La notion de patient âgé est-elle pertinente ou réductrice ? Quelles évolutions demain ? Thomas Aparicio Service d’hépato-gastroentérologie Hôpital Bichat E-mail : [email protected] La définition du patient âgé est variable. Plusieurs critères peuvent être retenus : âge de la cessation d’activité de l’activité professionnelle, âge > 65 ans (définition OMS), âge > 70 ou 75 ans (limite de nombreux essais thérapeutiques), âge > 85 ans (critère de fragilité) … Cependant, la notion de patient âgé a une réelle pertinence à plusieurs points de vue en cancérologie. 1) Modification de la carcinogenèse Certaines altérations moléculaires ont été décrites plus fréquemment chez les sujets âgés. Notamment, l’hyperméthylation de l’ADN favorise un premier évènement mutationnel et ainsi un plus grand nombre de cellules peuvent développer un 2ème évènement sous l’action d’un carcinogène et entrer dans un processus dégénératif. Chez l’animal des études ont montré que chez les rongeurs âgés une même dose de carcinogène provoquait un plus grand nombre de tumeur que chez les rongeurs plus jeunes (Lu Q ageing res rev 2006 449, Ahuja N histol histopathol 2000 835). En conséquence, il est observé une augmentation de la fréquence des cancers mais également une augmentation de la fréquence de cancers multiples. D’autres modifications physiologiques comme la sénescence du système immunitaire favorise la croissance de tumeurs immunogéniques ou à l’inverse ralentit la croissance de tumeurs peu immunogéniques et diminue la sécrétion de facteurs de croissance. D’autre part la sénescence endocrinienne provoque une croissance plus lente de tumeurs hormonodépendantes (Sharma S exp gerontol 2006 78, Veronesi U ann oncol 2001 997) 2) Risque de décompensation fonctionnelle L’évolution du cancer ou les conséquences de son traitement peuvent favoriser les décompensations en cascades d’affection chronique. 3) Modifications Pharmacologiques - Pharmacocinétique Les modifications pharmacocinétiques liées à l’âge comme par exemple la diminution de l’excrétion rénale peut augmenter la toxicité d’une drogue et nécessiter l’ajustement de la dose à la filtration glomérulaire. De même, une anémie ou une hypoalbuminémie va diminuer le volume de distribution et provoquer une augmentation de la toxicité aux conséquences particulièrement grave chez un patient âgé. Il donc particulièrement nécessaire de réaliser des traitements de support par transfusion ou érythopoiétine et de veiller à un bon état nutritionnel. Enfin, les polymédications fréquentes multiplient les risques d’interactions médicamenteuses délétères (Balducci L Nature Rev 2005 655). - Pharmacodynamie Les diminutions de la capacité de réparation de l’ADN des tissus sains et du catabolisme des drogues de chimiothérapies nécessitent fréquemment des réductions des doses. Ainsi, le risque accru de toxicité hématopoïétique justifie l’utilisation large de facteur de croissance prophylactique, le risque de mucite doit faire éviter les bolus de 5 fluorouracile et les conséquences d’une neuropathie périphérique invalidante sur l’autonomie de la personne âgée doivent faire arrêter les traitements neurotoxiques dès les symptômes précoces. Les conséquences des modifications pharmacologiques imposent un choix des drogues en fonction des caractéristiques du malade, de privilégier les drogues peu toxiques et de manière pragmatique de réduire les doses initiales puis de les augmenter en l’absence de toxicité. 4) Modifications de l’environnement social La diminution des ressources du patient, l’isolement, la nécessité de mettre en place des structures à domicile ou un moyen séjour pour permettre le traitement compliquez la prise en charge des patients âgés. De plus, le regard de la famille sur un traitement « agressif » et le regard de la société sur les traitements onéreux délivrés aux patients âgés interfèrent parfois avec la prise de décision thérapeutique. 5) Modifications constatées de prise en charge On peut parler de « ségrégation institutionnelle » en ce qui concerne le dépistage cancer du côlon et du sein qui n’est proposé que jusqu’à 74 ans. D’autre part la recherche clinique limite fréquemment l’âge d’inclusion dans les essais thérapeutiques. Un sous-traitement existe dans les faits. Ainsi, le risque relatif de non prescription d’une chimiothérapie adjuvante dans les cancers du côlon de stade III en Côte d’Or (19761990) était pour les 65-74 ans de 14 et pour les patients >75 ans de 24 (Faivre-Finn C, Aliment Pharmacol Ther 2002 353). Les mêmes constatations ont été faite sur notre site pour la période 1995-2000 (Navaseh A, Gastroenterol Clin Biol 2003 A103) 6) Sous inclusion des patients âgés dans les essais thérapeutiques Du fait de la sous représentation des patients âgés dans les essais thérapeutiques (Yee KW, J Clin Oncol 2003 1618) les conclusions tirés a postériori de ces essais sont limités. Ainsi, une métanalyse de 7 essais de chimiothérapie adjuvante dans le cancer du côlon retrouve un bénéfice comparable de la chimiothérapie avant et après l’âge de 70 ans. Mais seuls 15% des patients avaient plus de 70 ans et 0,7% plus de 80 ans (Sargent D, NEJM 2001 1091). 7) Nécessité d’essais thérapeutiques prospectifs spécifiques Ces essais doivent comporter des critères d’exclusion compatibles avec la population âgée pour permettre un recrutement large, une adaptation des doses ou une escalade progressive, une stratification sur des paramètres gériatriques et enfin des critères de jugement : survie sans progression, qualité de vie, maintient de l’autonomie adaptés à la population âgée. Cependant, le patient âgé ne doit pas être enfermé dans une catégorisation réductrice. La variabilité inter-individuelle en fonction des co-morbidités, de l’autonomie et du contexte social importe plus que l’âge chronologique du patient. Ainsi, les traitements chirurgicaux même lourd ne doivent pas être écartés au seul motif de l’âge. Des résections hépatiques, pancréatiques ou oesophagiennes peuvent être proposés à des patients bien sélectionnés. Le facteur pronostique principal est le caractère carcinologique de la chirurgie. De même une chimiothérapie intensive par FOLFOX ou FOLFIRI pour un cancer du côlon métastatique peut être proposé à des patients âgés sélectionnés (Aparicio T, Br J Cancer 2003 1439). Au total, les questions sur la prise en charge des patients âgés ou plus jeunes avec comorbidité sévère sont les mêmes : - Quelle est la létalité de la tumeur comparée aux co-morbidités ? - Le patient vivra t’il assez longtemps pour avoir une complication du cancer ? - Quel traitement le patient peut il tolérer ? Les conséquences du cancer ou de son traitement vont il nécessiter une institutionnalisation du patient ? Les réponses passent par une adaptation au cas individuel, un savoir faire dans l’évaluation des difficultés et le choix d’une stratégie thérapeutique globale basé sur une évaluation oncogériatrique. En conclusion, la notion de patient âgé est une notion pertinente en raison de modifications physiologiques nécessitant un traitement adapté et des besoins spécifiques. Cependant la notion de patient âgé peut être réductrice car des traitements standard sont utilisables chez des patients âgés sélectionnés. Les avancés de demain seront apportés par la validation de protocoles adaptés à des patients âgés mais également par la validation d’un mode de sélection des patients. Deux essais spécifiques aux patients âgés atteints de cancer colorectal métastatiques testant différents protocoles de chimiothérapie et comportant des paramètres d’évaluation gériatrique sont actuellement ouverts aux inclusions. La participation à ces essais peut se faire sur simple demande à la Fédération Francophone de Cancérologie Digestive.