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On trouve notamment chez Marx, la contestation de toute " naturalisation " des
comportements économiques. Pour Marx, les économistes classiques qui ont fait oeuvre
scientifique (Ricardo en particulier) ont commis l’erreur de considérer que les résultats de
leurs analyses économiques exprimaient la nature de l’homme, alors qu’il n’exprimaient que
la nature du mode de production capitaliste. Pour Marx, il est possible (et nécessaire) de
formuler des lois économiques (loi de l’accumulation, loi de la baisse tendancielle du taux de
profit, loi de la paupérisation...) mais ses lois sont relatives à un mode de production
particulier. Deux exemples permettent de souligner la portée de cet aspect de l’oeuvre de
Marx. Pour Malthus, la loi de population a un caractère universel, elle exprime des tendances
naturelles relatives à la production des subsistances d’une part, à l’accroissement
démographique d’autre part. Pour Marx au contraire, il n’y a pas de loi de la surpopulation
absolue, mais une loi de la surpopulation relative (propre au capitalisme). L’excès de
population qui ne trouve pas à s’employer n’a rien de naturel pour Marx, il résulte de la
nécessité d’une " armée de réserve industrielle " dans le système capitaliste.
La même exigence de prise en compte des spécificités historiques conduit Marx à critiquer la
loi d’airain des salaires formulée par le socialiste allemand Ferdinand Lassalle. Selon cette
" loi ", le salaire aurait tendance à s’établir toujours et partout au niveau du minimum
physiologique. S’appuyant sur les analyses de Ricardo à propos du prix naturel du travail,
Marx insiste sur le fait que ce qui est considéré à une époque donné comme faisant partie de
la consommation " normale " de l’ouvrier dépend du contexte social et économique et non
d’une contrainte naturelle (physiologique).
La critique de l’idée de loi économique universelle se retrouve chez les théoriciens de l’école
historique allemande. Il y a eu, au sein de cette école des débats sur la possibilité de formuler
des lois économiques, le point de vue majoritaire considérant que de telles lois pouvaient être
exprimées mais uniquement à propos d’une nation déterminée et d’un contexte historique
précis. Le paradoxe, c’est qu’un théoricien de cette école, Adolphe Wagner, a formulé la loi
selon laquelle l’intervention de l’Etat se développe dans les économies avancées (loi de
Wagner). Cette loi semble être assez fortement corroborées par les observations empiriques
du XIXe siècle à nos jours. Mais la meilleure illustration de la position de l’école historique
allemande réside sans doute dans la critique par Frédéric List de la théorie ricardienne du
commerce international. List en effet ne conteste pas que le commerce international et le libre
échange soient mutuellement avantageux entre pays à développement comparable. Dans ce
cas, la loi des avantages comparatifs est valide. Par contre, il considère qu’entre un pays déjà
fortement industrialisé et un pays en retard, le libre échange joue à l’avantage du premier, la
loi formulée par Ricardo n’est donc pas valide dans ce cas et il est légitime d’instaurer un
protectionnisme éducateur.
C’est dans le prolongement des réflexions de Marx et de l’école historique (ou de
l’institutionnalisme américain) que se situent de nombreux économistes du développement.
Pour eux, l’étude du sous-développement ne peut pas s’appuyer sur les concepts et sur les lois
formulées à propos des pays développés. Il est nécessaire d’élaborer une analyse spécifique se
rapportant à un contexte économique et social particulier.
On peut se demander si, en fin de compte, au delà de tous ces débats, ce n’est pas la
pertinence du terme " loi " lui même qui est en jeu.
C. Des lois aux conjectures et aux modèles
L’intérêt croissant manifesté à l’égard de l’épistémologie poperienne chez les économistes est
révélatrice. Contre l’illusion positiviste qui conduit à penser que l’on formule des lois qui sont
le reflet exact de la réalité observée et contre l’attraction formaliste qui conduit à
l’indifférence à l’égard des faits, une posture plus modeste à tendance à s’imposer.