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Fiche de lecture : Keynes, La pauvreté dans l’abondance, trad. de l'anglais par Laurent
Cordonnier, Thierry Demals, Laurence Duchêne, Henri Philipson, Nicolas Postel et Franck
Van de Velde, préface de Jean-Paul Fitoussi et Axel Leijonhufvud, 308 pages, Collection Tel
(No 320), Gallimard, (articles datant de 1925 à 1938)
I. Suis-je un libéral ? (1925)
L’animal politique préfère être membre d’un parti plutôt que d’aucun, même si l’adhésion
à un parti n’offre aucun avantage intellectuel. Le capitalisme individualiste et le principe
héréditaire (responsable de la « bêtise et de la faiblesse des chefs de file du capitalisme ») sont
à repenser. Un parti étranger aux luttes de classe, sans place faite à des idéologies historiques
est préférable et devrait traiter les problèmes actuels. Pour les questions économiques, Keynes
décrit la transition économique (inspirée de Commons) il distingue 3 phases. 1/ Lors de
l’ère de la rareté, « minimum de liberté individuelle et le maximum de contrôle, communiste,
féodal ou gouvernemental par le recours à la coercition physique ». 2/ L’ère de l’abondance
offre liberté individuelle, peu de contrôle et substitution des transactions individuelles au
rationnement. 3/ Période de stabilisation : diminution des libertés, par des sanctions
économiques. Il y a alors risque de bolchévisme ou fascisme.
II. Un aperçu de la Russie (1925)
Keynes assimile le communisme à une foi. Le communisme définit une vie idéale pour
tous, et une union entre une entité mystique et le soi. Y sont mêlées religion et affaires.
Keynes est conscient de la persécution induite par le léninisme. L’essence du communisme ?
La valeur de cette idéologie tient dans la posture qu’ont les hommes face à l’argent.
Démotivation pour l’S avec des prix élevés et impôts fortement progressifs. La méthode
économique est expérimentale d’où les difficultés à se mettre en place. L’efficacité
économique est donc faible mais fonctionne avec des facteurs stables. La population est
majoritairement rurale et la population urbaine a un niveau de vie supérieur à son niveau de
production. La vie urbaine est rendue plus attractive. La seule façon de limiter l’exode rural
réside alors dans un chômage de masse et une surpopulation. L’Etat soviétique n’est pas assez
inefficace pour disparaître car a instauré un niveau de vie moyen et une certaine
modernisation. Il y a un équilibre politique et économique car la politique des prix les
maintient élevés, étant défavorables aux paysans. La marge dégagée finance le
fonctionnement de l’administration et l’inefficacité des autres secteurs. C’est la fin de
l’interdépendance prix/salaires relatifs. Le communisme appelle au civisme et à la solidarité et
associe aspects moraux et matériels ; l’argent n’est pas au cœur du système.
III. La fin du laissez-faire (1e version de 1924, dernière version de 1931)
Dès la fin du XVIIe siècle, on promeut l’individualisme, l’hédonisme utilitariste et l’égalité.
Paley analyse l’interdépendance entre bénéfices privés et le bien public. Les progrès matériels
(dès 1750) annoncent le laissez-faire. Le darwinisme le renforce, d’ailleurs absent chez Smith,
Malthus et Ricardo. Smith est plus proche de Paley que du « laissez faire ». En 1870 Cairnes
dénonce le manque de scientificité de la loi (1e critique).
Cette loi développe l’amour de l’argent. Le laissez-faire tient sa solidité de la faiblesse des
doctrines adverses : protectionnisme et socialisme marxiste (« pures erreurs logiques » selon
Keynes). Sa persistance au XIXe siècle est aussi expliquée par sa conformité avec les besoins
du monde des affaires de l’époque. Keynes considère les hommes d’affaires comme soumis à
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l’amour de l’argent et produisant des biens de moindre valeur que la production intellectuelle.
Il développe 2 exemples :
- la taille idéale pour contrôler et organiser la société doit se trouver entre l’individu et
l’Etat. Le progrès réside dans le dvpt d’organismes semi autonomes, agissant en faveur de
l’intérêt collectif, par ex les universités. La grande entreprise tend à dissocier actionnaires et
direction (d’où la réalisation de profit devenant secondaire). Les objectifs premiers sont la
réputation et la stabilité de l’institution, soulignant l’avancée faite par le socialisme sur la
recherche de profits privés illimités. Le socialisme est dépassé car il est inhérent à un contexte
intellectuel donné (défense de la liberté et individuation croissante).
- il dissocie services techniques sociaux et individuels. L’Etat doit non pas mieux faire ce
que l’individu fait mal, mais faire ce qui n’est pas du tout fait.
Le chômage résulte de l’incertitude, du risque et de l’ignorance qui sont exploités à des fins
individuelles. Proposition : créer une institution centrale contrôlant crédit et monnaie, pouvant
rassembler des informations concernant l’état économique. Le capitalisme s’avère être un des
systèmes les plus efficaces en termes d’objectifs économiques. La pauvreté matérielle incite
au changement, alors que la prospérité, non.
IV. Eclaircissements supplémentaires sur la distinction entre épargne et investissement.
(1930)
Un excédent de I par rapport à S dégage des profits d’aubaine. S se rapporte à des unités
monétaires, vu comme un acte négatif du consommateur. I, lui se rapporte à des unités de
biens, perçu comme un acte positif de l’entrepreneur. Keynes veut montrer que I n’est pas
égal à S, si on exclue du revenu et de l’S les profits et les pertes inattendus par l’entrepreneur.
Exemple d’une économie de consommation de bananes : supposons qu’une collectivité ne
consomme que des bananes, qu’elle produit et qu’il y a équilibre entre I et S. Prix bananes =
coût de production. Supposons les bananes périssables. Si une campagne d’économies est
lancée afin de réduire le fait de consacrer son revenu courant (R) ds l’achat de bananes, et si
les plantations ne se développent plus, alors la même quantité de bananes est mise sur le
marché et comme la part du R consacrée à l’achat de bananes est réduite, les prix diminuent,
en proportion de l’excédent de S sur I. Le public consomme autant qu’avant et à prix réduits.
Or comme les salaires et les coûts de production sont fixes, seul le prix de vente baisse. Le
producteur subit des pertes anormales et est contraint de licencier ou diminuer les salaires.
Mais R diminue également, donc les pertes anormales pour le producteur se poursuivent, tant
que l’S excède l’I. Solutions les plus probables : la campagne est suspendue, ou I est stimulé
de sorte que son coût ne soit plus inférieur au montant de S.
V. Perspectives économiques pour nos petits enfants (dernière version date de 1930)
Le capitalisme a des potentialités de croissance énormes, à l’aide de conditions
psychologiques particulières (amour de l’argent et religion de l’S). Mais il a la possibilité de
se défaire d’une telle immoralité. En effet, l’amour de l’argent a permis de résoudre le
problème de la lutte pour la subsistance et l’homme ordinaire peut atteindre l’aisance
matérielle. Le progrès technico-économique est le moyen pour accéder à des fins idéales, et il
doit être organisé par les économistes. Le progrès technique et la modernité ont été permis par
l’accumulation du capital. Mais l’innovation, par la hausse de productivité, tend à produire un
chômage « technologique », correspondant à une phase temporaire d’inadaptation. Keynes
distingue besoins à caractère absolu (indépendants de la situation des semblables) et besoins à
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caractère relatif (comparables à une consommation ostentatoire). Mais avec le gain de
productivité, que faire du temps à libre ?
VI. La grande récession de 1930. (1930)
Pourquoi le produit des ventes est inférieur au coût total de la production, lors d’une crise
de débouchés, chez le producteur ? La loi de Say est contredite. Keynes explique le problème
en comparant 2 ratios ; celui de production traduit par le rapport entre coût de production des
biens de consommation et des capitaux, et celui de consommation, rapport entre les dépenses
en achats de biens de consommation et S. Pertes pour le producteur si ratio de production >
ratio de consommation, cad si I jugé rentable est insuffisant face à S. D’où le débouché dans
la couverture du manque à gagner pour les producteurs.
VII. Une analyse économique du chômage (1931)
Keynes se penche sur les causes de la crise issues de la hausse exceptionnelle de I dès
1924. Cet I est réparti de façon équilibrée parmi les secteurs et il n’y a pas de tendance
inflationniste. Or les taux d’intérêts sont élevés ; d’où l’effondrement de I en 1929, cause de
la crise. Les recettes des entrepreneurs proviennent des biens de consommation et
d’équipement vendus. Lorsque l’S des détenteurs du revenu distribué est supérieure à la
somme des achats en biens de capitaux neufs, les recettes totales des entrepreneurs sont
inférieures au coût de production. Donc collectivement, il y a perte. D’où réduction
cumulative de la production, puis stabilisation à un « pseudo équilibre ». Seul un retour à l’I
permet la reprise, donc une baisse des taux d’intérêt sur le long terme et le rétablissement de
la confiance sur les marchés, ce qui suppose une hausse des profits, liée à une hausse de l’I.
Donc il faut agir sur les taux d’intérêt (la réduction salariale décourage I).
VIII. Les moyens de restaurer la prospérité. (1933)
En 1932 les taux d’intérêt et l’activité sont bas mais le chômage est élevé. Une rigidité
budgétaire est installée. Keynes propose des mesures précises, rompant avec l’orthodoxie.
Keynes y expose pour la 1ère fois le multiplicateur. Ses mesures présentées ici constitueront la
base de ses revendications à Bretton Woods en 1944. Sa théorie du multiplicateur débouche
sur des propositions concrètes pour augmenter les prix afin de relance l’industrie anglaise.
IX. L’autosuffisance nationale (1932)
A la conférence de Lausanne, Keynes veut une coordination politique internationale pour
régler le problème de la baisse des prix et créer les conditions d’un redémarrage de la
demande mondiale. Or cela ayant échoué, Keynes se penche sur la capacité nationale à
produire un « bon ordre économique ». Le laissez faire et autres principes favorables à un
internationalisme économique (datant du XIXe siècle) sont progressivement mis de côté. Il se
montre favorable à une emprise du politique sur l’économique et l’autosuffisance nationale
n’est qu’un moyen d’accéder à une nouvelle organisation économique, une « République
sociale du futur ». La politique doit d’abord arbitrer entre les avantages et inconvénients des
économies ouvertes au commerce et à la finance internationale.
X. La pauvreté dans l’abondance : le système économique est-il régulateur ? (1934)
Keynes expose le principe de la demande effective ; la croissance étant toujours bridée
par l’insuffisance de I. Chaque augmentation du revenu national génère une S supplémentaire
dont le débouché ne devient pas forcément une dépense en I. Keynes cherche dans cet article
à critiquer la loi de Say et à expliquer la possibilité d’une crise générale des débouchés. La loi
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de Say est infirmée car l’incitation à investir est insuffisante face au désir d’épargner. Le
système régulateur est un système vérifiant la loi des débouchés et la flexibilité du salaire réel.
XI. Comment éviter une récession ? (1937)
On a un quasi plein emploi lorsque I représente une part stable et importante de la
production nationale, cette part d’I doit être égale à la part d’S de la collectivité, si les
ressources productives sont pleinement utilisées. Or I fluctue et il n’y a pas de raisons pour
qu’il se stabilise spontanément au niveau approprié. Il vaut mieux éviter que la reprise ne
devienne un boom, ce qui risquerait de précipiter une nouvelle crise. D’où la nécessité
d’intervention politique appropriée. 3 moyens pour empêcher l’apparition d’un boom : le
remboursement de la dette publique, le report des I publics, et une libéralisation tempérée des
importations. Le boom est la seule période l’austérité budgétaire est possible. Le maintien
du niveau élevé d’activité est prioritaire pour l’Etat. Afin d’empêcher un recul du niveau
d’activité, l’Etat peut mener une politique continue de maintien d’un faible taux d’intérêt
(avec l’intervention de la banque centrale), la planification de l’I public et semi-public (ce qui
nécessite de posséder un certain nombre de projets prêts), et à long terme, une politique de
redistribution des revenus (influençant la PmC et l’efficacité marginale du capital).
XII. La théorie générale de l’emploi. (1936)
Selon Keynes, l’I est terminé par le taux d’intérêt et l’évaluation des actifs. Ces deux
facteurs sont évalués à l’aide d’anticipations de ménages détenteurs d’actifs financiers ou
d’entrepreneurs producteurs d’actifs réels. Le niveau de l’I est donc fortement relié à
l’incertitude. Or elle n’est pas modélisable et en l’ignorant, les économistes risquent de
formuler des diagnostics erronés.
XIII. Quelques conséquences d’un déclin de la population. (1937)
La cessité d’agir nous fait supposer que l’avenir ressemblera en réalité plus au présent
que nous pourrions le penser. Mais la croissance démographique ralentira voire stoppera d’ici
peu, ce qui influera nécessairement sur la sphère économique. Or la croissance
démographique, l’allongement de la période de production et l’élévation du niveau de vie
influent sur la demande de capital. Le vieillissement démographique peut causer un sous
emploi chronique, dû à une insuffisance de la croissance potentielle.
XIV. Les diverses théories du taux d’intérêt. (1937-1938)
La préférence des agents pour la liquidité donne un nouvel éclairage aux évolutions du
taux d’intérêt. Cela renforce également le fait que S n’équivaut pas en une demande de
capitaux neufs. Keynes ajoute le motif de préfinancement aux 3 autres motifs de détention de
monnaie. Ce motif consiste en un besoin lié à l’intervalle entre les cisions d’I et leur
exécution.
Critique interne :
Les articles sont denses et clairs, leur lecture est accessible. Ces articles sont rédigés en
réponse à des critiques d’où l’effort de simplifier au maximum et de démontrer la capacité
prédictive de ses thèses… ce qui explique le nombre de calculs pratiques (dans le cas du
multiplicateur, notamment au chapitre XIV). Les articles sont donc condensés et résument la
pensée de l’auteur sur les 14 différents sujets, chacun étant traité par un article.
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La structure de l’ouvrage est chronologique et arbitraire comme l’expliquent ceux qui ont
rassemblé les articles. Les articles sont très structurés (argumentation claire, plan exposé,
exemples développés).
Keynes montre son détachement vis-à-vis de la politique dans le premier chapitre. Par
ailleurs, la définition des objets économiques évolue au fil des textes, ce que relève Robert
Lucas et ce qui selon lui, donne un manque de clarté aux textes et à la compréhensibilité de sa
thèse.
Alternatives économiques n°205, juillet 2002.
« Même si certaines analyses sont datées - la préparation d'une conférence économique
mondiale en juin 1933, par exemple -, on retrouve dans cet ouvrage l'essentiel du message que
l'économiste de Cambridge s'est efforcé de faire passer: l'importance primordiale de
l'investissement, le rôle déterminant de la puissance publique qui, par la dépense et la baisse
des taux d'intérêt, détient la capacité de remettre l'économie sur rails, l'incertitude qui joue un
rôle récessif en dissuadant les investisseurs de passer à l'acte. Le tout dans un langage
limpide, puisqu'il s'agit le plus souvent d'articles destinés au grand public. »
Critique externe :
Lucas et Sargent, « After Keynesian macroeconomics »,
Keynes n’a introduit qu’une révolution ds la méthode employée, c'est-à-dire le fait de
formuler des thèses qui se prêtent à des modèles mathématiques. Or cette révolution apparaît
aux yeux de Lucas et Sargent être due à l’air du temps et non pas au travail de Keynes, qui
n’aurait pas recherché volontairement à introduire une rupture ds la méthode.
Pour Lucas et Sargent, la formalisation mathématique n’implique pas la nécessaire
compréhension économique des phénomènes à l’œuvre. Cela peut relever du pur exercice
logique, sans pour autant donner un caractère prédictif à la thèse. Un changement de politique
conjoncturelle altère nécessairement l’évolution à long terme. de plus, la fonction de
consommation keynésienne n’est viable qu’en considérant le très court terme car les
statistiques sur le long terme ne la confirment pas. La stagflation qui apparaît dans les années
1970 vient remettre en cause la relation : plus l’inflation est forte, plus le taux de chômage est
bas.
Cependant, Jean-Paul Fitoussi et Axel Leijonhufvud (dans la préface) notent que certains
thèmes occupent dans les articles une place trop importante comparée à celle occupée dans les
grands ouvrages de Keynes ; de fait, elles offrent aux antis keynésiens des possibilités de
critique, notamment lorsque Keynes laisse entendre les méfaits de l’épargne. Mais l’article V
relève les côtés positifs de l’épargne.
Keynes soulève le problème posé par le capitalisme aujourd’hui, i.e. la quête illimitée
de l’enrichissement personnel. Or cet amour de l’argent apparaît aux sociétés post
industrielles de plus en plus contestable, car l’individu recherche désormais un
développement individuel et non plus le confort matériel. Les thématiques et problématiques
qu’il soulève notamment dans les 1ers chapitres sont extrêmement actuelles. L’appartenance
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