CONNAISSANCE ET VIE D’AUJOURD’HUI ROUEN Le 4 octobre 2005
LE STRESS : POUR LE MEILLEUR OU POUR LE PIRE
D’après la conférence de Monsieur Patrick Légeron, psychiatre attaché à l’hôpital Sainte Anne et
directeur général du cabinet de conseil Stimulus.
Le stress est un petit mot tout simple, très particulier car il contient une seule voyelle pour
cinq consonnes, mot qui envahit le langage de tout le monde. Mais le stress est un concept
scientifique puissant et ce mot appartient avant tout au domaine de la science.
Qu’entendons-nous par le mot stress ?
Il y a 70 ans, l’histoire scientifique du stress est mise en évidence par un chercheur
canadien, Hans Selye, qui travaille en physiologie animale sur des souris. Il observe que, quand
un animal est en situation difficile, il passe par plusieurs étapes :
- d’abord la réaction d’urgence, réaction physique. Le corps réagit fortement : le cœur
s’accélère, la pression artérielle augmente, la respiration est plus rapide, les poils se
redressent, les pupilles se dilatent, etc…. Il constate une centaine de changements dans
l’état du corps de l’animal.
- au bout d’un certain temps variable suivant les animaux, les réactions physiques
disparaissent peu à peu et nous entrons dans la phase d’habituation (ou de résistance ou
encore d’endurance).
- la phase d’épuisement (ou phase de « burn out »). Cette dernière phase peut aboutir à la
mort.
Chez l’être humain, ces trois phases existent de la même façon. Au Japon, cette phase
d’épuisement touche plusieurs milliers de cadres.
On parle alors du phénomène de « karoshi » = « trop travail tue ».
Dans les années 50, la recherche purement scientifique du stress commence. Nous savons
aujourd’hui que le stress est avant tout une formidable mécanique chimique à l’intérieur du corps.
Dès que le cerveau repère un stresseur (quel qu’il soit), il envoie un message sur les glandes
surrénales. Ces petites glandes d’une dizaine de grammes chacune sont des usines qui fabriquent
des substances chimiques. L’adrénaline en est l’une des plus importantes. Substance chimique
très puissante, elle agit profondément sur le système cardio-vasculaire. Elle permet d’apporter de
l’oxygène dans deux zones fondamentales :
- le cerveau de manière à augmenter la vigilance,
- les muscles qui, ainsi, se contractent instantanément et tout l’organisme est prêt à réagir.
Cette réaction est appelée la réponse de combat ou de fuite.
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Comme les petites souris, nous sommes programmés de sorte que, face à toute situation
difficile, notre organisme soit prêt instantanément à l’attaque ou à la fuite. C’est la meilleure
réponse primaire face au stresseur. Le problème est que cette réponse est inadaptée aujourd’hui.
Si l’adrénaline, une des hormones du stress, est déclenchée de plus en plus régulièrement, un
deuxième système biologique se met en marche encore plus puissamment : c’est la production de
glucocorticoïdes (le cortisol) par les glandes surrénales. Ainsi, plus le stress augmente, plus
l’adrénaline se déclenche, plus le cortisol circule.
Une véritable chimie du stress se déclenche à l’intérieur du corps. Si le système
biologique est trop activé, toute la machine se dérègle. Ce qui devait être une réponse une fois de
temps en temps devient chronique. Les glandes surrénales des cadres japonais sont tellement
sollicitées qu’elles se détruisent, ce qui entraîne la mort.
Impacts du stress
A partir de ces constatations, la question se pose : à quoi sert toute cette formidable
mécanique qui se met en marche face aux situations difficiles ?
La réponse est simple : à s’adapter.
Effet positif : adaptation à l’environnement.
La réponse du stress est une réponse qui sert à s’adapter à toutes nouvelles situations. Elle
est à la base positive, naturelle, nécessaire et indispensable. C’est une des grandes fonctions de
l’organisme au même titre que la digestion, la respiration… Sans celle-ci, nous n’existons pas.
« Vivre sans stress » ou « supprimer le stress » est une utopie, une erreur scientifique.
Le stress, c’est la vie. Les artistes, les sportifs connaissent bien cette relation qui existe
entre stress et adaptation, entre stress et performance. Sarah Bernhard répondait à une jeune
actrice qui disait ne pas connaître le stress : « rassurez-vous, cela viendra avec le talent ».
L’absence de stress n’est pas bonne pour la performance, trop de stress détruit (cf. Marie-José
Pérec aux JO de Sydney). Toute la problématique est dans la dose de stress qui doit rester dans la
moyenne.
Effet négatif : le stress fait mal
Le stress traumatique, avec un stress d’un seul coup. Il concerne une victime d’un
attentat ou d’un crash d’avion, d’un viol. Le stress est unique et tellement puissant que la réaction
dérègle tout le système. Et si la personne n’est pas traitée, le stress sera permanent toute la vie
alors que l’événement reste dans le passé.
Un stress permanent avec des stresseurs banaux, quotidiens et répétitifs. La fonction est
chronicisée. C’est alors une autre problématique.
- Impact sur la santé de l’individu dans le domaine psychologique : le stress est le facteur
le plus puissant de la souffrance mentale et des troubles anxio-dépressifs. Il s’agit d’une
véritable épidémie. L’anxiété (vivre dans un état d’inquiétude permanent) comme la
dépression (découragement, désintérêt de tout) sont des maladies de société. Dans les pays
occidentaux, ¼ de la population connaîtra dans sa vie une maladie anxieuse ou dépressive
imputable au stress.
- Impact sur la santé physique : les répercussions sont bien établies pour toutes les
maladies cardio-vasculaires, les douleurs chroniques, les troubles de l’immunité.
L’affaiblissement du système immunitaire explique pourquoi le stress peut être un
mécanisme de développement de certains cancers.
- Le stress désorganise énormément nos comportements : il déclenche des comportements
adductifs (tabac, alcool) et désorganise les conduites alimentaires (appétit ou satiété qui
entraîne boulimie ou anorexie).
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- Le stress a un impact considérable en terme économique : aux Etats-Unis, le stress au
travail coûte 200 milliards de dollars par an aux entreprises. En France, l’Institut national
de recherche en sécurité estime son coût à 1 milliard d’euros par an.
Le stress est donc non seulement un problème de santé publique mais aussi un problème
économique.
Pourquoi tant de stress ?
Dans le monde du travail, 1 salarié sur 3 vit avec un niveau de stress trop élevé.
Formidable paradoxe ! En 2005, le stress ne cesse d’augmenter alors que les bureaux sont
climatisés, le travail est de 35 h par semaine, il n’y a plus de tâches physiques…
A la pénibilité physique s’est substituée la pénibilité psychique. La question : « Y-a-t-il
plus ou moins de stress qu’avant ? » est d’ordre qualitatif et non plus quantitatif.
Les facteurs de stress sont dans le monde du travail :
- la formidable pression exercée sur le psychisme : rentabilité, performance,
productivité, qualité totale, temps, les informations à traiter en temps réel (56 mails en
même temps). C’est d’ailleurs le sens étymologique du mot stress qui veut dire en langue
anglaise : contrainte, pression.
- l’évolution rapide du monde du travail : restructuration, réorganisation, nouveau
logiciel… et nous sommes toujours en train de nous adapter au changement.
Même pour les changements positifs, toutes les réponses du stress opèrent et la dose de
changement à laquelle nous sommes exposés est très importante. Nous avons été
fabriqués pour gérer le stress physique. Or il est n’est plus physique mais psychologique.
Quelquefois, nous n’avons pas conscience à la fin d’une journée de toutes les agressions
que nous subissons.
Nous en ressentons les effets :
- physiques : tension, palpitations, digestion difficile,
- psychologiques avec des émotions gatives qui apparaissent comme l’anxiété, la peur,
l’inquiétude, les émotions qui déclenchent une réponse de fuite ; ou la colère, l’irritabilité
au service de la réponse d’attaque.
Comment gérer le stress ?
Quelques solutions à titre individuel :
1) faire en sorte de réduire les stresseurs
Chacun doit se demander quel stresseur supprimer. Nous sommes tous en lutte contre le
temps ; il faut savoir dire non.
2) le stress se définit par l’état dans lequel on est. Face à un même stresseur, nous ne
réagissons pas tous de la même façon. Là, ce n’est pas le stresseur lui-même qui est le
plus important mais l’état dans lequel va se mettre la personne devant celui-ci.
Deux grands axes :
- la dimension physique
Nous savons que le stress est d’abord une réponse physique : ainsi la mise en tension du
corps du matin au soir va expliquer l’apparition de problèmes médicaux comme des douleurs, des
insomnies… Or l’être humain connaît un état du corps complètement opposé à l’état crit
précédemment ; c’est celui de la relaxation : le cœur bat lentement, les muscles sont relâchés, la
pression artérielle diminue... Apprendre à mettre son corps au repos. La relaxation est une des
grandes stratégies de la gestion du stress.
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La méthode la plus simple est de détendre ses muscles (mâchoires, épaules), respirer par
le ventre (il se gonfle lentement à l’inspiration, se creuse doucement à l’expiration). Utiliser cette
relaxation quotidiennement en sachant faire des pauses : 5 minutes suffisent.
De même, quelques secondes suffisent pour faire des micro-exercices : à un feu rouge,
dans une file d’attente. Programmons-nous pour profiter de toutes ces occasions.
Attente = Détente
Dans les cultures orientales, la sérénité de l’esprit passe par la sérénité du corps.
La gestion du stress cessite aussi de prendre soin de son corps : hygiène de vie, activité
physique. Le cocktail stress + sédentarité est néfaste.
L’alimentation est importante : consommer avec prudence alcool, tabac, caféine…
- la dimension psychologique
Le courant des sciences cognitives nous dit que le cerveau humain est un organe qui produit
des substances chimiques, qui raisonne en permanence à partir de ce qu’il reçoit de
l’environnement. Nous n’arrêtons pas de produire des pensées qui évaluent les stresseurs.
Or, nous expliquons souvent un état de stress par une situation. C’est faux, car jamais une
situation ne crée une émotion. La situation est instantanément évaluée par notre cerveau et génère
en nous une pensée qui explique l’émotion. Cette approche a été définie dès le 1er siècle après
Jésus-Christ par le philosophe stoïcien Épictète : « ce ne sont pas les événements qui perturbent
les hommes mais l’idée de ce qu’ils se font de ces évènements ».
Par conséquent, prenons conscience de tous nos raisonnements. Dans nos environnements
professionnels et urbains, il faut développer des attitudes mentales efficaces. Comme les sportifs,
il faut oublier les exigences extrêmes. David Douillet en est un bon exemple.
Pour gérer le stress, il faut travailler sur les émotions positives.
Le stress fait mal quand il active des émotions négatives. Dès lors, cultivons nos émotions
positives en trouvant de l’intérêt dans les choses de l’existence, quelles qu’elles soient, en
amplifiant les moments de plaisir.
A cela s’ajoute l’humour, le rire. Des études scientifiques démontrent que le déclenchement
du rire active les réponses immunitaires car il inhibe la réponse de stress.
Développons notre mentalité d’être optimiste dans notre vie personnelle. Voltaire
disait : « Je suis heureux car c’est bon pour la santé ». Suivons l’exemple des centenaires qui
prennent la vie du bon côté.
En conclusion, cette belle phrase de Darwin, premier scientifique à aborder les émotions
humaines : « Ce ne sont ni les espèces les plus intelligentes, ni les plus fortes qui survivront mais
celles qui auront su s’adapter à leur environnement ».
Le stress est la fonction d’adaptation à l’environnement. Mais jusqu’où les hommes pourront-ils
s’adapter aux environnements qu’ils construisent ?
Bibliographie
Le stress au travail : édition Odile Jacob 2005
La peur des autres : trac, timidité et phobie sociale ; édition Odile Jacob 1995, 2000 (avec
Christophe André)
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