Le thème du « développement ». Là encore, il règne à ce sujet dans

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Le thème du « développement ». Là encore, il règne à ce sujet dans les esprits des chrétiens aujourd'hui une très
grande confusion. On confond facilement les idées de Newman et de Darwin, et les deux notions de
«développement » et d'« évolution », beaucoup de chrétiens, et beaucoup de catholiques tout à fait sincères,
affirmant que l'Église doit « changer » ou « évoluer » car elle doit nécessairement « s'adapter » à son époque. Or, il
est évident, quand on regarde l'histoire, que l'Église a changé . Mais en quoi a-t-elle changé ? En quoi peut-elle
encore changer aujourd'hui ? Et « comment » peut-elle le faire ? Newman propose une conception du
«développement » – non seulement de la doctrine mais de toute la vie de l'Église – qui articule de manière complexe
et subtile changement et continuité, innovation dans les formes et fidélité à ce qu'il appelle « l'idée » originaire. Il
nous aide ainsi à redécouvrir une conception dynamique et vivante de la Tradition –conception peu comprise
aujourd'hui à la fois par beaucoup de ceux qui se veulent « traditionalistes » et de ceux qui se veulent « progressistes
».
La nature de la « foi ». Aujourd'hui, nous avons terriblement intellectualisé notre compréhension de la « foi ». Nous
entendons le plus souvent par le mot foi ce que nous croyons – un ensemble d'idées ou de croyances auxquelles
nous sommes invités à « adhérer ». C'est dans ce sens-là que nous parlons d'« annoncer » la foi, de « transmettre »
la foi – comme s'il s'agissait uniquement d'un message. Il est évident qu'il y a de cela. Mais le sens biblique du mot
est tout autre : il désigne la confiance placée en une personne, dans le cadre d'une relation. Le mot « foi » désigne
même une disposition d'ouverture ou l'accueil ; ainsi, l'auteur de l'Épître aux Éphésiens nous exhorte en ces termes :
« Que le Christ habite en vos coeurs par la foi. » Nous sommes ici au coeur de la pensée de Newman. Il nous propose
une réflexion sur ce qu'on peut appeler la « psychologie » ou même la « phénoménologie » de la foi. Comment en
venons-nous à croire ? Quel est le rapport entre « foi » et « raison », et qu'est-ce qui fait que la foi est « raisonnable
» ? Quel est le rapport entre foi et vie éthique ou morale? Quel est le rapport entre foi et vie spirituelle? La
profondeur et la densité de la réflexion de Newman sur toutes ces questions peuvent nous être d'une aide
inestimable.
•
La nature du « salut ». Le mot revient sans cesse dans notre discours chrétien, mais il est rare qu'on
réfléchisse en profondeur à son sens exact. Newman, face aux chrétiens evangelical de son époque se réclamant de
Luther et prônant la doctrine de la « justification par la foi seule », a voulu voir clair dans le sens et la vérité de cette
formule ainsi que dans les déclarations du concile de Trente cherchant à répondre à Luther. À partir de ses propres
analyses, et en s'inspirant de la pensée des Pères de l'Église, il nous propose une théologie du salut qui établit un lien
intime entre le salut et notre vie spirituelle : c'est le Christ qui nous sauve, hic et nunc, par la présence agissante en
nous de son Esprit.
•
Sa pensée éducative. Newman a beaucoup réfléchi et écrit sur la nature et les objectifs de l'enseignement
universitaire. Selon lui, le but premier de cet enseignement – avant même la transmission des connaissances – est de
faire parvenir l'étudiant à ce qu'il appelle une « vue connectée » des choses, c'est-à-dire à une réflexion sur les
rapports qui existent entre tous les différents domaines ou « branches » du savoir (y compris la théologie !). Face à la
complexité des différents savoirs aujourd'hui, un tel objectif peut paraître utopique. Mais l'« utopie » doit-elle être
forcément connotée négativement ? La vision de Newman ne représente-t-elle pas un horizon à viser, même en
sachant que les résultats acquis ne pourront jamais être que partiels ?
•
Sa conception de l'Église. Si une bonne partie de sa pensée ici a été intégrée par le concile Vatican II, toutes
les nuances de cette pensée ne l'ont peut-être pas été, notamment sa conception dynamique d'une Église fondée
sur l'existence de trois « pôles » ou « fonctions » entre lesquels il existe et existera toujours une tension qui est à la
fois inévitable, nécessaire et salutaire.
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Enfin – ce n'est pas un « thème » à strictement parler – il y a son sens de Dieu. Newman est d'abord et avant
tout – comme le dit si bien le titre d'un des livres du cardinal Honoré –« un homme de Dieu ». Non seulement un
homme qui pense Dieu, mais un homme qui vit de Dieu – un homme pour qui Dieu n'est pas seulement, si l'on peut
dire, « l'objet » d'une réflexion mais aussi et d'abord le « sujet » d'une rencontre et d'une expérience. Nous avons
trop tendance aujourd'hui à définir le chrétien soit en termes purement intellectuels –c'est quelqu'un qui « croit »,
un « croyant » – soit en termes purement moraux – c'est quelqu'un qui agit d'une certaine manière, ou qui vit selon
certaines « valeurs ». Newman intègre la dimension intellectuelle et la dimension morale ou éthique de la vie
chrétienne à la dimension proprement spirituelle – celle de la vie de Dieu en nous, cette vie que nous recevons à
travers les sacrements, la méditation attentive de l'Écriture, et la prière, tant personnelle que communautaire. C'est
ainsi que, dans un de ses serinons, il propose de définir le chrétien comme « Un homme qui possède un sens
souverain de la présence de Dieu en lui ».
Si notre Église en Occident ne recouvre pas cette conception « tri-dimensionnelle », si l'on peut dire, de la vie
chrétienne – qui est celle qui se trouve chez des auteurs bibliques comme saint Jean et saint Paul, chez les Pères de
l'Église, et dans toute la tradition jusqu'au milieu du XVIIe siècle environ –, son influence sur la société va continuer à
s'affaiblir, et nos églises vont continuer à se vider.
Newman peut nous être, ici comme ailleurs, d'une aide précieuse.
P. Keith Beaumont IF
Prêtre de l'Oratoire, le Père Beaumont est notamment' l'auteur d'une Petite vie de John Henry Newman, Desclée de
Brouwer, 2005, de Prier 15 jours avec le cardinal Newman, Nouvelle Cité, 2005, et de Textes choisis de John Henry
Newman, Artège, 2010 (9,90 €).
(1) Cité dans La Documentation catholique, n° 1565 (21 juin 1964), p. 563.
(2) « Newman gehbrt zu den grossen Lehrern der Kirche », in John Hetury Newman, Lover of Truth. Academic
Symposium and Celebration of the first Centenary of the Death of John Henry Newman, Rome, Pontificia Universitas
Urbaniana, 1991, p. 144, 146.
(3) lan Ker, John Henry Newman. À Biography. Oxford University Press, 1990.
« Newman nous aide à redécouvrir une conception dynamique et vivante de la Tradition. »
Un toast à la conscience
En 1874, Gladstone, ancien Premier ministre de Grande-Bretagne, fait paraître un article aux accents pamphlétaires
et au titre évocateur : «Les Décrets du Vatican et le loyalisme civil des catholiques ». L'encyclique Quanta cura, du 8
décembre 1864, à laquelle le Syllabus avait été joint, le concile du Vatican, en 1870, définissant la juridiction
universelle et l'infaillibilité doctrinale du pape, le rejet par les députés catholiques d'Irlande d'un projet de loi sur
l'Université – rejet qui avait entraîné la chute du gouvernement : autant de motifs, pour Gladstone, de faire grief aux
catholiques anglais d'une « double allégeance » ; ceux-ci seraient, en conscience, déterminés par une puissance
étrangère : Rome.
Newman répond à Gladstone par La lettre au duc de Norfolk qui est un véritable hymne à la conscience. Pour
Newman, les catholiques (anglais) ne se déterminent qu'en fonction de leur conscience, laquelle est la « Voix de Dieu
» qui parle en chacun. Newman confère à la conscience une valeur d'abord religieuse avant que psychologique ou
éthique. Elle est cette instance à la fois immanente et transcendante. Si elle est la norme suprême de l'agir humain,
elle n'est pas pour autant autonome.
Mais le Syllabus n'a-t-il pas condamné les droits de la conscience et ne prescrit-il pas aux fidèles de tenir au fond que
tout État légitime se doit de professer publiquement la foi catholique ? Newman procède ici, de façon exemplaire, à
une herméneutique du Syllabus. Ce catalogue d'erreurs n'est pas un document pontifical (pas d'auteur, pas de
destinataire, une simple concomitance dans l'expédition avec l'encyclique Quanta cura) : chaque proposition
incriminée doit être évaluée à partir du texte auquel elle se réfère, en restituant les modes de conversion de
l'affirmatif particulier au négatif universel. Les principes d'interprétation théologique mis en oeuvre par Newman
s'avèrent pertinents pour résoudre aujourd'hui les contradictions apparentes entre certains actes de Vatican II et le
magistère antérieur.
Plus profondément encore, Newman affirme que l'autorité ecclésiale est fondée sur la conscience, qu'il n'hésite pas
à appeler « le vicaire du Christ » : « On ne verra jamais un pape, dans un document officiel adressé à tous les fidèles,
porter atteinte à la doctrine très grave du droit et du devoir d'obéir à l'autorité divine s'exprimant par la Voix de la
conscience. Car, en vérité, c'est sur cette Voix de la conscience que l'Église elle-même est fondée. Si le pape se
prononçait contre la conscience, il se suiciderait, il ferait crouler le sol sous ses pieds. » De là, le toast à la conscience
: « Si, après un dîner, j'étais obligé de porter un toast religieux – ce qui évidemment ne se fait pas –, je boirais à la
santé du pape, croyez-le bien, mais à la conscience d'abord, et ensuite au pape ! »
Le cardinal J. Ratzinger, qui citait fréquemment la Lettre de Newman, percevait ainsi un niveau ontologique de la
conscience, avant même l'acte du jugement de la conscience. Ce premier niveau est « une mémoire originelle du
bien et du vrai » infusée en nous, « une tendance intime de l'être de l'homme, fait à l'image de Dieu, vers ce qui est
conforme à Dieu ». Cette « anamnèse », par laquelle « depuis sa racine, l'être ressent une harmonie avec certaines
choses et se trouve en contradiction avec d'autres » est un « sens intérieur, une capacité de reconnaissance, de telle
manière que celui qu'elle interpelle, s'il n'est pas intérieurement replié sur lui-même, est capable d'en reconnaître
l'écho en lui » (J. Ratzinger, Conscience et vérité). Seule cette approche permet de comprendre que la loi morale
n'est pas un impératif catégorique arbitraire mais correspond à l'être même de l'homme, à sa vérité intérieure et
l'accomplit dans sa nature.
Abbé Christian Gouyaud ■
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