de l’effet multiplicateur, mais aussi à long terme, malgré la hausse du ratio dette/PIB. Ainsi il n’est pas
exact de prétendre que la hausse du déficit gouvernemental, et donc la hausse subséquente des
paiements en intérêt sur la dette dont vont bénéficier les rentiers, va être financée par les impôts
prélevés sur les salaires.
Cette question, qui relève de la distribution intergénérationnelle du fardeau de la dette, est aussi
abordée de façon astucieuse par Pasinetti (1996). Celui-ci définit ce qu’il appelle le « fardeau social »
de la dette publique. Ce fardeau, à supposer que le gouvernement tienne à conserver le ratio dette/PIB
(D/Y) à son niveau actuel, dans une économie qui croît au taux réel g, tandis que le taux d’intérêt réel
est i, est défini comme étant : f = (i-g)D/Y. C’est que, pour conserver le ratio dette/PIB constant, l’État
peut se permettre un déficit de gD par année, tandis que les paiements en intérêt sont de iD. Le solde
primaire nécessaire est donc (i-g)D. Ceci implique que, en sus des dépenses d’opération financées par
taxation, le solde primaire (i-g)D doit lui aussi être financé par imposition, ce qui signifie un taux de
taxation supplémentaire f = (i-g)D/Y, qui constitue le fardeau social de la dette publique. S’il n’y avait
pas de dette, ce montant n’aurait pas à être financé par la taxation.
Il est dès lors évident que le fardeau social de la dette publique dépend de la relation entre le taux
de croissance et le taux d’intérêt de l’économie. Quand i = g, le fardeau social est nul. Quand i > g, le
fardeau social est d’autant plus élevé que le ratio dette/PIB est élevé, ce qui est le cas généralement
considéré comme pertinent. Pour maintenir le ratio dette/PIB à un niveau constant, le gouvernement
doit alors opérer avec un solde primaire positif, précisément égal à (i-g)D. Dans ce cas, on peut dire
que les déficits des années antérieures constituent un fardeau social pour les générations présentes,
puisque le taux de taxation moyen, pour éviter que le ratio dette/PIB ne s’accroisse, doit être accru de
f. Par contre, quand i < g, ce qui est un cas tout à fait réaliste, le fardeau social de la dette publique est
négatif. Comme le dit Pasinetti (1996, p. 163), « La communauté bénéficie d’un subside, ou si vous
préférez, d’une taxe négative. Ceci peut sembler paradoxal, mais nous devons réaliser que plus élevé
est le niveau de la dette publique plus élevé est le déficit … que le gouvernement peut se permettre
sans empirer le ratio D/Y. Autrement dit, le taux d’imposition négatif – c’est-à-dire le taux de subside
– pour la communauté dans son ensemble est d’autant plus élevé que le ratio (stabilisé) D/Y est
élevé. »
Vu sous cet angle, les politiques monétaires anti-inflationnistes qui ont engendré des taux d’intérêt
réels de 5 à 10% dans les années 1980 et 1990 paraissent totalement aberrantes. Non seulement ces
politiques ont-elles freiné l’activité économique et créé du chômage, mais en plus elles ont imposé un
fardeau social excédentaire parfaitement inutile à la collectivité. Ceci s’est traduit soit par
l’augmentation des taux effectifs d’imposition soit par une diminution des services publics. Tandis que
ce fardeau social était, inexistant, puisque négatif en moyenne, sur la période entre 1945 et 1979 pour
la plupart des pays de l’OCDE ou en tout cas pour les États-Unis et le Canada (Fullwiller 2006;
Stanford 1999, p. 189), il a subi une hausse vertigineuse en raison des politiques discrétionnaires des
banques centrales.
Selon les économistes néoclassiques, les taux d’intérêt dépendent uniquement des relations entre
offre et demande de fonds prêtables, et donc le fardeau social dépend en grande partie de facteurs qui
sont hors de contrôle des gouvernements. Au mieux, les États peuvent aider à garder les taux d’intérêt
à de bas niveaux en pratiquant l’austérité budgétaire, en réduisant leurs déficits budgétaires et leur
dette publique. Dans les faits, nous savons qu’il n’en est rien. Suite au krach boursier de l’après 2000,
les États-Unis ont opéré avec de gigantesques déficits budgétaires, tout en gardant les taux d’intérêt à
des niveaux relativement bas. Et que dire de la situation du Japon, où le rapport dette/PIB a grimpé de
façon vertigineuse au cours des derniers 15 ans, dépassant largement les 100%, pendant que la Banque
du Japon conservait les taux d’intérêt à court terme à zéro, tandis que les taux d’intérêt à long terme
avoisinaient à peine les 2%.
Ces observations du monde réel sont en revanche tout à fait compatibles avec la théorie
postkeynésienne des taux de l’intérêt, selon laquelle les taux d’intérêt à court terme sont sous le