Le lien social, ici, est donc à prendre dans son acception anthropologique de lien symbolique,
c’est-à-dire de médiation de la parole et du langage, de l’instance de discours qui règle et si
possible pacifie (civilise) la relation subjective interhumaine, comme condition de ce qui fait
tenir ensemble une société humaine possible. Car il n’y a de lien social que pour des sujets et
il n’y a de sujet que dans un lien social, qui, ni l'un ni l'autre, ne vont de soi.
En d’autres termes, le travail social comporterait donc une dimension d’acte qu’il convient
de penser comme tel. Et l’acte doit être distingué de l’action et de l’activité. En cela le travail
social est redevable d’une dimension d’éthique de l’acte, irréductible à toute technologie
d’ingénierie sociale, pour tout dire, incompatible avec l'impératif de maîtrise assigné par nos
décideurs aux praticiens du travail social.
2) Une spécificité de l'acte du travailleur social ?
Cet acte, peut-il être d'une autre espèce que celui qu'a mis en lumière la théorie
psychanalytique tirée de sa pratique ? Si oui, alors il y aurait une spécificité, à définir, de
l'acte du travailleur social.
Il y a bien, à mon avis, à distinguer radicalement un discours du social, plutôt structuré
comme le discours du maître parfois mâtiné, ainsi que le reproche Joseph Rouzel dans son
article des ASH, de discours universitaire (ou pseudo…) ; et donc à l’opposé du discours de
l’analyste. Cependant, concernant l’acte, ma position est plutôt qu’il n’y a pas de
spécificité, puisqu'il n'y a d'acte que pour un sujet et qu'il s'agit de ne pas mettre n'importe
quoi sous ce terme.
3) Eclairer le ressort de ce en quoi consiste « faire travail social » : la logique d'une relation
rendant de tels remaniements plausibles :
Faire acte de travail social, c’est donc mettre en travail ce qui, pour un sujet, du social
précisément le travaille ou le broie éventuellement. Le travailleur social, en fait, c'est le client
! (François Leguil, 1988.) On peut aussi, selon une trouvaille de Louis Sciara (ALI journées
psychanalyse et travail social de mars 2005), appeler ce dernier « travaillé social ».
C’est (chez le travailleur social) tenter, par la séparation d’avec une place de toute puissance
(qui sait, qui donne ou retient, discrétionnairement, des secours, des conseils, de son temps
etc.) ou son revers d’impuissance connivente et séductrice, de favoriser l’émergence d’un
écart pour qu’une parole propre puisse diverger, d’un espace où la plainte ou la demande
adressée à l’autre du social puisse être accueillie et prise en compte, c’est-à-dire trouver à
cheminer vers une modification du rapport du sujet, justement, au lien social. Ce lien social
qui, loin de « l’exclure » comme le répètent à souhait les tenants du DSL, ne l’inclut que trop,
à une place de déréliction, pas autrement que par la dépendance de son besoin.
Toujours du côté du travailleur social, pour qu’un tel remaniement de l'inclusion dans
l'Autre, pour qu'une transgression de la pente du « destin » intériorisé soit plausible, il y faut
une rencontre, où le professionnel offre une présence dans une certaine logique de la
relation, c’est-à-dire prenne le risque de se situer au bord de ce que ses savoirs, savoir-faire
et techniques lui prédisent ou lui dictent sur celui qui lui fait face, - mais tout autant, de
suspendre ou faire taire ses propres idéaux ou ses éventuelles certitudes sur ce qui est bon
pour l’autre qui s’adresse à lui.