Puisqu'une telle auto-organisation est une propriété répandue dans notre univers, la sélection naturelle ne devrait pas être vue comme la force dominatrice de l'évolution, mais plutôt comme un second rôle, agissant plus modestement en « taillant par le bas » la nouveauté qui, constamment et de façon autonome, est produite par les exigences de la deuxième loi de la thermodynamique. J'ai discuté ailleurs la correspondance étonnante entre ces idées et «la philosophie cosmogonique» de Charles Sanders Peirce (Hoffmeyer 1996, Salthe, 1993) Un autre développement intéressant de ce point de vue a lieu dans le secteur de la «vie artificielle». Ici la thèse forte, telle que soutenue par Chris Langton, est que la vie n'est pas une propriété exclusivement de «chair et de sang», mais plutôt un phénomène formel, qui peut se manifester dans la gamme entière des substrats matériels, par exemple dans le silicium (Langton, 1989). Les chercheurs dans le domaine de la vie artificielle ( a-lifers, comme ils s'appellent pour se distinguer des b-lifers, les biologistes!) ont développé une multitude de simulations sur ordinateur montrant telle ou telle propriété considérée comme essentielle pour les systèmes vivants. Pour un examen critique de ce domaine de recherche, voir Claus Emmeche (1994) qui souligne la productivité pour la biologie d'un dialogue avec ces idées concurrentes sur la vie mais émet également ses réserves quant à la version forte du programme. Du point de vue sémiotique, la vie artificielle est une recherche intéressante parce qu'elle identifie radicalement la vie avec son aspect informationnel numérique. Néanmoins, en soustrayant la vie à son incarnation, elle menace de la priver de sa nature historique et du coup la prive également de sa nature sémiotique inhérente, le besoin continu de traduction des représentations entre analogiques et digitales (Hoffmeyer et Emmeche, 1991, voir également Etxeberria, 1995). Il reste à voir si la recherche en vie artificielle sera capable de se libérer de cette vision trop simplifiée de la vie, pour contribuer ainsi à une sémiotisation véritable de notre vision de la nature. En récapitulant cette discussion, nous pouvons voir que tout au long du 20ème siècle, les sciences de la vie ont été de plus en plus engagées dans ce que Claus Emmeche a nommé une sémiotique spontanée. La sémiotique spontanée implique que «la communication biologique est étudiée non pas comme un phénomène exigeant une théorie spéciale ou un cadre explicatif mais comme une accumulation d’expériences provenant de différentes disciplines biologiques au sujet des processus signifiants dans la nature» (Emmeche 1995). Les biologistes acceptent que la communication ait lieu à tous les niveaux de la nature vivante mais généralement, ils hésitent à dire si ceci implique le besoin de rechercher un éventuel modèle plus profond derrière ce genre de comportement. Car ils se contentent de penser à l'évolution par la sélection naturelle pour expliquer l'aspect de tous ces phénomènes, qui, dans chaque cas, peuvent être réduits à la mécanique moléculaire au niveau des cellules. Cette tendance réductionniste en biologie bloque le développement d'une biosémiotique plus théorique. Il n’ y a aucun doute que le réductionnisme dans les sciences de la vie a été sainement considéré comme une stratégie de recherches, et il devrait être poursuivi en tant que tel. Mais quand il s’applique à la théorie, il semble que ce réductionnisme et le dualisme sur lequel il se base (cf. Searle 1992, 54), s’est confronté à de sérieux problèmes. Expliquer la vie avec «rien d’autre que des interactions moléculaires» occulte une dimension entière de la vie, omission à laquelle la stratégie de recherche réductionniste a elle-même contribué, la dimension de la sémiosis. En conséquence, le but de la biosémiotique serait de développer la théorie biologique à un niveau qui égale notre connaissance expérimentale au sujet de la biosphère. 2- L’espoir d'une biologie unifiée "Nous devons comprendre notre monde de telle manière qu'il ne soit pas absurde d’affirmer que ce monde lui-même nous a produit" (Prigogine et Stenger 1984). En écrivant ces mots, Prigogine et Stenger ont voulu nous rappeler le problème logique induit par une vision scientifique traditionnelle du monde: si nos théories physiques expliquent la nature comme une chose stupide, comment se fait-il que cette «chose» ait été en fait capable de nous créer ? La créativité ne peut pas logiquement se développer hors d'un monde non-créateur. Ironie de taille, la science traditionnelle a donc besoin d’un miracle (ou bien elle peut naturellement éliminer la créativité en revendiquant un déterminisme absolu - mais ceci nous mène dans l'absurdité de croire que nous ne pourrions probablement pas avoir cru autre chose que ce que nous croyons, ce qui n'est alors pas une croyance mais plutôt un genre de spasme mental). Maintenant, c’est bien connu, la réponse de Prigogine devait prouver que les théories traditionnelles sont insuffisantes. Prigogine a obtenu le prix Nobel pour son travail sur la thermodynamique des systèmes irréversibles et c’est d'une manière primordiale dans ce contexte qu'il a montré que dans ce qu’il a nommé les «structures dissipatives», c.-à-d. des systèmes loin de leur équilibre thermo-dynamique, des états ordonnés peuvent parfois survenir spontanément à partir d’états désordonnés. Notre univers selon Prigogine est, en soi, créateur. A cause en grande partie de cette révolution dans notre connaissance de la thermodynamique moderne, la cosmologie présente maintenant notre monde comme un lieu d'auto-organisation, un point de vue qui a peut-être été dévoilé avec le plus d’importance dans les travaux récents de Stuart Kauffman (Kauffman 1991, 1993). (voir en particulier « l’antichaos » dans les réseaux booléens aléatoires http://didier.seban.free.fr/k/antichaos.doc ) Au niveau de la biologie, ce changement des bases physiques de l'évolution organique est naturellement très encourageant puisqu'il permet de se passer de miracle pour expliquer l'évolution organique. Mais on devrait se rappeler que l’ensemble des buts d'une biologie unifiée, c.-à-d. d’une synthèse moderne, devrait comprendre comment le monde a donné naissance aux êtres humains, c.-à-d. comment la vie est née d'un monde sans vie et s’est transformée en toute cette diversité de formes de vies actuelles, à tous les niveaux de complexité, y compris celui des êtres humains. D’un côté de cette échelle nous avons l'histoire, au sens des êtres humains intentionnels et conscients d’eux-mêmes et des cultures qu'ils ont créées (ou qui les ont créés), et à l'autre bout, nous avons le genre d'histoire auto-organisée prédite par la deuxième loi de la thermodynamique, et ce qui relie les deux extrémités de cette échelle est le sujet de la biologie évolutionniste. Dans ce sens, la biologie est un lieu de réunion entre la physique et les sciences humaines. Les biologistes, cependant, se considèrent comme étant des scientifiques de la nature et, comme Darwin lui-même, ils essayent de se conformer au genre de stratégies explicatives développées par la physique. Comme Michael Ruse l’a montré, Darwin n'a pas eu besoin de Malthus pour inventer sa théorie, puisqu'il avait déjà fait des commentaires lui-même sur la brutalité de la nature, avant qu'il ne lise ce que Malthus en disait. Ce dont il a eu besoin dans les lois de Malthus pour élaborer sa théorie de la sélection naturelle, est une apparence de loi qu'il espérait acceptable au regard de la physique (Ruse 1979, 175). Voir la biologie en tant qu'élément des sciences naturelles est bien sûr conforme au dualisme cartésien séparant l'étude de la nature de l'étude de la culture. Ironie de l’histoire, le travail de Darwin, dans son principe, sape complètement cette idée. Si l'esprit humain est un produit de l'évolution, il ne peut pas être considéré indépendamment du monde dans lequel il a pris naissance. Mais si, par conséquent, le dualisme est révoqué, pourquoi alors la biologie devrait-elle être considérée avec autant de fermeté comme une partie des science naturelles? La perspective évolutionniste pose des questions limites et tend à contenir la biologie dans un no man’s land confus coincé entre la physique et la sémiotique. Je suspecte que ceci est peut être la raison pour laquelle les philosophes et les physiciens évitent si fréquemment les terrains glissants des processus vivants, préférant expliquer des choses telles que la conscience ou s'occuper directement de physique, d’ordinateurs ou de quanta. L'élégance de tels découpages n’est assortie qu’à la nature subjective de leurs affirmations. Le sémiotisation de la nature abordée dans la section précédente est profondément reliée à ces problèmes. Le navire «réductionnisme en biologie» laisse dans son sillage un désordre confus de banalités sémiotiques évitant innocemment - ou du moins le croit-on - le besoin de descriptions plus formellement réductrices. Bien que ceci puisse bien fonctionner en laboratoire, c’est certainement insuffisant au niveau de la biologie théorique. Si la connaissance croissante des processus de vie nous force constamment à adopter une terminologie sémiotique, et à plus forte raison, en fait, si nous pénétrons dans la dynamique fondamentale des systèmes vivants encore plus profondément, alors le rasoir d'Occam exigerait de nous d'accepter l'idée que la sémiosis est en fait centrale à la vie, et qu'il est fortement peu probable que l'extraction d'une dynamique non-sémiotique «au niveau le plus bas» soit possible. Ceci peut être une reformulation moderne de la relation de complémentarité que Niels Bohr a vu entre l'analyse physique et les processus biologiques typiques tels que la conservation et la reproduction (Bohr, 1932). Plutôt que de comprendre la biologie comme une couche séparée «entre » la physique et la sémiotique, nous devrions alors voir la biologie comme science de l'interface dans laquelle ces deux sciences se rencontrent, une interface dans laquelle nous étudions l'origine et l'évolution des processus signifiants : la sémiosis. J'ai discuté la question de «l'origine de la sémiosis» ailleurs (Hoffmeyer 1992, 1996). Le problème essentiel est le suivant : Comment les systèmes pré-biotiques ont-ils pu acquérir les capacités de transformer les différences dans leurs environnements en points de repère? Même une bactérie est capable de s'orienter (en se déplaçant) dans un gradient alimentaire. La quantité de molécules nutritives frappant les récepteurs de la membrane cellulaire externe varie pendant que la bactérie se déplace, et ce changement est enregistré par la cellule, permettant à la cellule de choisir la direction dans laquelle d'autres mouvements seront faits. Je pense que l'état nécessaire mais suffisant pour qu'un système fasse des distinctions dans ce sens est qu'il a développé une auto-référence basée sur une dualité dans le codage, c.-à-d. dans la chaîne continue des ré-interprétations numérique-analogiques (c.-à-d. l’ADN cellulaire) guidant l’extension de la lignée (Hoffmeyer 1987, 1991). Alors que l'origine d'un tel système exige la création d'un agrégat fortement structuré et chimiquement très compliqué de macromolécules, il n'y a aucune raison de douter qu'il puisse avoir été créé par des processus d’'auto-organisation tels que suggéré par exemple par Weber et Depew (1995). Rod Swenson a précisé que les champs thermodynamiques se comportent pour atteindre l'état final - réduire au minimum le potentiel du champ ou maximiser l'entropie - avec la vitesse la plus rapide possible en fonction des contraintes («loi de la production maximum d'entropie» (Swenson, 1989)), et ceci implique que «la mise en ordre évolutionnaire progressive nécessite la production d’états d’un niveau d’ordre de plus en plus élevé - les symétries d'ordre supérieur du monde lui-même dans son propre devenir - et la perception-action est la physique à ces niveaux (Swenson et Turvey 1991): le monde s’occupe de production d'ordre, y compris pour produire des choses vivantes et leurs capacités de perception et d'action, parce que l'ordre produit l'entropie plus rapidement que le désordre.» La Sémiosis sous sa forme la plus modeste a surgi dans le processus même qui a créé les premiers systèmes vivants sur terre. A partir de là, une nouvelle dynamique évolutive commençait a être mise en application dans le monde, et au cours du temps se sont développés des organismes de plus en plus capables de maîtriser des interactions sémiotiques de plus en plus sophistiquées. Ou pour le dire autrement, les aspects sémiotiques des processus matériels ont graduellement augmenté leur autonomie, créant de ce fait une sémiosphère toujours plus sophistiquée - une sémiosphère qui finalement (après trois milliards et demi d'années) a eu la puissance de créer les systèmes sémiotiques, tels que les pensées et le langage, systèmes qui ne sont que très faiblement dépendants du monde matériel, duquel ils sont pourtant issus (Hoffmeyer 1994, 1996). 3- La recherche erronée de la quantification Sur ce tableau de fond, nous pouvons voir que la vieille « nouvelle synthèse des années 40 » ne fut jamais une vraie synthèse. D’un côté, elle n'a pas vu que la sélection naturelle avait elle-même besoin d'explication et ne pouvait donc pas être la pierre angulaire d'une théorie synthétique de l'évolution. Le terme même «sélection» signale des problèmes: dans le langage courant, la sélection présuppose une personne intentionnelle, on dit d’un entraîneur qu’il sélectionne les «meilleurs » joueurs pour un match de football. Une sélection présuppose un sélectionneur. Maintenant c’est bien connu, Darwin prenait soin de souligner que la sélection naturelle était un processus très différent de la sélection artificielle du fait qu’aucune intention ou finalité ne sous-tendait ce processus. La sélection naturelle était une sélection sans sélectionneur (ou même sans vrai principe de sélection puisque l'évolution organique n'a eu aucune direction privilégiée). Je pense qu'il est utile de préciser que l'ambiguïté sémantique induite par l’expression sélection naturelle est la raison principale de la polémique autour de la théorie darwinienne de l'évolution et des malentendus causés par cette expression à l'intérieur et en dehors de la biologie. Après tout, si ce n'est pas une fumisterie d’attribuer une puissance sélective à la nature, alors la nature devrait être décrite comme capable d'exercer une telle puissance. Or la physique des années 40 n'avait pas encore élaboré les moyens de décrire la nature d’une telle manière. C’est seulement dans les deux dernières décennies que nous avons obtenu une connaissance de la thermodynamique et de la dynamique des systèmes complexes qui rend possible une approche «infodynamique» de la théorie évolutionniste (comme mentionné ci-dessus). Et c’est seulement maintenant que nous pouvons voir que la capacité des processus sélectifs à se déployer dans le monde a elle-même évolué (Brooks 1989). La sélection n'est pas un principe séparant la sphère humaine (une sphère des processus sélectifs) de la sphère pré-humaine comme cela semble être présupposé par les sciences humaines; la sélection n’est pas non plus une sélection dans le sens humain courant de ce mot quand il s’agit de nature pré-humaine, comme les biologistes semblent souvent le penser. La sélection est un concept de plus-et-moins, elle a sa propre histoire naturelle, et ceci pourrait bien être l'essence même de l'évolution. Ou pour l'énoncer différemment : même l’historicité a une histoire (Hoffmeyer, 1995a). Une conséquence de cette confusion a été que la recherche d'une théorie quantitative de l'évolution basée au niveau génétique - une vraie hantise pour le néo-Darwinisme depuis le travail de Fisher, de Haldane et de Wright - a été mal dirigée. Comme Depew et Weber l'ont exprimé : «la sélection naturelle au niveau des individus et la notion d’adaptation* (fitness) employée pour la mesurer, surfent elles-mêmes en équilibre au bord du chaos (Depew et Weber, 1995) : «l’adaptation* de diverses sortes d'organismes n'est pas nécessairement, ou même probablement pas augmentée par la supériorité d’un simple caractère... (la survenue d’une meilleure adaptation par l’apparition d’une modification phénotypique due à une mutation aléatoire serait un mythe). En fait, l'apparition de la capacité de prendre l’avantage dans la compétition pour l’accès aux ressources, d'un nombre indéfini de différences souvent infinitésimales, crée des degrés de liberté, au sens technique et au sens courant, bien au delà de ce qui peut être réalisé par des systèmes simplement chimiques et physiques. Elle crée également plus de variables et d'interactions parmi elles qui peuvent être exploitées. Donc il est impossible de réduire les composantes de l’adaptation à n'importe quel langage unique ou système de variables» (ibid, 471). Dans la terminologie du présent article, nous pouvons dire que quand la vie, et donc la sélection naturelle, ont émergé à l'intérieur du système terrestre, nous étions déjà passé de la sphère fermée de la physique à la sphère de la communication et de l'interprétation. Dans cette sphère, la dynamique de l'histoire (l’évolution) a changé et a commencé à devenir individualisée, de sorte que chaque petite section de l'histoire est devenue unique et de ce fait aucune formule universelle n’a pu être érigée pour couvrir le processus entier. L'évolution organique est narrative plutôt que déterminée par une loi (Gould 1989, Lewontin 1991), et si la quantification est souhaitée, elle devrait être recherchée non pas au niveau de la génétique, mais au niveau du système thermo-dynamique qui encadre et soumet à ses contraintes l'évolution organique. 4- Les lièvres avertissent les renards : les contraintes éco-sémiotiques du discours A l’autre bout de l’échelle, les «vieilles synthèses» n’ont pas intégré dans leur savoir explicatif le comportement communicatif ou sémiotique des animaux. La réification de la communication réduite à «rien d’autre» que la transmission de signaux (comme par exemple des gènes) a favorisé la génétique quantitative mais au prix d'une grave sousestimation de la compétence interprétative ou sémiotique des systèmes vivants. Les paragraphes suivants de cet article sont concernés par les taches aveugles provoquées par cette lacune des «vieilles synthèses». Que l'évolution ait lieu dans «le théâtre écologique», comme Evelyn Hutchkinson l'a exprimé, implique que l'évolution est toujours une Co-évolution. Mais dans la tradition néo-Darwinienne, la co-évolution, avec l'Hypothèse de la Reine Rouge (ref. Alice au Pays des Merveilles) comme illustration standard, est toujours traitée comme un problème de course aux armements qui représente implicitement l'évolution comme un jeu contre quelque chose "en dehors" (Kampis 1995). Bien que ceci puisse naturellement être une métaphore, c'est probablement dans la plupart des cas une caricature grossière. Considérons la situation entre lièvres et renards récemment discutée par Anthony Holley (Holley 1993). Un lièvre brun peut courir presque 50 pour cent plus vite qu'un renard, mais quand il repère un renard s'approchant de lui, il se maintient à une certaine distance et signale sa présence (avec les oreilles dressées et la fourrure blanche ventrale clairement évidente), au lieu de fuir le plus loin possible. Après 10 ans et 5000 heures d'observation, Holley en a conclu que ce comportement représentait une économie d'énergie: si un renard sait qu’il a été repéré, il ne prendra pas la peine de donner la chasse, évitant ainsi aux lièvres l'effort de courir. Holley rejette une explication alternative: celle disant que les lièvres veulent juste mieux mesurer les mouvements de leurs prédateurs ; il rejette cette idée en partie parce que le comportement ne les aide en fait pas à voir le renard plus clairement, et en partie parce qu'ils ne réagissent pas de la même manière face aux chiens. Tandis que la chasse du renard dépend de sa discrétion, même s’il attire dans un guet-apens un lièvre pour l’attraper, un chien peut agir plus rapidement et il serait donc contre-productif pour le lièvre de signaler sa présence dans ce dernier cas. Cette situation est un exemple d'interaction particulière que j'ai nommée l'interaction sémétique (du grec semeion = signe, et etos = habitude), c.-à-d. que les habitudes d’une espèce sont interprétées comme signes déclenchant d'autres habitudes chez les individus d'autres (ou de la même) espèces (Hoffmeyer 1994b, 1995b) : le lièvre «sait» que le renard a l'habitude de ne pas le chasser s’il est repéré. Par conséquent, il développe l'habitude de montrer au renard que ce dernier est devenu repéré. Que cette habitude soit devenue fixée dans le déploiement génomique des lièvres ou qu’elle soit basée la plupart du temps sur l'expérience, nous ne le saurons probablement pas, mais ça n’a pas beaucoup d’importance. Une idée centrale est que les organismes appartiennent non seulement à des niches écologiques, mais ils sont toujours également liés à une niche sémiotique, c.-à-d. qu’ils devront maîtriser un ensemble de signes d'origine visuelle, acoustique, olfactive, tactile et chimique afin de survivre. Et il est très possible que les aptitudes sémiotiques des populations soient souvent un défi décisif pour leur réussite. La dynamique d'un écosystème devra donc inclure une connaissance appropriée des réseaux sémiotiques opérationnels dans ces écosystèmes (Hoffmeyer 1994a). On devrait noter que le renard profite autant de cette communication que les lièvres puisqu'elle lui épargne au moins le temps et l'effort de la tentative de course inutile après les lièvres. Ainsi, est-ce réellement une sorte de mutualisme, la situation entière présuppose l'existence d'un univers interprétatif partagé ou «motif», que nous pourrions nommer une structure éco-sémiotique du discours (avec l'aide de Michel Foucault et son concept de «discours (3)», qui, pour résumer très brièvement, se rapporte à l'ordre symbolique reliant les sujets humains à un monde commun (Foucault 1970, Cooper 1981). Quelle quantité de ce genre de coopération sémiotique continue d’exister dans la nature? Nous avons probablement seulement entrevu le commencement de ce type d'études, et je pense que notre connaissance actuelle nous donne seulement un petit aperçu de la masse presque inépuisable de patterns d’interactions sémiotiques rusés se mettant en scène à tous les niveaux de complexité des cellules et des tissus à l'intérieur des corps et jusqu'au niveau des écosystèmes. Si c'est ainsi, on pourrait pousser plus loin notre hypothèse que l'évolution est peutêtre autant contrainte par l'existence de ces structures éco-sémiotiques du discours que par des contraintes développementales. Alors que la plupart des biologistes supposent que le mutualisme symbiotique est un cas exceptionnel sans importance générale pour la théorie évolutionniste, le mutualisme sémiotique, impliquant un équilibre sensible des interactions entre beaucoup d'espèces, pourrait se révéler extrêmement répandu. Et dans de telles situations, l'adaptation de n'importe quel comportement modifié dans une espèce dépendrait du système sémiotique en totalité, c.-à-d. que la limite entre organisme et environnement tendrait à se dissoudre. Un nouveau niveau d'intégration intermédiaire entre les espèces et l'écosystème devrait être considérée: le niveau de la structure écosémiotique du discours. Cette situation est particulièrement intéressante dans les cas où l'expérience et l'apprentissage créent un pattern interactif, ce qui pourrait souvent être le cas chez les mammifères et les oiseaux. Dans ces cas particuliers, apprendre aurait englobé le processus évolutionniste, en quelque sorte (car c'est le cas dans la culture humaine), et réciproquement on pourrait déduire si une structure éco-sémiotique du discours relativement autonome n'est pas exactement ce qui serait nécessaire pour qu'apprendre évolue en premier lieu. L'essentiel de cette réflexion est, je suppose, que l'évolution ne maximise pas simplement la complexité ou le contenu de l'information (quel qu'il soit) mais plutôt elle maximise la sophistication des interactions sémiotiques, c.-à-d. la liberté sémiotique (Hoffmeyer 1992). Par extension, l'évolution favorise l'établissement de patterns sémiotiques de raffinement des interactions entre les espèces, elle tend également à ouvrir la voie à une multitude d'interactions physiques entre les espèces. Dans cette perspective, les relations symbiotiques ne doivent pas être considérées justes comme de drôles d'accidents mais plutôt comme des phénomènes d'occurrence systématique dans la sémiosphère (cf. Salthe 1993, chp. 6). 5. Liberté sémiotique et ambiguïté adaptative La liberté sémiotique est une propriété émergente et devrait toujours être analysée par rapport au niveau adéquat. Ainsi la liberté sémiotique de la cellule a-t-elle sans doute diminué dans une certaine mesure quand l'organisme unicellulaire est devenu un organisme multicellulaire. "L'écologie somatique" du corps (Buss, 1987) a réduit par ses contraintes la liberté des cellules, mais au niveau de l'organisme total, un gain énorme de liberté sémiotique a été alors atteint. Par la différentiation de ses tissus, l'organisme multicellulaire a acquis une capacité beaucoup plus grande pour traiter et communiquer des informations dans le sens qu'il peut traiter de plus grandes parties de son environnement dans l'espace aussi bien que dans le temps. Ou, pour employer l'expression de Jakob von Uexküll, son umwelt a augmenté. Finalement, la croissance de la liberté sémiotique dans notre univers semblerait suivre le principe de la production maximum d'entropie (Swenson 1989). Tout ceci indique qu'il y a un aspect de jeu dans le processus évolutionnaire, un aspect qui a été plus ou moins occulté par une focalisation –avec des œillères - sur la sélection naturelle. Le jeu, selon mon dictionnaire, est une activité qui porte son but en elle-même. "Ce qui est caractéristique du "jeu", écrit Gregory Bateson, c'est que c'est un nom pour des contextes dans lesquels les actes constitutifs ont une sorte d'importance ou d'organisation différente de ce qu'ils auraient eu dans le non-jeu" (Bateson 1979, 139). Bateson suggère également la définition du jeu comme "établissement et exploration du rapport" par opposition au rituel : "l'affirmation du rapport" (ibid 151). Par conséquent, la nature est engagée dans une exploration sans limite prédéfinie ou non préparée des rapports entre les systèmes à de multiples niveaux de complexité ; la nature manifeste en fait le jeu comme un comportement, et il serait aussi légitime de parler de "jeu naturel" que de parler de "sélection naturelle". La sélection agit pour "arranger les choses", c.-à-d. pour fixer des comportements, des morphologies ou installer des gènes, arrêtant de ce fait le jeu mais permettant aussi le commencement de nouveaux jeux. Ainsi, par exemple, il y a plus de 50 millions d'années, une espèce particulière de fourmi a commencé à interagir avec un genre spécial de champignon et la sélection naturelle a finalement établi ceci comme une nouvelle habitude de croissance pour ce champignon. Le jeu naturel, cependant, a continué à explorer ce tout nouveau pattern sémétique d'interaction ou "motif écosémiotique" puisque la totalité des 200 espèces de croissance existant maintenant ont évolué à partir de ces simples espèces de fourmi. À peu d'exceptions près, elles cultivent toutes des champignons de la même famille : Lepiotaceae. Les formes plus évoluées de fourmis sont ainsi devenues maintenant spécialisées au point qu'elles ne peuvent plus survivre sans avoir exactement la bonne variété fongique (New Scientist 17/12 94, 15), tellement ici la sélection naturelle a pu finalement obtenir une cristallisation totale des relations de la forme ouverte du jeu en une forme fermée de rituel. Dans la plupart des cas étudiés, les relations entre les organismes en interaction sont, comme dans le cas cité, basé sur une dépendance physique lourde (nourriture, protection ou équivalents). Mais en plus de ces exemples, il y a probablement toutes sortes de cas dans lesquels un organisme emploie des régularités manifestées par d'autres organismes simplement comme des sélections (pour l'orientation, le vol, la nidification, ou quoi que ce soit d'autre) de la même manière que les facteurs abiotiques de sélection sont souvent des sélections importantes dans la vie des animaux (comme par exemple quand les oiseaux migrateurs trouvent leur chemin par la lecture de la configuration des étoiles). Évidemment, la liberté sémiotique croissante tendra à pousser l'influence des forces sélectives à des niveaux plus élevés: plus il y a d'interaction sémiotique inter-espèces, plus "l'aspect sélectif" de l'évolution se relâche à ce niveau, et plus sera prépondérant l'aspect "jeu". Ceci parce qu'un pattern d'interaction riche sur le plan sémiotique produit une certaine ambiguïté au niveau adaptation. Quand des organismes sont reliées dans un réseau de relations sémiotiques complexes, n'importe quelle propriété ou comportement développée de novo peut potentiellement être contrecarrée ou intégrée de multiples façons. Le nombre de solutions possibles pour que la sélection opère, et la subtilité des interactions communicationnelles, tendront à produire une situation sans réel gagnant. En conséquence, la sélection ne peut pas vraiment "mesurer" les avantages de joueurs simples (individus, territoires ou espèces) dans le jeu, mais elle pourrait encore influencer le choix du jeu lui-même. Des jeux, pas des joueurs, sont alors sélectionnés. Aussi ai-je suggéré qu'à la place de la sélection génétique, la biologie évolutionniste essaye plutôt de développer un concept d'adaptation sémiotique (Hoffmeyer 1995a). Après tout, l'adaptation dépend d'une relation, or quelque chose ne peut être adapté que dans un contexte donné. Des gènes peuvent être adaptés seulement dans certaines conditions environnementales, ou inversement on pourrait peut-être dire que des environnements sont adaptés dans le sens que leur capacité dynamique d'auto-maintenance a été adaptée aux ressources génotypiques réelles qui y sont présentes. Mais si les génotypes et les "envirotypes" (Odling-Smee et Patten 1994) constituent réciproquement le contexte dans lequel l'adaptation devrait être mesurée, il semble que nous devrions plutôt parler de l'adaptation dans sa globalité relationnelle, qui est en fait comme une capacité sémiotique. Le concept évolutionniste approprié de l'adaptation, l'adaptation sémiotique, devrait idéalement mesurer la compétence ou le succès sémiotique des systèmes naturels en contrôlant les processus de traduction génotype-envirotype. L'optimisation de l'adaptation sémiotique a comme conséquence la croissance continue de la profondeur des modèles interprétatifs accessibles à la vie. Et c'est ce qui me parait le plus près de ce que nous pouvons définir, je pense, comme "un approfondissement croissant de la signification" au niveau de la biologie. 6. Reconnaissance et spéciation Dans tout cet article, j'ai écarté le problème qui consiste à expliquer les tendances suggérées en termes d'analyse quantitative basée sur des forces sélectives. J'ai fait ceci non pas par négligence du problème de justification des principes évolutionnistes en termes de processus causaux, mais parce que je pense que les modèles mathématiques ne sont pas (encore ?) développé à un niveau qui les rendent appropriés au regard de telles questions. Bien sûr, la sélection naturelle classique au niveau des individus reste un processus continuel d'importance incontestable pour l'évolution. Mais il ne semble y avoir aucune bonne raison de favoriser ce processus au point qu'il doive nécessairement déterminer nos explications sur les patterns macroévolutionnaires. Déjà au niveau de la spéciation, c.-à-d. la formation de nouvelles espèces, les modèles explicatifs sélectionnistes traditionnels peuvent apparaître d'une valeur limitée. Nos idées de spéciation pourraient profiter de la prise en compte de la dimension sémiotique des interactions intra-espèces. Paterson l'a fait indirectement en formulant sa théorie de spéciation par l'identification de partenaire. (Paterson 1993). D'un point de vue sémiotique, cependant, l'idée de l'identification de partenaire semble être de conception un peu trop restrictive. L'identification non seulement des partenaires sexuels, mais également d'une multitude d'autres sélections dans l'environnement, pourrait influencer le pattern reproducteur de façon à créer un isolement reproductif. Ainsi cette spéciation sympatrique (4) - qui, pour beaucoup de raisons, semble être le modèle le plus attrayant, si seulement on pouvait lui trouver un mécanisme plausible pourrait-elle être obtenue par un certain nombre de barrières purement sémiotiques (et non pas l’apparition de nouveaux gènes par mutation aléatoire, limitant le croisement de certains individus) . Ainsi la sémiotique pourrait-elle même être le facteur déterminant pour le plus central des événements darwiniens : l'origine de nouvelles espèces. Mais même le processus de spéciation n'est pas forcément la clef du macrodéveloppement évolutionnaire. Les trajectoires morphologiques suivies par un certain nombre de lignées successives peuvent nécessiter une explication à un niveau encore plus élevé, comme l'a suggéré Stanley Salthe, qui voit le déploiement perpétuel de la trajectoire développementale, depuis le commencement et l'immaturité jusqu'à la sénescence, en passant par la maturité comme un pattern général sous-tendant la formation de trajectoires situées à un niveau plus élevé (Salthe 1993). Si c'était le cas, les trajectoires morphologiques seraient effectivement découplées non seulement du point de vue de la spéciation mais aussi du point de vue de l'adaptation. 7- Alors pourquoi une nouvelle synthèse sémiotique ? Une synthèse est une combinaison de parties, d'éléments, de substances, etc. séparés, en une totalité ou en un système. On ne trouve rien de tel dans "la synthèse moderne des années 40". Bien qu'il y ait des nuances dans la conception de ce qui est précisément désigné par "synthèse moderne", le terme devrait au moins impliquer un certain genre de synthèse théorique entre des champs biologiques autrefois disparates, comme dans les mots de Depew et de Weber : "la synthèse moderne apparaît comme un appel à l'unification explicative parmi une variété de disciplines aussi disparates à l'intérieur de la biologie que la biogéographie, la paléontologie, la systématique phylogénétique et l’étude de la morphogénèse, en s'appuyant sur l'hypothèse que la génétique des populations - dans l'une ou l'autre de ses variantes - rendrait maintenant cette unification possible" (Depew et Weber 1995 : 299-300). Bien qu'il puisse être vrai que la "synthèse" de l'époque fournissait une perspective relativement unifiée à ces différentes branches de la biologie, il est maintenant évident que des domaines importants des sciences de la vie ne sont pas inclus dans cette unification. La créativité sémiotique des systèmes biologiques à tous les niveaux de complexité est systématiquement exclue de l'univers explicatif de cette "synthèse". Comme cela a déjà été noté, c’est une situation paradoxale, parce que le concept le plus central de la "synthèse", le concept de "sélection", est tout simplement sans signification en dehors d'un contexte sémiotique. Darwin était dans le vrai quand il voyait la sélection comme un processus central dans la nature vivante, mais pendant plus de cent ans, les Darwiniens ont rechigné à déduire pleinement toutes les conséquences de cette intuition. Il est maintenant nécessaire de bien considérer ces conséquences et d'admettre l'évidence : ces processus sélectifs présupposent des interprétations (avec la possibilité implicite d'interprétations fausses). Donc par extension, la sélection est un processus naturel, la sémiosis est un processus naturel - la sémiosis opère tout le temps et à tous les niveaux de la biosphère. On peut craindre qu'une telle position théorique mette la biologie en dehors du champ habituel des sciences naturelles, puisque l'interprétation semble présupposer l'existence d'un certain genre de subjectivité. Ce risque, cependant, doit être confronté par une analyse complète des implications, plutôt qu'être éludé par la répression. L'idée de voir la sémiosis comme concept d'unification dans l'étude de la vie est souvent taxée de vitalisme. En fait, je pense au contraire que la stratégie de réprimer la dimension sémiotique de la vie est justement ce qui nourrit la renaissance continuelle des notions vitalistes. Bien sûr, aucun principe vital n'est invoqué dans la compréhension biosémiotique de la vie. La biosémiotique est confrontée au même problème ontologique que la biologie traditionnelle : le problème d'expliquer comment le codage des surfaces pourrait survenir dans une nature sans vie. Comme je l'ai déjà mentionné , j'ai discuté de ce problème ailleurs (Hoffmeyer et Emmeche 1991, Hoffmeyer 1992), et je ne vois aucune difficulté insurmontable à l'expliquer à l'intérieur des principes physiques connus de l'univers. La différence entre la biosémiotique et la biologie doit plutôt tenir compte des conséquences à déduire de l'existence du codage. Selon la conception biosémiotique, la vie était dès le début suspendue dans un univers de sens, et bien que la structure interne des cellules ou des organismes soit probablement descriptible en termes purement biochimiques, ceci ne nous donnera pas une connaissance vraie de telles structures, puisqu'elles ont été développées pendant des milliards d'années sous la logique du guidage des interactions sémiotiques. L'ordonnancement sémiotique (à travers l'histoire de l'évolution) de la chimie détermine la fonction de cette chimie. Dans ce sens, et seulement dans ce sens, la vie est un phénomène irréductible. Une unification moderne de la biologie doit donc être basée sur la nature fondamentalement sémiotique de la vie. Notes (1) fitness a été traduit par adaptation or fitness veut dire aussi capacité à produire beaucoup de descendants (2) chaperon moléculaire http://www.lebs.cnrs-gif.fr/melki/melkifr.html (Une classe de protéines, les chaperons moléculaires, interagissent avec les polypeptides dépliés immatures et favorisent leur voyage vers l'état correctement replié ou mature) (3) pour Michel Foucault, la structure est de l’ordre du discours « …ne plus traiter les discours comme des ensembles de signes (d'éléments signifiants renvoyant à des contenus ou à des représentations) mais comme des pratiques qui forment systématiquement les objets dont ils parlent.» (4) spéciation sympatrique : http://www.nserc.ca/news/2005/c050329-3bio.htm Bibliographie : Bateson, Gregory (1979). Mind and Nature. A Necessary Unity, New York: Bentam Books. Bohr, Niels (1932). "Light and Life". 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