Farge 2010-2011 Damien Mercredi 05 Octobre Philosophie

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Farge
Damien
2010-2011
Mercredi 05 Octobre
Philosophie moderne
Qu’est-ce que le philosophe a à dire pour conseiller le Prince ? Il faut comprendre comment s’est constitué la
raison d’état, au 17e siècle, en France. Comment s’est constitué, philosophiquement, politiquement, la
conception française de la république ?
2 types de recherches : soit on prend un système philosophique majeur, pour montrer un système et indiquer que
c’est une très grande chose pour montrer la totalité.
Soit on prend un grand auteur à partir d’une question mineure (ex. l’habileté chez Kant, en voulant traiter à la
base de la morale).
Comment Machiavel a été lu, intégré dans la pensée philosophique et politique française, à travers un auteur
scandaleux, hirsute et menaçant, à savoir Gabriel Naudé (lien). Il était libertin, conseillé de Richelieu et de
Mazarin (donc en gros, les inventeurs de la France), tout deux haïs, surtout Mazarin qui est le corrompu par
excellence. Voir Jean-Jacques Bouchard.
Naudé est contemporain de tous les grands auteurs scientifiques de l’époque, et les a lu (Galilée, Descartes par
ex.). Il est aussi inventeur de la bibliothèque moderne. Anecdote : la bibliothèque Mazarine, dans la rue
Richelieu, possède dans son entrée une statue de Naudé.
Leibniz considère Naudé comme un grand penseur du 17e, comme un passionné de sciences, même s’il n’a pas
compris la révolution des mathématiques, et surtout la mathématisation de l’univers (par l’intermédiaire de
Hobbes et de Descartes). Hobbes s’est cru un mathématicien de génie. Et bien, Naudé a raté ça alors qu’il était
au cœur de cette chose. Naudé a saisi ce qu’une révolution technologique dans l’écriture allait générer
politiquement, à savoir l’imprimerie.
Il y a eu trois révolutions dans la transmission des idées :
 Le Codex, qui a donné naissance à l’idée d’un Dieu unique, et d’un texte unique. Avant la naissance du
Codex (ou livre), il n’y avait que des rouleaux. Le Codex prend donc une valeur catholique1.
 L’imprimerie : il n’existe plus un livre qui dit tout, écrit par un Dieu unique. Il y a plusieurs livres, et cela
laisse donc place à la bibliothèque. Naudé estime que s’il y a bibliothèque, il y a état, et donc il y a la
révolution d’état.
 La révolution informatique, internet. La révolution de l’ordinateur met en cause l’état, les idées de Dieu, les
types d’écriture, la relation entre les êtres, les traditions, les frontières, la distinction entre le privé et le
public, etc.
Bref, l’imprimerie correspond au premier mouvement de ce que l’on nomme aussi les Lumières.
Outre les mathématiques et sa révolution qu’il n’a pas compris, Naudé passe à côté de la littérature, à côté des
romans. Il n’a pas vu qu’il n’y a pas de politique en France sans qu’il y ait une notion d’art qui soit prise en
compte. La naissance de l’esthétique : c’est là que doit se placer le nouveau statut du sacré. L’Œuvre d’art est le
nouveau statut du sacré, c’est là qu’émerge la possibilité du sublime. Naissance de la littérature comme
spécificité française. Invention de l’académie française, avec une théorie de la langue, de l’écriture, et donc de la
tradition. Même aujourd’hui; la littérature a un statut original en France, comme conscience universel, comme
lieu du sacré, lieu de l’absolu (même chez Hugo, ou Sartre).
Naudé, athée, matérialiste, considère pourtant que le roman n’est que quelque chose dévolu à une féminité faible,
dominée par son fantasme, par le sexe. C’est un lieu de perdition. La femme est le siège du mal.
L’artiste créé pourtant une œuvre intouchable, sacrée. Il y a donc formation de la conception française de la
République2. Il y a un état, ce qui implique qu’il y a quelque chose de supérieur à l’état, ce qui implique qu’il y a
une raison d’état.
Le Prince met en place une certaine modernité : c’est la fin de Thomas d’Aquin, fin de la forteresse thomiste. Le
monde est fondamentalement désordonné, il n’y a pas d’ordre naturel, il n’y a pas de cosmos. Tout est désordre,
c’est-à-dire qu’il y a toujours un rapport de force. Tout est fondamentalement instable. Or, les hommes sont des
êtres qui veulent augmenter leur puissance : l’homme à conscience de vouloir grandir, s’augmenter, acquérir,
1
Catholique veut aussi dire universel.
Refondement depuis ces 30 dernières années de la République, via la tradition et une
hégémonie anglo-saxonne. Un livre, Républicanisme, débute par « il n’y a pas de
républicanisme français ».
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devenir grand, puissant. Il n’y a pas d’être : j’essaye d’être ce que je deviens, ce qui est déjà pas mal. On est
donc dans un univers totalement intranquille, instable, inquiet entre ceux qui veulent dominer et ceux qui ne
veulent pas être dominé. Il y a une conflictualité : c’est la guerre. Pourtant, l’homme a peur de la mort. De ce
fait, dans ce monde instable, où il n’y a plus d’ordre et que l’homme ne sait plus qui il est, là où on est en guerre
perpétuelle comme le dit Hobbes, comment peut-on se conserver en vie ? Il faut faire un état. Mais comment
construire un état qui domine, durablement, qui se maintient, qui se transmet sans être pour autant instable ?
Dilemme tragique.
Machiavel répond à cette dernière question, par l’idée qu’il faut accepter de rentrer en mal. C’est par la cruauté
qu’on génère du bien. C’est parce qu’une société est capable de sacrifier une partie des intérêts particuliers que
peut émerger un état supérieur. Le scandale de Machiavel se résume à ceci : « Injustice particulière pour justice
générale. » Il faut un meurtre originel ; d’ailleurs, aucune société n’y échappe : c’est anthropologique,
invariable. L’état est la fleur du mal : Baudelaire a parfaitement conscience de ce qu’il disait  comment
émerge la charogne : un crime d’état qui est à l’origine d’un état. Et c’est ce qui fait un homme d’état.
Naudé, de manière inadmissible, a été un grand défenseur de la St Barthélémy : on aurait du tous les tuer ; on
s’est arrêté en cours de route. Et les catholiques auraient aussi du y passer ! La théologie ne peut être le
fondement de la politique. Naudé est un grand théoricien du coup d’état légitime, d’un coup d’état juste. Un
homme d’état républicain, démocrate, c’est aussi celui qui assume la raison d’état, qui assume le droit exorbitant
d’être inhumain au nom de la liberté. La raison d’état, on peut en rendre raison : seul un homme d’état a le droit
d’envoyer à la mort, en déclarant la guerre. Ce n’est pas l’homme privé. Y a-t-il des raisons qui justifient la
raison d’état ? Certains disent que non. La raison d’état a donné naissance à l’impôt : un sacrifice d’une partie
des revenus que l’on donne à l’état pour qu’il assure certaines fonctions. Cependant, il doit rendre raison de ses
raisons, par exemple dans le cadre d’une entrée en guerre : peut-on parler de guerre juste ? Il faut accepter d’être
tué, certes c’est ici le rôle du citoyen au nom de la raison d’état pour défendre la patrie, mais il faut aussi donner
la mort. Un soldat en uniforme reçoit le droit de donner légitimement la mort. Comment légitimer cette force
exorbitante de donner la mort, de devenir criminel ?
Certains refusent cette raison d’état, qu’on appelle la politique. Ernst Junger appelle ça l’anarch, ou l’an-archie.
On est donc tous, au fond, anarchiste. Le fondement de l’hégémonie américaine : l’anarcho-capitalisme. Il ne
faut surtout pas d’état providence : pas d’intérêt supérieur au marché.
Pour Machiavel, il n’y a pas de libre arbitre : la nécessité fait loi (Spinoza). Pour d’autres, il y a le libre arbitre :
« Je vois le bien, et je fais le pire », Ovide. Qu’est-ce que la raison d’état pour Descartes ?
Pourquoi y a-t-il une pluralité de « nous » ? Y a-t-il un nous supérieur à nos appartenances ? Au nom de quel
droit ? Sur quelle nécessité ?
Biographie bibliographique de Gabriel Naudé.
1. Né le 3 février 1600, mort le 29 juillet 1654. Il était le l’ainée de huit enfants d’un huissier au bureau de
finance, et d’une mère illettrée. Petite bourgeoisie. Il est remarqué par un trésorier de l’épargne (parce que son
père est gardien du bureau des finances) de part son intelligence. Il fait donc des études dans un grand collège de
Navarre, au milieu de la grande noblesse. Il acquiert une formation de médecin, mais de médecin humaniste : la
médecine n’est pas constituée (cf. pièces de Molière). Il a donc une formation empiriste, antirationaliste, anti
miracle.
Il écrit son premier texte en 1623, consacré à l’imposture des Roze-Croix : Instruction à la France sur la Vérité
de l'Histoire des Frères de la Roze-Croix... Paris, Chez François Julliot, 1623. Il démontre donc que c’est une
imposture : il dénonce la peur de la mort comme un instrument de domination du peuple. Plus on fait peur en le
faisant espérer, plus on le domine. La superstition, l’illusion religieuse apparait donc comme un instrument
religieux.
Premier voyage en Italie : il cherche à améliorer sa formation de médecin. Premier contact avec l’aristotélisme
antichrétien, avec Averroès. Comment Aristote a-t-il pénétré l’occident ? Par qui a-t-il été traduit ? L’une des
thèses est qu’il est passé par les mathématiciens et médecins empiristes arabes (si tant est qu’arabe veuille dire
quelque chose), avec comme premier véhicule, Averroès. Traditions hippocratique de l’observation : la vérité
d’un remède s’expérimente. Rationalisme critique vu par les empiriques : ils sont empiristes (on est dedans, un
peu aveuglément dans la succession empirique des phénomènes) et non expérimentaux (point de vue abstrait,
extrait, qui permet de construire un concept). Pour faire une loi, il faut expérimenter : une loi étant un rapport
nécessaire et invariant entre deux points. Naudé est donc en contact avec la médecine empirique.
De retour à Paris, il pénètre un nouveau milieu : le milieu cultivé des érudits. Ils veulent revenir aux sources de
l’antiquité, en pensant à la langue naturelle ; revenir aux textes, se débarrasser de toutes les scories accumulées
par le temps, des copieurs, des répétiteurs. Ils forment donc une académie : un gout positif du collectif  être
ensemble permet de mieux découvrir la vérité, en se découvrant réciproquement, en discutant. Ils sont érudit,
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érudition, ce qui signifie rendre doux ce qui est rude, polir, polisser. C’est la douceur, docere, qui a donné docte,
documentation, pour donner une institution droite, civilisée. Poli, politesse, douceur pour mettre au point des
documents. La douceur apparait comme une grande vertu royale de l’autorité, qui écoute pour pouvoir dialoguer.
Il y a donc invention de la civilité par l’écriture et la lecture, qui va se prendre pour exemplaire, pour un modèle
politique, d’une vie commune douce parce que docte, docere, docteur, et donc dans la sérénité dans un rapport
dialogique, qui permet et autorise les controverses sans que ça tourne à la violence. Plus on en sait, plus on est
docte, et ca se fait en douceur. En langage contemporain, ca revient aux amis du parti, aux amis du club etc.
Naissance de la grande correspondance de ce que l’on nomme la république des savants. Naudé va être un grand
correspondant pour demander quelles expériences ont été faites. Les libres abondent, se reproduisent. C’est une
circularité docte, qui permet effectivement de produire, selon eux, de bons conseils pour bien vivre ensemble.
Groupe des libertins érudits, groupe de la tétrade. Ils sont déniaisés du sot : ils ne croient pas au fondement
métaphysique du sens.
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