Sortie de crise : bons baisers d'Islande
Pascal de Lima et Gwenaël Le Sausse | 31/08/2012
Alors que la région la plus riche du monde, l'Europe, ne parvient pas à en finir avec la crise
économique arrivée des Etats Unis en 2008, il est intéressant de rappeler qu'une île, peuplée de 320 000
habitants, perdue sur le cercle polaire arctique, sans industrie ni agriculture puissante, a été le premier
pays européen touché et pourtant celui qui s'en est sorti le mieux. Il s'agit bien sûr de l'Islande.
Faisons préalablement un bref rappel historique pour analyser ensuite ce « miracle islandais », et les leçons
que l’on peut en tirer pour la zone euro.
Commençons par décrire la structure de son économie avant l’arrivée de la crise. L’Islande avait misé sur le
secteur bancaire et des politiques d’inspirations néolibérales qui lui ont assuré un fort développement
économique et une élévation du niveau de vie. Mais cette évolution est en fait virtuelle car ce secteur
financier demeure hypertrophié en comparaison de l’économie réelle. La croissance économique ne repose
alors sur rien de concret mais uniquement sur des capitaux investis par des étrangers dans ce que l’on
considère comme un nouvel El Dorado financier.
C’est pourquoi, en 2008, lorsque la crise financière américaine devient contagieuse, le pays est très durement
frappé. Rapidement, les trois principales banques du pays (Kaupthing, Landsbanki et Glitnir) furent
incapables d’y faire face, n’ayant pas conservé suffisamment de fonds propres par rapport aux montants
colossaux de leurs prêts (équivalents à 11 fois le PIB de l’Islande !)
Mais « l’exception islandaise » est caractérisée par un comportement unique en Europe qui consiste
purement et simplement à laisser couler les banques, considérant que ce sont des organismes privés et que le
contribuable islandais n’a pas à payer les dettes des banquiers à leur place. Ce sont les actionnaires,
majoritairement étrangers, qui ont dû supporter les pertes des banques, tandis que les dépôts islandais ont été
garantis par l’État.
L’État a ensuite nationalisé les banques (ce qui lui a coûté tout de même 80% de son PIB), tout en dévaluant
la couronne islandaise de 60% de sa valeur en six mois. Les ménages qui avaient contracté des prêts
immobiliers en masse, dont les taux d’intérêt étaient indexés sur la valeur de la livre sterling ou de l’euro, ont
vu leurs mensualités exploser. Le système entier s’est alors grippé et l’Etat islandais est entré en faillite.
Cependant, très vite, le FMI, la Grande-Bretagne, les pays scandinaves et l’Allemagne ont débloqué un prêt
de près de 8 milliards de dollars en contrepartie d’une cure d’austérité pour un assainissement des finances
publiques islandaises.
Le gouvernement, alors de couleur sociale-démocrate, a su rester fidèle au principe de différence de John
Rawls, qui demande à ce qu’on vienne en aide en premier aux plus démunis d’une société. En effet, l’Etat a
par exemple trouvé la force de rallonger la durée du versement des allocations chômage de 3 à 4 ans. La mise
en place en parallèles des efforts de rigueur et de la dévaluation compétitive de la couronne islandaise, ont
permis à la balance commerciale de redevenir excédentaire et à la croissance économique de revenir. En
revanche, si l’Etat a garanti les dépôts islandais, il ne l’a pas fait pour les avoirs étrangers. Ce qui a donné
lieu à l’affaire « Icesave ».
Cette affaire a démontré le courage des citoyens islandais qui ont refusé à 93% au cours d’un référendum de
rembourser à la place des banquiers les déposants britanniques et néerlandais d’Icesave, filiale de
Landsbanki. Après de fortes tensions entre les Etats concernés, le gouvernement islandais parvient à
recapitaliser et à reprivatiser les banques de l’île, qui ont ainsi pu commencer à rembourser elles-mêmes
leurs déposants à partir de décembre dernier.
L’État islandais aura ainsi tenu tête aux marchés et aux pressions internationales à la fois. Le résultat est sans
appel. La croissance islandaise pour 2012 est prévu à 3%, lorsque la croissance dans la zone euro est de -
0,3%. Son taux de chômage a perdu un point entre 2011 et 2012, lorsque celui de la zone euro continue de
grimper. Son déficit public va même passer sous la barre des 3% du PIB. Enfin, l’Etat a réussi à rembourser
en avance une partie de sa dette !
Les financiers responsables de l’effondrement du système financier islandais ont pour la plupart été rattrapés
par la justice islandaise, même hors du territoire national, apportant encore une dimension morale et juste à
cette sortie de crise, décidément bien originale.