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M. Dmitriev. Europe « latine » et l’Europe
orthodoxe (matériaux pour un livre à venir)
Orthodoxes, Catholiques, Uniates, 1595-1667:
"guerres de religion" à l'Est de l'Europe?
La question de savoir quel rôle a joué l'Union de Brest dans l'histoire de la
Rzeczpospolita et l'Europe Orientale est depuis toujours l'objet de discussions
passionnées . En principe personne ne nie l'évidence de ce qu’après 1596 les
conflits nationaux et religieux à l'intérieur de la Rzeczpospolita s'exacerbent. Etait-ce
la conséquence de l'Union de Brest? Beaucoup d'historiens d'orientation catholique
ou gréco-catholique évitaient cette question ou niaient un lien direct entre l'Union et
les conflits sanglants des années qui suivirent. La faute en reviendrait aux intrigues
de K. Ostrozski, aux hiérarques orthodoxes, aux patriarches de Constantinople, aux
autorités moscovites, aux cosaques ignares et agressifs, aux moines orthodoxes
ignorants, aux confréries trop ambitieuses, aux circonstances politiques et non
religieuses de la première moitié du XVIIème siècle1. Au contraire, l'historiographie
d'orientation orthodoxe renvoyait
à l'Union de Brest la responsabilité de
l'exacerbation des contradictions religieuses et politiques, ainsi que nationales dans
les années 1596-1648, sans nier pour autant les facteurs non religieux2.
Ces dernières années les positions se rapprochent. E. Suttner, par exemple,
dans un article spécialement consacré à ce problème reconnait que l'Union a plus
séparé qu'uni les Eglises et que justement cette leçon engage actuellement l'Eglise
catholique romaine à considérer d'une autre façon ses relations avec l'orthodoxie 3.
Dernièrement le problème des conséquences de l'Union de Brest a de nouveau été
1
J. PELESCH, Geschichte der Union der ruthenischen Kirche mit Rom von den altesten
Zeiten bis auf die Gegenwart, Bd. 1, Wien, 1882; E. LIKOWSKI, Unia Brzeska (r. 1596),
Poznan, 1889; E. LIKOWSKI, Dzieje Kosciola unickiego na Litwie i Rusi w XVIII i XIX wieku,
cz. 1-2, Warszawa, 1906; K. CHODYNICKI, Kosciól prawoslawny a Rzeczpospolita Polska.
Zarys historyczny. 1370-1632. Warszawa, 1934; O. HALECKI, From Florence to Brest
(1439-1596), Hamden, 1968; T. HUNCZAK, “The Politics of Religion: the Union of Brest
1596”, dans: The Ukrainian Historian, 1972, N 3-4, pp. 97-106; B. DUPUY, “L’Union de Brest
jugee avec le recul du temps”, dans: Istina, XXXV (1990), pp.1, 17-123.
2
M.O. KOJALOVITCH, Litovskaja cerkovnaja unija, v. 1-2, Sankt-Peterburg, 1859-1861;
MAKARIJ (BULGAKOV), Istorija Russkoj cerkvi, t. IX, kniga IV, Istorija Zapadnorusskoj ili
Litovskoj mitropolii, Sankt-Peterburg, 1879 (réédition : Moskva, 1996) ; P. N. ZHUKOVITCH,
Sejmovaia borba pravoslavnogo zapadnorusskogo dvorjanstva s cerkovnoj uniev (do 1609
g.), Sankt-Peterburg, 1901.
3
E. Ch. SUTTNER, “Brachte die Union von Brest Einigung oder Trennung fьr die Kirche”,
dans: Ostkirchliche Studien, XXXIX (1990), pp. 3-21.
1
posé par une spécialiste renommée
de l'histoire de l'église gréco-catholique, H.
Dylagowa4, qui est arrivée à la conclusion que l'Union a plutôt accentué qu'atténué
les contradictions religieuses, sociales et nationales dans la société ukraïnobiélorusse. Pour reprendre ses paroles, "la haine des différents mouvements en
Ukraine à l'encontre de l'Union au XVII et XVIII siècle donne bien des matières à
réflexion”5.
Néanmoins la question reste sans reponse: pourquoi l'union à laquelle, dans
un premier temps, les deux parties, catholique et orthodoxe, étaient favorables, et qui
était envisagée comme reconciliation des Eglises - pourquoi cette union a, au
contraire, exacerbé les conflits au lieu de les calmer? Nous ne cherchons pas а la
resoudre; ce qui nous intéresse - c’est les conséquences immédiates de l'Union et
leur impact sur l'histoire de la Rzeczpospolita dans la première moitié et milieu du
XVIIème siècle.
Pour ce qui concerne les sources touchant à ces questions, nous disposons
de nombreuses déclarations de ses intentions par le clergé orthodoxe, des réponses
de l'Église catholique et des autorités séculaires, de la correspondance entre les
évêques orthodoxes et les laïcs engagés dans la préparation de l'Union, de la
correspondance entre Rome et les représentants du pape en Pologne, de la
correspondance interne des membres de la Curie romaine, des actes des livres
judiciaires (ksiegi grodzkie ), des écrits polémiques fort intéressantes et hautement
représentatifs, des lettres, des traités religieux et politiques relevant de notre
problématique, des sermons et, finalement, des documents provenant de
Constantinople et de Moscou.
Notamment, pour l’étude de la première question nous disposons d’un certain
nombre de documents officiels rédigés par les Orthodoxes entre 1590 et 1595 : la
Déclaration de juin 1590 6 qui donna l'élan initial pour les négociations; l'Instruction
et la Déclaration signée vers la fin de 1594 7 ; la Déclaration de Balaban et du clergé
de Galicie de janvier 1595 8; et finalement, 32 articles compilés vers juin 1595 9. De
côté orthodoxe, nous disposons également de nombreuses lettres, d'un court livre
H. DYLAGOWA, “Unia Brzeska – pojednanie czy podzial?”, dans: Unja Brzeska. Geneza,
dzieje i konsekwencje w kulturze narodуw slowianskich, praca zbiorowa pod red. R.
LUZNEGO, F. ZIEJKI, i A. KEPINSKIEGO, Kraków, 1994, pp. 45-53.
5
H. DYLAGOWA, “Unia Brzeska – pojednanie czy podzial?”, p. 51.
4
6
A.- G. WELYKYJ, edit.., Documenta Unionis Berestensis eiusque auctorum
(1590-1600), Romae, 1970 ( cité ensuite: DUB ), n°2, pp. 7-8.
7 DUB, nn° 17, 19, pp. 32-35, 36-38.
8 DUB, n° 22, pp. 43-44
9 DUB, nn° 41, 42, pp. 61-75.
2
par I. Potej, le futur métropolite de l'Église uniate, sur l’Union à conclure
10.
Du côté
catholique nous avons les réponses officielles de Rome, du nonce G. Malaspina et
de Sigismond III, la correspondance entre G. Malaspina, clergé polonais et le
Vatican, entre les membres du clergé italien impliqués à la préparation de l’Union,
les lettres des dignitaires polonais, la correspondance des Jésuites polonais et leur
supérieur à Rome, des traités polémiques, historiques et théologiques polonais et
romains etc.
Ces documents permettent de découvrir quelques façons dont l'Union fut
comprise par le clergé et les laïcs orthodoxes et catholiques en 1590-1596 11.
L'étude de l'ensemble de ces documents montre que dans les projets de
l’Union d’Église proposés par le clergé orthodoxe en 1590-1595 l'Union des Églises
fut comprise comme un transfert de l'autorité suprême, sur la métropole de Kiev, de
Constantinople à Rome, sans un seul changement dans la doctrine, les institutions
ou les pratiques liturgiques de l'Église orthodoxe. En fait, l'Union se résumait à un
remplacement des patriarches par les papes de facon que la relation entre Kiev et
Rome devenait semblable à celle qui existait entre Kiev et Constantinople. La
préservation des traditions dans la doctrine, les coutumes, les rituels et les
institutions étaient de première importance pour des personnes comme I. Poteï, G.
Balaban, M. Ragoza, K. Ostrozhskiï et ceux qui les soutenaient. L'Union ne pouvait
en aucun cas être interprétée comme une soumission inconditionnelle de l'Église de
Kiev au pape. Les conditions pour l'union devaient être négociées et approuvées par
l'Église orthodoxe, et ce préférablement lors d'un synode spécial, le sobor.
En échange de sa soumission à Rome, le clergé orthodoxe demandait l'aide
de l'État polonais pour renforcer les positions de l'Église orthodoxe en UkraineBiélorussie, et souhaitait que les droits et privilèges du clergé de Ruthénie soient
garantis par les rois polonais.
Il va sans dire qu'un tel programme ne pouvait être qualifié de réaliste dans le
contexte du modèle ecclésiastique latin en Occident à la fin du XVI e siècle.
[I. POTEÏ], Uniia Grekov s kostelom Rimskim, Vil’no, 1595, in Russkaia
istoritcheskaia biblioteka, t.VII (=Pamiatniki polemitcheskoï literatury v Zapadnoï
Rusi, II), Sankt-Peterburg, 1882, col. 111-168.
11 Pour une analyse détaillée voir : M.V. DMITRIEV, Mezhdu Rimom I
Car’gradom; M. V. DMITRIEV, “L’Union de Brest (1595-1596), les Catholiques,
les Orthodoxes: un malentendu ? ”, dans Wspólistnienie i przenikanie
wzajemne konfesji w dziejach Europy Srodkowej i Wschodniej w póznym
sredniowiczu i czasach nowozytnych. Akta kolokwium, Warsawa, l5-16 listopada
2000 ( à paraître ).
10
3
C'était dans les 32 " articles " signés par tous les évêques en juin 1595 et
envoyés à Rome en l'été de la même année que les souhaits et désirs du clergé
orthodoxe furent exprimés de la façon la plus cohérente et la plus complète.
Dans le document, il était spécifié à deux reprises -dans le préambule et les
phrases de conclusion- que les " articles " ( artykuly ) devaient être confirmés par le
pape et le roi ( ou " les seigneurs catholiques " ), avant que les Orthodoxes passent
à l'Union 12. On voit par là que la partie orthodoxe accordait une importance capitale
aux " articles " et qu'ils devaient, dans l'esprit des évêques orthodoxes, jouer un rôle
décisif dans la préparation de l'Union de Brest. Les " articles ", non seulement
résument et traduisent concrètement ce qui se dégageait des pourparlers
préparatoires, mais ils incorporent aussi les points les plus importants du
programme de réformes ecclésiastiques proposé lors des synodes du début des
années quatre-vingt-dix du XVIe s. Sans reprendre en détail chacune des clauses,
qui touchent aux questions de dogme, de rite et d'organisation, nous allons souligner
les thèmes essentiels qui sous-tendent ces " articles " 13.
Tout d'abord, la spécificité dogmatique et rituelle orthodoxe devait être
préservée pratiquement dans son intégrité : on proposait de résoudre la querelle du
filioque selon la formule de compromis adoptée au concile de Florence ( procession
du Saint-Esprit “ du Père par le Fils ” ), la doctrine du purgatoire devait être
expliquée aux Orthodoxes par la partie catholique, le mariage des prêtres et la
communion sous les deux espèces étaient maintenus, toutes les fêtes religieuses
devaient être célébrées d'après le calendrier ancien, les rites et les cérémonies
devaient être maintenus intacts ( art. 1-9 ).
En second lieu, l'Union devait entraîner une nette amélioration du statut social
du clergé. Il s'agissait non seulement de lui garantir l'inaliénabilité des biens qu'il
possédait et le retour de ceux qui lui avaient été pris, ainsi que des sièges au Sénat
et des privilèges identiques à ceux du clergé catholique, mais aussi de nommer
deux évêques orthodoxes au tribunal chargé de défendre les droits de l’Église
orthodoxe ( art. 20 ). Le synode se réservait aussi le droit de sélectionner les
candidats à la dignité épiscopale ou métropolitaine ( art. 10 : le synode proposait
quatre candidats, le roi choisissait l'un d'entre eux et l'investissait ). Dans les faits,
“Artykuly na ktore caucij potrzebujemy od Panow Rzymian pierwei anizli do
iednosci z Kosciolem Rzymskim przystapiemy ” (DUB, n° 41, p. 61 ) ; “Articuli,
12
quorum cautionem petimus a Dominis Romanis, priusquam accedamus ad
unionem Romanae Ecclesiae” (DUB, n° 42, p. 68 ).
13 Voir l’interprétation des “ 32 articles ”par O. HALECKI, op. cit., p. 289 passim ;
et l’interprétation récente par I. PATRYLO ( I. PATRILO, “Artikuli Beresteïskoï
uniï ”, Analecta Ordinis Sancti Basilii Magni, XV (1996 ), pp. 47-102 ).
4
les évêques et les métropolites demeureraient indépendants de Rome du point de
vue de l'administration ecclésiastique, puisque les évêques devaient être consacrés
par le métropolite. De plus, les évêques devaient absolument être “ du peuple
ruthène ou grec ” et “ de notre religion ”. Il était aussi spécifié que les clercs sur les
terres relevant de seigneurs nobles étaient exempts de la juridiction seigneuriale (
art. 21 ).
Le troisième grand thème des " articles " était la défense des positions de la
future Église uniate face à l'expansion de l'influence catholique sur les terres
ukrainiennes et biélorusses : les conversions de l'Union à la “ latinité ” ( latinstvo )
devaient être interdites ( art. 15 ), les mariages entre “ Romains et Ruthènes ” ne
devaient pas entraîner de changement de confession (art. 16), la conversion des
sanctuaires orthodoxes (cerkov' ou chram ) en églises catholiques (kostel ) était
proscrite et la réparation des églises orthodoxes prescrite ( art. 25 ) ; enfin, il était
défendu aux Catholiques d'accueillir un excommunié de l’Église uniate et vice versa
( art. 30 ).
Le quatrième grand thème était celui du renforcement très net du pouvoir
épiscopal à l'intérieur de la ( future ) Église uniate : les réguliers devaient lui être
totalement soumis ( art. 19 ), les confréries, les écoles, les imprimeries devaient
passer sous son contrôle ( art. 27 ), la noblesse ne devait pas restreindre la
souveraineté administrative et judiciaire des évêques ( art. 28 ), tous les sanctuaires
devaient relever de l'ordinaire, quel que fût le seigneur temporel du lieu, et aucun
laïque ne pouvait prétendre les administrer ( art. 29 ).
Enfin, le cinquième et dernier thème concerne une condition spécifique ( art.
10-11 ) : le métropolite devait être élu par un concile, approuvé par le roi ( ou plutôt
choisi par le roi parmi 4 candidats proposés par le sobor, le synode [ art. 10 ] ), et
seulement confirmé par le pape ( cette bénédiction papale devait, à son tour, être
confirmée par deux évêques orthodoxes [ art. 11] ). De plus, si le nouveau
métropolite avait été ordonné évêque avant son élection, aucune approbation
papale n'était nécessaire.
Tout cela correspondait parfaitement aux singularités de l’ecclésiologie et
d’autres traditions byzantino-orthodoxes dans leur modalité slave locale, et à cet
égard, c’est le document (nec plus ultra- supprimer!) spécifiquement orthodoxe et,
ce qui n’est pas exclu, relevant, par excellence, de l‘orthodoxie spécifiquement
ruthène, c’est à dire nationale aux termes, d’ailleurs, fortement anachroniques.
Ajoutons, en complément, que les " articles " se caractérisaient non par le
pathos du repentir, mais par un esprit de conciliation vraiment œcuménique, tout en
conservant presque intacts les caractères spécifiques acquis par l'orthodoxie au
cours de son évolution séculaire. Comme les évêques orthodoxes l’ont écrit dans
5
l’article 13, l’Union des Églises était proposée afin de réaliser la concorde dans “ la
république chrétienne ” et de prévenir de nouvelles dissensions. L'Union, comme
nous l’avons vue, était comprise comme un simple transfert de la juridiction
ecclésiastique suprême. Alors, je tiens à souligner que nous avons affaire à un
document qui est très conciliant dans sa teneur, je dirais même ( en termes
anachroniques, bien entendu ) oecuménique. D'ailleurs, cette attitude est fondée sur
la prémisse suivante : “ tout ce qui est nôtre, nous le conservons intact ” et c’est
précisément ce principe devait inciter à l'établissement de la “ sainte unité ” ceux qui
persistaient à douter qu'elle fût réalisable 14.
Encore une remarque importante : les 32 “articles” étaient l’aboutissement du
parcours entamé en 1590 et, donc, dans les autres sources nous retrouvons à peu
près la même mise en position 15.
Les " articles " paraphés le 1er ( 11 ) juin sont intimement liés avec l'adresse
qui les accompagne, datée du 12 (22) juin, signée par le métropolite et tous les
évêques ( dont Michaïl Kopystenskij et Gedeon Balaban, qui par la suite
s'opposèrent à l'Union ), à l'intention du pape. Mais il paraît que ce document, en
effet capital, est indissociable des “trente-deux articles " 16. Certes, l'adresse du 22
juin ne mentionne pas directement les “trente-deux articles”, mais la signification des
clauses de ce document se dévoile précisément dans les "articles ". Dans l'adresse,
les évêques expriment leur désir de restaurer l'“ unio et concordia ” de jadis, la
compréhension mutuelle, le “ consensus in omnibus ”, “ dans l'obéissance et sous la
direction du Saint-Siège apostolique romain ”. Envoyés à Rome, Hypace Poteï et
Cyrille Terleckiï, avaient pour instructions de manifester “ au trône de saint Pierre ”
et au pape, en tant que “ pasteur suprême de l’Église du Christ ” l'obéissance qui
leur était due, à condition que le pape, en son nom et au nom de ses successeurs,
s'engage à préserver “ le mode d'accomplissement des sacrements, des rites et des
cérémonies [ orthodoxes ] ” 17. L'attention des historiens s'est d'ordinaire concentrée
sur ces mots, mais l'adresse dit aussi : “Quae omnia petita a nobis si obtinuerimus
Sanctitati Vestrae cum omnibus successoribus suis, nos et successores nostri dicto
“ azatym i drudzy ktory sie ieszcze chwieia, widzac, iz swoie wszytko wcalie
mamy, tym rychliei za nami do tei s[wietej] iednosci przyszli ” (DUB, n° 41, p.
14
67)
15 Voir : M.V. DMITRIEV, Mezhdu Rimom i Car’gradom.
16
A. Velikiï qui a édité les documents de l'Union de Brest estime d'ailleurs que
cette adresse du 22 juin “ doit être considérée comme le document le plus
important de tout le dossier de l'Union de Brest ” ( DUB, n° 45, p. 80-81 ).
17 Ibid., pp. 80-81.
6
audientes subque regimine Sanctitatis Vestrae semper esse volumus”18. Comme les
" trente-deux articles " avaient été paraphés onze jours auparavant et remis, avec
l'Adresse du 22 juin, au nonce qui devait les transmettre à Rome, il faut entendre par
“ omnia petita a nobis ” non seulement la préservation des rites et des cérémonies,
mais l'ensemble des exigences exprimées dans les deux documents 19.
Il est hautement significatif que les articles aient aussi constitué un
programme de réforme interne de l’Église orthodoxe de la Rzeczpospolita, et l’on se
mettra tout à fait d’accord avec père jésuite Krajcar qui a longuement travaillé dans
les archives de l’ordre des Jésuites à Rome et qui a, notamment, constaté, que les
“trente-deux articles”, dans le contexte de la situation religieuse très particulière en
e
Ruthénie vers la fin du XVI siècle, constituaient une tentative de renouveler la
spécificité des institutions et des traditions de l’orthodoxie ruthène, face au
catholicisme, d’une part, et le protestantisme, de l’autre. Selon I. Krajcar, le
programme de l’Union, suggéré par les Orthodoxes, “signifiait, dans l’idéal, le retour
à la tradition ancienne ruthène” ( “signified, ideally, the return to the rus’ka starina ”
20
).
En résumant, l’on peut dire que le programme ruthène de l’Union s’appuyait
sur le principe de la diversité dans l’unité. Ce principe aurait pu constituer une base
sûre et féconde pour la sauvegarde et la croissance des spécificités proto-nationales
du christianisme de Ruthénie. En somme, il s’agissait du renforcement d’une église
à fortes particularités locales qui peuvent être vues, bien que anachroniquement,
comme particularités nationales ou proto-nationales.
Bien évidemment, ces conditions proposées à Rome allaient trop loin et
étaient irréalistes. Si elles avaient été admises par l'Église catholique, il n'y a aucun
doute que tout conflit sérieux eût été évité.
Mais elles ne pouvaient être admises en raison du caractère même du
catholicisme d’après le Concile de Trente, et en particulier à cause de la façon de
penser des personnes qui guidaient l'Église catholique à cette époque, Clément VIII
et ses collaborateurs.
Comment ces articles furent-ils reçus et perçus à Rome ? Il apparaît qu’à
cette époque -époque de la Reforme et de la Reconquête catholique- la vision
l’Union comme reprise, renforcement et promotion des traditions locales ou “
18
Ibid., p. 81.
Voir l’interprétation de Halecki qui laisse tomber dans la traduction à la lettre
(!) l’expression “omnia petita a nobis”, en affirmant qu’il ne s’agit que des “rites
et cérémonies” ( O. HALECKI, op. cit., p. 289 ).
20 J. KRAJCAR, “Jesuits and the Genesis of the Union of Brest”, dans Orientalia
Christiana periodica, 31 (1978), p. 153.
19
7
nationales ” du christianisme, était à peine compatible avec l’ecclésiologie et les
mentalités confessionnelles de l’Église Romaine.
On l’observe à la manière dont la Curie Romaine et le clergé polonais ont
réagi aux articles. On sait qu'en août, les articles furent transmis à la congrégation
de l'Inquisition. Sur le manuscrit de la réponse du nonce aux articles ( 1 er août 1595
), conservé au Vatican, il est noté que les articles furent remis le 30 août au
consistoire par le cardinal Aldobrandini. A la fin de ce volume est inséré le
mémorandum en latin expliquant l'importance de l'Union et ses racines historiques.
Halecki suppose que ce mémoire fut envoyé par Malaspina en même temps que les
articles et la copie de la réponse qu'il avait faite à ces derniers 21.
Dès le 16 septembre, Rome avertit le nonce que les articles avaient été
examinés, mais que les membres de la congrégation n'avaient pas encore mis en
forme leur décision 22. Puis, jusqu'à l'arrivée de Poteï et Terleckiï à Rome, il n'est
plus question d'autre examen des articles à Rome. A la fin novembre 1595,
commence, pour ainsi dire, un " second tour " d'examen, après que les articles
eussent été une seconde fois soumis à l'attention de la Curie par Poteï et Terleckiï.
On sait que la congrégation chargée des affaires grecques, dirigée par le cardinal J.A. Santoro examina les articles à deux reprises, fin novembre et début décembre
1595, que certains théologiens d'autres congrégations furent entendus aux fins
d'expertise, chose inhabituelle ( “ cosa insolita a farsi ” ), mais le travail ne put être
mené à bonne fin et c'est le cardinal Sfondrato qui dut rédiger la réponse définitive
23. On ne sait quelle fut cette réponse. On connaît deux autres avis, mais ils ne nous
sont pas parvenus sous leur forme originale, mais par l'intermédiaire de tierces
personnes. Le premier nous est connu par une lettre envoyée, le 16 décembre
1595, par un des collaborateurs du cardinal-secrétaire Cinzio Aldobrandini à
l'évêque de Padoue, V. Pinelli, qui s'intéressait fortement à l'Union. Cette lettre rend
compte du sentiment du théologien dominicain Chr. Saragossa sur les " articles ". Le
second avis, émanant “ d'un certain théologien ” -anonyme- fut publié seulement en
1613.
Aussi étrange que cela paraisse, pendant toute la durée du séjour de Poteï et
de Terleckiï à Rome, on ne trouve trace d'aucune autre réaction aux " articles ". De
même, ni dans les documents pontificaux consacrés à l'Union, ni dans les
descriptions de la cérémonie solennelle du 23 décembre 1595, il n'est fait mention
A.-G. WELYKYJ, “ Alle Fonti del Cattolicesimo Ucraino”, in Miscellanea in
honorem Cardinalis Isidori (1463-1963, Roma, 1963(=Analecta OSBM. IV[X]),
p. 44-78. O. HALECKI, op. cit., p. 301, note 46.
22 DUB, n° 92, p. 93.
23 DUB, n°131, 133, 134.
21
8
des conditions posées par les Orthodoxes. Il est difficile d'admettre que les archives
romaines ne renferment pas d'autres traces d'évaluation des "trente-deux articles". Il
faut espérer qu'elles seront retrouvées. Mais ce silence des sources vaticanes est
en lui-même très éloquent, car il montre, comme les deux avis d'experts, comment
l'Union et ses perspectives furent accueillies à Rome.
Ainsi, la réponse préparée par Saragossa aux articles, tout en acceptant de
satisfaire certaines des exigences de la partie orthodoxe, procède dans l'ensemble
de principes tout à fait différents de mise en œuvre de la réconciliation ; elle prévoit
à l'avance de réviser certains des points admis au moment de la signature de l'acte
d'Union et met en doute l'idée même que l'Union puisse être subordonnée à la
satisfaction de conditions préalables 24. Saragossa indiquait très clairement que la
seule condition préalable pour l'Union était " une conformité totale avec ce qui
concerne les tenants de la foi tels qu'exprimés par l'Église romaine, aussi bien dans
son fond que dans sa forme ", " étant entendu que quelques variations étaient
tolérables dans les rites et les cérémonies " 25.
La position de l'auteur de l’avis était beaucoup plus intransigeante que celle
de Saragossa. Surtout, on n'y trouve aucun penchant pour le compromis, alors que
la position de Saragossa l'admettait dans une certaine mesure. Pourtant, ni l'un, ni
l'autre avis n'eut de conséquences significatives dans la conduite des pourparlers
d'union. Les articles ne servirent pas non plus de base aux négociations sur l'Union,
car celles-ci ne furent pas menées et, probablement, ne pouvaient pas être menées.
Comment l'Union conclue en décembre 1595 a-t-elle été comprise par la
Curie Romaine et le clergé polonais -autrement dit dans la perspective romaine,
supranationale d’une part, et polonaise, de quelque sorte nationale ?
De nombreux documents nous permettent de répondre à cette question : la
Constitution papale " Magnus Dominus ", la bulle " Decet Romanum Ponfiticem ",
une série de brefs envoyées en Pologne et en Ruthénie, la correspondance entre la
Pologne et Rome, la correspondance interne du Vatican, etc.
L'ensemble de ces documents révèlent que l'Union fut comprise par les
Catholiques comme un acte de repentir, de conversion après l'hérésie, comme une
” il venir nel gremio della Santa Chiesa è atto necessario alla salute; chi
chiede per venirvi gratie, et conditioni, non par, che resti pienamente capace per
questa necessità, et procuri la riunione per interesse, e per altri commodi, e con
speranze di conseguirli ” (DUB, n° 137, p. 194 ).
25“ Nel primo, è necessario che si conformino omninemente con la
determinatione della Chiesa Latina, e quanto alla sostanza, et quanto alla
forma delle parole, non concernendo questo punto riti o cerimonie, nelle quali
sarebbe tolerabile qualche alteratione ” (DUB, n° 137, p. 194)
24
9
reconnaissance inconditionnelle de l'autorité papale, comme l'abandon des
“haereses, errores et schismata”. Voici quelques exemples.
D. Solikowski, évêque de Lviv, écrivit au nonce Malaspina que Terleckiï et
Poteï allaient à Rome " obedientiae praestandae causa, se per omnia subdentes
potestati suae Sanctitatis, et renunciantes suo patriarchae " 26.
En 1595, Malaspina reçut comme instruction du Vatican que l’Union devait être
préparée " nel modo che più si desidera per la unione et uniformità della Chiesa " 27.
Dans leur correspondance interne des fonctionnaires du Vatican écrivaient que les
évêques venaient pour " unirsi in tutto et per tutto con la chiesa romana " 28.
Toujours en 1595, dans une lettre à Rome, Malaspina mentionna que les évêques
venaient à Rome " resignati di voler far ciò, che li sarà ordinato per servitio
dell'anime loro, et del grege a loro commesso "
29.
À la suite de la visite de Potej et
Terleckij au Vatican, leur objectif fut décrit dans la correspondance interne de Rome
comme " soggetatione al Pontifice Romano " 30. Selon une autre source, " alcuni
Vescovi Rutheni già scismatici vengono in Roma... a riconescere la Chiesa
Apostolica et Romana, et rendere a Sua Beatitudine la debita obedienza " 31.
Les formules utilisées dans les 16 brefs officiels, envoyées par le pape
Clément VIII en Pologne, sont aussi révélatrices. En effet, même dans un bref,
adressée à Ragoza, le pape emploie le terme “conversio :... propter conversionem
vestram ad hanc vestram matrem carissimam sanctam Romanam Ecclesiam " 32.
Écrivant à propos de la cérémonie de proclamation de l’Union, le pape dit : "
...iidem Episcopi duo catholicae fidei professionem de scripto fecerunt, tam suo
quam vestro nomine omnesque haereses, et schismata, et errores detestati sunt, et
eos praesertim, qui vos hactenus a Sancta Romana Catholica Ecclesia separarunt "
33.
Le terme d’ “ hérésie ” apparaît fréquemment dans d’autres brefs ( " omnes
haereses, et schismata detestati sunt, et fidei catholicae professionem rite fecerunt,
26
DUB, n° 27, p. 49
DUB, n° 30, p. 51
28 DUB, n° 67, p. 119
29 DUB, n° 37, p. 59
30 DUB, n° 247, p. 387
31 DUB, n° 82, p. 129
32 DUB, n° 181, p. 278. Autres cas d’utilisation du terme "conversio" dans les
brefs: DUB, N 181, p. 281 ; DUB, n° 183, p. 284.
33 DUB, n° 181, p. 279.
27
10
et nobis...veram obedientiam praestiterunt "
34
) et même dans la bulle papale Decet
Romanum Pontificem ( les évêques " omnes suos et ipsorum errores, haereses et
schismata damnaverint " 35).
D’après les brefs, Poteï et Terleckiï, " sanctae huic Apostolicae Sedi
perpetuam obedientiam praestiterunt " 36 " nobisque et Apost. Sedi debitam
obedientiam et subiectionem praesiterint et perpetuo praestare promiserint " 37. De
plus, en ce qui concerne la soumission à Rome, le terme "unitas ", et non " unio "
est utilisé dans les documents du Vatican 38
Il est caractéristique que la position des autorités séculaires polonaises 39 et
des représentants de l'Église polonaise était un peu plus prudente. Mais, grosso
modo, les Polonais aussi considéraient l'Union comme une " conversion après
l'hérésie ”.
Il devient donc, assez évident, que l’espoir d’assurer à l’Église Ruthène une
chance de maintenir et de développer une identité confessionnelle locale, à voire “
nationale ” s’est évanouie dès sa rencontre avec les principes latins de
l’universalisme chrétien et de l’homogénéité religieuse. La concession du maintien
des rites grecs change à peine l’image générale. Ce d’autant plus, qu’après
l’affaiblissement de la résistance orthodoxe à l’union, dans la deuxième moitié du
34
DUB, n° 174, p. 269. On trouve des formules analogues : DUB, n° 171, p.
265-266; DUB, n° 172, p. 267 ; DUB, n° 173, p. 268; DUB, n° 175, p. 271; DUB,
n° 176, p. 271-272; DUB, n° 178, p. 274, etc.
35 DUB, n° 193, p. 292
36 DUB, n° 181, p. 279.
37 DUB, n° 193, p. 292.
38 " ipsos praesentes, quam caeteros, a quibus missi sunt, absentes ad
communionem et unitatem Ecclesiae Catholicae admissimus " ( DUB, n° 182, p.
282 ) ; " Metropilitanum et Episcopos ruthenos, cum clero, et populo ad
commuinionem nostram, et unitatem Ecclesiae Catholicae recepimus " ( DUB,
n° 177, p. 273 ) etc.
39 Dans la charte de convocation du Synode de Brest Sigismond III donne une
fausse interprétation des résultats de l’ambassade à Rome ( " Skad nic nowego,
i zbawieniu waszemu przeciwnego, a na konec od ceremonii waszych
cerkiewnych zwyklych nic roznego uprzejmosciom i wiernosciom waszym nie
przynosza. Ale wedlug dawnej nauki Ojcow swietych greckich, ktorych imiona
uprzejmosci i wiernosci wasze wielbicie i dni swiecicie i wszystko wedlug
swietych Soborow apostolskich wyrokow wam cale zachowano " - DUB, n° 214,
pp. 310-311 ).
11
XVIIe siècle, la papauté et plus encore le clergé catholique de Pologne ont procédé
à l‘uniformisation des rites de deux Églises, catholique et uniate.
De ce qui vient d’être présenté, il apparaît clairement que les évêques
orthodoxes d’une part et les théologiens occidentaux de l’autre considéraient l'Union
dans des perspectives très différentes. Nous disposons de nombreux autres
documents qui en témoignent à l'époque de l'Union de Brest -de différences, pas
tant entre les modèles nationaux, qu’entre les modèles confessionnels des
mentalités chrétiennes. Et l’on peut risquer la thèse que cette différence dans la
façon de comprendre les rapports entre le national et l’universel dans le
christianisme fut l’une des causes des conflits religieux en Ruthénie au XVIIe siècle.
Les conflits politico-religieux en 1596-1620.
La proclamation de l'Union à Brest en 1596 eut lieu, comme l'on sait, en des
circonstances très tendues, sous la surveillance renforcée de l'administration
polonaise. En même temps que le concile, favorable à l'Union, était convoqué à
Brest, se tenait un autre concile, représentant l'Eglise orthodoxe, qui, après des
tentatives de rencontre avec les partisans de l'Union, lors d'une assemblée
générale, avec discussion ouverte, lança l'anathème contre les "dissidents”.
Au cours des deux premières décennies du XVIIème siècle la lutte autour de
l'Union ne s'arrêta ni ne s'affaiblit. L'un des hauts -lieux d'affrontement des Uniates
et des Orthodoxes fut Vilna. Des conflits aigus éclatËrent également à Kiev40.
Lors de la Diète de 1601 les protestants et les orthodoxes intervinrent
ensemble, réclamant l'adoption d'une
décision (constitution) de la Diète qui
garantirait les mêmes droits aux catholiques et aux non-catholiques. La chambre
basse du parlement accéda en partie à cette demande, mais le roi et le sénat
refusèrent de prendre pareille décision et confirmèrent que seule l'église uniate était
légalement reconnue dans la Rzeczpospolita41.
Lors de la tenue de la Diète de 1603 les confréries de Wilno présentèrent leurs
doléances, parallèlement un groupe de deputÈs se présenta à eux, réclamant la
restitution au clergé orthodoxe de ses droits et de ses biens. Ces exigences furent
très mal reçues par les évèques catholiques et par certains sénateurs laïques. Un
40
MAKARIJ (BULGAKOV), Istorija Russkoj cerkvi,. t. IX, kniga IV, Istorija Zapadnorusskoj ili
Litovskoj mitropolii, kniga 6, Period samostojatel’nosti Russkoj cerkvi (1589 1881).Patriarshestvo v Rossii ( 1589 -1720), otd. 1. Moskva, 1996, pp. 180 ss.
41
P. N. ZHUKOVITCH, Sejmovaia borba pravoslavnogo zapadnorusskogo dvorjanstva s
cerkovnoj uniev (do 1609 g.), Sankt-Peterburg, 1901, pp. 400-405. K. CHODYNICKI, op.
cit., pp. 376-377.
12
conflit aigu se prolongea pendant plusieurs jours autour de ces revendications 42.
Mais c'est justement en 1603 que le pouvoir royal fit les premières concessions à la
noblesse orthodoxe. D’autre part l'action des délégués orthodoxes à la tête desquels
se trouvait le voïvode de Volynie, Alexandre Ostrozski, provoqua les plus grandes
craintes chez le nonce Rangoni et chez la papauté43.
Le schisme dans la société ukraïno-biélorusse continuait à s'élargir. D'un
côté, en 1603, près de 50 nobles orthodoxes réunis à Lublin, à la tête desquels se
trouvait Fédor Skumin-Tyszkewicz, signèrent un appel au roi et au Sénat pour
soutenir l'Union et le nouveau calendrier. En cette même année 1603 Ipatij Potej,
métropolite de l’Eglise uniate écrit à Lev Sapeha du refus de l'Union par la noblesse
de Volynie. La noblesse orthodoxe à la diètine de Slonim intervint aussi contre
l'Union44.
Lors des Diètes de 1605 et 1606, orthodoxes et protestants (parmi lesquels
aussi les antitrinitaires) agirent ensemble. Lors de nombreuses diétines (comprenant
même des assemblées hors Ukraine et Biélorussie), à l'initiative des protestants, on
adopta des propositions demandant de garantir les droits des orthodoxes. A la Diète
fut présenté un projet d'une constitution spéciale pour "la religion grecque".
Caractéristique est le fait que malgré les énormes efforts d'Ipatij Potej seul un
représentant de la Diète s’est mis а défendre l'Union (Ossolinski). Néanmoins, à
cause du conflit aigu entre le roi et la noblesse, la Diète n’a pas abouti et les
delegués partirent sans avoir pris aucune décision définitive.
En 1606 s'est en fait posé le problème de la cassation de l'Union de Brest. Ce
sont les protestants qui jouèrent le rôle le plus important dans les débats de la Diète
sur la "religion grecque". Le nonce Rangoni fut obligé de convoquer une réunion
secrète des évêques catholiques en invitant également Ipatij Potej. Ce dernier écrivit
un peu plus tard au pape, que jamais l'Union ne fut soumise à des attaques aussi
dangereuses de la part des “schismatiques et hérétiques”. Mais comme aux
sessions précédentes, on ne prit pas de décisions lors de cette session de la Diète
42
Voir: B. JANISZEWSKA-MINCER, Rzeczpospolita Polska w latach 1600-1603 (narastanie
konfliktu miedzy Zygmuntem III Waza a stanami), Bydgoszcz, 1984, pp. 114-115
43
P.N. PLOKHIJ, Papstvo i Ukraina. Politika Rimskoj kurii na ukrainskikh zemljakh v XVI –
XVII vv., Kiev, 1989, pp. 85-87.
44
K. CHODYNICKI, op. cit., p. 377.
13
en 1606. C'est ainsi que le statut juridique des orthodoxes et des uniates après
1606-1607 ne connut pas de changement sensible45.
L'action des orthodoxes fut en définitive couronnée de succès. Lors de la Diète
de 1607 et sous l'effet d'une crise politique aigue le roi signa un décret qui entérinait
les
droits existant antérieurement de l'église orthodoxe . Il est évident que
l'acceptation de la constitution de la Diète et du décret du roi de 1607 sur les
questions de la "religion grecque" est liée à la lutte politique des années
de la “revolte (rokosz) de Zebrzydowski”46. Les multiples exigences en faveur de la
défense
des droits de l'orthodoxie qui allaient à l'encontre de l'Union de Brest
(jusqu'à
affirmer son illégalité) furent débattues aux congrès de l'opposition (à
Lublin comme à Sandomierz) ainsi qu'au congrès des partisans de Siguismond III à
Wislica. Les décisions de la Diète de 1607 excluaient, néanmoins, l'idée d'une
cassation de l'Union en tant que telle47.
A la veille de la Diète de 1609 une partie de la noblesse de Volynie demanda
aux députés de soutenir métroplite uniate Potej48, ce qui montre le renforcement de
la position de l'Union en Volynie49. Lors de la Diète de 1609 il fut décidé de surseoir
jusqu'à la prochaine tenue de la Diète à la question du statut des orthodoxes, en
raison d'une trop grande quantité de questions à traiter. Néanmoins la constitution
de 1609 reconnait déjà aux orthodoxes le droit d’exercer “en traquillité et liberté”
leurs fonctions dans l’Eglise et de bénéficier des propriétés d’Eglise.
A partir de 1610 les cosaques en tant que force plus ou moins autonome vont
devenir partie prenante de ce conflit. Leur "Protestation" en 1610 a été considérée
par M.S. Grusevskij comme une première "déclaration" d'entière solidarité des
cosaques avec le clergé orthodoxe dans sa lutte contre l'Union50.
45
K. CHODYNICKI, op. cit., pp. 378-388; P. N. ZHUKOVITCH, Sejmovaja borba... (do
1609 g.), pp. 471-486.
46
Voir: J. MACISZEWSKI, Wojna domowa w Polsce (1606-1609), cz.1, Od Stezycy do
Janowca, Warszawa, 1960
47
K. CHODYNICKI, op. cit., pp. 388-394.
48
P. N. ZHUKOVITCH, Sejmovaja bor’ba... (do 1609 g.), p. 568.
49
Voir aussi: M.V. DOVBISCENKO, « La proclamation de l’Union et les controverses
religieuses en Volhynie (fin du XVIe – première moitié du XVIIe siècle) : mythes et réalités »
dans XVIIème siècle, 2003, N 3, (Juillet-Septembre 2003, 55ème année), numéro spécial:
La frontière entre les chrétientés grecque et latine au XVIIème siècle. De la Lithuanie à
l’Ukraine subcarpathique, pp. 467-500.
50
M.S. GRUSHEVSKIJ, Istorija Ukrainy-Rusi, t. VII, p. 399.
14
A la Diète de 1611 et 1613, les orthodoxes entreprirent des tentatives
successives pour rétablir intégralement leurs droits51. En 1615 ils intervinrent pour
la dernière fois ensemble avec les protestants52. Parallèlement, de 1616 à 1618, les
protestations contre l'Union continuèrent au sein d'une partie de la noblesse de
Volynie même si l'autre partie continua à se rapprocher de l'Union53.
Les cosaques et retablissement de l’hiérarchie orthodoxe en 1620-1621.
Dans la lutte politico-religieuse de la Rzeczpospolita un changement radical eu
lieu en 1620. Grâce à l'action cumulée du patriarche de Jérusalem Théophane, du
clergé ukraïno-biélorusse et des cosaques, on rétablit une hiérarchie orthodoxe. Les
cosaques ayant joué un rôle décisif dans la guerre très dure contre les Turcs, ils
devinrent une force politique de poids et un appui puissant de mouvement antiuniate.
Arrivé de Russie au printemps 162054, le patriarche de Jérusalem Théophane
fut au début très prudent dans ses rapports avec les Orthodoxes. Reste obscur si le
rétablissement de la hiérarchie orthodoxe faisait partie des projets du patriarche
Théophane, ou bien si cette décision fut prise sous la pression des cosaques, du
clergé orthodoxe ukrainien et biélorusse et la population orthodoxe en général. Les
sources concernant ces évènements ne furent constituées qu'un peu plus tard, en
des circonstances différentes55.
Le 15 aoùt 1620 eu lieu en fait à Kiev un concile des orthodoxes, même si ce
statut de concile n'est pas clairement dit. Au début du mois d'octobre 1620 les
orthodoxes allèrent plus loin. Le patriarche Théophane rétablit la hiérarchie
orthodoxe dans la Rzeczpospolita.
51
P. N. ZHUKOVITCH, Sejmovaia borba pravoslavnogo zapadnorusskogo dvorjanstva s
cerkovnoj uniej (s 1609 g.), vyp. 1, Sankt-Peterburg, 1903, pp. 1-5.
52
P. N. ZHUKOVITCH, Sejmovaia borba ... (s 1609 g.), vyp. 2, Sankt-Peterburg, 1903,
pp.16-19.
53
K. CHODYNICKI, op. cit., p. 404.
54
B.L. FONKITCH, « Ierusalimski patriarkh Feofan i Rossija », dans Ierusalim v russkoj
kulture, Moskva, 1991, pp. 212-218.
55
“Verificatia niewinnosci” de l’évèque orthodoxe M. Smotrickij ([Smotryc’kyj M.] Collected
Works of Meletij Smotryc’kyj, with an Introduction by D. A. FRICK, vol. 1 [= Harvard Library
of Early Ukrainian Luterature. Texts, vol. I]), Harvard, 1987) et “Protestation” du métropolite
de Kiev I. Boreckij (P. N. ZHUKOVITCH, “Protestacija mitropolita Iova Boreckogo i drugikh
zapadnorusskikh ierarkhov, sostavlennaja 28 aprelja 1621 g.”, dans Stat’i po
slavjanovedeniju, vyp. 3, Sankt-Peterburg, 1910, pp. 138-153)
15
Dans la période comprise entre le 13-15 aoùt et le début du mois d'octobre
1620, au moment où furent établi les premier hiérarques orthodoxes, la situation
militaire et politique de la Rzeczpospolita changea brusquement, parce que l'armée
polonaise subit une lourde défaite à Cecora. Il est difficile de savoir s'il existe un lien
entre le rétablissement de la hiérarchie orthodoxe dans la Rzeczpospolita et cette
défaite. On sait que le représentant du roi Poczanowski accompagna le patriarche
Théophane (retournant à Constantinople) jusqu'à Bela Cerkov’ . Là le patriarche fur
remis sous la protection du colonel cosaque Bogdan Kuzim. Le patriarche quant à
lui , au lieu de retourner à Constantinople revint à Kiev 56. Il existe une lettre nonpubliée du sous-voïevode de Kiev F. Jelc à T. Zamoyski du 20 novembre 1620 qui,
aux dires de J. Pietrzak, “montre sous un jour nouveau le problème de la
consecration des Èvêques orthodoxes”. Conformément aux données de F. Jelc,
Théophane resta en fait parce qu'il avait appris la défaite de l'armée polonaise à
Cecora; il consacra Iov Boreckij et des évêques, ceci sous la pression de hetman
Sahaydaczny. On décida de rendre cela public après la fin de la Diète suivante 57.
Furent élevés à la dignité d'évêques Isaja Kopinskij et Iov Boreckij qui
devint
métropolite; M. Smotrickij fut consacré archevêque . Au début du mois de février
Théophane éleva à la dignité d'évêque Paisij Ippolitovic.
Quelle fut la réaction de la Diète polonaise et de la cour à ce rétablissement
secret de la hiérarchie orthodoxe?
A la Diète de 1620, Lavrentij Drevinskij fit un discours retentissant pour
défendre l'orthodoxie. L'intervention de Drevinskij fut soutenue par les autres
députés des régions orthodoxes de la Rzeczpospolita. Des demandes analogues
furent présentées par la confrérie de Wilno. Les demandes des orthodoxes furent
soutenues par les protestants. Néanmoins le roi ne céda pas. Conformément au
témoignage postérieur de l'évêque catholique Kojalowicz, il se serait exclamé: "Je
renoncerai plutôt à la couronne plutôt que d'accepter un tel dommage pour l'église et
l'Union "58.
Dans son décret du 1er février 1621, le roi déclare illégal la consécration de I.
Boreckij comme métropolite, de même que celle de
M. Smotrickij comme
56
M.S. GRUSHEVSKIJ, Istorija Ukrainy-Rus, t. 7, p. 436
J. PIETRZAK, Po Cecorze i podczas wojny Chocimskiej. Sejmy z lat 1620 i 1621.
Wroclaw, 1983, pp. 119-120.
58
K. CHODYNICKI, op. cit., p. 433.
57
16
archevêque. Quant au patriarche Théophane, il fut qualifié de traitre et d'espion à la
solde des Turcs59.
Les orthodoxes ignorèrent ces décrets. Le 10 mars 1621 après avoir reçu
l'ordre du roi de partir en campagne contre les Turcs, une délégation cosaque à la
tête de laquelle se trouvait Mark Zmajlo se rendit auprès du roi. Dans son adresse
au roi, qui contenait la mention des mérites des cosaques dans la lutte contre la
Turquie, les Cosaques demandËrent de rétablir les droits de l'église orthodoxe 60.
En mai 1621, le clergé orthodoxe et les cosaques entreprirent une série
d'actions pour le rétablissement des droits de l'église orthodoxe aussi que la lutte
contre l'Union, dont le métropolite Iov Boreckij parlait dans sa lettre du 8 mai à
Krzysztof Radziwill61. En même temps le métropolite Iob Borecki
écrivit une
"Protestation". La "Protestation" fut remise au roi par hetman Sagajdacnyj et
Kurcevic en juillet 162162.
Le 15 juin 1621 eu lieu à Sukhaja Dubrava un rassemblement des cosaques
et du clergé orthodoxe. L'envoyé du roi Obalkowski sut convaincre l'évêque Iosif
Kurcevic et le métropolite Iov Boreckij de ne pas pousser les cosaques à se
soulever , mais les encouragea à se battre contre les Turcs. Les cosaques
écoutèrent Obalkowski et se déclarèrent prêts à faire la guerre contre les Turcs.
Mais, d'un autre côté, ils jurèrent qu'ils défendraient jusqu'à la mort leur "ancienne
foi".
La délégation cosaque à la tête de laquelle se trouvait Piotr Sagajdacnyj et
Iosif Kurcevic arriva le 20 juillet à Varsovie et fut très aimablement reçue par
Sigismond III qui essayait, d'un côté, de s'assurer le soutien des cosaques dans la
guerre contre la Turquie, et de l'autre, de faire
traîner le plus possible la prise de
mesures concrètes concernant la question religieuse. Il arriva à ses fins. Aux dires
des témoins, Sagajdacnyj partit satisfait. Le roi retint les décrêts contre les évêques
59
Arkheografitcheskij sbornik dokumentov, otnosjachtchikhsja k istorii Severo-Zapadnoj
Rusi, vol. 1, Vilno, 1867, numeros 138-141.
60
Ju. MYTSYK, “Iz listuvannja ukrainskikh pis’mennikiv-polemisti 1621-1624 rokiv”, dans
Zapiski Naukovogo tovaristva imeni T. Shevtchenka, v. CCXX., praci istoritchno-filosofs’koj
sekci,. L’viv, 1993, pp. 312, 346. Cf.: K. CHODYNICKI, op. cit., pp. 434-435; J. PIETRZAK,
op. cit., p. 120. L’instruction donnée aux Cosaques fut publiée: N.P. KOVAL ‘SKIJ, Ju.A.
MYTSYK, Analiz arkhivnykh istotchnikov po istorii Ukrainy XVI-XVII vv., Dnepropetrovsk,
1984, pp. 73-74.
61
Ju. MYTSYK, “Iz listuvannja ukrainskikh pis’mennikiv-polemisti », prilozenija, N 1, pp. 316317.
62
P. N. ZHUKOVITCH, Sejmovaia borba ... (s 1609 g.), vyp. 5, pp. 93-195.
17
orthodoxes et promit qu'à la fin de la guerre contre les Turcs il ferait un effort pour
que les exigences des cosaques soient satisfaites63.
C'est à partir de là que les cosaques se mirent à intervenir, main dans la main,
avec la noblesse dans la lutte politique contre l'Union.
Les conflits politico-religieux en 1623-1632.
Pendant la Diète de 1623, fut une fois de plus posé le problème des droits et
de la position de l'église orthodoxe. La Diète forma une commission composée de 5
sénateurs et 9 députés de la Chambre basse, afin d'examiner le problème de l'église
orthodoxe. La direction de la commission fut confiée au primat L.Gebicki. Cette
commission proposa un projet d'organisation d'un concile commun entre uniates et
orthodoxes afin qu'ils se mettent d'accord.
Parmi les hommes politiques polonais apparurent des partisans favorables à
des concessions aux orthodoxes. Le plus remarqué fut le chancelier Lev Sapeha. Le
staroste de Pinsk, J. Zbarazski, proposa de rendre aux orthodoxes l'église que les
uniates s'étaient appropriés à Pinsk64.
Mais le conflit engendré par l'Union était devenu à cette époque trop aigü pour
qu'il fut possible de le résoudre par quelques concessions. La violence déferla en
vagues des deux côtés. A Kiev furent arrétés et tués un prêtre (Iuzefowicz) et le vojt
Khodyka qui soutenaient l'union65. Conformément à l'interprétation de ces
évènements donnée par P.N. Zukovic et basée sur de nouvelles sources, ni le
métropolite Borecki, ni le hetman zaporogue, ni les chefs des cosaques ne furent les
initiateurs de ces incidents à Kiev. Ceux-ci n'étaient que des réactions spontanées
des cosaques de la base66.
Plus connu est le soulèvement religieux à Vitebsk en novembre 1623 contre
archevкque uniate Jozafat Kuncewicz. Kuncewicz fut massacré et son corps trainé
dans les rues avant d'être jeté dans la rivière. La réponse du gouvernement fut une
sanglante répression et la perte pour la ville des libertés urbaines (la législation dite
de Magdebourg).
63
J. PIETRZAK, op. cit., p. 122.
K. CHODYNICKI, op. cit., pp. 472-475, note 4.
65
Pour les details voir: P. N. ZHUKOVITCH, Sejmovaia borba pravoslavnogo... (s 1609 g.),
vyp. 4, pp. 144-150.
66
P. N. ZHUKOVITCH, Sejmovaja borba pravoslavnogo... (s 1609 g.), vyp. 4, p 150; M.S.
GRUSHEVSKIJ, Istorija Ukrainy-Rusi, t. 7, pp. 530-531.
64
18
Des évènements importants eurent lieu à la Diète de 162567. Comme l'écrit
P.N. Zukovic, une année avant la Diète, la hiérarchie uniate fut saisie d'un
“bouillonnement religieux", amenant une série de nouveaux conflits avec les
orthodoxes, en particulier à Wilno. De leur côté, les cosaques entreprirent des
actions independantes contre l'Union. Le métropolite Boreckij n'avait aucun rapport
avec les instructions données aux députés cosaques. En fait le métropolite et les
cosaques agissaient, au départ, chacun séparément. Dans sa réponse à la
dérogation concernant "la religion grecque" le roi se référait au fait qu'en 1623 le
métropolite Boreckij et M. Smotrickij avaient quitté la Diète, après qu'on eut proposé
aux orthodoxes un rassemblement de réconciliation avec les uniates. La
responsabilité de la situation irrégulière de l'église orthodoxes était rejetée sur les
orthodoxes. Vers la fin de la session de la diète, le roi rencontra la députation
cosaque, mais nous ne savons pas de quoi il fut question68.
A partir du moment où les cosaques apparurent comme le principal appui du
rétablissement de la hiérarchie orthodoxe et où ils jouèrent un rôle décisif dans la
lutte contre la Turquie, le gouvernement vit clairement que le problème de l'Union et
celui des cosaques étaient étroitement liés. Cela apparait dans les instructions
royales de l'été 1625 aux commissaires (en tête desquels St. Koniecpolski). Il lui fut
ordonné de mettre sous contrôle les cosaques. On demanda aux commissaires
d'arriver à ce que les cosaques “cessassent de soutenir des gens intrigant avec des
étrangers, des étrangers qui usurpaient le titre de évкque contre la volonté du roi”.
Le 25 octobre, Koniecpolski commença des négociations avec l'hetman cosaque
Zmajlo. Il lui présenta les exigences
découlant des
instructions du roi leur
enjoignant de punir les coupables de l'assassinat de Khodyka à Kiev. Les cosaques
répondirent que toutes les explications indispensables à propos de Théophane et
des nouveaux dignitaires avaient déjà été données au roi, que les gens de
différentes positions sociales avaient depuis toujours la liberté de passer de l'une à
l'autre et que dans de nombreux endroits la religion orthodoxe était persécutée.
Dans les instructions spéciales remises par leurs députés, les cosaques répétèrent
leur demande traditionnelle "de respect de l'ancienne religion grecque" 69.
67
La question fut traitée en large par P. N. Zukovic (P. N. ZHUKOVITCH, Sejmovaja borba
pravoslavnogo... (s 1609 g.), vyp. 4, p.137-173).
68
M.S. GRUSHEVSKIJ, Istorija Ukrainy-Rusi, t. 7, p. 532
69
K. CHODYNICKI, op. cit., p. 460
19
Koniecpolski interrompit les pourparlers, une bataille eut lieu où les cosaques furent
battus, à la suite de quoi fut signée l'accord de KurukÛw.
En ce qui concerne les questions politico-religieuses, l'accord de KurukÛw
impliquait un compromis tacite, en même temps qu' une disposition pleine de bonne
volonté pour en rester au statu quo. Le gouvernement refusa de prendre en compte
les accusations portées contre les cosaques. Ceux-ci retirèrent leurs revendications
concernant "la religion grecque"70
Les conséquences de l'accord de Kurukуw furent que les cosaques, auxquels
avait été porté un coup non négligeable, ne se mêlerent plus pendant plusieurs
années aux luttes politico-religieuses. En ce qui concerne la noblesse, d'après les
observations competentes de P.N. Zukovic, l'énergie dans le combat contre l'union
s'affaiblit pendant la deuxième partie des années 20 du 17ème siècle, même si
pendant les sessions ordinaires de la diète,
toujours à faire inscrire à l'ordre du jour
les députés orthodoxes arrivaient
la question "du respect de la religion
orthodoxe".
Vers les années 1630 se formèrent deux groupes parmi le clergé, la
noblesse, les citadins et les cosaques. Les uns, avec à leur tête le métropolite
I.Kopinskij, étaient de l'avis qu'il fallait arriver à l'entière liquidation de l'Union, en ne
reculant pas devant des affrontements armés. En cas d'insuccès, il fallait s'adresser
au tsar russe et lui demander d'accepter que les orthodoxes ukraïno-biélorusse
deviennent ses sujets. D'autres, à la tête desquels se trouvait P. Mogila, soutenu par
les confréries de Wilno et de Lwow, considéraient qu'ils devaient se battre pour les
droits des orthodoxes de façon pacifique et obtenir un compromis avec les uniates.
Les deux groupes commencèrent par essayer d'attirer les cosaques dans leur camp,
car c'est de ces derniers que dépendait le parti que prendraient les masses.
La situation dans le milieu cosaque était très tendue. Les tenants de Kopinskij
poussaient les cosaques а un affrontement armé contre l'Union. Les chefs des
cosaques arrivËrent néanmoins à les retenir et à les convaincre de ne pas se
soulever immédiatement. A Priluki et Rozawa les assemblées des cosaques
décidèrent de s'adresser à la Diète en lui demandant d'élaborer les conditions de la
protection ”religion grècque". Ce n'est en cas d'échec seulement de cette initiative
qu'on irait vers un conflit ouvert. Le hetman Ivan Petrazickij mit les régiments en
70
P. N. ZHUKOVITCH, Sejmovaja borba pravoslavnogo... (s 1609 g.), vyp. 5, pp. 80-86
passim.
20
ligne, les plaçant ainsi hors de portée de la propagande. D'un autre côté les
cosaques manifestaient leur animosité contre l'Union, envoyant à la diétine et aux
sénateurs des menaces d'interventions armées, ce qui donnait aux partisans de
Mogila des arguments de poids en faveur des concessions71.
La mort de Sigismond III en 1632 ouvrit une période de vacance du trône et
permit aux orthodoxes d'avancer encore plus dans leur lutte contre l'Union.
Les conflits politico-religieux en 1632-1634.
Avant la Diète du mois de juin, eurent lieu une série de diétines au cours
desquelles les nobles orthodoxes s'affirmèrent énergiquement en faveur de la
défense des droits de l'orthodoxie. La diétine de Volynie à Luck (malgré la présence
de nombreux et influents députés catholiques), réclama en séance plénière une
amélioration du statut de l'église orthodoxe. Si une telle décision n'était pas prise,
les députés de la voïevodine de Volynie boycotteraient l' élection du nouveau roi.
Des 6 députés de Volynie élus par la diétine, un seul était vraiment catholique. Le
nonce du pape O. Visconti ressentit la décision de la diétine de Luck comme une
douloureuse défaite des uniates et des catholiques.
La diétine de la voïevodie de Kiev considérait, elle aussi, “le respect de la
religion grecque" comme la condition sine qua non de sa participation à la Diète.
Des décisions identiques furent prises par la noblesse de la voïevodie de Braclaw
ainsi que dans certains territoires de Biélorussie. Les orthodoxes étaient majoritaires
parmi les députés élus dans les territoires ukrainiens.
K. Radziwill, leader des protestants essaya, de son côté, essaya de renforcer
son alliance avec les orthodoxes. Il envoya en Ukraine en mai 1632, G. Kunicki qui,
au nom de Radziwill, assura la noblesse, le clergé et les cosaques orthodoxes du
soutien de la part des protestants. En échange, il leur demanda le même soutien
pour les protestants. Le conseil (rada) des cosaques à Rozawa et la diétine de la
voïevodine de Kiev à Zytomir promirent à Kunicki leur soutien dans sa cause 72.
71
J. DZIEGIELEWSKI, O tolerancje dla zdominowanych. Polityka wyznaniowa
Rzeczypospolitej w latach panowania Wladyslawa IV, Warszawa, 1986, pp. 18-20.
72
Arkheografitcheskij sbornik dokumentov, otnosjachtchikhsja k istorii Severo-Zapadnoj
Rusi, vol. 7, Vilno, 1870, pp. С. 300-301; Dziegielewski J. O tolerancje dla zdominowanych.
S. 16.
21
Cependants à la Diète même, les catholiques arrivèrent à séparer les protestants
des orthodoxes73.
En fin de compte sur l'initiative de K.Radziwill il fut décidé de fixer par un écrit
officiel les différents qui avaient surgi afin de pouvoir y revenir pendant la Diète
électorale. Les représentants cosaques étaient assurés que la commission à la tête
de laquelle se trouvait le roi ait déjà élaboré une décision qui leur donnerait entière
satisfaction.
La réaction des cosaques à la décision de la Diète fut plus que vive. Pendant la
rada des cosaques du 25 aoùt 1632, ils élirent un nouveau hetman (Andrej
Gavrilovic Didenko). Ivan Petrazicki et les députés qui représentaient les cosaques
à la diète furent assassinés. Isaja Kopinskij et ses moines qui assistaient à la
séance plénière de la rada appelèrent à la lutte armée pour la foi. Il fut néanmoins
décidé de se limiter à l'envoi d'une délégation cosaque à la diète pour revendiquer
les anciens droits de l'église orthodoxe74.
Entre le 27 juillet et le 20 septembre 1632, c'est à dire avant la Diète électorale,
se tinrent des diétines préélectorales. La noblesse des voïevodies russe
(wojewodstwo Ruskie) et volynienne déclara qu'elle se présenterait à la Diète en
armes (pospolitym ruszeniem)
pour sauvegarder les droits de l'orthodoxie. A la
diétine de Luck, il fut décidé que la décision provisoire de la Diète de convocation ne
devait en aucun cas être considérée comme une base définitive pour la constitution
de la Diète électorale. D'un autre côté la noblesse de la région de Slonim exigea que
l'on défendï les droits des uniates, tandis que la noblesse de Polock insistait sur la
garantie des droits tant des uniates que des orthodoxes75.
En fin de compte "Les articles de satisfaction de la religion grecque" furent
élaborés.
De l'avis de nombreux historiens, c'est un théologien catholique d'orientation
irénique, Valérian Magni76, qui joua un rôle décisif dans l'élaboration des "articles". Il
avait été invité personnellement en Pologne par le roi Ladislas IV et avait été un des
73
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 28-29.
M.S. GRUSHEVSKIJ, Istorija Ukrainy-Rusi, t. 8, tchast’ 1, pp. 151-158 ; Arkhiv YugoZapadnoï Rossii. ,tchast’ 3, t. 1, pp. 338-342.
75
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 42-43
76
Sur V. Magni voir: G. CYGAN, Valerianus Magni (1586-1661), Romae, 1989; A. JOBERT,
De Luther а Mohila. La Pologne dans la crise de la Chrétienté, 1517-1648, Paris, 1974, pp.
377-379, 384-387, 395-400.
74
22
quatre théologiens auxquels le roi s'était adressé afin de le conseiller 77. Les
arguments de Magni en faveur des “articles” de reconciliation sont basés plus sur
des arguments pragmatiques et politiques que sur des considérations théologiques,
comme on le voit dans sa lettre au cardinal Barberini du 26 février 163378. La
signature des articles par le roi, le 1er novembre 1632 eut lieu au moment où la
Russie lanзa une offensive vers Smolensk. Le gouvernement de la Rzeczpospolita
avait un urgent besoin des cosaques pour se battre contre l’armée russe. C'est sous
la pression de ces circonstances que les évêques catholiques arretèrent leurs
menées contre les articles et que ceux-ci furent signés par le roi. Il fut néanmoins
précisé que les "articles" n'acquéraient pas un caractère de fait juridique tant qu'ils
ne seraient pas approuvés par le pape79.
Signés par le roi et copiés dans les livres de la ville de Varsovie, ils
ne
constituaient pourtant pas encore des actes juridiques gouvernementaux. Celà
restait une déclaration d'intention du roi et la confirmation de sa promesse. Les
milieux catholiques et particulièrement le nonce Visconti firent un énorme effort pour
empêcher que ces "articles" deviennent des lois. Catholiques et uniates souscrirent
une série de protestations contre les "articles". On constitua à Rome une
commission spéciale pour étudier la situation qui était ainsi apparue. La commission
élabora une série de mesures pour arriver à annuler les concessions en faveur de
l'église orthodoxe. Le pape Urbain VIII dans une missive spéciale à Ladislas IV du
1er janvier 1633 appela le roi à soutenir et défendre les uniates80.
En décembre 1632 se tinrent des diétines de pré-couronnement au cours
desquelles la noblesse orthodoxe soutint à nouveau activement sa revendication en
faveur du rétablissement des droits de l'église orthodoxe et réaffirma son refus des
protestations contre les "articles"81.
La correspondance du roi, du clergé catholique et de Valérian Magni avec
Rome, après la Diète du couronnement de 1633, démontre que les décisions prises
par le côté polonais étaient considerées comme concessions obligées qui permirent
de sauver l'union. Ladislas écrivait à Rome que les concessions accordées à
77
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 52-54; A. JOBERT, op. cit., p. 377-382.
Voir E. F. SHMURLO, Rimskaja kurija na russkom pravoslavnom vostoke v 1609 -1654
gg., Praga, 1928, prilozhenija, № 59, pp. 99-100.
79
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 54-55
80
E. F. SHMURLO, op. cit.., pp. 91-92
81
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 63-64.
78
23
l'orthodoxie avaient été faites sous la contrainte et promit de s'occuper du
développement du catholicisme82. Valérian Magni dans deux lettres adressées à la
Congrégation de la Propagande de la foi ( du 21 mars de Cracovie et du 10 juin
1633 de Vienne) expliquait la nécéssité du compromis par les circonstances
politiques83.
Bien entendu, les gréco-catholiques faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour
défendre l'Union. Il faut souligner que dans leur opposition aux décrets du roi les
uniates s'appuyaient sur le fait que les "articles" n'avaient pas force de loi tant qu'ils
ne seraient pas confirmés par la diète suivante, et la décision de celle-ci dépendait
de la position de Rome concernant les droits de l'église orthodoxe.
A l'automne 1633 une importante délégation se rendit à Rome, à sa tête se
trouvait comme représentant de la couronne J. Ossolinski (qui sera chancelier lors
du soulèvement de Khmelnickij). Un des buts de la délégation était d'obtenir
l'approbation du pape concernant la politique relative aux orthodoxes. NÈanmoins la
commission créée à cette occasion, formée de 12 théologiens et hiérarques, non
seulement n'approuva pas les les “articles", mais recommanda aux catholiques et
uniates de n'accepter en aucun cas une solution basée sur un compromis. La seule
chose à laquelle parvint Ossolinski fut de retenir la Curie de publier sur le champ
son refus des "articles " de Ladislas84.
Les changements dans la politique religieuse du roi apparurent bientôt: le 2
janvier 1634 Ladislas confirma le décrêt de Sigismond III interdisant aux non
catholiques de Smolensk de construire des temples et de célébrer des offices chez
des particuliers85.
Les conflits politico-religieux en 1635-1648.
Les diétines tenues avant la Diète de 1635 n'ont pas été assez étudiées. Mais
on sait qu'à la diétine de Galicie et à Leczyca le soutien aux revendications de
82
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 78-79.
E. F. SHMURLO, op. cit.., p. 94.
84
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 80-82
85
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 83-84; B.N. FLORJA, “Prerogativa Sigizmunda III
smolenskoj shljakhte. K istorii religioznoj neterpimosti v Retchi Pospolitoj pervoj poloviny XVII
v. ” dans Slavjane i ikh sosedi, vyp. 7, Мoskva, 1999, pp.138-142
83
24
l'église orthodoxe fut réaffirmé. L'Union était défendue par la noblesse de Plock et
de Lomza86.
A la Diète de 1635 les députés orthodoxes déclarèrent d'emblée qu'ils
n'accepteraient pas la constitution de la Diète si leur revendications n'étaient pas
satisfaites. Le 14 février l'examen de la question de l'Union et de l'orthodoxie
commença par le rapport de J. Ossolinski sur sa mission à Rome. Il rendit compte
de la décision négative prise par la commission consacrée aux "articles"; il ajouta
que cette décision n'était pas une prise de position officielle de la part de Rome et
du pape. Mais que ce dernier n'avait pas non plus approuvé les "articles". La Diète
décida donc de constituer une commission spéciale pour élaborer une résolution
sur les droits de l'église orthodoxe. Le travail aboutit à une impasse à cause des
contradictions entre tenants de l'Union et ceux de l'orthodoxie. Le roi fut, une fois de
plus, obligé d'arbitrer. En définitive les catholiques acceptèrent la liberté de culte et
l'égalité des droits entre les églises uniates et orthodoxes. Plus compliqué fut le
problème du partage des biens d'église et des temples. En définitive les privilèges
accordés par Ladislas IV fixèrent ce qu'obtiendraient uniates et orthodoxes87. Le 17
mars les privilèges furent confirmés par la constitution de la Diète88. La résolution
finale de la querelle ne correspondait, comme nous le voyons, ni aux revendications
premières du camp orthodoxe, ni aux engagements pris au départ par le roi.
La consitution de la Diète de 1635 et les "articles" constituèrent une base
juridique pour le travail de la commission chargée de répartir les biens fonciers
entre uniates et orthodoxes. Le travail de cette commission eut pour résultat un
afflux des protestations des uniates contre le retour de leurs biens aux orthodoxes.
A la diète de 1637 au lieu de se calmer , la lutte recommença entre uniates et
orthodoxes. Les députés orthodoxes préparèrent un projet de constitution: "De la
religion grecque", mais la Diète se sépara, ne prenant, une fois de plus, aucune
décision sur l'église orthodoxe.
Peu de temps après la Diète, les relations entre orthodoxes et uniates se
tendirent encore plus. Le 13 mars l'évèque orthodoxe Gulewicz, créature de la
noblesse orthodoxe de Przemysl, lui et ses tenants furent condamnés à l'infamie par
le tribunal du roi. En mars, les uniates attaquèrent le cimetière orthodoxe de Wilno,
86
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., p. 87.
Arkhiv Jugo-Zapadnoj Rossii, tchast’ 1, t. VI, № ССLXXIX, pp. 691-694; № CCLXXX, pp.
694-696.
88
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 88-90
87
25
en avril, une procession religieuse à Ostrog, en mai, une autre à Kiev. Le tribunaux
prenaient les décisions d'une révision des conclusions de la commission royale à
propos du partage des biens entre orthodoxes et uniates et rendaient à ces derniers
les biens qui venaient d'être donnés aux orthodoxes. Le Tribunal royal ordonna aux
sujets orthodoxes d'Anna Chodkewicz-Ostrozska de devenir uniates.
Les orthodoxes essayèrent de prolonger la lutte à la Diète de 1638 qui se
préparait sous la pression du soulèvement cosaque de 1637. Le problème de
l'Union et de l'orthodoxie se posa de façon particulièrement aiguë aux diétines des
régions de l'est de la Rzeczpospolita. La noblesse de ces régions (et en partie aussi
celle des territoires proprement polonais) réclamait pour la énième fois "la
satisfaction de la religion grecque". Cette revendication dans les instructions de la
diétine de Luck prévoyait la transmission aux orthodoxes (dans le cas présent à
l'évêque Puzyna de Luck) de toutes les propriétés qui leur avaient été attribuées par
la commission royale. Elle demandait l'annulation des décisions contradictoires de
la Diète de 1635 et des mandats royaux. Enfin elle appelait à la liberté de culte
dans les villes. Comme le remarque J. Dziegielewski, la position des orthodoxes à la
Diète de 1638 se renforçait
parce que les magnats orthodoxes (en particulier
Cetvertinskij) et le métropolite Mogila avaient contribué à la répression du
soulèvement, alors que les partisans de du metropolite deposé précedent Isaja
Kopinskij avaient poussé les cosaques à lutter contre l'Union et contre la Pologne.
Néanmoins à l'ouverture de la Diète de 1638 (10 mars 1638) les cosaques avaient
déjà été écrasés et il semblait que l'Ukraine se calmerait pour longtemps.
A la Diète de 1638, les orthodoxes prirent leur distance par rapport aux
protestants, et refusèrent d'être obligés de débattre de la question de l'orthodoxie et
de l'Union. Ils acceptèrent de confier la solution de ce problème au roi, mais ces
concessions n'eurent aucun effet. Une fois de plus ils avaient cédé. Cela s'explique
en partie par l'espoir qu'ils avaient d'obtenir la convocation d'un concile orthodoxeuniate89.
Pendant la Diète de 1639 les orthodoxes une fois de plus essayèrent d'obtenir
une constitution qui leur garantirait leurs droits et qui correspondrait aux "articles" de
1635. Un projet en ce sens fut élaboré. Il prévoyait la restitution des églises aux
orthodoxes, occupées par les uniates malgré les décisions de la commission royale,
89
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 180-185.
26
l'annulation des jugements des tribunaux à propos des églises et de leurs bénéfices,
la suppression de la limitation des pratiques religieuses, enfin l'arrêt des procès en
cours entre uniates et orthodoxes. Ces procès seraient transmis au tribunal de la
Diète. Ce projet ne fut même pas l'objet de débats, car le temps entier fut consacré
à d'autres problèmes et la diète se termina sans qu'une quelconque decision sur
l’église orthodoxe ait été prise. De même on repoussa à la prochaine diète l'examen
des plaintes des orthodoxes de Polock auxquels on refusait l'accès aux fonctions
municipales90.
Le métropolite Pierre Mogila se présenta à la Diète de 1640. Sa venue était
apparement due au fait que les tentatives pour réaliser pleinement les décisions de
1635 restaient infructueuses. Au contraire, la situation des orthodoxes ne faisait
qu'empirer. Par exemple le voïevode de Kiev, Jan Tyszkewicz, condamna un
étudiant orthodox de l’Académie de Kiev à mort et le fit exécuter. A Krasnostaw,
sous la menace de la confiscation de leurs biens, les bourgeois de cette ville furent
obligés de devenir uniates91.
Les requêtes concernant la défense de l'orthodoxie faisaient partie de
nombreuses propositions des diétines en 1640. Effectivement, les orthodoxes
intervinrent très activement, multipliant les revendications, revenant à la charge,
pour que l'on s'occup‚t des affaires de l'église orthodoxe. Il était question en
particulier de l'annulation du jugement concernant l'évêque de Przemysl, Gulewicz,
et le retour aux orthodoxes des eglises de Lublin et Krasnostaw, ainsi que de 300
lieux de culte en campagne fermés par les uniates (cela dans le but d'empêcher les
orthodoxes de célébrer la messe). En réponse à ces revendications, on créa une
commission qui devait préparer un projet de constitution. Nous ne savons pas si un
tel projet fut préparé. La Diète ne sut qu'adopter une décision relative aux impôts,
toutes les autres questions furent reportées à la prochaine Diète92.
La revendication d'examiner enfin la question du rétablissement des droits de
l'église orthodoxe fut cette fois soutenue massivement par les diétines et pendant la
Diète. Pendant la DiËte les orthodoxes, à la tête desquels A. Kisiel se distingua par
un discours retentissant sur la discrimination à laquelle était soumise l'église
90
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 182.
S.T. GOLUBEV, Kievskij mitropolit Petr Mogila i ego spodvizhniki, vol. 2, Кiev, 1898,
prilozhenija, pp. 167-168
92
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp.189.
91
27
orthodoxe dans la Rzeczpospolita93, arrivèrent à obtenir la création d'une
commission, formée de députés et de sénateurs qui prépara un projet de
constitution sur la "religion grecque". Ce projet , néanmoins, ne donna satisfaction ni
aux orthodoxes, ni aux catholiques, ni aux uniates. Le roi convoqua un conseil
spécial de sénateurs pour étudier la situation ainsi créée. Les sénateurs acceptèrent
le retour aux orthodoxes de l'église à Lublin et le rétablissement des droits de
Gulewicz. Mais pour le reste, la constitution confirma les décisions de la Diète de
1635. Même plus, le conflit de l'evéché de Przemysl ne fut pas entièrement résolu,
le staroste de Lublin n'exécuta pas l'ordonnance de restitution aux orthodoxes de
leur l'église, enfin le roi lui-même confirma le privilège interdisant la construction
d'églises non catholiques à Smolensk. Le mécontentement des orthodoxes
s'exprima par la circulation d'un pamphlet qui accusait Gulewicz et Kisiel (et tous les
autres députés orthodoxes de la Diète) d'avoir trahi les intérêts de l'église orthodoxe.
Ce pamphlet appelait par ailleurs à continuer la lutte aux Diètes suivantes94.
La lutte se prolongea durant les années 1640. Même à la Diète extraordinaire
de 1642 qui par son statut ne devait pas examiner les questions mises en veilleuse,
les députés de Volynie essayèrent de mettre à l'ordre du jour le problème de l'église
orthodoxe. Mais malgré le fait que lors de cette Diète la noblesse de Volynie (la
seule dans la Rzeczpospolita ) avait fait le sacrifice de verser 218 mille zloty au roi
afin qu'il puisse payer ses dettes, Ladislas IV ne fit pas un pas en avant vers les
orthodoxes, sinon en ordonnant aux starostes de Lublin et de Boryslaw de leur
rendre leurs églises. Malgré cela, le nonce Filonardi accusait constamment le roi de
soutenir l'orthodoxie.
A la Diète de 1643 l'activité de l'opposition orthodoxe s'affaiblit de façon
notable, malgré la présence d'une délégation de cosaques. Les députés orthodoxes
essayèrent plusieurs fois d'introduire l'examen de la question de l'église orthodoxe,
ils n'y arrivèrent pas et en définitive on ne prit aucune nouvelle décision à ce sujet95.
En février-mars 1645 une Diète eut lieu où les députés de nombreuses
voïevodies arrivèrent avec des instructions de la noblesse locale leur intimant de
s'occuper des problèmes de l'église orthodoxe. Pendant la Diète on prépara un
93
F. SYSYN, Between Poland and the Ukraine. The Dilemma of Adam Kysil, 1600-1653,
Cambridge, 1985, pp. 101-102; S.T. GOLUBEV, Kievskij mitropolit Petr Mogila i ego
spodvizhniki, vol. 2, Кiev, 1898, prilozhenija, pp. 153-154
94
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 190-193.
95
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 193-195.
28
projet de constitution concernant l'église orthodoxe, mais la Diète arrêta ses travaux
sans avoir pris de décision sur aucun des problèmes. Cependant le roi lui-même
prit quelques décisions en faveur des orthodoxes. Il ordonna aux starostes
d'executer les décisions prises antérieurement concernant le partage des églises
entre uniates et orthodoxes et permit aux bourgeois de Drohiczyn de fonder une
confrérie, un hopital et une école. En 1646 on décida de rendre aux orthodoxes
l'église de Sokal prise en son temps par les uniates. De même on leur rendit, enfin,
leur église à Lublin.
A la veille et pendant la Diète de 1646 les orthodoxes essayèrent d'obtenir
d'autres concessions. On fit des efforts pour se préparer à la Diète. Pourtant, à la
Diète même, la question de "la satisfaction de la religion grecque" ne fut abordé que
dans les derniers jours de la session et en toute hâte. On forma une commission
pour l'élaboration d'une constitution ad hoc mais les résultats de son travail ne furent
pas examinés. En définitive les orthodoxes acceptèrent le report à la prochaine
session de ce problème96.
Ainsi nous voyons, grâce au matériel accumulé par les historiens, que dans la
première moitié du XVIIème siècle l'Union fut à l'origine de conflits longs et acharnés
et а la désintegration de la noblesse, du clergé et des citadins ukrainiens et
bielorusses. Ceci explique ce qui s'est passé ensuite - sur le plan aussi politique que
social.
Dans la lutte religieuse et sociale, provoquée par l'Union de Brest, une
nouvelle étape fut franchie en 1648 .
La crise ukrainienne du milieu du XVIIe siècle.
Il importe de souligner qu’au début la révolte des cosaques contre l’Etat
polonais se développait sous le slogan du loyalisme envers la monarchie. La
revandication principale était de retablir les privilèges des cosaques qui furent limités
en 1638.
Khmelnickij conclut une alliance avec les Tatars et remporta une série des
victoires sur les troupes des magnats polonais. Ses victoires incitèrent à l’insurrection
la population dans diverses régions de l’Ukraine et de la Biélorussie. Motto de cette
96
J. DZIEGIELEWSKI, op. cit., pp. 198-201.
29
nouvelle phase du mouvement - la lutte contre les Catholiques et les Uniates, le volet
religieux du conflit étant devenu très important, sinon crucial.
Après une marche militaire jusqu’à Lwów; les Cosaques en janvier 1649
retournent à Kiev où Khmelnickij est acclamé comme libérateur et sauveur de
l’Ukraine.
C’était le tournant décisive dans le développement de la guerre contre la
Pologne, parce ce que c’est à ce moment-ci que le programme de l’insurrection fut
profondement changé. Au début, en 1648 c’était la rebelion des cosaques de la Sitch
contre la noblesse, qui les avait privés de leur droits et privilèges. Il ne s’agissait pas
de créer un Etat independant et de remanier des rapports sociaux et politiques en
Ukraine.
En 1649 les Cosaques (ou plutot les élites de Kiev, qui étaient derrière!)
lancent une autre vision de l’avenir. Deux points sont cruciaux. Premièrement, libérer
l’ensemble du peuple ruthène, de la Rous’ - c’est à dire tout les orthodoxes de
l’Ukraine et de la Biélorussie - de la dominitation polonaise, qui s’égalait, aux yeux
des cosaques à la la domination catholique, - tout en créant un Etat independant.
Deuxièmement, assurer les droits de l’Eglise orthodoxe, supprimer l’Eglise uniate,
chasser les catholiques et agir en faveur de l’Orthodoxie, devenir ses défenseurs.
Il faut admettre, que le contenu precis de ce projet général et ambitieux restait
à l’époque encore très vague.
Cependant en 1649 la situation devint moins favorable aux Cosaques:
pendant la bataille de Zboriv le khan des Tatars, allié aux Cosaques, les a trahit, et
les leadeurs des insurgés étaient contraints à accepter un compromis: le nombre des
cosaques enregistrés devait être porté à 40.000; seulement trois voévodies leur
étaient cedées pour y créer une entité administrative autonome - de l’hetmanat de
Kiev, Cernigov et Braclaw; l’Eglise uniate devait être abolie; l’Eglise orthodoxe ne
serait plus discriminée; les postes administratifs en Ukraine devaient être réservés à
la seule noblesse orthodoxe, c’est dire ruthène.
L’instauration de l’hetmanat pratiquement independant n’était pas acceptable
pour la Pologne - l’accord de Zboriv n’étant qu’une concession tactique. Les Polonais
entamèrent une offensive contre les Cosaques.
La nouvelle campagne se termina par la débâcle des Cosaques à Beresteczko
en 1651. Un nouveau traité (à Bela Cerkov’) réduisit essentiellement l’autonomie et
les privilèges des cosaques.
30
Mais la guerre continua. Les cosaques se mirent à chercher un autre allié (à
remplacer les Tatars) et une solution politique. Ils l’ont trouvé en union avec la
Russie97.
Ici il faut souligner, que l’initiative de
l’union appartenait aux élites
ukrainiennes et biélorusses: aux écclesiastiques et aux cosaques. Les premiers
initiatives de rapprochement avec datent de la fin du XVIe siecle. Dans les années
1620 les delegations du clergé orthodoxe venaient à Moscou en proposant la
soumission des Cosaques au tsar, mais le gouvernement de Moscou était très
retiscent98. Pendant le soulevement le gouvernement russe hésitait longtemps avant
de signer l’accord avec les Cosaques. Ce n’est qu’1653 il accepte les suggestions
cosaques99.
Le caractère, la nature, les conditions de l’union avec la Russie - restent sujets
à debattre; les opinions des historiens sont partagées. De toute façon, à Moscou, on
se rendait bien compte de tous les risques à prendre. Les accords de 1654 n’avait,
en realité, qu’une importance assez limitée, parce que le sort de l’Ukraine fut décidé
dans les luttes posterieures.
Après la mort de Khmelnytskij en 1657, le nouvel hetman, Ivan Vygovskij et
les Cosaques ont essayé de conclure, à Gadjac un autre accord avec la Pologne,
qui suscite pas mal de contrverses100. Au cours des pourparlers la delegation
polonaise a fait des grandes consessions aux Cosaques: pratiquement on a negocié
le nouveau statut de l’Ukraine au sein de la Pologne-Lituanie. L’Ukraine (le Duché de
Rous’, Ksiestwo Ruskie) devait devenir la troisième composante de la Fédération égale à la Pologne et à la Lituanie.
Cependant le gouvernement de la Pologne et la Diète n’ont pas acceptés les
conditions de Gadjac, notamment refutant les clauses qui envisageaint l’abilition de
l’Eglise uniate et les garanties pour l’Eglise orthodoxe.
Voir: V. GOLOBUC’KIJ, Diplomaticeskaja istorija osvoboditel’noj vojny ukrainskogo
naroda, 1648-1654, Kiev : Haukova dumka, 1962.
98
Voir: V. T. PASHUTO, B.N. FLORJA, A.L. KHOROSHKEVITCH, Drevnerusskoe nasledie i
sud’by vostotchnogo slavjanstva, Moscou : Nauka, 1982, pp. 176-194;
M.S.
GRUSHEVSKIJ, Istorija Ukrainy-Rusi. T. 7. Kozac’ke tchasi – do roku 1625, Kiev-L’viv, 1909
(réédition: Kiev, 1995); M.S. GRUSHEVSKIJ, Istorija Ukrainy-Rusi. T. 8. Tchast’ 1. Vid
kurukivshtchiny do kumejshthciny (1626-1638,. Kiiv, 1922 (réédition: Kiiv, 1995).
99
Cf. par exemple: H.-J. TORKE, “The Unloved Alliance: Political Relations between
Muscovy and Ukraine in the Seventeenth Century”, dans: Ukraine and Russia in Their
Historical Encounter, ed. by P. POTICHNYJ et al., Edmonton: CIUS Press, 1992, pp. 39-66.
100
T. JAKOVLEVA, Get’manshtchina v drugij polovini 50-kh rokiv XVII stolittja. Pritchiny i
potchatok Ruini, Kiiv : Osnovi, 1998.
97
31
Après l’echec du projet de Gadjac, la Russie reassure son contrôle de
l’Ukraine. En 1659 les conditions de l’union de 1654 ont été reconsidérées,
l’autonomie des Cosaques était fortememt reduite. En 1663 un bureau central chargé
de gerer les affaires de l’Ukraine fut créé à Moscou - l’Office de la Petite Russie.
Suite à la trêve d’Andrusovo (1667) le Dniepr est devenu frontière entre la Pologne et
la Russie, Kiev a été cedé à la Russie.
Les guerres continuaient de ravager l’Ukraine, la Biélorussie, la Pologne. Les
campagnes militaires passaient vague par vague dans les années 1660-1670. Elles
amenèrent à un depeuplement horrible aussi qu’à la dégradation économique, dont
nous venons de citer quelque exemples. Petit à petit Pologne perdait sa position
d’une puissance de l’Est européen et, comme le stipule certains historiens, devenait
de plus en plus l’enjeu dans la politique internationale au lieu d’en être un des
acteurs101.
En somme, l’insurrection des cosaques constitue le tournant decisif dans le
passé de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Pologne.
Pourquoi le compromis n’était pas négocié bien qu’il ait été vitalement
indispensable pour la Pologne et, au bout de compte, rien, apparement, ne semble le
rendre inimaginable dans les années 1650-1660? Bien sûr, plusieures circonstances
doivent être prises en consideration - l’acharnement des luttes, le vain espoir de
pouvoir briser la resistance des cosaques, l’aveuglement de ce qu l’on peut designé
comme “sarmatisme politique”, l’entêtement de la noblesse envers la revolte de la
“canaille” (chlopstwo) etc. Et néanmoins, il serait très imprudent de marginaliser
l’importance des facteurs religieux dans l’aggravation des rapports entre Ruthènes et
Polonais au XVIIe siècle et surtout - dans le refus du compromis au cours de la crise
ukrainienne.
Les historiens ne sont pas d’accord sur le poids respectif des causes sociales,
nationales, politiques et religieuses dans la crise ukrainienne du XVIIe. Il paraît
pourtant que les facteurs religieux de cette crise restent largement sous-estimés par
la recherche. Dans les suivantes parties de mon article j’essayerai, donc, de mettre
en valeur le rôle des contradictions religieuses (engendrées ou aggravées par l’Union
de Brest) dans crise du milieu du XVIIe siècle.
Z. Wojcik cherche à réfuter cette “conception pessimistique” (Z. WOJCIK,
“Miedzynarodowe polozenie Rzeczypospolitej”, dans Polska XVII wieku. Panstwospoleczenstwo-kultura, pod red. J. TAZBIRA, Warszawa, 1974, p. 42 passim).
101
32
La guerre des Cosaques - guerre de religion?
L'insurrection des cosaques, prit-elle un caractère de guerre de religion dans la
conscience de ses participants? La question est posée depuis longtemps, mais elle
n'a pas trouvé de réponse convaincante. On sait très bien que les ennemis des
insurgés, les "autres" étaient associés aux non-orthodoxes (catholiques et Juifs); les
"nôtres" - avec les orthodoxes . Quelle était la place des uniates dans cette
répartition des rapports.? La réponse est donnée par de très nombreuses sources.
Les uniates étaient associés aux lachi (ljakhi, les Polonais), c'est à dire aux
catholiques, et avec eux, ils subirent de très cruelles persécutions de la part des
cosaques insurgés et de leurs alliés. L'aspect idéologique de l'insurrection s'exprime
clairement dans l'une des déclarations de B. Khmelnickij. Au commencement de
l'année 1649, s'adressant aux députés polonais, il déclara:" Je n'ai pas ordonné de
tuer des innocents, seulement ceux qui ne veulent pas s'unir à nous, c'est à dire ceux
qui ne veulent pas se convertir à notre foi"102.
D'après les observations de S.N. Plokhy, les prêtres catholiques et les moines
furent exterminés sans pitié, tandis que les nobles faits prisonniers étaient relâchés
vivants103. D'un autre côté, de nombreux prêtres orthodoxes participaient à
l'insurrection, certains prenant même la tête de détachements. Il n'est pas besoin de
démontrer qu'il soutenaient idéologiquement les insurgés. On connaît des cas de
conversion de catholiques qui étaient proches des insurgés. L'insurrection
s'accompagnait de la persécution et de l'extermination des juifs.
Des observations de S.N. Plokhy, il ressort que le rapprochement des
hiérarques de l'église orthodoxe et des chefs de l'insurrection ne se produisit que fin
1648 - début 1649, quand Khmelnickij invita à Kiev le patriarche de Jérusalem,
Païsios, qui joua un grand rôle dans l'élaboration de l'idéologie de l'insurrection. On
organisa une réception solennelle de Bogdan Khmelnickij à Kiev où, à la tête de tous
les habitants, il fut reçu par le patriarche Païsios, le métropolite Sylvestre Kossov et
par le clergé. Les étudiants de l'académie de Kiev, dans leurs salutations,
comparèrent Khmelnickij à un Moïse du “peuple russe”, qui l'aurait libéré du joug
égyptien. Des liens étroits s'établirent entre Khmelnickij et le patriarche Païsios, et
102
O.P. KRIZHANIVSKIJ, S.M. PLOKHIJ, Istorija cerkvi ta religijnoj dumki v Ukraini, kniga 3,
Kinec’ XVI - seredina XIX stlittja, Kiiv, 1994, p. 71.
103
O.P. KRIZHANIVSKIJ, S.M. PLOKHIJ, op. cit., p. 71.
33
sous son influence la guerre contre la Pologne devint une guerre de défense de la
religion grecque104.
Quelle place occupait le problème uniate dans le programme de l'insurrection?
La liquidation de l'Union et la restitution à l'église orthodoxe de tous ses droits
et propriétés fut l'une de ses revendications principales . Les uniates apparurent
dans les documents officiels comme les principaux ennemis des cosaques et de la
société qu'ils représentaient. Et à certains moments de la guerre, le sort de l'Union
ne tenait qu'à un fil. L'Union fut sauvée essentiellement grâce à la position
intransigeante de la diplomatie de la Curie Romaine105.
A cela il faut ajouter et ne pas perdre de vue que le point de vue des chefs de
l'insurrection et du haut clergé ne coincidait de loin pas avec l'humeur des masses et
du bas clergé. Avant l'insurrection, le métropolite Piotr Mogila et son entourage
étaient favorables à une attitude politique loyale et favorables aussi à une solution de
compromis avec l'église catholique. Sylvestre Kossov se distancia de façon claire
des insurgés et quitta Kiev. Après la défaite des cosaques а Beresteczko le clergé
orthodoxe de Kiev, à la tête duquel se trouvait Kossov, accueillit l'armée polonaise du
hetman lithuanien, J. Radziwill, à peu près de la même façon qu'il avait accueilli,
deux ans auparavant, l'armée de Bogdan Khmelnickij.
Le clergé uniate, de son côté, prit une position résolument propolonaise. Iakov
Susza, accompagné d'autres représentants du clergé uniate, amena dans le camp
polonais sous Beresteczko l'icône de la Vierge de Kholm et benit les troupes
polonaises. La survie de l'Union, face à cette nouvelle situation, dépendait des
relations très étroites qu'elle entretiendrait avec le gouvernement polonais, la
noblesse et le catholicisme. Les Polonais étaient prêts à sacrifier l’Union aux
moments critiques, et ne le faisaient pas à cause de l'intervention de Rome.
Après la défaite de Khmelnickij en 1651, la guerre avec la Pologne continua
avec un succès divers. La situation ne changea pas, même après l'accord de
Perejaslav qui vit l'entrée de la Russie sur le front des opérations. Le traité de
Gadiac avec la Pologne prévoyait que l'Union serait interdite sur le territoire soumis
au hetman (Grand Duché de Russie, Ksiestwo Ruskie). Sur les autres terres les
104
O.P. KRIZHANIVSKIJ, S.M. PLOKHIJ, op. cit., p. 72-73.
Voir: I. PRASZKO, De Ecclesia Ruthena Catholica sede metropolitana vacante, 16551665, Romae, 1944; T. JAKOVLEVA, Get’manshtchina v drugij polovini 50-kh rokiv XVII
stolittja; A. MIRONOWICZ, Prawoslawie i unia za panowania Jana Kazimierza, Bialystok:
Orthdruk, 1997.
105
34
uniates devaient rendre à l'Eglise orthodoxe ses biens et n'avaient pas les droit de
construire de nouveaux lieux de culte ni de nouveaux monastères. Ainsi l’on signait а
l’Union en fait son arrêt de mort106. L'Union fut sauvée grâce aux efforts
diplomatiques du nonce du pape ainsi que par l'évolution de la situation politique et
militaire.
Dans ces conditions, au moment où l'église uniate se trouvait au bord de
l'abîme et où le traité de Gadiac prévoyait pratiquement sa liquidation, on remit à
l'ordre du jour le problème de la révision de l'Union de Brest. Pendant la Diète de
1659 , on entreprit des pourparlers sur ce thème avec la délégation cosaque, à la
tête de laquelle se trouvait J. Niemirycz107. Il fut même question d'envoyer des
représentants cosaques conduits par Niemirycz а Rome afin de convaincre le pape
de convoquer un concile commun orthodoxe-uniate. En octobre 1659, Gavril
Kolenda, archevêque et administrateur de la métropolie uniate à Polock, envoya un
mémorandum à Rome comprenant un projet d'entente entre uniates et orthodoxes et
la création d'un patriarchat dans la Rzeczpospolita,
au cas où Constantinople
refuserait de reconnaître la nouvelle Union. Il n'excluait même pas la possibilité pour
l'église uniate de quitter la juridiction de Rome108.
Dans un premier temps, la Curie rejeta cette idée, puis elle consentit à la venue
incognito de Niemirycz, afin qu'au nom de tous les orthodoxes, il annoncât leur
reconnaissance de la religion catholique. Le concile qui était sensé être convoqué
après celà, ne devait que confirmer le fait accompli.
On voit bien par là que tout au long des années qui s'étaient écoulées depuis
1596, la Curie romaine n'avait pas modifié ses principes d'un pouce. Le manque de
réalisme de telle politique saute aux yeux surtout dans les conditions du soulèvement
des cosaques et de la guerre da la Pologne contre la Russie et la Suède.
En concluant, nous pouvons constater, que dans la les conflits, qui ont suivi
l’Union de Brest et, notamment, dans la lutte des cosaques contre la Pologne, le
T. JAKOVLEVA, “Gadjatchskij dogovor – legenda i real’nost ‘, dans: Ucrainica et
belorussica. Issledovanija po istorii Ukrainy i Belorussi,. vyp. 1, pod red. М.V. DMITRIEVA,
Moskva,1995, pp. 62-78; T. JAKOVLEVA, Get’manshtchina v drugij polovini 50-kh rokiv XVII
stolittja, pp. 305-323.
107
St. KOT, Georges Niemiricz, Paris, 1960; J. TAZBIR, “Prawdziwe oblicze Jerzego
Niemirycza”, dans Przeglad Historyczny, t. LI (1960), zeszyt IV, pp. 721-726; J. TAZBIR,
“Polityczne meandry Jerzego Niemirycza”, dans Przeglad Historyczny, t. LXXV (1984),
zeszyt 1, pp. 23-27.
108
O.P. KRIZHANIVSKIJ, S.M. PLOKHIJ, op. cit., p. 89.
106
35
facteur religieux fut un des points cruciaux. Dans un certain sens cette confrontation
entre l’Eglise orthodoxe, la population qui la soutenait, les cosaques et la Pologne fut
une guerre de religion.
La question ukrainienne n'a pas été résolue, non pas parce qu'elle était
insoluble, mais parce que la politique polonaise était très fortement soumise à des
impératifs religieux. Plusieurs fois durant la premiere moitié du XVIIe siècle aussi que
pendant la crise ukrainienne le gouvernement polonais fut obligé de choisir entre un
compromis réaliste et l'intransigeance politique et religieuse. La Pologne choisit la
voie de la confrontation au détriment de ses propres intérêts étatiques.
Pourquoi en a-t-il été ainsi? Plusieurs facteurs permettent de penser que cela
résultait essentiellement de la confessionalisation de la politique polonaise sous la
pression de la Reforme Catholique et de la Contre-Réforme109.
La rigidité et l'implacabilité des impératifs religieux, trouvent leur explication
aussi dans la conclusion trop hâtive de l'Union de Brest, à laquelle il était impossible
de renoncer sans faillir aux principes fondamentaux de la politique catholique de
l’époque de la reconquête catholique.
À propos de la confessionalisation de la Ostpolitik de la Pologne à l’époque de
Sigismond III voir: M.V. DMITRIEV, “Die Kirchenunion von Brest (1596) und die
Konfessionalisierung der polnishen Ostpolitik in der Regierungszeit Sigismunds III”, dans
Russland, Polen und Österreich in der frühen Neuzeit. Festschrift für Walter Leitsch zum 75.
Geburtstag, hrsg. von Ch. AUGUSTYNOWICZ, A. KAPPELER, M.D. PEYFUSS, I.
SCHWARCZ, M. WAKOUNIG, (=Wiener Archiv für die Geschichte des Slawentums und
Osteuropas, Bd. XIX), Wien-Köln-Weimar: Böhlau Verlag, 2003, pp. 159-177
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