Etat Providence

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Fabien DI FILIPPO
Économie – Dissertation
Conférence de M. Fabrice BITTNER
L’Etat Providence est-il d’actualité ?
Il peut paraître paradoxal, alors que la crise - à l’origine financière - touche désormais
de plein fouet l’économie réelle et qu’elle a encore provoqué en mars la destruction de
63 400 emplois en France, de poser la question de l’actualité de l’Etat Providence. Mais
peut-être que la crise actuelle marque justement les limites de cet Etat « Providence » et de
notre fameux « modèle social français », tels qu’ils se sont développés depuis un peu plus
d’un siècle, et qu’il est temps de bousculer ces « vaches sacrées » qui n’ont jamais résolu
complètement tous les maux de la société.
L’« Etat Providence » (ou welfare state, « Etat de bien-être ») est une conception
de l’Etat, dont les prémices apparaissent à la fin du XIXème siècle et qui s’impose après la
Seconde Guerre mondiale, selon laquelle l’Etat doit jouer un rôle actif dans la recherche
du progrès économique et social. Si cette notion est parfois employée de façon restrictive
pour désigner le seul système de protection sociale, son inspiration théorique est
keynésienne et elle associe en fait le progrès social au dynamisme du système
économique : la recherche du plein-emploi et les systèmes de protection sociale et
d’éducation participent au soutien de la demande et à l’entretien du capital humain
tout en répondant à des besoins sociaux. Cette conception s’oppose à celle de l’Etat
« gendarme », selon laquelle l’Etat doit rester cantonné dans des fonctions non
économiques (défense, justice, police) et assurer la protection des individus et de la
propriété, avec en outre le devoir de prendre en charge les infrastructures, souvent non
rentables.
Quel rôle doit tenir l’Etat dans la société post-industrielle en construction ?
Est-ce encore à l’Etat d’assumer la prise en charge des risques sociaux courus par
les individus, alors que des acteurs privés se sont révélés très performants dans la
gestion de ces risques ? Existe-t-il un avenir pour l’Etat Providence et la solidarité
sociale, au-delà de la crise sans précédent que nous traversons actuellement ?
C’est à ces questions que nous essaierons ici de répondre en analysant dans un
premier temps les fondements théoriques de la construction et de la remise en question de
l’Etat Providence, ainsi que ses phases de développement et de repli au cours du XXème
siècle, avant de voir dans un second temps les raisons (conjoncturelles et structurelles) de
sa résistance aux attaques néo-libérales et les défis qu’il devra relever pour assurer
définitivement sa pérennité au XXIème siècle.
I)
Les fondements de l’Etat Providence : une conception traditionnelle justifiée par les
développements de la société urbaine et industrielle, qui a été remise en cause dans le
dernier quart du XXème siècle par une puissante critique libérale.
A) Les fondements traditionnels de l’Etat Providence sont apparus à la fin du
XIXème siècle, dans un contexte où l’industrialisation de l’Europe déplace la
question sociale des campagnes vers les villes et augmente son acuité, et ont
progressivement été mises en œuvre par toutes les économies occidentales
avancées (dans une plus ou moins grande mesure, fonction de leur orientation
économique et de leur inclinaison vers l’étatisme ou le libéralisme).
1) Les bases de l’Etat Providence sont ainsi jetées avec la mise en place des
modèles assurantiels de protection sociale (bismarckien puis béveridgien), qui
seront la principale réponse apportée à la question sociale telle qu’elle se pose
au XIXème siècle avec le développement du salariat.
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En Allemagne, le chancelier Bismarck, pour réduire l’audience croissante des
mouvements socialistes au sein de la classe ouvrière, est le premier à mettre en place un
vaste dispositif de sécurité sociale de nature assurantielle, grâce aux lois de 1883-1889
organisant la prise en charge de la maladie, des accidents du travail, de la vieillesse
et de l’invalidité. Ce système est fondé sur 3 critères déterminants : tout d’abord le
caractère obligatoire de l’assurance sociale, ensuite la proportionnalité entre cotisations
versées et prestations perçues et enfin l’autonomie de gestion des administrations
d’assurance sociale (une gestion paritaire entre représentants des salariés et des
employeurs). C’est donc l’Allemagne qui est la première à se doter d’un véritable système
de protection sociale, où l’Etat tient toutefois un rôle discret, se contentant de poser les
règles initiales. Mais ce système servira de matrice à la plupart des pays d’Europe.
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L’étape suivante de la construction sociale se déroule en Angleterre, pendant la Seconde
Guerre mondiale, en 1941, avec le rapport du député libéral William Beveridge sur la
réforme de l’assistance sociale, dans lequel il se propose « d’éradiquer la pauvreté » en
développant un système ayant pour base les « trois U » : « universalité » (car tous les
citoyens sans distinction y ont accès), « uniformité » (des prestations fournies) et
« unicité » (du système sous la tutelle de l’Etat). Celui-ci est financé par l’impôt et était
originellement considéré comme relevant de l’assistance, bien qu’il constitue dans une
certaine mesure un dépassement du modèle assurantiel. Le critère décisif de ce modèle
« béveridgien » est celui d’universalité, car en visant à « libérer l’homme du
besoin » et en développant la solidarité au sein de la société, par le biais de l’impôt
notamment, il donne une nouvelle dimension à la citoyenneté.
2) L’Etat Providence s’est ainsi développé dans les démocraties occidentales
jusque dans les années 70, au point de devenir le cadre incontournable de la
cohésion sociale.
Si les prestations sociales ne constituaient en 1949 que 12% du PIB français,
cette part en représentait 30% environ au début des années 2000. Et si nous avons
été en France un peu plus long que nos voisins allemands et britanniques à développer
notre système d’assurance sociale, empruntant une voie médiane associant des éléments
bismarckiens (pour les moyens) et béveridgiens (pour les objectifs), nous avons
commencé à rattraper notre retard dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec les
ordonnances de 1945 créant la sécurité sociale, avant d’accroître successivement les
prérogatives de l’Etat dans le champ social (avec notamment la création du RMI en 1988
et celle de la couverture maladie universelle en 1999), au point de devenir le pays du
monde dont le système de protection sociale est le plus reconnu, une sorte de
« champion du monde » de l’Etat Providence.
Mais ce développement de l’Etat Providence n’a pas été propre à la France. Dans
la seconde moitié du XXème siècle, on assiste dans tous les Etats occidentaux
développés à une croissance remarquable de la protection sociale.
o Premièrement du point de vue de l’universalisation de la protection sociale, qui
est encore loin d’être une réalité à la fin des années 60 (par exemple, en France, en
1960, un quart de la population n’est pas couverte par l’assurance maladie).
o Deuxièmement du point de vue économique. La salarié, auparavant vendeur
précaire de sa force de travail se voit libérer de l’insécurité qui pesait sur lui en
devenant un ayant droit avec des garanties statutaires qui lui donnent accès à
un niveau de vie plus élevé et à de nouvelles formes de consommation.
B) La crise qui débute dans les années 70 aboutit cependant à une remise en
cause de l’Etat Providence - ou du moins à une conception plus restrictive de
l’intervention de l’Etat - et le retour en force des idées libérales passa
logiquement par la stigmatisation de ce symbole de l’interventionnisme
étatique.
L’avènement de la protection sociale est corrélé à la généralisation du salariat et à
la période du rapport salarial « fordiste » (contrat de travail stable et garanties
l’accompagnant ainsi qu’instances de négociation collective etc.). Il est donc logique que
la fin de l’hégémonie de ce modèle au tournant des années 70 ait abouti à la remise
en cause de celui d’Etat Providence. La crise économique, faisant suite notamment aux
deux chocs pétroliers, entraîne mécaniquement une baisse des recettes car elle ralentit la
croissance économique, une hausse des dépenses car il y plus de personnes à
indemniser (principalement des chômeurs) et cet « effet ciseaux », ayant pour origines
principales le chômage et le vieillissement de la population, sera le premier flanc
prêté à la critique par un Etat Providence qui semblait pourtant avoir atteint sa maturité,
couvrant une population nombreuse et des risques étendus.
1) La doctrine libérale a remis l’Etat Providence en question en l’attaquant
principalement sous trois angles : celui de son coût économique, celui de son
efficacité et celui de sa légitimité.
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Tout d’abord, la protection sociale à un coût économique certain et porte atteinte à la
compétitivité des économies concernées. En effet, dans un contexte d’ouverture
internationale croissante, le renchérissement du coût de la main-d’œuvre lié au poids
croissant des charges sociales constituerait un handicap économique. Cela encourage les
délocalisations vers les pays à bas coûts et dissuade dans une certaine mesure
l’implantation de nouvelles entreprises soucieuses d’économie. De plus, dans un contexte
de chômage massif, la question du poids croissant des charges sociales dans le coût du
travail se pose avec gravité. Elles alourdissent surtout le coût du travail des moins qualifiés,
réduisent la demande de travail de la part des entreprises et incitent celle-ci à substituer du
capital au travail dès que possible. Tout cela a pour conséquence de décourager les
embauches et de participer au maintien d’un chômage de masse dans nos sociétés,
ce qui est condamnable, aussi bien du point de vue moral que du point de vue de
l’efficacité économique.
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Ensuite, il est indiscutable que le développement de l’Etat Providence a eu des effets
pervers partout où il s’est produit. Premièrement par l’apparition de phénomènes
d’« aléa moral », comme dans tout système d’assurance, puisque tout assuré a tendance à
adopter des comportements plus risqués, ou plus désinvoltes dans le cas présent, surtout
dans un système public peu efficace dans la sanction des abus. Deuxièmement par
l’apparition de « trappes à pauvreté », l’existence de minima sociaux étant désincitative
pour l’offre de travail, surtout lorsque on en arrive à des situations où la reprise d’une
activité est pénalisante en terme de revenus (au point qu’il faille mettre en place des
dispositifs tel le RMA où l’Etat octroie un surcroit de revenus aux gens pour qu’ils veuillent
bien envisager de retravailler !). Troisièmement, un Etat Providence fort crée donc
inévitablement des comportements de « free riders », certains profitant du travail des
autres qui financent les minima sociaux desquels ils vivent, ce qui nuit au potentiel de
croissance d’une économie menace à terme sa capacité d’innovation et d’évolution.
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Enfin, il existe des raisons sérieuses de douter de la légitimité de certaines aides
octroyées par l’Etat dans le cadre de l’Etat Providence. Comme l’a montré l’école du
Public Choice, en dénonçant l’irresponsabilité politique de gouvernants surtout soucieux
de leur réélection et de leurs intérêts plutôt que du bien commun. D’où la croissance des
dépenses sociales (qui a selon cette critique une vertu avant tout électoraliste) et
l’incapacité des gouvernements successifs à imposer les mesures nécessaires bien
qu’impopulaires de réforme des systèmes de retraite ou d’assurance maladie.
2) Les libéraux vont tirer les conclusions de leurs critiques et vont donc opposer le
modèle du « workfare » à celui du « welfare ».
Le principe de ce modèle qui apparaît dans les pays anglo-saxons dans les années 80
est simple : le versement d’une allocation minimale va être conditionné à la mise en
activité des chômeurs (emplois publics, privés ou formation). En outre, ces derniers se
retrouvent contraints d’acceptés les emplois proposés, sous peine de voir leurs allocations
coupées, le travail venant ainsi se substituer « de force » aux revenus sociaux. Ce modèle
est très efficace pour limiter les comportements de passagers clandestins et a été vanté pour
sa capacité à créer des emplois, indépendamment du type d’emplois créés (parfois
précaires) et de la baisse du niveau de rémunération (apparition de « travailleurs pauvres »).
Nous avons donc vu comment l’Etat Providence était devenu, notamment par le biais
des assurances sociales généralisées et obligatoires qui en ont constitué le socle, un
élément décisif de la cohésion sociale dans notre société moderne et comment la crise des
années 70 a amorcé son démantèlement partiel dans certains pays (anglo-saxons surtout),
sans pour autant endiguer l’expansion des prestations et des dépenses sociales dans la
plupart des pays. Il convient maintenant d’analyser les raisons, liées à nos structures
sociales profondes aussi bien qu’au contexte économique, qui font que l’Etat
Providence conserve un caractère « actuel », et de voir sous quelles conditions de
réforme et de réorientation il pourra le rester.
II) Tous les paramètres, conjoncturels comme structurels, assurent une certaine
pérennité à l’Etat Providence, qui doit cependant « muter » pour s’adapter aux défis
d’une nouvelle ère économique et rester « d’actualité »
Malgré la virulence de la critique libérale et certaines mesures restrictives adoptées
par les Etats dans les années 90, il est intéressant de noter que sur la période 1970-1997, le
rythme de progression des dépenses sociales a été 1,7 fois supérieur à celui du PIB. L’Etat
Providence, encore aujourd’hui, fait donc bien mieux que résister aux crises successives, il
se développe et s’institutionnalise. Les raisons à cela sont nombreuses. Reste à savoir dans
quelle mesure les outils de L’Etat Providence sont adaptés aux défis contemporains et futurs.
A) La conjoncture économique et l’apparition de risques nouveaux remettent
l’Etat Providence sur le devant de la scène.
1) L’Etat Providence s’appuie sur des fondements intemporels et son intervention
reste économiquement et socialement indispensable.
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Les plus faibles sont les plus exposés aux problèmes sociaux, comme le chômage, la
pauvreté ou le coût élevé de l’accès aux techniques médicales de pointe. Le
développement économique ne profite pas forcément automatiquement à tous. Or c’est de
l’intérêt de l’Etat de ne laisser personne sur le bord de la route et de permettre à chacun
de réaliser son potentiel (en termes de croissance potentielle, de recettes fiscales, de
développement et d’innovation). L’Etat Providence et la protection sociale sont donc
des exigences économiques et sociales.
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La cohésion sociale et le sentiment d’appartenance à une nation passe obligatoirement
par une certaine solidarité entre ses membres. L’Etat Providence joue un rôle de
redistribution des richesses de tout premier ordre. Lorsque le lien social entre les individus
commence à se distendre, à cause de trop fortes inégalités ou de risques trop importants
assumés seuls par une partie de la population, les sentiments se radicalisent et la
démocratie est alors en danger. L’Etat Providence est donc aussi une exigence
démocratique et sociétale, qui crée du lien et de la solidarité entre les individus.
2) Les risques sociaux nouveaux et la crise financière, économique et sociale
actuelle font en outre naître un fort besoin de « filets de sécurité » dans la
société.
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Les risques sociaux évoluent avec le temps : les progrès de la médecine et son accès plus
large ont diminué les risques sanitaires, cependant que les évolutions démographiques,
économiques et sociales entraînaient l’apparition de risques nouveaux : l’exclusion
et le déclassement, l’isolement de certains parents seuls, les problèmes du vieillissement
de la population et de la dépendance avec l’allongement de l’espérance de vie et des
maladies comme la maladie d’Alzheimer qui se banalisent. Tous ces risques sociaux
nouveaux nécessitent une intervention publique afin de mutualiser les risques et de
mettre en place des structures de prise en charge et de financement efficaces.
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Même si l’on exclut en France une relance par la demande, car les risques d’effet
d’éviction font craindre un gaspillage de ressources publiques qui ne permettrait pas de
sortir de la crise, la conjoncture appelle cependant des réponses fortes sur le plan social,
comme le montrent la radicalisation des mouvements sociaux et l’augmentation de la
violence des conflits depuis quelques semaines. Tous les voyants économiques sont au
rouge : le Gouvernement français prévoit une croissance négative de -1,5 à -2,5%
(hypothèse basse qui n’est « plus à exclure », selon Christine Lagarde, ministre française
de l’Economie, depuis la semaine dernière) en 2009, espérant un retournement de
conjoncture avant la fin de l’année, mais ce sont là des chiffres très optimistes et l’impact
sur la croissance devrait être bien plus grave. Cela aura des conséquences sur les
comptes sociaux, par le biais d’une forte hausse du chômage, son augmentation
entraînant une baisse des charges sociales et patronales payées. Le taux de chômage est
remonté à 8,8% en mars, augmentant de 16% en un an, ce qui est comparable à
l’augmentation en Italie (+19%) ou au Royaume-Uni (+30%), et encore moins grave que
ce qui est constaté aux Etats-Unis (+85%) ou en Espagne (+107% en un an !). Dans ce
contexte, où le nombre de chômeurs explose (près de 250 000 demandeurs
d’emplois supplémentaires en France depuis le début de l’année), il est nécessaire
que soient mis en place un certain nombre de « filets de sécurité » relevant de l’Etat
Providence (indemnisation du chômage, formations à la charge de l’Etat, meilleure
indemnisation du chômage partiel), pour éviter une progression inquiétante du
phénomène d’exclusion et pour éviter un déclassement des personnes restant au
chômage pendant une trop longue période, notre économie ne semblant pas prête à
recréer des emplois et personne ne pouvant dire quand la reprise interviendra.
B) Une réforme en profondeur de l’Etat Providence est cependant nécessaire pour
parer aux critiques qui lui sont adressées, notamment par les libéraux, sans
nuire toutefois à sa fonction de cohésion sociale, qu’il est sans doute possible
d’assurer par des mesures plus « préventives » que « réparatrices ».
1) L’allègement de ses coûts et l’amélioration de son efficacité sont deux défis
majeurs pour l’Etat Providence moderne.
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En France, le déficit du régime général de Sécurité sociale dépassera les 15 milliards
d’euros dès l’automne, et pourrait donc à ce rythme se trouver au-dessus des 20
milliards à la fin de cette année, ce qui contribuera à accroître encore notre abyssale
dette sociale et pèsera sur les marges de manœuvre sociales des générations futures.
Les problèmes de déficits budgétaires rencontrés par les Etats, qui ne seront pas réglés
par les plans de relance massifs consentis pour surmonter la crise, bien au contraire,
constituent un frein au développement de l’Etat Providence et mettent sous pression les
dépenses sociales. Les domaines les plus coûteux de l’Etat Providence sont bien sûr les
premières cibles des projets de réforme, à savoir la maladie et la vieillesse. Il existe trois
types de solutions :
o La première consiste à lancer un mouvement de privatisation de l’assurance
sociale, c’est-à-dire confier à des entreprises privées, comme des compagnies
d’assurance classiques, l’indemnisation du chômage, de la vieillesse et de tous les
risques sociaux. Ce système, s’il est beaucoup pratiqué dans les pays-anglosaxons et partiellement en Europe, a cependant certaines limites : il entraîne un
effet de « sélection adverse », dans la mesure où les assurances privées sont plus
chères pour les personnes les plus exposées aux risques, quand elles ne refusent
pas tout simplement de les assurer.
o La deuxième consiste à réduire le montant des prestations versées, comme par
exemple dérembourser certains médicaments qui ne sont pas des génériques, ou
bien, ce qui est préconisé partout en Europe pour pallier aux difficultés des régimes
de retraite par répartition, diminuer le montant des pensions (puisqu’il semble très
difficile socialement d’augmenter la durée légale de travail donnant accès aux
versements des droits à la retraite…)
o La troisième enfin consiste en une fiscalisation croissante des revenus de la
protection sociale. L’augmentation de la part de l’impôt dans ce financement
allègerai celle des cotisations sociales et patronales, et baisserai ainsi le coût du
travail, sans pénaliser les plus bas revenus, mais on peut s’interroger sur la
pertinence d’une telle mesure qui taxerai (dans une certaine mesure) les revenus
de ce qui travaillent réussissent dans des pays comme la France où la fiscalité
encourage déjà des centaines d’exils fiscaux chaque année.
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Pour ce qui est d’améliorer l’efficacité de l’Etat Providence, la question est moins tranchée,
puisque si l’on ne considère que sa fonction assurantielle, on ne peut que lui demander de
tenir son rôle de payeur lorsque certains risques sociaux se sont réalisés. Cependant,
pour certains risque comme celui de chômage ou celui d’exclusion, il faut rompre avec la
logique d’universalité béveridgienne, et sortir des politiques d’assistanat en
passant progressivement d’une logique d’égalité (la même chose pour tous) à une
logique d’équité (les mêmes chances à chacun). Cela peut passer d’une part par la
décentralisation des politiques sociales, comme cela a été fait avec le RMI, confié aux
départements, pour pouvoir cibler, adapter et tailler sur mesure les prestations en fonction
des publics et des territoires, mais surtout par un principe de contractualisation, qui
confèrerait des devoirs en même temps que des droits à tous ceux qui bénéficient de
l’aide sociale (des objectifs à atteindre étant liés au versement des prestations).
2) « Prévenir au lieu de guérir », comment pourrait-on passer d’un Etat Providence
« infirmier » à un Etat Providence « investisseur » ?
Dans l’ouvrage Trois leçons sur l’Etat Providence, G. ESPING-ANDERSEN
propose « d’abandonner la perspective statique qui se contente de soulager les difficultés
présentes des individus ou de maintenir les revenus perdus pour adopter une perspective
dynamique qui pense les problèmes sociaux en terme de trajectoire de vie ». En clair,
« investir aujourd’hui pour éviter d’avoir à indemniser demain ». C’est de plus le seul
moyen d’éviter les effets cumulatifs des handicaps sociaux tout au long de la vie.
Pour les auteurs, ce sont les femmes (encore inactives) et les enfants (futurs actifs) qui
doivent être les premiers bénéficiaires de « l’investissement social ». Pourquoi ? Parce
qu’ils sont les seuls susceptibles d’accroître les ressources qui financeront les dépenses
de santé et de retraite à l’avenir.
C’est pour eux à cette unique condition, en formant les femmes et les enfants aux
techniques de pointe et en rendant compatibles vies familiale et professionnelle (plus de
places de crèche, de meilleures condition de garde et de formation pour les enfants et les
adultes par exemple), que nous réussirons la transition vers une économie de la
connaissance et que nous pourront envisager les dépenses sociales, non comme un
coût entravant la croissance économique, mais comme un investissement la soutenant.
En conclusion, on peut dire que l’Etat Providence se trouve avec la crise
économique actuelle à un carrefour de son existence. Il était depuis une trentaine
d’années l’objet de critiques intenses de la part des libéraux et tendait à être de plus en
plus remis en cause sur les plans financier et idéologique, pour son coût parfois
exorbitant et son inefficacité chronique, non seulement dans les pays anglo-saxons à la
philosophie économique plus libérale et axée sur la responsabilité individuelle, mais aussi
dans toutes les économies occidentales développées. Cependant, dans une conjoncture
économique incertaine et plus que troublée, on mesure pleinement aujourd’hui son
rôle assurantiel primordial indépassable, non seulement du point de vue économique,
le filet de sécurité qu’il représente préservant partiellement notre potentiel de croissance à
long terme, mais aussi et surtout du point de vue démocratique, évitant le creusement
d’inégalités trop fortes et évitant la progression du phénomène d’exclusion, deux menaces
qui seraient fatales à notre cohésion sociale et provoqueraient à coup sûr (surtout dans un
contexte si difficile), l’effondrement de nos systèmes démocratiques occidentaux.
En outre, les réponses alternatives apportées par les libéraux n’ont jamais constitué
la panacée, la marchandisation de l’assurance sociale n’étant pas possible pour tous les
risques sociaux, à cause du danger de sélection adverse pour les populations les plus
exposées, non compatible avec le principe d’universalité de la protection sociale, et le
système du workfare n’étant pas satisfaisant au niveau de la dégradation des conditions
de travail et de la rémunération des travailleurs les moins qualifiés…
L’Etat Providence est donc bien d’actualité (peut-être plus que jamais au
regard de l’ampleur jamais vue de la crise), mais il doit cependant évoluer et se
refondre pour le rester dans les années qui viennent et être en mesure de répondre
aux défis économiques d’un siècle nouveau. Dans une économie post-industrielle de la
connaissance qui évolue de plus en plus vite, il faut investir massivement sur la
préparation des nouvelles générations, de manière à anticiper les risques sociaux,
souvent cumulatifs, en donnant les mêmes chances à chacun de réussir dans la vie
et de s’autonomiser d’un Etat Providence qui verse encore parfois trop dans
l’assistanat.
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Bibliographie
C.-D. ECHAUDEMAISON, Dictionnaire d’économie et de sciences sociales, 5ème éd., Nathan.
W.NORDHAUS/P.SAMUELSON, Economie, 18ème édition, Economica.
J-C.PRAGER/F.VILLEROY DE GALHAU, 18 leçons sur la politique économique, Seuil.
J.STIGLITZ, Principes d’économie moderne, 2ème édition, De Boeck.
G. ESPING-ANDERSEN/B. PALIER, Trois leçons sur l’Etat Providence, La République des Idées/Seuil.
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