Les Noces de Figaro" selon Strehler renaissent à Paris

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Les Noces de Figaro" selon Strehler
renaissent à Paris
Parmi les productions légendaires de l'histoire de l'opéra, on peut citer La Traviata mise
en scène par Luchino Visconti, Tristan et Isolde de Wieland Wagner, le Ring de Patrice
Chéreau, la "trilogie" de Monteverdi par Jean-Pierre Ponnelle, la résurrection d'Atys de
Lully par les Arts florissants dans la mise en scène de Jean-Marie Villégier... et Les
Noces de Figaro par Giorgio Strehler (1921-1997). Sa mise en scène de l'oeuvre de
Mozart est ressuscitée par l'Opéra de Paris.
Présentées tout d'abord à l'Opéra royal de Versailles, le 30 mars 1973, Les Noces de Strehler
ont inauguré avec éclat l'ère du directeur de l'Opéra de Paris, Rolf Liebermann, qu'elles
clôtureront en 1980. Elles n'ont pas cessé pour autant d'être dans la course. Entre la première
parisienne du 7 avril 1973 et la dernière représentation à ce jour, le 9 juillet 2003, Les Noces
sont passées du XXe au XXIe siècle, de la salle de Garnier à celle de Bastille, à partir de 1990.
Ce spectacle a été repris une vingtaine de fois en trente ans, et, chaque fois, la magie opérait.
José Van Dam, Figaro de la première heure sous la direction de Georg Solti au côté de
Gundula Janowitz, Mirella Freni, Gabriel Bacquier et Frederica von Stade, déclarait en 1990,
alors qu'il avait incarné le rôle plus de 350 fois dans la plupart des productions internationales,
que cette mise en scène "reste la plus subtile dont je me souvienne, un modèle d'adéquation
dramatique et musicale, qui ne trahissait jamais Mozart".
Mais, lorsqu'il prend ses fonctions à la tête de l'Opéra de Paris, en 2003, Gerard Mortier décide
de déclasser la mise en scène de -Strehler. Les décors sont alors brûlés, les costumes
expédiés au Centre national du costume de scène, à Moulins, dans l'Allier.
"FURIEUX CONTRE SOLTI"
Comment restituer la magie du spectacle ? Des décors ont pu être récupérés grâce à la
production montée en 1981 à la Scala de Milan sous la direction du chef d'orchestre Riccardo
Muti. Les coloris en sont un peu plus froids et une importante restauration a été nécessaire - "ils
n'étaient pas en bon état", nous dit-on.
Les costumes des solistes milanais se sont révélés, eux, inutilisables : ils étaient dans un style
XVIIIe siècle plus tardif que celui de la production parisienne. Il a donc fallu rapatrier les
costumes de Moulins pour une restauration partielle ou complète. Ainsi, la célèbre robe rose de
la comtesse a dû être recréée.
Les protagonistes de la création, hors Strehler et Solti, sont toujours de ce monde et à pied
d'oeuvre, ce qui facilite la restitution de la mise en scène : le décorateur Ezio Frigerio, Maryse
Flach, collaboratrice aux mouvements scéniques et surtout Humbert Camerlo, assistant à la
mise en scène. "Chaque fois que je remonte Les Noces, je découvre des choses nouvelles,
affirme celui qui n'a pas manqué une seule des vingt reprises depuis 1973. Il ne faut pas oublier
que -Strehler était un musicien, un pianiste qui aurait aimé être chef d'orchestre. Il n'a fait que
mettre en scène le théâtre et la musique de Mozart."
Reprendre les Noces sans -Strehler, Camerlo l'a souvent fait, et ce dès le début, où, "furieux
contre Solti, avec qui il s'était violemment disputé à la générale", Strehler avait boycotté la
première ! Aux détracteurs qui pensent qu'une telle reprise est une ringardise, Nicolas Joël,
directeur de l'Opéra de Paris, répond : "Les Noces font partie de l'Opéra de Paris. Je ne suis
pas dans la nostalgie, mais il y a pour moi toute une philosophie du théâtre derrière ce
spectacle, que je me dois de transmettre. Quand il s'agit de reprendre un ballet de Rudolf
Noureev, la question ne se pose même pas !"
Les silences de Mozart, les ombres de Strehler, les vides de Frigerio dont parle Humbert
Camerlo devraient renaître, le 26 octobre, sous la baguette de Philippe Jordan avec, si l'on en
croit Nicolas Joël, "une des meilleures distributions du moment". Soit le Comte de Ludovic
Tézier (remplacé par Dalibor Jenis à partir du 11 novembre), la Comtesse de Barbara Frittoli, le
couple Suzanne-Figaro d'Ekaterina Siurina et Luca Pisaroni, Karine Deshayes en Chérubin, et
la jeune Maria Virginia Savastano, Barberine tout juste sortie de l'Atelier lyrique de l'Opéra de
Paris - sans doute la future Suzanne des Noces de Strehler, dans quelques années.
Marie-Aude Roux
© Le Monde
23n octobre 2014
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