
Dans les v. 13 14, le poète évoque la dangerosité du voyage, « orages » et « naufrages »
se trouvant tout de même à la rime. A cet instant le poète doute du bien fondé de son
départ. Il évoque ici concrètement l’échec de son entreprise.
Au v.15 le poète imagine les conséquences funestes de ce naufrage. Il évoque ici la perte
de tout point de repère. Les « fertiles îlots » aux connotations doublement positives
renvoient à la terre ferme, le lieu où l’on peut jeter l’ancre, reprendre souffle. Quant à
fertile sa connotation est à la fois positive et rassurante. De même « le mât » apparaît
comme l’ultime point d’appui, celui auquel le naufragé s’accroche en mer. Cependant,
tous ces éléments sont refusés au poète par différents procédés grammaticaux de la
négation. On note l’emploi de la négation « ni » qui termine l’énumération de tout ce qui
est absent ainsi que la répétition de l’expression « sans mât » à la limite du désespoir (le
langage en boucle indice de l’émotion dominante). Enfin les points de suspension à la fin
du vers allongent le temps de diction et intensifient l’aspect aléatoire de l’expédition.
II) « L’angoisse de la page blanche »
1) Déception intellectuelle et illusion suprême :
Nous l’avons déjà vu : ce poème s’ouvre par l’aveu d’une déception intellectuelle dans le
second hémistiche du 1er vers « et j’ai lu tous les livres ». Il s’agit donc ici d’effectuer une
double lecture du poème qui n’évoque pas seulement comme nous l’avons montré le
besoin d’un homme à partir loin des siens pour rencontrer l’aventure mais aussi le désir
d’un écrivain, d’un poète à appréhender de nouvelles contrées littéraires de nouveaux
espaces intellectuels. Or le constat de départ à cet égard est bien celui de la lassitude,
de l’ennui.
Au fil du texte, le poète se fait plus pessimiste. Il en vient à se demander si ce n’est pas
son ennui qui le conduit à se figurer la fuite comme une chance d’être sauvé. C’est ce que
nous relevons aux v.11 12. Ici le poète se demande si le départ, la fuite ne sont pas
qu’illusion : « un Ennui […] croit encore à l’adieu ». On remarque dans ces deux vers que
le mot ennui est en majuscules et en apposition ce qui ne fait que renforcer son impact
dans le texte. L’adjectif « désolé » qui suit convient d’ailleurs aussi bien au poète qu’au
mot ennui lui-même isolé du reste du vers. On remarque également dans ce vers
l’oxymore « cruels espoirs » qui souligne la douleur ressentie par celui qui se sait la
victime de ses illusions. Le poète sent qu’il se confine peut-être dans ses illusions et que
le départ du v.12 « l’adieu suprême des mouchoirs » n’est qu’une croyance vaine
« Croit encore » v.12.
On remarque ici la reprise sonore en [wa] avec « croit » de la rime espoirs/mouchoirs. On
note aussi la position en contre rejet interne de « suprême » mis en valeur.
On note enfin le point d’exclamation qui marque peut-être une distanciation une ironie vis
à vis de lui-même.
2) La lutte de l’écrivain contre la page blanche
Aux v.6 et 7, le poème devient tout à fait explicite. C’est parce qu’il ne parvient pas à la
création littéraire que le poète tente de fuir.
On note ici une opposition entre l’obscurité extérieure « nuit » et la blancheur ou la
lumière à l’intérieur : « clarté », « lampe », papier », blancheur ».
Il est important de remarquer que les connotations ont ici une valeur inverse à celle que
leur prête le sens commun. En effet, c’est le blanc et le clair qui sont synonymes
d’angoisse, qui sont connotés négativement. On le voit par deux expressions : « clarté
déserte » et « vide papier ». La notion de vide ou de désert renvoie bien entendu à la
difficulté de créer, à l’angoisse de la page blanche.