du 25 AU 30 JUIN 2016

publicité
Gerard CLEMENT
Page 1
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
1
CENTRE RHONE –ALPES D’INGENERIE SOCIALE SOLIDAIRE & TERRITORIALE
REVUE DE PRESSE
Du 25 AU 30 JUIN 2016





















Les représentants du personnel : (1) La cartographie des RP
Congrès CGC : un nouveau Président, un nouveau positionnement
Brexit : « un jour sombre pour l’Europe et pour la Grande-Bretagne », selon la CES
On peut vivre sans dialogue social territorial en France - mais tellement moins bien
L'intermédiation : point aveugle de la réforme du marché du travail
travailler plus pour gagner autant
Après le Brexit, le temps de la réflexion
Et si les Britanniques ne sortaient pas de l’UE?
Débat entre Bernard Thibault et Pierre Moscovici : "L'Europe sera sociale ou ne sera
plus"
Billet invité : “Le Royaume-Désuni, ou plutôt déchiré”, par Perfide Albion
MERCI A DAVID CAMERON
AH, le bon air Suisse...
Le bureau de poste éloigne le Front national
Les représentants du personnel : (2) Les interactions entre employeurs et
représentants du personnel
Formations professionnelles d’entreprises et itinéraires des salariés
Une Europe à refaire
Pour démanteler l’Etat-providence Les faussaires de l’Europe sociale
Information sous contrôle Tous ensemble, tous ensemble…
Épistémologie du capitalisme
Brexit : l'heure n'est plus au débat mais à l'action
(Br) exit la démocratie participative ? Coup de gueule d'un accro du référendum
Gerard CLEMENT
Page 2
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
2
Les représentants du personnel : (1) La cartographie des RP
samedi 25 juin 2016
Cette étude de Thomas Breda dresse la cartographie des représentants du personnel (RP), leurs motivations, leur situation professionnelle,
leurs évolutions de carrière, la façon dont ils sont perçus par leurs collègues et leurs employeurs, les relations qu’ils entretiennent entre eux,
leur poids réel dans l’entreprise. Un syndiqué sur trois est représentant du personnel. Une myriade de RP, pas nécessairement syndiqués,
coexistent au sein des différentes instances représentatives du personnel. Cet ensemble représente plus de 6 % des salariés dans le secteur
marchand non agricole, soit plus de 500 000 salariés. L’étude s’appuie sur l’enquête de la DARES, réalisée d’après une enquête employeurs et
une enquête salariés en 2004 et en 2010 [1].
Leurs droits et leurs devoirs : ils sont protégés contre le licenciement, ils disposent de droits et de moyens, ils disposent d’un crédit d’heures
pris sur leur temps de travail pour l’exercice de leur mandat. Ils ont des devoirs, défendre leurs collègues, les représenter dans des instances
telles que le comité d’entreprise, négocier avec les employeurs lors des négociations annuelles obligatoires… Les représentants du personnel
en entreprise sont des salariés, soumis à l’autorité hiérarchique de leur employeur auprès duquel ils représentent leurs collègues. Ils sont sous
le contrôle de l’employeur en tant que salariés mais leur égal lors des négociations d’entreprise.
Au-delà de 250 salariés, presque tous les établissements d’entreprise disposent d’IRP. Si les seuils légaux ne semblent pas avoir d’impact très
fort sur la prévalence des IRP, il n’en est pas de même de la taille de l’entreprise. La délégation unique du personnel (DUP) est une solution
choisie dans les entreprises autour de la centaine de salariés, où elle remplace les CE, presque une fois sur deux. Le taux de présence des
délégués syndicaux (DS) augmente un peu moins vite que celle des DP et DU (délégation unique du personnel) ou CE et DU réunies. Les grands
établissements possèdent presque toujours des DS.
Quatre catégories de salariés sont identifiées à partir de l’enquête salariés (9 187 558 salariés de plus d’un an d’ancienneté travaillant dans un
établissement de 11 salariés ou plus du secteur marchand non agricole en 2010) : 1°-Les RP syndiqués, 2°-les RP non-syndiqués, 3°-les
syndiqués non RP et 4°-les non syndiqués non RP.
 86 % des salariés ne sont ni RP, ni syndiqués.
 6,4% des salariés sont RP et 7,4 % des salariés sont syndiqués.
 3,6 % des salariés sont RP et syndiqués et 2,8 % sont des RP non syndiqués. Un tiers des RP syndiqués sont délégués syndicaux. Les
autres RP syndiqués (220 000) ne participent pas aux négociations annuelles obligatoires. Ils siègent au sein des autres instances de
représentation (DP, CE, CHSCT), au côté d’environ 360 000 représentants non syndiqués. Les RP syndiqués sont donc minoritaires au
sein de ces instances.
D’après l’enquête employeur, il y aurait plus de 590 000 RP (ou de salariés protégés) en France. Les relations que les DP entretiennent avec
leurs employeurs sont différentes entre RP syndiqués et non syndiqués.
Peu de syndiqués mais beaucoup de représentants syndicaux, ce sont les caractéristiques essentielles du syndicalisme de « représentativité à
la française ».
Qui sont les RP ? Les RP sont en moyenne deux ans plus âgés que l’ensemble des salariés, 4 ans et demi plus âgés pour les RP syndiqués et 8
ans plus âgés pour les délégués syndicaux des syndicats majoritaires. Les syndiqués, représentants ou non, sont en moyenne 3 ans plus âgés
que l’ensemble des salariés.
 La proportion des femmes parmi les représentants du personnel (36,6 %) est inférieure de 5 points à la proportion de femmes parmi
l’ensemble des salariés. C’est un écart assez faible par rapport à l’image « masculine » associée aux syndicats français.
 Les RP ne sont pas moins diplômés que les autres salariés. Ils sont même beaucoup moins souvent sans diplôme (8 % des RP et
seulement 4 % des délégués syndicaux majoritaires le sont contre 10 % des salariés). Les RP les plus diplômés sont ceux qui jouent un
rôle prépondérant. Les salariés sans diplôme comme les salariés les plus diplômés (bac+3 et plus) sont sous représentés parmi les RP.
 Les cadres sont sous-représentés dans les RP (13,6 % des RP contre 17,8 % de l’ensemble des salariés), contrairement aux
professions intermédiaires qui sont légèrement surreprésentées.
Où sont les RP ? Il existe de forts écarts de taux de syndicalisation par secteur d’activité dans les établissements de 10 salariés et plus. Le
secteur de la construction est celui qui connaît le plus fort taux de syndicalisation (15,6 % parmi les établissements de plus de 20 salariés), suivi
des services (10,8 %), de l’industrie (10,4 %), puis du commerce (8,9 %).
 Le taux de participation aux IRP varie peu par secteur (7 % environ). C’est la répartition entre RP syndiqués et RP non syndiqués qui
varie : les RP syndiqués dans la construction sont surreprésentés (4,3 % des salariés du secteur mais seulement 3,5 à 3,9 % des
salariés dans les autres secteurs). Le secteur du commerce se distingue par une proportion de salariés RP forte et une proportion de
salariés syndiqués faible (soit autant de RP que de syndiqués).
 La syndicalisation est plus forte dans les grands établissements (les RP sont presque tous syndiqués, au contraire des petits
établissements qui ont une majorité de DP non syndiqués). La bascule s’effectue autour de 200 salariés.
Référence :
 http://www.parisschoolofeconomics.com/breda-thomas/papers/Les_representants_du_personnel_en_France_Breda_online.pdf
Notes :
[1] La Direction de l’Animation de la Recherche et des Etudes Statistiques (DARES) du Ministère du travail réalise tous les 6 ans une enquête
auprès d’un échantillon de 4 000 établissements d’entreprise du secteur marchand non agricole.
Congrès CGC : un nouveau Président, un nouveau positionnement
samedi 25 juin 2016
Étonnante CFE-CGC qui, à son congrès de Lyon, les 1er et 2 juin 2016, se sépare sans douleur apparente d’une
Présidente qui présente un bon bilan et élit un président qui prend ses distances avec le réformisme en rentrant en
opposition à la loi travail sans toutefois se rallier au mouvement social ! Une organisation manifestement à la recherche
d’un positionnement original alors que la dernière mesure de représentativité dans l’encadrement la situait loin derrière la
CFDT réformiste et derrière la CGT contestataire [1].
Le départ de Carole Couvert…
La surprise est venue en décembre dernier du refus de la fédération d’origine de Carole Couvert, l’Énergie, de la représenter au
Congrès. Rivalités internes, distances prises par la fédération vis-à-vis du bilan de l’équipe confédérale, désaccords personnels
sont probablement à l’origine de ce refus. Malgré une motion de soutien de 14 fédérations sur 19, une tentative de pétition, les
statuts ont primé. Carole Couvert a annoncé en avril son retrait pour éviter une crise dans l’organisation et a soutenu sans réserve
Gerard CLEMENT
Page 3
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
3
son adversaire malheureux du congrès de 2013, François Hommeril. Elle devient Présidente d’honneur de la CFE-CGC et garde
son poste de Présidente du groupe au CESE.
…malgré une certaine autosatisfaction sur le bilan de l’équipe sortante !
Le rapport d’activité et les déclarations de la Présidente et de sa Secrétaire générale Marie-Françoise Leflon font état d’un bilan
largement positif où on montre une CFE-CGC à l’offensive sur de nombreux sujets, influente sur les négociations ou les projets de
loi et nettement plus visible que dans les périodes précédentes.
Ainsi, la CFE-CGC déclare être en première ligne lors des conférences sociales pour demander d’alléger la charge fiscale pour les
entreprises et les classes moyennes, développer la formation tout au long de la vie ou encore sécuriser les parcours professionnels
autour du Compte Personnel d’Activité.
De même, dans la négociation sur les retraites complémentaires, où elle estime avoir sauvé l’essentiel : la pérennité des régimes
et des garanties pour sécuriser l’avenir du statut cadre notamment par l’ouverture d’une négociation sur l’encadrement, tout en
occultant son acceptation de la fusion de l’ARRCO et l’AGIRC qu’elle avait toujours combattue jusqu’alors.
Le rapport valorise l’élaboration des textes de lois comme la loi Rebsamen, les réflexions sur la préservation du statut cadre, la
restructuration des branches, les négociations et les actions sur la santé au travail et le handicap. Elle se prétend, par ailleurs,
leader sur les thématiques du développement durable, défi climatique, COP21, transition énergétique et responsabilité sociale des
entreprises.
Toutefois, elle rappelle son opposition à l’accord de 2014 sur l’UNEDIC, faute d’une augmentation des cotisations de la part des
employeurs et du prolongement du délai de carence. Elle a aussi refusé de signer le texte sur le Pacte de responsabilité ou encore
affiche ses critiques sur la Loi El Khomry. Bref un parcours assez chaotique dont on cherche un peu la cohérence.
Globalement, on retrouve bien sûr la CFE-CGC sur des thématiques traditionnelles pour elle, la défense du pouvoir d’achat des
« classes moyennes », notamment par son opposition à la modulation des allocations familiales, la baisse du plafond du quotient
familial et la fiscalité en général.
Au final, la CFE-CGC, se veut être un partenaire exigeant, pas prêt à tout accepter d’un patronat en qui elle n’a plus confiance
notamment à la suite de la négociation sur l’Assurance chômage.
Bilan qu’elle considère comme positif, aussi, sur le travail de mobilisation de l’organisation sur les questions d’information,
communication, de développement et la représentativité. Elle se considère aujourd’hui plus visible avec pas moins de 11
retombées de presse par jour. Son nombre d’adhérents serait passé de 143 000 (chiffre annoncé lors du congrès de 2013) à
155 771 en trois ans. Elle fait état de ses nombreuses progressions électorales dans les entreprises en saluant tout
particulièrement sa première place dans les groupes Renault et Air France. Le rapport d’activité fait état de nombreux guides,
supports divers ou vidéos pour éclairer de nombreux sujets et aider les militants.
Bilan globalement positif donc pour sa Secrétaire générale sortante, qui dans son édito présentant le rapport d’activité déclare que
la CFE-CGC a gagné « ses galons de partenaire social incontournable et nous en sommes collectivement fiers ». Une
autosatisfaction quelque peu excessive au regard du poids et de l’influence réelle de la CFE-CGC.
Un programme qui se résume en trois mots : visibilité, représentativité, Inventivité !
Traditionnellement à la CFE-CGC, le programme du Président se résume à quelques orientations d’une portée limitée qui laissent
assez largement les mains libres à l’équipe dirigeante pour mener au quotidien aux destinées de l’organisation. Ce congrès n’a pas
dérogé à la règle et ce sont les déclarations du nouveau Président qui permettent de mieux entrevoir les évolutions de
l’organisation.
La CFE-CGC réaffirme clairement son rôle d’organisation de l’encadrement. Elle se bat pour une juste rémunération des efforts et
des responsabilités, défend la qualité de vie au travail et s’engage en faveur du développement durable et de l’Europe.
Elle se veut donc plus visible en valorisant mieux ses actions, mutualisant ses moyens et modernisant ses outils de
communication ; plus représentative en renforçant l’opérationnalité de ses structures territoriales, en favorisant le développement et
en étant plus à l’image de ceux et celles qu’elle représente ; enfin, plus inventive en prenant en compte les enjeux d’une société
confrontée à l’impact du numérique, en réfléchissant à la « société de demain » notamment au travers d’un think-tank pour acquérir
« une autorité politique et intellectuelle » et en créant de nouveaux services aux adhérents tel qu’un conseil en parcours
professionnel.
Ce sont, toutefois, les déclarations de son président dans le discours final et dans la presse qui marqueront ce congrès. Le
nouveau Président a pris ses distances avec la qualification de réformiste de la CFE-CGC qui ne serait qu’une
« instrumentalisation du gouvernement ». Les gouvernements successifs n’auraient choisi pour faire face à la crise que le
« nivellement par le bas ». Qualifiant la loi El Khomri de « magasin des antiquités du néo-libéralisme », il s’est déclaré en
opposition à ce texte notamment sur la prédominance du dialogue social dans l’entreprise « au plus près de la fragilité des acteurs
dans le rapport de force ». Toutefois, il refuse de rentrer dans le mouvement social actuel « parce qu’il existe encore une possibilité
pour le gouvernement d’accéder à un peu de sagesse et de raison » en remettant l’affaire à la négociation des partenaires sociaux.
Ce positionnement de l’organisation, outre le fait qu’il n’a pas vraiment donné lieu à débat ni avant ni pendant le congrès, a été
diversement apprécié parmi les participants.
En confirmant sa posture traditionnelle de défense catégorielle de l’encadrement et en tentant de se démarquer encore un peu plus
de la CFDT réformiste, la CFE-CGC semble faire un pari risqué pour tenter de reconquérir une audience prédominante chez les
cadres. Y parviendra-t-elle ? Ne risque-t-elle pas d’affaiblir le camp réformiste sans en tirer pour elle-même les bénéfices
escomptés du fait de son probable isolement ?
Sources
 Rapports d’activité et programme de la CFE-CGC au Congrès de Lyon, Articles du Monde et de l’Humanité.
 http://www.clesdusocial.com/congres-de-la-cfe-cgc-carole-couvert-secretaire
Notes :
[1] Note sur la représentativité En 2013, dans l’encadrement, la CFDT avait obtenu 26.84 % des voix, la CGT 20,98 % et la CFECGC 18,14f.
Brexit : « un jour sombre pour l’Europe et pour la Grande-Bretagne », selon la CES
samedi 25 juin 2016
Les Britanniques ont tranché en faveur du « Leave », c’est-à-dire, quitter l’Union européenne lors du référendum du 23 juin. Cette disposition
de sortie d’un État membre est possible depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, dans son article 50. C’est à réception d’une lettre du
Premier ministre britannique que le Conseil statuera sur le départ du Royaume-Uni en proposant une négociation qui peut s’étaler sur deux
ans.
Comme le souligne la Confédération européenne des syndicats, « c’est un jour sombre pour l’Europe et la Grande-Bretagne ».
Gerard CLEMENT
Page 4
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
4
Le départ du Royaume-Uni est une première car aucun pays n’est parti de l’UE jusqu’à maintenant, même si des projets d’adhésion ont échoué
(Norvège) ou des régions ont quitté l’UE lors de leur indépendance (Groenland, par exemple). En effet, l’article 50 permet à un pays de faire
cette demande mais aucune procédure explicite n’est établie.
Les conséquences seront importantes au-delà des répercussions immédiates sur les marchés financiers.
Au Royaume-Uni, le droit découlant de l’Union européenne pourra être remis en question. Celui-ci concerne :
 l’ensemble des réglementations techniques de normalisation des produits (l’étiquette CE sur nos produits), qui nous permettent
d’avoir confiance dans les produits disponibles sur le marché commun (réglementation technique, de sécurité, d’utilisation, de
garantie, appellations européennes d’origine…) ;
 un certain nombre de droits sociaux apportés par le droit social européen notamment le plafond de 48h hebdomadaire de travail, le
droit aux congés payés, ou encore l’égalité de traitement entre salariés à temps partiel et à temps plein, le congé maternité décidé
par accord entre partenaires sociaux européens, dans un pays qui peine en général à mettre en œuvre des innovations sociales
positives ;
 les aides européennes notamment au développement économique et social dans les régions en difficulté, qui ne seront plus
possibles ;
 les accords commerciaux internationaux et notamment la protection européenne contre l’importation de produits faisant preuve de
dumping social ou environnemental ;
 la citoyenneté européenne permettant de se faire aider par n’importe quelle représentation d’un État membre de l’UE dans un pays
hors UE (le passeport britannique ne comportera plus la mention Union européenne).
Comme le soulignent les syndicats britanniques du TUC, « les salariés ne doivent pas payer le prix du départ de l’UE ». L’enjeu du respect du
droit social apporté par l’UE aux salariés britanniques devra être posé dès la sortie de l’UE.
Pour les pays de l’UE à 27, une période nouvelle s’ouvre également, car le départ d’un grand pays comme le Royaume-Uni modifiera l’équilibre
entre grands pays et interrogera sur l’avenir de la construction européenne, alors que les peuples hésitent entre un saut fédéraliste ou un repli
nationaliste.
Sources :
 https://www.tuc.org.uk/.../workers%E2%80%99-rights-are-line
 https://www.etuc.org/.../le-vote-brexit-%E2%80%93-lue-doit-agir-pour-am%C3%A9liorer-le-sort-des-travailleurs#.V20LaI9OLIV
On peut vivre sans dialogue social territorial en France - mais tellement moins bien
par Frédéric Bruggeman, Bernard Gazier - 24 Juin 2016
Dans un récent travail d'étude historique et comparative du dialogue social territorial (DST) en France et dans les pays développés
(Gazier et Bruggeman, 2016) nous avons entrepris de mettre en évidence et de questionner sa dynamique. Cet article en reprend
les principales conclusions centrées sur le cas français. Après avoir évoqué les grandes étapes de son devenir dans notre pays,
nous proposons d'en discuter les apports et limites. Nous présentons enfin quelques remarques sur les potentialités actuelles du
DST en France. Metis a publié en décembre 2010 un dossier sur le dialogue social territorial.
LE (RE)DEVELOPPEMENT DU DIALOGUE SOCIAL TERRITORIAL EN France
Un DST actif et innovant existe en France depuis une quarantaine d'années. On peut parler de renouveau dans la mesure où après une longue période de développement à l'échelle territoriale entre la fin du XIXème siècle et le milieu du XXème - le cadre
national était devenu la norme, et ce dans la foulée de la mise en œuvre du programme du Conseil National de la Résistance et
durant la période des « trente glorieuses ». La conclusion de conventions collectives infranationales ne s'est poursuivie jusqu'à nos
jours, que dans les quelques branches (Métallurgie, Bâtiment, Industrie des Mines et Carrières, Agriculture, Entreprises
d'Architecture) qui ont maintenu des niveaux territoriaux de discussion, ou dans des situations spécifiques comme celles de la
manutention et du nettoyage des aéroports de la région parisienne ou de l'industrie du Roquefort.
Le dialogue social territorial (DST) s'est développé en France durant les 40 dernières années autour de trois fonctions
successivement affirmées, et désormais présentes simultanément toutes les trois : la facilitation du redéveloppement (dès le début
des années 1970), l'intégration - organisation des isolés (à partir de la fin des années 1990) et la gouvernance territoriale
décentralisée, principalement à l'échelle régionale et sur les champs de l'emploi et de la formation professionnelle (depuis la
seconde moitié des années 2000).
Des Comités Locaux pour l'Emploi...
Nés dès le début des années 1970, les Comités Locaux pour l'Emploi, devenus Comités de Bassin d'Emploi (CBE) en 1983, ont
été la première forme sous laquelle le DST a ré-émergé en France. L'expérience accumulée par ces comités, qui étaient au
nombre de 313 en 1983 et encore 60 en 2011, s'étale sur plus de 40 ans. Elle est considérable bien qu'elle reste faiblement
étudiée. Les CBE se constituèrent pour apporter des solutions à des problèmes d'emploi ; de mobilité spatiale et professionnelle,
de formation, de chômage des jeunes, d'adaptation à la division internationale du travail, de réduction des tensions sociales, etc.
... aux Commissions Paritaires Régionales Interprofessionnelles...
Les commissions paritaires territoriales sont nées à la fin des années 1990 dans quelques expériences pionnières telle celle du
Tarn ou des Deux-Sèvres, et le développement des accords territoriaux dans cette période marque un second temps de la
renaissance du dialogue social territorial en France. Il s'est poursuivi par la signature, en 2001, d'un accord interprofessionnel entre
l'UPA et les cinq Organisations syndicales représentatives des salariés. Ayant provoqué une vive opposition des autres
Organisations représentatives des Employeurs qui s'est traduite par un long contentieux, il n'est pas entré en vigueur avant 2009.
Mais, depuis cette date, des Commissions Paritaires Régionales Interprofessionnelles de l'Artisanat (CPRIA) se sont mises en
place dans les 22 régions françaises. La loi dite « Rebsamen» de juillet 2015 prévoit la mise en place de Commissions Paritaires
Régionales Interprofessionnelles (CPRI) dans les entreprises de moins de 11 salariés, pour le premier janvier 2017 au plus tard.
En moins de deux décennies, une forme de dialogue social visant à organiser les isolés s'est donc institutionnalisée et devrait
prochainement couvrir 4,6 millions de salariés.
Les CPRIA ont vocation à favoriser le dialogue social, l'accès à l'emploi, la connaissance et l'attractivité des métiers, les besoins de
recrutement, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, les conditions de travail, la santé, l'hygiène et la sécurité
au travail ou encore les œuvres sociales et culturelles. Les négociations salariales, les classifications, etc. sont et demeurent du
ressort exclusif des branches. L'organisation des isolés est explicitement développée dans certaines régions françaises dans le
champ de l'aide à domicile auprès des publics dits fragiles pour améliorer la qualité de l'emploi (la fonction d'intégration).
... et au quadripartisme régional
Gerard CLEMENT
Page 5
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
5
Initié au milieu des années 1960 par la mise en place des CESR, le développement du dialogue social régional s'est accéléré à
partir du début des années 2000 et c'est à cet échelon que le renouveau du dialogue social territorial s'est alors poursuivi en
France. Dans le contexte d'une montée en puissance des régions (relative comparativement à leur rôle dans d'autres pays
d'Europe- Allemagne ou Italie par exemple -, mais forte à l'échelle française) ce développement a suivi trois lignes de force :
institutionnelle, quadripartite et, de façon plus minoritaire, bipartite.
Les CREFOP (Comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle), instaurés par la loi Sapin du 5
mars 2014, constituent une institutionnalisation d'un dialogue social quadripartite plaçant l'État en Région (Préfet de Région,
Éducation Nationale, Pôle Emploi Régional), la Région (Conseil Régional), et les Partenaires Sociaux (trois Organisations
Représentatives des Employeurs et cinq Organisations Représentatives des Salariés) au cœur de la gouvernance territoriale des
politiques publiques d'emploi, d'orientation et de formation. Leur mise en place est encore en cours à la fin du printemps 2016.
ENTRE INNOVATION ET CRAINTE D'UN CONTOURNEMENT DE LA NEGOCIATION COLLECTIVE, UNE OPERATIONNALITE
QUI RESTE PROBLEMATIQUE
Ainsi pratiqué en France, ce DST occupe cependant une place restreinte et pas tout à fait stabilisée ; le renouveau observé est
d'abord qualitatif. Le DST explore d'autres champs que ceux qui étaient l'objet des premières conventions collectives et joue un
autre rôle : il s'est déployé comme accompagnateur du développement local ou plus exactement du redéveloppement comme
vecteur d'organisation et de développement du dialogue social et du syndicalisme dans les TPE, et comme facilitateur du
décloisonnement des politiques publiques dans le contexte de la décentralisation française.
L'innovation est véritablement la marque de fabrique de ce DST. On doit par exemple au dialogue social régional d'avoir « rodé » le
quadripartisme institutionnalisé par les CREFOP, d'avoir expérimenté ce qui deviendra le contrat de génération, ou encore d'avoir,
dans la foulée de la crise de 2008, testé différents dispositifs de sécurisation des parcours des travailleurs précaires et expérimenté
des dispositifs visant à « former plutôt que licencier », par exemple en Franche-Comté. Le DST assure donc, en France, un rôle de
laboratoire, ce qui confirme - en l'étendant à d'autres champs que celui des restructurations à propos duquel elle a été initialement
formulée - l'idée selon laquelle le territoire est un laboratoire d'innovations en matière de pilotage multi-acteurs.
Il est cependant peu producteur de résultats visibles. En écho à « la faiblesse des résultats concrets obtenus » (Micheau, 1982)
des premiers CBE, force est de constater les résultats décevants des CPRIA, « si l'on veut considérer la diffusion des droits
sociaux d'un point de vue quantitatif » (Rey, 2016). Il faut bien sûr se garder de juger trop vite un dispositif qui s'expérimente
encore, mais le constat est le même dans d'autres domaines. Ainsi, le territoire s'avère un « candidat décevant » (Fayolle, Guyot,
2014) à la sécurisation des parcours professionnels ; chaque fois qu'il a été tenté de mesurer l'effet sur l'emploi, aucun résultat
significatif n'a pu être trouvé (Quynh, 2015, par exemple). Enfin, les très rares évaluations accessibles (généralement non chiffrées)
d'instances de DST concluent seulement à des impacts positifs en termes de communication et d'échange d'information, les
Groupements d'employeurs constituant l'exception qui confirme la règle.
On peut remarquer qu'il ne s'agit pas d'une faiblesse, mais d'un trait caractéristique. Ainsi, a-t-il été dit des CBE qu'ils se situaient
en amont des actions pour l'emploi, animaient une « concertation dont le fruit leur échappe » (Palmowski, Morin, 2005) et étaient
donc dans, l'inconfortable position d'être des initiateurs d'actions portées par d'autres. Dans cette perspective, l'effet du DST sur
l'emploi ne peut être qu'indirect. Les effets sur l'emploi à court terme ne constituent sans doute pas un bon indicateur de l'activité
du dialogue social territorial et il vaudrait mieux trouver des indicateurs d'innovation, de créativité ou de mise en relation d'acteurs.
Ce positionnement du DST semble contraindre les participants à remettre incessamment de nouveaux projets à l'ouvrage, sans
jamais pouvoir espérer les concrétiser. Cette situation interdit l'apprentissage qui découle de la mise en œuvre, favorise
l'instrumentation (ceux qui mettent en œuvre poursuivent leurs propres objectifs) et son caractère chronophage. C'est en effet un
dialogue que son caractère multi partenarial rend complexe, qui requiert des apprentissages ne s'opérant que sur le tas et
demandant des moyens dont les acteurs qui l'investissent ne disposent pas en termes opérationnels et financiers (sauf pour ce qui
concerne, depuis quelques années seulement, les CPRIA). Cette situation explique qu'il n'est pas rare que ceux qui s'y investissent
s'effarent des «temps de travaux et débats nécessaires » (CNFPTLV 2012) comme si chacun « cherchait son rôle dans un
scénario lui-même à écrire » (Charlot, Bergère, 2011).
L'hypothèse qu'il est possible de faire face à ces constats est que les voies et moyens du fonctionnement du DST n'ont pas encore
été mis au point. La crainte qu'il ne serve à contourner les résultats de la négociation collective nationale a conduit les partenaires
sociaux français à affirmer en 2008 que :
« la volonté des interlocuteurs sociaux d'élargir le dialogue social doit également trouver une traduction concrète au niveau
territorial interprofessionnel. Ce dialogue social interprofessionnel territorial, qui ne saurait avoir de capacité normative, doit être
l'occasion, à l'initiative des interlocuteurs concernés, d'échanges et de débats réguliers sur le développement local dans sa
dimension
sociale
et
économique.
»
(Partenaires sociaux 2008, article 14, nous soulignons)
Cette position est à visée préventive contre l'utilisation, toujours possible, du dialogue social territorial (comme d'ailleurs du
dialogue social d'entreprise !) à des fins de remise en cause d'accords collectifs conclus à d'autres niveaux, risquant ainsi d'ouvrir
la voie à une concurrence interentreprises déloyale. Faut-il considérer pour autant qu'elle est gravée dans le marbre ?
QUELLES PERSPECTIVES POUR LE DST EN FRANCE ?
Il est maintenant de plus en plus clairement perçu que le DST crée « des dispositifs innovants » (Combrexelle, 2015). Alors,
comment envisager un développement plus affermi ?
Plusieurs propositions existent dans ce domaine. La première et la plus simple consiste à faire évoluer le droit pour que des
représentants d'employeurs et de salariés en activité puissent bénéficier des droits leur permettant de participer de plain-pied à ce
dialogue social et aux projets qui lui sont associés. L'article 50 proposé par Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen (Badinter, LyonCaen, 2015) va dans ce sens pour ce qui concerne les TPE, et il pourrait être étendu à la participation de représentants aux
Espaces d'Initiatives Territoriales préconisés par le rapport Aubert (Aubert 2014, op. cit.). La proposition 39 faite par le rapport
Combrexelle de reconnaissance par la loi des « négociations territoriales et de sites créant des dispositifs innovants », dont les «
les dispositions de nature normative que, le cas échéant, [ils] contiendraient n'auraient d'effet juridique que dans la mesure où elles
seraient explicitement reprises dans les accords d'entreprise » (Combrexelle op. cit.) ouvriraient la porte à l'expérimentation. Ces
propositions sont importantes, car elles permettraient de sortir le DST en France de sa dépendance des financements et décisions
centralisées, notamment de l'État ou de la Région. De ce point de vue, il faudra suivre de près les conséquences qu'auront - dans
les régions dans lesquelles existait un dialogue social régional et/ou infra régional (Rhône-Alpes ou Ile-de-France, par exemple) les changements de majorité intervenus lors des élections de décembre 2015.
Il s'agit cependant de propositions d'organisation, dépendantes de projets dont il faut préciser le sens et les champs. De ce point
de vue, on peut formuler l'hypothèse que deux champs au moins pourraient bénéficier d'un développement du DST : celui des
transitions professionnelles et, plus largement, celui couvert par les droits de tirages sociaux proposés par le « rapport Supiot »
Gerard CLEMENT
Page 6
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
6
(Supiot 1999) d'une part ; celui du décloisonnement des politiques publiques de l'autre, et notamment de l'articulation encore
largement à réaliser des politiques de l'Emploi et de la Formation avec les politiques et les initiatives de développement
économique. Pour illustrer ce propos, disons que les droits de tirage que constitue le CPF (Compte personnel de formation) ou les
droits qui donneront corps au futur CPA (Compte personnel d'activité) pourraient bénéficier d'un accompagnement territorialisé
dont la construction constituerait un champ d'intervention privilégié d'un dialogue social territorial.
Du point de vue de la méthode, le développement de Groupements d'Employeurs montre l'importance du couplage entre réflexion
et mise en œuvre. Dans la région où ils sont nés, le dialogue social territorial a donné lieu à la mise en place du Centre de
Ressource des Groupements d'Employeurs Poitou-Charentes, association réunissant dans son conseil d'administration les
partenaires sociaux engagés dans le projet de leur construction et des responsables de groupements et abritant une structure
opérationnelle dédiée à la création et au développement de ces groupements. Une telle organisation est proche de celle des « Job
Security Foundations » (JSF), structures mises au point par les partenaires sociaux suédois pour sécuriser les transitions
professionnelles. Une fondation financée par un accord de branche met à disposition des dirigeants et des salariés des équipes
capables d'apporter des conseils sur la manière de mener une réorganisation ou d'accompagner les transitions professionnelles
des salariés licenciés. Une différence notable réside dans le financement : les partenaires sociaux suédois ont organisé et assurent
le financement des JSF, alors que ce sont les pouvoirs publics (État et Région) qui, en France, financent pour l'essentiel le CRGE.
En d'autres termes, entre l'attribution au DST d'un pouvoir normatif potentiellement déstabilisateur de la négociation collective et
son cantonnement à un rôle strictement délibératif et consultatif, il est souhaitable et possible d'explorer un chemin plus productif
en dotant le DST des moyens d'une conduite multi partenariale de projet sur des champs qui sont - par nature interprofessionnels
(orientation, transitions professionnelles, droits de tirage sociaux, développement économique local, ...) - pour favoriser l'innovation
sociale.
De nombreux obstacles se dressent face à une telle perspective. Sans prétendre à l'exhaustivité, notons : une culture
centralisatrice qui marque la France et qui concerne non seulement l'État mais aussi l'échelon régional et les partenaires sociaux ;
une crise des finances publiques qui pose la question des moyens alloués à ce dialogue ; une faiblesse numérique des
organisations représentatives des employeurs et des salariés, qui interroge sur leur capacité d'investissement des niveaux infra
régionaux de dialogue social.
Une occasion historique est cependant apparue en France avec la décentralisation commencée en 1982 et les acteurs du DST ont,
jusqu'à ce jour, su s'en saisir. Cette analyse a montré sa pertinence renouvelée. Mais elle suggère aussi que les progrès potentiels
sont aussi importants que les fragilités sont persistantes, ce qui laisse un rôle central au volontarisme politique.
Pour aller plus loin
- Badinter, R., Lyon-Caen, A. (2015). Le Travail et la loi. Paris : Fayard.
- Charlot, J.-L., Bergère J.-M. (2011). « La GPEC Territoriale à l'épreuve de la pratique » Note n°7, Astrees.
- CNFPTLV (2012). « Le CCREFP : une instance de concertation et de coordination au cœur de la gouvernance régionale de
l'emploi et de la formation professionnelle ». Note CNFPTLV.
- Combrexelle, J.-D. (2015). La Négociation collective, le travail et l'emploi. Rapport au premier ministre. Paris : France Stratégie.
- Fayolle, J., Guyot, F. (2014). La sécurisation des parcours professionnels, Paris : SciencesPo. Les Presses.
- Gazier, B., Bruggeman, F. (2016). Tripartisme et Dialogue Social Territorial. Rapport pour le BIT.
- Micheau, M. (1982) « Les comités de bassin d'emploi, bilan et questions » Travail et emploi, n° 11.
- Palmowski, C., Morin, F. (2005). Le Dialogue Social Territorial à partir de l'expérience des Comités de Bassin d'Emploi. Ecole des
Territoires, Bergerie Nationale de Rambouillet.
- Partenaires Sociaux (2008). Position commune du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le
financement du syndicalisme.
- Quynh, C.D. (2015). « Mobiliser les territoires, la preuve par les SPEL ? », Synthèses n°6, DGEFP
- Rey, F. (2016). Un droit universel à la représentation ? Un demi-siècle d'institutionnalisation du dialogue social territorial à
destination des PME. A paraître.
- Supiot, A. (1999 ; 2ème édition 2016). Au-delà de l'emploi. Paris : Flammarion.
L'intermédiation : point aveugle de la réforme du marché du travail
par Carole Tuchszirer, Jean-Louis Dayan - 24 Juin 2016
Le mouvement de protestation contre le projet de loi El Khomri a mis plus que jamais la « réforme du marché du travail » sur le devant de la
scène. Du coup, il n'y est question que de hiérarchie des normes, de négociation d'entreprise ou de périmètre des licenciements
économiques. Sujets importants, certes, mais qui sont loin d'épuiser la réalité du marché du travail et de son fonctionnement.
Carole Tuchszirer, vous y avez consacré de nombreux travaux, mais en portant moins l'attention sur les deux parties en présence travailleurs et employeurs - que sur les institutions, les opérateurs et les acteurs chargés d'organiser leur rencontre. On parle bien peu
aujourd'hui du rôle de ces intermédiaires, de leurs pratiques, de leurs marges de manœuvre, de leurs interactions. Est-ce à dire qu'il n'y a
rien à signaler ?
Il est vrai qu'on en parle peu. Cela tient sans doute pour une part au fait qu'en France les intermédiaires du marché du travail sont peu
sollicités par les entreprises. A la différence d'autres pays ce sont les candidatures spontanées et les relations personnelles qui constituent les
premiers canaux de mise en relation des offres et demandes d'emploi, Pôle emploi et cabinets de recrutement venant loin derrière (cf.
l'ouvrage de E. Marchal et G. Rieucau). Du coup, l'intermédiation est un peu le point aveugle de la réforme du marché du travail. Elle n'est pas
complètement absente de la « loi Travail », qui désigne notamment le réseau des missions locales comme opérateur principal de
l'accompagnement des jeunes. Mais cela reste tout à fait marginal rapporté à l'ensemble du texte, alors qu'il y a pléthore de rapports officiels
sur le service public de l'emploi (SPE) français. Pourtant il y aurait bien sûr matière à intégrer le SPE dans les réformes du marché du travail
pour renforcer le rôle que celui-ci peut jouer dans les régulations de l'emploi - qui ne sont pas seulement affaire de contrats de travail ou de
conventions collectives. Il y a par exemple une réflexion à engager pour voir comment inscrire Pôle emploi dans une dynamique de gestion des
transitions professionnelles tout au long de la vie. A ce titre, on pourrait aussi envisager d'ouvrir les dispositifs de Pôle emploi aux salariés en
difficulté dans l'entreprise, sans attendre qu'ils aient le statut de demandeurs d'emploi. Cela se fait en situation de crise et d'urgence, à titre
exceptionnel, pourquoi ne pas en faire une pratique courante de l'opérateur ?
Mais pour mieux se retrouver dans le paysage actuel, il faut revenir en arrière, jusqu'à la loi de cohésion sociale de 2005, dite loi Borloo, qui a
redessiné les contours du SPE en distinguant 3 cercles :
• Le noyau central formé par l'Etat, Pôle emploi et l'assurance chômage (Unédic) - en notant au passage que l'AFPA en a été sortie assez vite,
signe d'un déplacement des missions du SPE de la formation professionnelle vers l'indemnisation.
Gerard CLEMENT
Page 7
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
7
• Un second cercle formé par la galaxie des collectivités territoriales : régions (responsable de la formation professionnelle), départements
(insertion sociale), communautés d'agglomération, communes (un peu tout à la fois).
• Un troisième rassemblant les réseaux « cotraitants », liés par convention pluriannuelle avec Pôle emploi (Missions locales pour les jeunes,
Cap Emploi pour les handicapés, PLIE pour les personnes en difficultés), et les « sous-traitants » : opérateurs privés de placement (OPP) et
prestataires de bilans, d'accompagnement ou de formation opérant dans le cadre de marchés publics.
ce faisant, la loi Borloo a marqué un tournant : elle a mis fin au monopole de placement de l'ANPE en ouvrant la mise en relation des offres et
des demandes d'emploi aux prestataires privés (y compris les agences d'intérim).
Fait intéressant, il circule dans les territoires de nombreuses définitions indigènes du périmètre du SPE, qui souvent le réduisent à Pôle emploi
et ses cotraitants (missions locales et Cap emploi). Comme si seule une relation contractuelle forte pouvait fixer le périmètre de l'offre de
service globale du SPE. Vue de l'extérieur, l'image qui l'emporte est plutôt celle d'un paysage complexe, fait de cercle, mais à géométrie
variable, et au total sans gouvernance. Car la loi de 2005 n'a pas désigné de pilote : elle s'est bornée à énumérer les différentes composantes
du SPE, dans une sorte d'inventaire à la Prévert. D'où la recherche permanente d'un chef de file, dont on peut trouver maints exemples dans le
champ de la formation professionnelle, avec parfois une lutte entre le Conseil régional et Pôle emploi pour le leadership. Comme la loi ne l'a
pas réglée, la question se joue au gré soit du rapport des forces locales (ce qui a des effets délétères), soit des légitimités variées qui ont pu se
construire localement (avec des résultats plus consensuels).
Vous avez récemment établi, pour le compte de Pôle Emploi, une cartographie des intermédiaires du marché du travail. Comment vous y
êtes-vous pris, et que donnent à voir vos cartes ?
C'est en effet en réponse à un appel à projets de recherche de Pôle emploi que nous avons dressé cette cartographie, et c'est intéressant en
soi, dans la mesure où cela montre que l'opérateur public national lui-même a besoin d'y voir plus clair dans le paysage de l'intermédiation, de
mieux savoir comment fonctionnent les autres acteurs. Il maîtrise assez bien la chose pour les missions locales ou Cap Emploi. Mais moins pour
les autres : les opérateurs privés de placement (OPP), les OPCA (organismes collecteurs des fonds de la formation professionnelle), les
organismes municipaux accompagnant les allocataires du RSA, les associations, les réseaux de l'IAE (insertion par l'économique), qui jouent de
plus en plus le rôle d'intermédiaire auprès des entreprises et des salariés, sans oublier les Job Boards, qui offrent aujourd'hui de vastes platesformes numériques de mise en relation.
Vu l'ampleur du sujet, nous avons choisi pour notre recherche de nous concentrer sur deux terrains, mais avec une approche très large, c'està-dire en y rencontrant tous les acteurs qui d'une façon ou d'une autre tentent de rapprocher des demandeurs d'emploi des entreprises. Les
deux territoires présentaient des profils de demandeurs d'emploi proches, avec en majorité des personnes peu qualifiées ou peu diplômées,
mais des dynamiques économiques contrastées : pour l'un, une forte demande de travail non qualifié et des opérateurs privés cherchant à
pénétrer le marché local de placement ; pour l'autre, la présence de grandes entreprises qui recrutent, mais pas sur le marché du travail local.
Une fois dressées, nos cartographies donnent l'impression d'un entrelacs de relations tous azimuts entre acteurs aux fonctions, positions et
influences très diverses. On peut avoir de ce résultat une vision haute, optimiste : les intermédiaires ne travaillent pas chacun dans leur coin,
ils s'échangent des informations, des demandeurs d'emploi, des offres d'emploi, des financements, montent des opérations communes sur les
territoires ; grâce à leur diversité, ils peuvent se répartir les demandeurs d'emploi selon les profils individuels et les compétences propres qu'ils
peuvent chacun apporter en réponse. Une division du travail efficiente, en somme. Ou bien, vision plus sombre, ce ne sont pas les
compétences respectives des organismes qui commandent la répartition des chercheurs d'emploi, mais plus prosaïquement les capacités
d'accueil des uns et des autres, ou encore les règles administratives qui font du partenariat plus une contrainte qu'un atout. En matière d'IAE
par exemple, cela donne un premier accueil des demandeurs d'emploi réservé au « premier cercle » (Pôle emploi ou ses cotraitants), qui doit
valider au préalable toute orientation vers les structures spécialisées. Lesquelles n'ont donc qu'un accès très indirect à leur public cible, avec la
perte de temps et le risque de déperdition et de découragement des publics qui vont avec. Même chose pour les opérateurs privés de
placement : également dépourvus d'un accès direct à leur public, ils peinent à remplir correctement leur mission, alors même qu'ils sont de
plus en plus évalués sur le taux de retour à l'emploi des demandeurs qui leur sont confiés. Autre exemple : les structures (le plus souvent
associatives) chargées d'accompagner les allocataires du RSA n'ont pas directement accès aux offres des entreprises, car les départements
commanditaires s'en réservent l'usage (et développent dans ce but leur propre prospection, sans passer par Pôle emploi). Idem pour les
missions locales qui parfois, pas toujours, sont empêchées de prospecter les entreprises pour ne pas froisser les agences Pôle emploi.
De tout cela, il ressort que l'ouverture du placement n'a finalement pas libéralisé grand-chose. La révolution silencieuse opérée par la loi
Borloo s'est arrêtée en chemin : beaucoup d'intermédiaires publics n'ont toujours pas accès aux offres d'emploi, et beaucoup d'intermédiaires
privés pas accès aux demandeurs d'emploi. Voilà un constat pour le moins paradoxal puisque la loi Borloo a confié le placement à l'ensemble
de ces acteurs sans leur confier les outils du placement ni l'accès au marché du travail.
On présente généralement cette pluralité d'acteurs, d'opérateurs, de logiques et d'échelles territoriales comme un facteur majeur
d'inefficience et de dysfonctionnement. Le « mille-feuille » n'a-t-il que des inconvénients en matière d'intermédiation ?
Vu le nombre et la diversité des opérateurs, beaucoup de compétences sont mobilisées, les profils d'intervenants se renouvellent, les
conseillers circulent d'un organisme ou d'un cercle à l'autre, et tout cela peut être porteur d'efficience. On observe une montée des profils de
« médiation active » tournés vers l'entreprise, mais aussi, je l'ai dit, de l'objectif de retour à court terme à l'emploi à travers les indicateurs en
usage dans les marchés publics et plus généralement dans les dialogues de gestion avec les multiples financeurs et tutelles. Avec le risque
évident d'écarter les plus vulnérables des demandeurs d'emploi, de sélectionner les moins vulnérables parmi les vulnérables.
Plus largement, le problème est qu'on ne sait pas bien où commence ni où finit l'intermédiation. Or, la pluralité d'acteurs ne peut être une
bonne chose que si l'on dit clairement qui fait quoi, qu'on lève les freins institutionnels, qu'on sort des querelles de chapelles et des logiques
de concurrence, qu'on se libère des effets pervers des indicateurs de gestion. Sinon, ce sont les projets territoriaux de développement de
l'emploi et des compétences qui en pâtissent. Dernier exemple en date, celui de la Garantie Jeunes, dispositif conçu d'en haut pour s'appliquer
uniformément dans les territoires. Il faut enfin accepter que les territoires, entendus comme ensembles actifs et coordonnés de ressources au
service de l'emploi, deviennent un bien commun, qui les mette en capacité d'agir sur leur destin. C'était l'idée des Maisons de l'emploi, nées
aussi de la loi Borloo, mais restées à l'état de tentative, trop prudente.
Il n'y a donc toujours pas de pilote dans l'avion ?
Chaque grand acteur public s'estime légitime pour être chef de file : l'Etat (à travers ses directions régionales, les Direccte), Pôle emploi, qui
couvre tout le territoire, les Conseils régionaux chacun pour sa région. La question a resurgi en 2014, avec la dernière loi de décentralisation,
dite loi NOTRE : plusieurs régions ont plaidé pour se voir transférer la compétence emploi en complément de la formation professionnelle et
du développement économique. Mais la loi ne l'a finalement permis que de façon optionnelle, et partielle : les régions volontaires pourront
devenir « actionnaire majoritaire » des opérateurs locaux du champ emploi au moyen des crédits d'intervention transférés par l'Etat (et
Gerard CLEMENT
Page 8
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
8
abondés par le Fonds social européen) ; mais cela ne leur donnera pas la main sur l'action locale de Pôle emploi, qui reste opérateur national,
un et indivisible.
Il faut savoir par ailleurs que beaucoup d'opérateurs locaux préfèrent avoir l'Etat pour chef de file que la région, qu'ils trouvent plus exigeante
quant au choix des territoires d'intervention et de publics cibles. Et que certaines régions préfèrent développer leurs propres services
d'intervention plutôt que s'appuyer sur des opérateurs locaux. La décentralisation de la compétence emploi peut donc avoir sur le terrain deux
traductions bien différentes : soit des régions jacobines, qui reproduisent à leur échelle (souvent agrandie par la loi NOTRE) la centralisation
étatique d'antan ; soit des régions qui jouent elles-mêmes le jeu de la délégation des projets et des actions au bénéfice de leurs territoires.
Enfin, n'oublions pas que Pôle emploi reste opérateur national, et qu'il le restera aussi longtemps que l'Etat et son gouvernement garderont la
responsabilité politique des chiffres du chômage... Assumer tous les mois la publication des chiffres du chômage, je ne suis pas sûre qu'il
s'agisse là d'une compétence que les Régions revendiquent pleinement.
Pour en savoir plus :
- À paraître : « Diversité et dynamiques des intermédiaires du marché du travail », Études et Recherches n°7, Juin 2016, Par Anne Fretel, JeanMarie Pillon, Delphine Remillon, Carole Tuchszirer, Claire Vivés et avec la participation de Yannick Fondeur
- « Pôle emploi et le service public de l'emploi », Assemblée Nationale, rapport de mission parlementaire présenté par M. Iborra, 2013
Carole Tuchszirer est Socio-économiste au Centre d'études de l'emploi (CEE)
travailler plus pour gagner autant
 François Meunier
24 juin 2016
La durée du travail connaît une décrue séculaire, sauf notoirement dans un grand pays, les États-Unis. Cette tribune, inspirée du
travail de deux économistes suédois, Timo Boppart et Per Krusell, et qu’on peut retrouver sur le site ami Vox-EU du 21 mai 2016,
soutient que cela résulte de la stagnation des salaires réels que connait le gros des salariés américains sur la période. Dans ce
pays, si on veut seulement maintenir son pouvoir d’achat, il faut travailler plus. Est-ce en train d’arriver en Europe ?
Si l’on déroule, comme le font les auteurs cités, la durée du travail depuis 1870 dans 25 pays avancés, c'est-à-dire sur un siècle et
demi, la réduction est patente et assez régulière : de l’ordre de 0,5% par l’an pour les heures travaillées sur l’année.
Les déterminants de la durée du travail sont divers, mais obéissent sur la longue durée à un mécanisme assez simple : les pays
connaissent structurellement des gains de productivité liés au progrès technique. Ces gains passent largement en hausse de
salaire et de niveau de vie des individus. La hausse salariale a à son tour deux effets sur la durée du travail, mais de sens
contraire (pardon pour le jargon) : – un effet substitution par lequel il est plus intéressant de travailler que de « consommer » du
loisir, puisque le travail rapporte davantage, effet qui joue à accroître la durée du travail ; – un effet revenu par lequel les individus
ayant davantage de revenus peuvent « s’acheter » davantage de ce bien supérieur qu’est le loisir. Ce second effet domine
empiriquement, selon les deux auteurs cités. Cette logique peut surprendre le lecteur français habitué à ne voir la réduction du
temps de travail qu’en réponse à une initiative politique. Mais, sur la durée, c’est bien la demande de loisirs et la capacité à les
prendre et à les donner, de la part des salariés et des entreprises, qui jouent le rôle déterminant.
Cette réduction tendancielle est un message réconfortant face à cette poussée d’inquiétude collective liée à l’introduction de
technologies (robotisation, intelligence artificielle…) très impressionnantes. On les voit à raison capables de remplacer de
nombreux emplois, y compris dans les postes qualifiés. Réconfortant parce que, ne l’oublions pas, la durée du travail est aussi une
variable d’ajustement. De plus, des emplois peuvent disparaître, mais d’autres réapparaissent, en particulier sous l’effet de la
montée du temps de loisir, qui nourrit une activité économique importante.
Tout cela serait entendu s’il n’y avait pas une grosse exception à cette tendance séculaire : les États-Unis. Le graphique qui suit,
tiré du même article, regarde la durée annuelle du travail dans ce pays depuis 1950. Il y a des bosses et des creux, mais à tout le
moins pas de tendance à la baisse. Les Américains, dont la durée hebdomadaire du travail était à peu près celle qu’on rencontrait
en Europe dans les années 70, travaillent désormais de l’ordre de 3 h, 4 h, et 5 h de plus que respectivement les Britanniques, les
Allemands et les Français.
Que se passe-t-il de ce particulier dans ce pays ? Serait-ce que l’affirmation précédente, selon laquelle l’effet revenu domine l’effet
substitution, est fausse ? Pas du tout, répondent les auteurs. La réalité est moins heureuse : pour le gros de la population
américaine au travail, les revenus salariaux n’ont pas progressé en pouvoir d’achat. Les gains de productivité, selon un mécanisme
désormais bien mis en évidence dans ce pays, ont eu tendance à nourrir les travailleurs heureusement situés dans les déciles
supérieurs de la distribution des revenus (surtout le désormais célèbre 0,1%), ou bien les nouveaux entrepreneurs capables de
capter la plus-value de leurs innovations sans la répercuter pleinement en aval en baisse des prix ou en hausse des revenus
salariaux.
Autrement dit, les Américains ne réduisent pas la durée de leur travail parce qu’ils ne peuvent pas, afin de préserver leurs revenus
qui chuteraient sinon. Ils ne peuvent pas s’offrir le « luxe » d’heures de loisir plus nombreuses. Un indice appuie cette affirmation :
c’est dans la partie basse des revenus que les gens « choisissent » le plus de travailler la nuit ou le week-end, et c’est en grande
partie les heures de nuit et du week-end qui font monter la moyenne aux États-Unis au-dessus des moyennes européennes
(voir cette autre référence dans Vox-EU pour documenter ce fait, qui devrait normalement pousser le gouvernement à adopter,
comme en Europe, une sur-rémunération des heures travaillées la nuit et le week-end). Un autre indice est le temps de congé aux
États-Unis : bien souvent de deux semaines seulement par an. Mais comme on s’en aperçoit vite à fréquenter le monde du travail
Gerard CLEMENT
Page 9
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
9
là-bas, dès qu’ils sont dans le haut des rémunérations ou quand ils ont de nombreuses années de travail dans l’entreprise, les
salariés négocient très souvent des jours voire des semaines de congé dans leur « package » salarial. Justifiant ce qu’avancent
nos deux économistes, ils font jouer à plein l’effet revenu.
La France est comme souvent dans une catégorie à part. Par la loi sur les 35 heures, en premier lieu. Telos, par exemple ici, s’est
souvent fait l’écho de la grave erreur de politique économique qu’a été cette loi, à la fois dans le moment où elle a été prise (quand
l’Allemagne « réarmait », prenant à l’inverse des mesures massives de réduction du coût du travail) et dans la méthode (un
rationnement unique et imposé à tous par en-haut). Pourquoi fallait-il cette mesure alors que l’écoulement des gains de productivité
vers le temps de travail s’opérait sans pathos particulier, comme dans les autres pays d’Europe, si ce n’est un coup d’arrêt de la
baisse précisément suite à la mesure autoritaire de réduction de 40 à 39 heures de la durée légale en 1982 ? En second lieu, par
la décision du président Sarkozy en 2007 d’exonérer de cotisations sociales les heures supplémentaires. La mesure, à lire
l’argument développé ci-dessus, ne peut pas augmenter le temps de travail quand l’effet revenu domine. De fait,voir référence ici à
nouveau dans Vox-EU, Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo ont mis en évidence, profitant d’une expérience naturelle, que la mesure
n’avait pas augmenté les heures travaillées, mais uniquement les heures supplémentaires déclarées. Tout n’a été qu’optimisation
fiscale ! La mesure a été supprimée à l’arrivée de la gauche en 2012, mais personne à droite aujourd'hui, y compris parmi les
candidats aux primaires, ne songe à la réactiver.
Un signe inquiétant est la légère remontée de la durée du travail en Allemagne depuis l’année 2005. Doit-on voir la même logique à
l’œuvre ? C’est à surveiller
Après le Brexit, le temps de la réflexion
 Charles Wyplosz
Le verdict du référendum est une très mauvaise nouvelle pour la Grande-Bretagne et une menace potentiellement létale pour l’UE. Ce qui se
passe après est aussi important que ce qui s’est passé avant.
L’adhésion de la Grande-Bretagne était basée sur une ambiguïté. La Grande-Bretagne voulait le marché commun et seulement le marché
commun. Pendant plus de quarante ans, on a vécu avec cette ambigüité. La Grande-Bretagne a eu droit à de nombreuses exemptions et à un
rabais, mais la machinerie intégrationniste a continué à tourner en cherchant, et parfois en réussissant, à forcer la main des Britanniques. Le
Brexit en est en partie le résultat. Il serait dangereux d’ignorer que l’adhésion du Royaume-Uni a entrainé celle des pays Nordiques qui, comme
plusieurs pays de l’Est, partagent plus la vision britannique que celle de la France ou celle de l’Allemagne. Penser que le Brexit est une preuve
de l’insularité proverbiale de la perfide Albion est une grossière erreur. Il y a bien un désaccord latent sur la nature de l’Union et ce désaccord
peut conduire à d’autres départs.
L’autre raison du Brexit est le problème de l’immigration. Sur cette question, la situation ne diffère pas d’un pays à l’autre. Partout les classes
moyennes et populaires ont de bonnes raisons de se sentir menacées, elles qui ont déjà payé un lourd tribut à la mondialisation. Le
nationalisme revient au galop parce qu’il rime avec protectionnisme. On peut le déplorer, et j’en suis meurtri, mais on ne peut pas le nier. Il ne
sert à rien de dénoncer le référendum comme instrument de décision – il fonctionne très bien aux États-Unis ou en Suisse – car la montée de
la colère des classes moyennes peut s’exprimer autrement, par exemple en élisant des partis nationalistes et protectionnistes. En démocratie,
le peuple a toujours raison. Les élites peuvent en douter parfois, mais c’est ainsi. Partout le peuple d’en bas ne veut plus se faire dire qu’il ne
comprend rien. Il est grand temps pour les élites (politiques, médias, technocrates locaux et internationaux, « penseurs profonds et
visionnaires ») de l’accepter. Deux défis immédiats doivent en tenir compte.
Premier défi, comment négocier avec la Grande-Bretagne ? Oubliez l’instinct de vengeance et l’envie de faire un exemple censé instiller la
frayeur chez les candidats ou départs et les eurosceptiques. Il va falloir négocier une myriade d’accords de remplacement, c’est-à-dire
reconstruire, article par article, tous ce qui règle aujourd’hui les relations entre la Grande-Bretagne et chacun des pays membres de l’UE. La
première nécessité est de comprendre que le monde politique britannique sort brisé du référendum. Les deux partis principaux sont en
miettes, traversés par la question européenne. Ils doivent se reconstruire ou éclater. La France est passé au tripartisme, l’Espagne au
quadripartisme et la même problématique existe ailleurs, en Allemagne comme en Italie, en Finlande comme en Autriche ou aux Pays-Bas.
L’idée d’agir vite est un non-sens. Au minimum la Grande-Bretagne doit se trouver un nouveau gouvernement. Ceux qui rêvent de l’obliger à
négocier tout de suite commettent à nouveau l’erreur d’ignorer sa souveraineté, erreur qui a conduit au Brexit. L’UE n’est pas les États-Unis, le
Brexit ne peut pas conduire à une sorte de guerre de sécession.
Il va falloir aussi réfléchir au contenu des accords à négocier, c’est le second défi. Toute la difficulté sera de combiner la vision britannique, le
marché commun et rien que le marché commun, avec celle, plus exigeante, de l’UE. La question de la mobilité des personnes est
incontournable. Sur ce point, les Britanniques ne sont pas isolés. Il va falloir se demander quelle est l’importance réelle de cette liberté. Je fais
partie de ceux qui l’ont adorée (et pratiquée) et la perdre sera une profonde meurtrissure. Mais il faut admettre que l’Union a bien fonctionné
pendant des décennies sans cette liberté que chérissent les élites et que détestent les classes moyennes. Entre la liberté complète et le régime
des visas, il existe un monde à explorer. Pragmatisme contre soif d’absolu ou logique poussée à son terme, il va falloir choisir.
Plus généralement, le principe d’une union toujours plus étroite, présenté comme un des fondements du Traité de Rome, a conduit à une
évolution toujours plus centralisée de l’Union. Cela aurait pu passer, mais c’est en train de casser sous nos yeux. Il faut à présent admettre
qu’une telle évolution est remise à plus tard, dans une génération ou deux. D’ailleurs, la structure de la centralisation ne correspond pas
toujours à des critères logiques. Le commerce demande la centralisation, y compris en matière de concurrence, de protection du
consommateur et de traités internationaux. C’est le cas, et c’est très bien, mais de bons principes peuvent être utilisés à de mauvaises fins. Un
exemple caricatural, parmi des milliers, de protection inutile du consommateur, choisi parce qu’il a joué un rôle non négligeable durant la
campagne du Brexit : la taille (et la courbure) minimum des bananes. Les mauvaises langues disent qu’il s’agit d’une mesure protectionniste
voulue par la France pour défendre la banane de Martinique.
Il serait bon de remettre à plat tout ce qui a été centralisé, tout en se demandant si à l’inverse certaines fonctions aujourd’hui décentralisées
ne doivent pas être centralisées. Il existe des principes soigneusement élaborés à partir de l’expérience acquise dans les États fédéraux (pour
l’élaboration de ces principes, on peut se référer à une analyse accessible ici). Il existe aussi quelques exemples, et on peut commencer avec la
monnaie unique. Le choix ne s’impose pas, mais il n’est pas non plus déraisonnable. Tout naturellement, certains pays l’ont adoptée, d’autres
pas, et c’est très bien ainsi. Mais alors les pays qui l’ont adoptée doivent aussi centraliser la réglementation et la supervision bancaire. Il a fallu
attendre la crise pour créer l’Union Bancaire, mais la centralisation est loin d’être achevée, tout simplement pour des raisons protectionnistes
ou de refus de partager les risques. Quant à la fiscalité, rien n’indique qu’elle doit être centralisée, et pourtant de nombreux pays le veulent, la
France en premier. Des nombreuses fédérations fonctionnent très bien sans centralisation – ou harmonisation comme on dit pour éviter un
terme qui fâche – et acceptent la compétition fiscale. Autre exemple légendaire : la PAC. Son inefficacité est avérée mais elle continue à
Gerard CLEMENT
Page 10
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
10
représenter le plus gros budget de l’UE. En sens inverse, la recherche scientifique gagne à être intégrée sur la plus grande échelle possible (le
CERN est un bon exemple), or elle n’est que très partiellement centralisée.
On peut continuer longtemps ainsi. Le message est simple : l’architecture de l’UE est le résultat de milliers de décisions passées, dont certaines
sont justifiées, d’autre pas du tout. Ce sont ces dernières qui irritent et créent l’impression que Bruxelles est un monstre assoiffé de pouvoir.
C’est ignorer que la Commission Européenne ne peut pas prendre de décision qui ne soit avalisée par les gouvernements et, de plus en plus,
par le Parlement Européen. À ce niveau, les petits arrangements et les compromis malsains, que l’on reproche ensuite à « Bruxelles », sont le
moyen de se rendre mutuellement des services politiques obscurs, mais destructeurs car pas toujours anodins. Le Brexit est une occasion
unique de faire un ménage qui vise à créer une Union plus modeste mais plus efficace et surtout plus sympathique. Qui sait, les Britanniques
pourraient alors changer d’avis ?
Et si les Britanniques ne sortaient pas de l’UE?
 Daniel Vernet
28 juin 2016
Selon l’article 50 du traité de Lisbonne, le gouvernement britannique doit notifier au Conseil européen son intention de se retirer de
l’UE. Il est le seul maître du calendrier et ne semble pas pressé d’accomplir cette démarche. Le Premier ministre David Cameron a
annoncé son intention de démissionner de son poste en octobre et de laisser à son successeur le soin d’activer l’article 50. Du côté
des autres membres de l’UE des voix discordantes se font entendre. Alors que du côté de Paris, de la Commission et du Parlement
européen, on presse, la chancelière Angela Merkel veut prendre son temps. Les Britanniques saisiront-ils ce délai pour réviser leur
décision?
Et si, at the end of the day, les Britanniques restaient dans l’Union européenne ? L’hypothèse la plus vraisemblable est qu’à la fin
de longues négociations, ils obtiendront un statut particulier qui, moyennant quelques engagements de leur part, les feront
bénéficier des principaux avantages du grand marché unique. Comme le disait plaisamment l’ancien député européen Jean-Louis
Bourlanges, « les Anglais ont toujours eu un pied dedans un pied dehors, après le référendum se sera l’inverse ».
Mais on ne peut exclure le cas où, malgré le vote sans appel du 23 juin, le Royaume-Uni décide finalement de rester dans l’UE,
avec les dérogations dont il bénéficie déjà actuellement. Plusieurs arguments militent pour cette possibilité, aussi incongrue puisset-elle paraître aujourd’hui.
Avant 2007, aucune procédure n’était prévue pour qu’un État-membre de l’UE quitte le club. Le traité de Lisbonne a introduit cette
possibilité dans son article 50. Celui-ci prévoit que « l’État-membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil
européen ». En l’occurrence il revient au gouvernement de Londres d’entreprendre la démarche. Au lendemain des 52% en faveur
du Brexit, David Cameron a déclaré, en annonçant sa démission, qu’il laisserait ce soin à son successeur. Avant le vote, peut-être
pour effrayer les tenants du Brexit, il avait pourtant déclaré que l’article 50 s’appliquerait immédiatement.
Le verdict tombé, chacun donne l’impression de vouloir gagner du temps. Le prochain leader du Parti conservateur qui sera aussi
le prochain Premier ministre ne sera élu qu’en octobre au congrès ordinaire des Tories. Pendant ce temps, le Royaume-Uni reste
un membre à part entière de l’UE, même si les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement ont décidé de siéger sans lui lors du
Conseil européen du 28 et du 29 juin. Et même s’il devrait renoncer à exercer la présidence tournante du Conseil des ministres qui
lui revenait à partir du 1erjuillet 2017.
Sur le calendrier, des voix discordantes se sont immédiatement fait entendre sur le continent. Certains, comme les Français, la
Commission de Bruxelles et le Parlement européen, pressent les Britanniques de notifier aussi rapidement que possible leur
intention de se retirer. En Allemagne, le ministre social-démocrate des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, est sur la
même longueur d’ondes. Conformément à son tempérament, la chancelière Angela Merkel, elle, veut temporiser : « Honnêtement,
ça ne peut pas durer une éternité mais je ne me battrai pas pour un court délai », a-t-elle déclaré. Tandis que son bras droit à la
chancellerie, Peter Altmaier, avait une formule ambigüe : « Les dirigeants politiques londoniens devraient avoir la possibilité de
réfléchir une fois encore aux conséquences d’une sortie [de l’UE]. » Réfléchir, pourquoi ?
Le référendum du 23 juin était officiellement « consultatif ». La décision formelle sur la sortie revient à la Chambre des communes.
Les deux tiers des députés y sont opposés mais on voit mal comment ils pourraient aller à l’encontre d’un vote populaire. La
pétition pour l’organisation d’un deuxième référendum, lancée avant même le scrutin par un partisan du « leave » inquiet du
résultat possible, a recueilli plus de trois millions de voix en trois jours. La Chambre des communes est tenue de l’examiner mais
pas d’y donner suite. Il y a donc fort peu de chances qu’une deuxième consultation ait lieu.
Cependant, le prochain Premier ministre pourrait considérer que n’ayant pas été soumis à une élection générale, il ne dispose pas
d’une légitimité suffisante pour demander au Parlement majoritairement contre la sortie de l’UE de l’autoriser à activer l’article 50
du traité de Lisbonne. Il aurait alors tout loisir de dissoudre la Chambre des communes. Une façon de redonner la parole au
peuple. Le thème dominant de la campagne pour les élections générales qui suivraient serait évidemment la question de l’Europe.
Le scrutin aurait valeur de référendum. Si une majorité de députés était de nouveau en faveur du maintien, le futur Premier ministre
pourrait en tirer argument pour ne pas enclencher le processus de divorce avec l’UE.
Même un chef de gouvernement nommé Boris Johnson, l’ancien maire de Londres, un des hérauts du « leave », qui n’en est pas à
une volte-face opportuniste près, devrait y penser. Lui-même ne parait plus très pressé de tirer rapidement les conséquences du
vote du 23 juin. Dans une tribune duDaily Telegraph, le journal conservateur dont il a été le correspondant bruxellois, il explique
que Londres a le temps avant d’annoncer sa sortie, tout en en minimisant les conséquences : le Royaume-Uni profiterait toujours
du libre-échange et serait toujours partie prenante du marché unique.
Le paysage politique britannique a été bouleversé par le résultat du référendum. Les deux grands partis sont divisés. David
Cameron est démissionnaire mais le leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, se trouve dans une situation guère plus enviable.
Adversaire de toujours de l’Europe, il se voit reprocher par ses amis politiques une campagne trop tiède en faveur du « in ». Leader
inattendu du Labour, ses jours à la tête du parti semblent comptés.
La fin des relations tourmentées entre Londres et l’Europe est loin d’être écrite. Le prochain chef du gouvernement, quel qu’il soit, y
réfléchira sans doute à deux fois avant de franchir le pas. D’autant plus qu’il apparaîtrait comme le sauveur du Royaume-Uni en
empêchant une sécession de l’Ecosse, qui semble décidée à choisir l’Europe contre l’Angleterre. La chef du gouvernement
écossais a même agité la menace d’une opposition du Parlement écossais à majorité nationaliste et verte à la sortie du RoyaumeUni de l’UE. Menace vaine sans doute parce que le Parlement écossais n’a pas ce pouvoir. Mais dans un pays où il n’existe pas de
Constitution écrite, tout est question de rapports de force politiques… ou de coutume. En la matière, celle-ci n’est d’aucun secours
pour départager les Écossais et les Anglais.
Débat entre Bernard Thibault et Pierre Moscovici : "L'Europe sera sociale ou ne sera plus"
Gerard CLEMENT
Page 11
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
11
Samedi 25 Juin 2016 à 13:00
Propos recueillis par Laurence Dequay Alexis Lacroix
A l’heure où L’Elysée, Matignon, le Medef, la CFDT, Force ouvrière et la CGT se déchirent sur la loi Travail, et alors que le Royaume-Uni vient de
voter la sortie de l'Union européenne, "Marianne" remet ces joutes en perspective, dans une Europe ravagée par le dumping social et
menacée dans son existence même par la montée de populisme. En demandant à Pierre Moscovici, commissaire européen à l’Economie et aux
Finances, et à Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT, et membre du conseil d’administration de l’Organisation internationale du
travail (OIT) de confronter leurs points de vue. Extraits.
Pierre Moscovici et Bernard Thibault. Illustration : Hannah Assouline
>> Ce débat a été publié dans le numéro de Marianne du 3 juin 2016, avant les résultats du Brexit.
Marianne : Pierre Moscovici, vous présentez la flexisécurité, la nécessité de réformer le marché du travail, comme «une évidence».
Pourquoi une évidence ?
Pierre Moscovici : Je suis heureux de débattre avec Bernard Thibault. Nous partageons le souhait d'une Europe plus forte économiquement et
plus cohérente sur le plan social. Si nous réfléchissons ensemble à cet objectif, en partant aussi du prisme français, une chose est claire, du
point de vue européen : l'ampleur du chômage en France, 21e taux le plus élevé dans l'Union, est inacceptable. Or, empiriquement, nous
avons constaté que les pays qui ont réformé avec succès leur marché du travail, à moyen terme - car ces réformes ne créent pas de l'emploi de
façon immédiate -, réduisent plus significativement leur chômage en permettant à de nouveaux entrants de trouver un travail. C'est la raison
pour laquelle la Commission plaide pour la flexisécurité.
N'étant plus aujourd'hui ni ministre ni parlementaire, je n'ai pas à me prononcer sur les débats qui ont cours en France, je ne peux faire que
quelques remarques générales. On sait qu'une réforme a plus de chances de convaincre si elle a été concertée en amont, et débattue
démocratiquement. Le Premier ministre, Manuel Valls, a reconnu certains aléas. Et elle est plus forte si elle est équilibrée. Le marché du travail
doit être plus souple, mais il faut aussi plus de sécurité pour les travailleurs, je souligne bien, les travailleurs. C'est aussi pourquoi la
Commission européenne met l'accent sur l'éducation initiale et sur la formation tout au long de la vie.
Marianne : Bernard Thibault, avec Force ouvrière, la FSU et Solidaires, la CGT ne cesse pas la bataille contre le projet de loi El Khomri.
Pourquoi ?
"VA-T-ON AVOIR EN EUROPE LES CONFLITS PARMI LES PLUS BRUTAUX DE TOUS LES CONTINENTS ?"Bernard Thibault : Je ne suis plus membre
de la direction de la CGT et je siège au conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT). Militant engagé, je m’oppose
au prétendu bien-fondé de cette refonte du code du travail. Je déplore d’abord la méthode, des plus brutales, le gouvernement ayant produit
130 pages de modifications du code du travail sans réunir les syndicats, avant d’agiter la menace du 49-3 à l’intention des récalcitrants. Sur le
fond, ensuite, je m’oppose à ce texte car il n’existe pas d’exemple où la fragilisation des règles du travail crée de l’emploi. Au contraire,
décentraliser les droits sociaux au niveau des entreprises est un marché de dupes. Car ces dernières seront en concurrence quand nous
aurions besoin qu’elles financent solidairement la sécurisation des parcours professionnels. Ainsi la photographe sociale du monde que je livre
dans La troisième guerre sociale est mondiale* révèle qu’un travailleur sur deux dans le monde n’a pas de contrat de travail, 73 % n’ont pas de
protection sociale, la moitié d’entre eux, pas de retraite. Le Sénégal, l’Inde, ou les Etats du Golfe ne possèdent quasiment aucune
réglementation. Ils devraient donc nager dans le plein-emploi ! Eh bien, c’est tout le contraire : précarité et misère y dominent.
C’est pourquoi l’OIT et nombre d’experts alertent sur le risque d’une nouvelle conflagration économique mondiale en exhortant les Etats à ne
pas diminuer les sécurités dont bénéficient les travailleurs. On pourrait donc attendre de la Commission européenne qu’elle porte aussi ce
message. Mais non, hélas… Au contraire, les réformes du code du travail prônées par Bruxelles en Italie en Espagne ou au Portugal, où le
nombre des travailleurs couverts par les conventions collectives a fondu de 2 millions à 300 000 salariés, introduisent des fragilités sociales
sans favoriser l’emploi. Je rappelle que, en 1944, l’OIT a promu le concept selon lequel le travail n’est pas une marchandise. Que, en 1945, la
nécessité de concevoir un espace politique européen permettant de régir nos différences, voire de constituer un continent où la paix perdure,
faisait l’unanimité. Or, sur un plan politique, cette Europe promeut désormais des mouvements nationalistes et racistes. Va-t-on avoir en
Europe les conflits parmi les plus brutaux de tous les continents ?
Pierre Moscovici, partagez-vous cette analyse selon laquelle, lorsqu’on ne répond pas aux attentes sociales, les citoyens plébiscitent les
extrêmes, au point de menacer l’Europe ?
P.M : La France est, avec l’Autriche, le pays européen où l’extrême droite est la plus forte : le populisme menace en effet l’Europe et notre
pays. Nous approchons même d’un moment dangereux – le climat politique est de plus en plus évocateur des périodes sombres de notre
histoire. Dans un contexte sans doute moins dramatique, une même tentation est à l’œuvre que dans les années 30, où le malaise social a
débouché sur le nationalisme. Je garde d’ailleurs en mémoire la phrase de François Mitterrand devant le Parlement européen : « Le
nationalisme, c’est la guerre. » Tous ceux qui souhaitent au contraire que l’Europe grandisse et ont à cœur un certain internationalisme sont
invités à lutter frontalement contre les populismes – en France, contre le Front national.
"LA GAUCHE DOIT CONTINUER À PARLER À L'ÉLECTORAT FN"Quand j’ai commencé ma trajectoire politique il y a vingt ans, j’avais une
conception un peu naïve de ce qu’était son électorat, et j’inclinais à le diaboliser. Elu d’un territoire industriel en souffrance économique et
sociale, j’ai eu ensuite l’occasion de rencontrer des électeurs de ce parti – qui d’ailleurs étaient aussi souvent les miens. C’était pour beaucoup
des ouvriers déstabilisés par la mondialisation et qu’inquiétait la perspective du déclassement. Je suis convaincu qu’aujourd’hui la gauche doit
continuer à leur parler, à les convaincre. Même sur la réforme du marché du travail.
Le travail n’est pas une marchandise, vous avez raison, mais – c’est là que je me sépare de vous – je persiste à penser que les réformes réussies
des marchés du travail créent des emplois. D’où mon conseil d’être à la fois défensif et offensif, et toujours plus inventif que conservateur.
Ainsi, il y a vingt ans, le site de Sochaux comptait 14 000 emplois de production et nous voulions conserver cette base industrielle, tout en
sachant que nous ne pourrions pas sauver tous ces postes. Aujourd’hui il n’y en a plus que 10 000. Quand j’étais président de l’agglomération
du pays de Montbéliard, je me suis donc battu pour les emplois dans l’automobile, mais j’ai aussi encouragé la création d’entreprises de
diversification dans d’autres secteurs industriels, dans l’innovation ou dans les services.
B.T : J’admets que Pierre Moscovici est sincère quand il déclare vouloir lutter avec intransigeance contre les populismes. Mais cette assertion
est contradictoire avec certaines pratiques de l’UE. A propos du Brexit, par exemple : la négociation avec la Grande-Bretagne a autorisé ce pays
à ne plus verser la totalité des prestations sociales britanniques aux migrants. De fait, cela génère un message qui valide dans nos institutions
la discrimination entre travailleurs… et nous met en contradiction avec la convention 143 de l’OIT.
"L'EUROPE SERA SOCIALE OU NE SERA PLUS"
Par ailleurs, si l'Union européenne produit du droit, on ne peut déposer ni plaintes ni réclamations à son encontre. Incapables de dessiner une
Europe séduisante sur le plan social, nos gouvernants n'incitent pas les Etats membres à ratifier le même nombre de conventions
Gerard CLEMENT
Page 12
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
12
internationales de l'OIT, hors les huit fondamentales. De fait, Pierre Moscovici, l'UE entretient donc un espace de mise en concurrence des
travailleurs qui attise le racisme ! Vécue comme une arme de dumping social, la directive sur le détachement des travailleurs doit absolument
être révisée. Comme je l'explique dans mon livre, je milite plutôt pour une élévation des droits sociaux de l'ensemble des travailleurs, quelles
que soient leur nationalité, leur origine et leur confession religieuse. Si les divisions que j'évoque devaient s'agrandir, il ne nous resterait plus
qu'à constater l'avis de décès de l'Europe.
P.M. : Il y a une attente élevée d'Europe sociale. Je la partage. J'irai même plus loin, l'Europe sera sociale ou ne sera plus. Il faut en finir avec le
dumping, et avec une situation où, à travail égal, le salaire n'est pas égal. Cependant, ne tirons pas sur le pianiste bruxellois. Ou, plus
exactement : n'exigeons pas trop de lui...
Que voulez-vous dire ?
P.M. : Que l'Europe n'est pas un super Etat doté de superpouvoirs. Historiquement faible dans le domaine social, elle ne peut imposer des
réformes qui ne sont pas de sa compétence, ou compliquées du fait de la règle de l'unanimité. Surtout, la responsabilité se situe largement au
niveau des Etats membres. La commission Juncker propose donc d'ériger un socle européen de droits sociaux afin d'évaluer les réformes des
Etats avec trois dimensions : 1) égalité des chances et de l'accès au marché du travail ; 2) conditions de travail justes et équilibre des droits et
des obligations des travailleurs et employeurs ; 3) accès à des services essentiels de qualité. En mars, elle a lancé la révision de la directive sur
le travail détaché. Le but visé est que toutes les règles relatives à la rémunération du pays d'accueil, et non plus d'origine, s'appliquent enfin à
ces recrues. Car nous ne voulons ni de concurrence déloyale ni de convergence sociale par le bas. A Bernard Thibault, à toutes les forces
sociales et politiques progressistes, voici ce que je propose : plutôt que de taper sur l'Europe, sortons du cercle vicieux qui alimente un
nationalisme destructeur. Face aux populismes, nous avons un défi à relever ensemble.
Bernard Thibault, vous êtes tenté par l'appel que vous lance Pierre Moscovici ?
B.T. : Je ne nie pas l'hypocrisie de nombre de chefs d'Etat ou de gouvernement qui se défaussent de leurs responsabilités sur les institutions
bruxelloises. Pour autant, l'UE possède sa marge de manœuvre propre. En juillet 2015, lorsque la Commission envoie à la France une série de
recommandations pour réformer son marché du travail, elle ne pipe pas mot sur la sécurité des travailleurs. Et elle préconise même de
favoriser, tant au niveau des entreprises que des branches, les dérogations au droit...
P.M. : Je réfute cette simplification. Une recommandation n'est pas une réquisition, mais une analyse suivie d'une suggestion. Si la France fait
sa réforme du travail, je peux vous assurer que ce n'est pas le résultat d'un oukase de Bruxelles ! Nos recommandations insistent sur la
nécessité d'éduquer tout au long de la vie. Je veux aller plus loin et dire ce que je crois. Nous avons vécu des années de crise qui ont donné lieu
à des réformes dites structurelles - réformes des retraites, du marché du travail, par exemple - qui ont touché des acquis et donné la sensation
que la réforme, c'est un recul. Mon ambition est de rendre à la réforme le sens progressiste. Cela suppose aussi de modifier l'équilibre des
priorités : continuer, bien sûr, à réduire les déficits parce qu'une dette coûteuse et improductive nous empêche d'investir dans nos services
publics ; mais aussi, embrayer sur des réformes structurelles de deuxième génération qui relancent le progrès social.
"SI, AU SEIN DE L'UNION, LES ETATS SOMBRENT DANS CE MAELSTRÖM DU MOINS-DISANT SOCIAL, LES TRAVAILLEURS DU MONDE N'AURONT
PLUS DE RÉFÉRENT"
Justement, vous parlez de réformes structurelles. Une internationalisation plus solidaire et progressiste est-elle envisageable ?
P.M. : Oui. Ne nous interrogeons plus seulement sur la quantité, mais aussi sur la qualité de la dépense publique. Les investissements
préparent l'avenir en défendant la cohésion sociale. Je souhaite que tous ceux qui sont attachés à l'Europe sociale cessent de s'ériger contre ce
que fait la Commission, mais se mobilisent plutôt pour lui donner plus de compétences.
Bernard Thibault, comment relancer le progrès social ?
B.T. : Il faut promouvoir la justice sociale, c'est là la meilleure façon de garantir la paix, selon les principes qui prévalaient en 1945, et dont
nous nous sommes éloignés. Quand 95 % des travailleurs sont couverts par les conventions collectives en France, c'est une référence
internationale. En effet, si, au sein de l'Union, les Etats sombrent dans ce maelström du moins-disant social, les travailleurs du monde n'auront
plus de référent. Un accord se mène dans la plus grande opacité entre l'UE et les Etats-Unis. J'aimerais que, dans le cadre de ces discussions,
l'UE se montre beaucoup plus exigeante sur les paramètres sociaux.
P.M. : Contrairement à sa réputation, la Commission européenne ne promeut pas les petits boulots ou les contrats zéro droit. Non, Bernard
Thibault, c'est l'inverse : elle souhaite que le CDI soit la base du droit du travail de demain ! Mais je veux marquer un point d'accord final avec
vous. Représentant la Commission européenne au G20, je souhaite que ces réunions acquièrent une dimension sociale. Nous avons fait, dans
le cadre du G20, des progrès considérables contre la fraude fiscale, avec par exemple l'échange automatique d'informations, le reporting des
données comptables et fiscales pays par pays, afin que les multinationales paient enfin leurs impôts là où elles créent des richesses et
engrangent des profits. Pourquoi ne pas envisager un G20 social pour adopter une démarche comparable en matière de droit du travail ? Le
G20 n'est pas par définition voué à la régression sociale. Quand il y a du vent dans les voiles, une pression positive de l'opinion publique, c'est
un levier efficace de changement.
B.T. : Il faudra au préalable former un peu les chefs d'Etat, cela fait si longtemps qu'ils n'ont pas travaillé cette matière... Avant ce G20 social,
nous aurons une occasion majeure de poser ces questions lors du centenaire de l'OIT. Il est grand temps, selon moi, de lui redonner un rôle
aussi important que celui du FMI ou de l'OMC.
*Combats, de Pierre Moscovici, Flammarion, 220 p., 19 €.
*La troisième guerre mondiale est sociale, de Bernard Thibault, Editions de l'Atelier, 144 p., 15 €.
Billet invité : “Le Royaume-Désuni, ou plutôt déchiré”, par Perfide Albion
de Gilles RAVEAUD, le 27 juin 2016
Ça y est. Après une campagne rancunière, mensongère (des deux côtés) et souvent xénophobe et raciste de la part de beaucoup
de “Brexiters”, le Royaume-Uni quitte l’UE – dans une ambiance triomphaliste pour les Brexiters et de désespoir pour ceux qui
voulaient rester.
Les campagnes du référendum ont mis au clair d’énormes divisions géographiques, sociales, et démographiques qui mettront très
longtemps à se résoudre. Déjà, en Écosse où toutes les zones d’élection (voting areas) ont voté « Remain » (en faveur de rester
dans l’UE), le SNP (parti nationaliste écossais) juge que les conditions sont réunies pour un second référendum sur l’indépendance
dans ce pays.
En Irlande de Nord, la seule partie du Royaume-Uni ayant une frontière terrestre avec l’UE, a aussi voté Remain grâce aux voix en
ce sens dans les circonscriptions dominées par les républicains. Le Sinn Fein (parti républicain) parle déjà (avec peu de chance de
succès à mon avis) d’introduire un référendum sur la réunification de l’Irlande.
Rappelons-nous bien que l’origine de ce référendum sur l’avenir du R-U vint avant les élections législatives de 2015 de David
Cameron qui cherchait à renforcer sa propre position en tant que leader du parti conservateur.
Gerard CLEMENT
Page 13
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
13
Il espérait écraser ses détracteurs euro-sceptiques au sein de son parti et contrer la popularité de l’UKIP, le parti
populiste/nationaliste férocement opposé à l’UE.
En fait, il a réussi à plonger le pays dans une période tumultueuse suivi d’un vote historique dont un élément important est la
revanche dans les urnes pris par des milliers d’électeurs des anciens cœurs industriels (le nord-est de l’Angleterre, les anciennes
régions minières du Pays de Galles, par exemple) qui se sentent – avec raison - abandonnés depuis longtemps par les politiciens
de Londres, qui croient que personne ne les écoutent, qui savent qu’ils ont payé le prix de la crise bancaire, et qui souffrent
particulièrement de la politique d’austérité menée par Cameron et les Conservateurs au cours de laquelle beaucoup de
municipalités ont été privées de fonds pour financer leurs services locaux. Le budget que reçoit la ville de Barnsley (dans le
Yorkshire) par exemple de la part du gouvernement central a été réduit de 25% entre 2010 et 2015.
Ces réductions sauvages – surtout dans les régions et villes pauvres - font partie d’une stratégie réfléchie du gouvernement
conservateur : en décembre 2014, le Chancelier George Osborne avait annoncé publiquement son intention de réduire les
dépenses publiques au même niveau qu’à celui des années 1930 – avant la création de l’État providence donc.
Il est trop tôt encore pour une analyse plus détaillée de cet événement historique de la vie britannique post-1945. On peut noter
pourtant que déjà Cameron, qui nous a imploré depuis des semaines de rester, a annoncé sa démission ce matin. Reste à savoir si
l’Histoire le jugera uniquement comme l’homme responsable du départ du R-U de l’Union européenne ou aussi de la désintégration
du Royaume-Uni lui-même.
Perfide
Albion
Londres 26/06/2016
MERCI A DAVID CAMERON
de Alain Godard, le 25 juin 2016
Une sortie du Royaume-Uni était impensable jusqu’au moment où David Cameron a décidé de mettre ce référendum à son programme dans
le but unique et très politicien de se faire réélire. A partir de ce moment, le Brexit devenait possible et de mon point de vue souhaitable,
comme je l’exprimais en ces termes dans la conclusion d’un billet du 15 Mai 2016 (Les fausses solutions de David Cameron »):
« Donc, pas de quoi ériger la Grande-Bretagne en modèle, elle fonctionne selon un particularisme qui lui est propre et qui est certainement
largement incompatible avec l’esprit européen. Le danger est grand que David Cameron utilise le chantage au « non à l’Europe » qui va naître
du futur référendum sur le maintien ou non de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne pour obtenir des concessions supplémentaires
venant nourrir et faire prospérer ce particularisme… Souhaitons que l’Europe tienne bon pour ne rien lâcher et laisser nos voisins britanniques
devant leurs responsabilités pour répondre à la question… et s’ils veulent partir, qu’ils partent : l’Europe sociale n’aura qu’à y gagner.
Je pense comme Michel Rocard que le Royaume-Uni (ou ce qu’il en restera si l’Ecosse prend son autonomie) sera capable de trouver en luimême les moyens de rebondir : contrairement aux prévisions de ceux qui ne voulaient rien changer au statu-quo mortifère dans lequel
l’Europe s’enfonçait, il devrait rester dans les décennies à venir un partenaire externe fort avec lequel il faudra compter.
Je pense (encore comme Michel Rocard ) que le départ du Royaume-Uni de l’Union Européenne était une condition indispensable à une
reconstruction de cette Union autour d’un nouveau modèle plus démocratique et plus efficace.
Ce nouveau modèle ne pourra sans doute pas se faire à 27…Il faudra identifier un groupe plus restreint de pays vraiment volontaires pour
partager une vision et des valeurs communes et développer un programme permettant rapidement d’avoir sur cet espace une harmonisation
des politiques d’investissements ainsi que des règles fiscales et sociales convergentes sur une durée raisonnable.
Ces pays devront aussi accepter des orientations communes sur le plan diplomatique
La gouvernance présidant au fonctionnement de ce groupe restreint devra abandonner le principe aberrant de l’unanimité pour prendre des
décisions, et mettre en place de manière autoritaire le principe de subsidiarité qui laisse aux Etats une large autonomie sur tout ce qui n’est
pas « régalien ».
Les règles actuelles de l’Union permettent de s’organiser en sous-groupe pour aller vers cette Europe à deux vitesses réclamée par certains
depuis plus de 10 ans, mais cela n’est possible que si une vraie volonté politique existe .Pour cela, il faut du courage et il ne faut pas transiger,
l’appartenance à la zone euro n’étant pas en soi suffisante pour identifier un groupe restreint : seuls doivent rejoindre ce groupe ceux qui
partagent vraiment un objectif commun de reconstruction et mieux vaut partir à 7 ou 8 pays pleinement d’accord que faire des concessions à
quelques autres pour élargir le groupe.
A l’inverse, si quelques pays entrés plus ou moins par effraction dans l’Union veulent en partir pour faire suite au Brexit, laissons-les partir,
nous n’avons pas besoin de partenaires qui ne partagent pas un minimum de valeurs.
En conclusion, merci à l’apprenti sorcier Cameron de nous avoir donné une (petite) chance de reconstruire cette nouvelle Europe à un moment
ou le désarroi des peuples nous fait courir des risques majeurs : si des dirigeants courageux et désintéressés par rapport à leur propre carrière
ne se saisissent pas de cette opportunité, la marche vers les extrêmes deviendra inexorable.
AH, le bon air Suisse...
Par Denis Lafay | 27/06/2016, 15:42 | 1145 mots
Cerino/Acteurs de l'Economie)En proposant un système décentralisé et collaboratif, permettant à la confiance de s'installer entre
les acteurs - la Suisse est devenue une terre d'entrepreneuriat, favorisée par un système fiscal vertueux. Une philosophie qui
pourrait se définir par trois items, ciment du pays : Travail, dialogue social et démocratie. De quoi donner quelques éléments
d'inspiration à la France. Éditorial de Denis Lafay, directeur de la publication d'Acteurs de l'économie - La Tribune, publié dans
magazine n°131, en kiosques depuis samedi 25 juin.
8 millions d'habitants : ça, la Suisse et Auvergne Rhône-Alpes l'ont bel et bien en commun. En revanche, si l'on s'en tient aux
réalités entrepreneuriales des deux côtés d'une frontière traversée chaque jour par 115 000 "pendulaires", la similitude cesse
aussitôt, et le modèle helvète fait bien davantage rêver (Cf Supplément p.40). En effet, de Genève à Zürich, des profondes racines
culturelles, financières et politiques ont prospéré des dispositifs qui libèrent, responsabilisent, donc donnent envie d'oser et de
bâtir.
"Mariage des talents et de l'argent"
L'interventionnisme est faible, le rôle de l'État est polarisé sur la création de conditions clémentes, le système fiscal est vertueux,
l'allègement des démarches administratives se poursuit. La souplesse des lois et l'exiguïté des réglementations dominent, le
montant des cotisations sur les salaires est largement contenu - et intelligemment indexé sur la variation du taux de chômage -, les
dispositifs de licenciement favorisent une flexibilité élevée et donc exhortent les entrepreneurs à une audace et à une innovation
protéiformes."C'est le mariage des talents et de l'argent", résume un professeur de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne dont les startups associées ont levé, depuis le début de l'année, 180 millions d'euros...
Gerard CLEMENT
Page 14
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
14
Bien sûr, d'autres réalités - en premier lieu la solitude des entrepreneurs en faillite - ombrent le tableau, et ce dernier ne peut être
réduit à quelques composantes aussi flatteuses que réductrices et nécessairement caricaturales. Mais, ausculté à l'aune des
spécificités françaises, ce contexte entrepreneurial demeure particulièrement séduisant.
Et il n'est bien sûr pas étranger à la performance des critères quantitatifs qui, pour la septième année consécutive, propulsent la
Suisse en tête du classement des pays les plus compétitifs (selon le Forum économique mondial) avec notamment un PIB de 81
000 dollars par tête et un taux de chômage de 5,1 % au premier trimestre 2016. La France, elle, figure au 22e rang.
Travail, dialogue social, démocratie
Voilà pour la partie visible de l'iceberg. Nettement plus riche d'enseignements est de plonger sous la ligne de flottaison et d'y
distinguer trois des principaux piliers de l'architecture culturelle et sociale du pays : le soin et la valeur conférés au travail,
audialogue social, et à la démocratie - y compris d'entreprise.
Trois items dont l'imbrication a permis de déployer un ensemble de raisonnements et d'actes qui agglomèrent de manière plutôt
harmonieuse responsabilité individuelle et responsabilité collective, c'est-à-dire qui circonscrivent les importantes aspirations
individuelles, par essence affranchies du carcan étatique, à l'exigence supérieure de l'intérêt collectif - une règle antithétique de
celle qui a paralysé la France en mai et juin. Imagine-t-on dans l'Hexagone 67 % de la population refuser de nouvelles semaines de
congés comme ce fut le cas chez sa voisine en 2012 ?
Politique fédéraliste
Cette charpente sociale, que caractérise la décentralisation des débats et des décisions illustrée par les fameuses votations ou
référendums d'initiative populaire proposés dans les 26 cantons composant la Confédération - et qui, même lorsqu'ils n'aboutissent
pas comme ce fut le cas le 5 juin (lire également p.15) pour l'instauration d'un revenu de base universel, ont l'immense mérite
d'éveiller le débat, de bousculer les consciences et d'irriguer la veine citoyenne -, a bien sûr été inspirée et est nourrie par
l'organisation politique fédéraliste.
A certains égards comparable à son alter ego allemand, le modèle helvète une fois appliqué à l'économie fait donc la part belle au
dialogue social, matérialisé dans la rédaction des Conventions collectives du travail aux niveaux des branches ou des entreprises.
Réformistes, progressistes, plutôt compétents car responsabilisés, les syndicats font, c'est-à-dire travaillent à négocier l'intérêt des
salariés mais sans le désincarner de celui de l'entreprise ou de la société.
Les vertus d'un système décentralisé et collaboratif
Ultra-libérale, asociale la Suisse ? Que nenni, comme le démontre l'Assurance-chômage, financièrement excédentaire - en France
le déficit s'élève à 4,4 milliards d'euros en 2015. Parce qu'il peut faire fructifier cet équilibre des responsabilités individuelle et
collective, le dispositif domestique n'est pas vulnérabilisé par les dérives de l'assistanat et la défaillance des devoirs, et ainsi assure
même des allocations plus élevées sur une durée culminant à deux ans.
L'éducation profite pleinement, elle aussi, de ce schéma décentralisateur et collaboratif. Le système inédit de formation
professionnelle, dit "dual" (alternance entreprise et école), convainc... les deux tiers des jeunes Suisses, conquis par un modèle
d'apprentissage tourné vers l'employabilité et là encore fruit d'un singulier consensus. Imagine-t-on une telle dynamique de
coopération entre établissements d'enseignement et entreprises dans la France de l'Éducation nationale gangrénée par le
corporatisme et l'égalitarisme, le malthusianisme et l'idéologie anti-libérale, le dogme étatique et la doctrine anti-entreprise ?
La confiance, un trésor
Pourquoi, finalement, un tel écart culturel et entrepreneurial de part et d'autre de la frontière ? Deux raisons émergent
particulièrement. La première est un trésor : elle a pour nom confiance, celle que se destinent des partenaires sociaux et plus
largement une population qui l'ont ensemencée dans le processus de responsabilisation innervé par les systèmes politique et
démocratique.
La seconde est un cadeau, mais qui peut être empoisonné : l'intérêt supérieur de la nation, qui s'est imposé à une mosaïque
d'identités, de cultures, de langues a priorihétérogènes et, vues de France, miraculeusement agrégées. Un cadeau car il consolide,
fédère, cimente, mais aussi un poison lorsque la ligne de démarcation entre patrie et nationalisme devient poreuse et synonyme de
rejet et de repli.
Équation à plusieurs inconnues
En votant à 50,3 % en février 2014 pour "la fin de l'immigration de masse et l'instauration de quotas", les autochtones ont ainsi pris
le risque d'affaiblir substantiellement voire d'hypothéquer le Plan de collaboration européenne, assujetti au respect de la libre
circulation. Au nom des répercussions en termes tant économiques que d'image et de réputation, les milieux décisionnels
s'inquiètent.
D'aucuns, même, tremblent.
Comment conjurer le spectre de la disqualification économique et entrepreneuriale sans discréditer le scrutin électoral ? Voilà
l'équation à plusieurs inconnues à laquelle les autorités du Conseil fédéral s'affairent jusqu'en février 2017, date fixée pour trouver
avec l'Union européenne une issue - figée depuis plusieurs mois par le scrutin britannique du 23 juin. Le modèle même de la
démocratie helvète est en jeu.
Le bureau de poste éloigne le Front national
Florine Galéron
Plus un village dispose de services publics et de commerces, moins les habitants iront voter FN. C’est le résultat observé par l’Ifop lors des
élections européennes de 2014. L’extrême droite obtient près de 32 % des suffrages dans les communes de moins de 1 000 habitants qui
n’offrent aucun service. Ce chiffre chute à 25,6 % dans les villes de la même taille mais ayant plus de huit services. La présence d’un bureau de
poste a le plus d’impact sur le vote puisqu’il fait chuter de 3,4 % le FN, loin devant l’épicerie (- 2,5 %), le médecin (- 1,6 %) et la boulangerie (- 1
%). À noter que l’implantation d’un relais poste chez un commerçant ne fait quasiment pas baisser le vote frontiste (- 0,1 %). Pour l’Ifop, « le
discours du FN sur le déclin et l’abandon ces campagnes rencontre un écho d’autant plus marqué dans les communes rurales objectivement les
moins bien loties en termes de services de proximité ». À la suite de cette étude, le chercheur Joël Gombin a reproduit l’enquête à Marseille où
il observe « une très nette corrélation » entre la mauvaise desserte en services et le vote FN aux élections régionales.
Ifop, « L’influence de l’isolement et de l’absence de services et commerces de proximité sur le vote FN en milieu rural », Focus, n° 135,
mars 2016.
Joël Gombin, « Un boulanger keeps the FN away », blog, 2016.
Les représentants du personnel : (2) Les interactions entre employeurs et représentants du personnel
mercredi 29 juin 2016
Gerard CLEMENT
Page 15
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
15
Après la cartographe des RP (1), l’ouvrage nous propose une analyse économique plus théorique de l’action collective en
entreprise. Les représentants du personnel (RP) ont un point commun, ils sont tous des salariés de l’entreprise et donc
soumis à l’autorité hiérarchique de leur employeur auprès duquel ils représentent leurs collègues. D’un point de vue
microéconomique, à travers l’étude des interactions entre les représentants du capital (les employeurs) et ceux des
intérêts des salariés (les RP), l’auteur analyse la qualité du dialogue social et la situation professionnelle des salariés
représentés. Y a-t-il discriminations envers les DP sur leurs carrières ? Quels sont les intérêts des uns et des autres ?
La double casquette des RP vis-à-vis de leurs employeurs
Ils sont sous leur contrôle en tant que salariés mais leurs égaux dans l’exécution de leur mandat. Ces deux casquettes doivent être
traitées différemment par l’employeur, mais il est difficile de dissocier complétement ces deux fonctions.
 Les RP sont des « salariés protégés » : ils bénéficient de dispositions légales protectrices. Tout employeur souhaitant
licencier ou transférer dans un autre établissement un salarié protégé doit en demander l’autorisation préalable à
l’inspecteur du travail. L’employeur ou le salarié peuvent contester la décision et faire un recours gracieux ou un recours
hiérarchique auprès du ministre du travail ou un recours contentieux devant un tribunal administratif.
 Le taux de licenciement des salariés protégés semble un peu inférieur au taux de licenciement des salariés. Au
début des années 2000, on comptait 12 000 demandes de licenciement de salariés protégés chaque année. Plus de 80 %
sont acceptées par l’inspecteur du travail (70 % concernaient des licenciements pour motif économique). Il n’y a plus de
statistiques officielles depuis 2006. D’après l’enquête REPONSE, sur la période 2008-2010, 1,4 % et 2,1 % de salariés
protégés sont licenciés et 2,1 % et 2,5 % de l’ensemble des salariés sont licenciés. L’enquête REPONSE en Île de France
estime en 2010 un taux de 3,6 % pour les salariés protégés contre 3,75 % pour les salariés.
 Un fort recours à la rupture conventionnelle pour les salariés protégés. Cette rupture est aussi soumise à
l’inspecteur du travail lorsqu’elle concerne un salarié protégé. On estime à 6 320 demandes en 2010, parmi les
établissements de 10 salariés et plus du secteur marchand non agricole. La rupture conventionnelle représente plus de
44 % des séparations hors départs volontaires ou retraites, alors qu’elle représente 28 % des cas pour l’ensemble des
salariés. La rupture conventionnelle a permis aux RP qui souhaitaient partir de leur entreprise en échange d’une
indemnité de pouvoir trouver un accord avec leur employeur.
 Les salariés protégés ne s’estiment ni protégés, ni menacés. Sur les 2 430 réponses, ils estiment que leur mandat
n’est ni une protection, ni une menace. Les représentants syndiqués estiment plus souvent que leur mandat constitue une
menace (13 % contre 2 % seulement parmi les représentants non syndiqués).
Les indices d’une discrimination syndicale possible en France
Pour un économiste, il y a discrimination si deux salariés également productifs sont rémunérés différemment. Pour mesurer la
discrimination syndicale, il faut pouvoir mesurer la productivité individuelle, ce qui est pratiquement impossible. L’étude s’est basée
sur les écarts de salaires entre les RP syndicaux et leurs collègues.
 Les enquêtes d’opinion montrent que l’une des principales raisons pour laquelle les salariés indiquent ne pas se
syndiquer est la peur des représailles. C’est ce que démontre un sondage TNS-SOFRES réalisé depuis 2005 par
l’association Dialogues auprès de 1 000 personnes dont 500 salariés : 38 à 42 % mentionnent la peur de représailles.
 Les discriminations à l’embauche, sont plus faciles à identifier. Mais la France ne dispose pas de statistiques de
discriminations syndicales à l’embauche. Nous savons que cela existe par des témoignages individuels.
 Selon les directions d’entreprise, des délits d‘entrave à l’action syndicale sont constatés par l’inspection du travail dans
10 % des établissements de plus de 10 salariés du secteur marchand non agricole. De plus, les cas de discrimination
syndicale figurent en bonne place parmi les affaires traitées en prud’hommes et débouchent régulièrement sur des
compensations salariales accordées aux salariés.
L’intérêt des employeurs : dialoguer, acheter ou discriminer ?
 Pour les employeurs, la négociation salariale avec les délégués syndicaux peut engendrer des baisses de profit
important, si l’on s’en tient au partage des rentes, les intérêts des détenteurs du capital et des travailleurs sont
antagonistes. Les actionnaires ont un intérêt à affaiblir le pouvoir de négociation afin de limiter le partage de profits. Les
délégués syndicaux ne sont pas sous l’autorité hiérarchique des salariés mais sous l’autorité des dirigeants en tant que
salariés.
 Les employeurs ont intérêt à favoriser les délégués qui ne négocient pas, à trouver un terrain d’entente avec eux et
à acheter leur silence ou à les discriminer. Difficile à faire apparaître statistiquement, mais les délégués qui ne négocient
pas sont mieux payés que ceux qui négocient. Plusieurs cas médiatisés (caisses noires de l’IUMM, comités d’entreprise
EDF, Air France…) montrent que les situations de corruptions existent.
 La discrimination des employeurs envers les RP négociateurs joue un rôle dissuasif envers les autres salariés. À
âge, sexe et diplôme égal, les RP syndiqués ont 5 % de chances en moins que les autres salariés à déclarer avoir obtenu
une promotion. La discrimination joue un rôle de punition et permet ainsi de stigmatiser l’action des RP.
La pénalité salariale de 4 % pour les RP syndiqués et 10 % pour les DS qui négocient l’augmentation salariale, l’emploi et
les conditions de travail est une façon de pénaliser les RP pour limiter leur champ d’action et dissuader les autres
salariés de s’impliquer.
Le cadre institutionnel ne correspond pas toujours aux objectifs d’un dialogue social démocratique : l’absence de dispositifs
destinés à impliquer les salariés dans l’action de leurs représentants au quotidien, contribue à les désintéresser du dialogue social
formel. La peur de la discrimination devient une cause supplémentaire au manque d’implication des salariés. Les RP sont peu
soutenus par les salariés et parfois se marginalisent. Pour de nombreux syndicalistes, la discrimination est intériorisée, elle fait
partie de la carrière et constitue la preuve qu’ils représentent bien leurs collègues.
On voit que la culture du dialogue social a encore des progrès à réaliser ! Pourtant toutes les études le confirment, le dialogue
social est une des conditions de la performance économique des entreprises
Gerard CLEMENT
Page 16
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
16
Formations professionnelles d’entreprises et itinéraires des salariés
mercredi 29 juin 2016
On sait que l’on butte toujours en France sur l’inégalité d’accès à la formation, selon la taille des entreprises comme selon la catégorie
socio-professionnelle des salariés. On fait aussi l’analyse des formes principalement revêtues par les actions de formation des entreprises,
le format « cours et stages », le plus souvent hors de l’entreprise mais facilement imputables dans le système existant depuis 1971
d’obligation de financement.
Le dispositif « Défis » [1], initié par les partenaires sociaux [2] et réalisé par le Cereq, dans un premier volet réalisé en 2015, permet d’aller plus
loin et de mieux cerner le recours à la formation par les entreprises.
Pourquoi former ?
Plus d’un tiers des entreprises formatrices financent principalement des formations afin de répondre aux exigences règlementaires, en
particulier les entreprises de 10 à 19 salariés, le secteur des transports... Au contraire, si les grandes entreprises de 500 salariés et plus ont
aussi besoin de réaliser des formations réglementaires, leur principal objectif de formation est l’accompagnement des changements, de même
que les secteurs de l’information et communication, l’industrie des équipements électriques, électroniques, informatiques.
(cliquez sur l’image pour l’agrandir)
Formations et « outillage des pratiques »
La conclusion logique de Défis est que les salariés ont plus de chances d’être formés si les pratiques de formation sont organisées. Cinq
critères : un service ou une personne dédiés en tout ou partie à la formation, la diffusion de l’information sur la formation, un plan de
formation, des procédures d’identification des besoins, et des méthodes d’analyse des besoins en qualifications et compétences.
Comme les petites entreprises en sont souvent démunies, les partenaires sociaux puis les lois encouragent leur accompagnement par des
organismes extérieurs, en particulier les OPCA (Organisme paritaire collecteur agréé) de branche, avec obligation d’adhérer pour l’entreprise.
Le recours aux organismes extérieurs
Plusieurs types d’organismes sont sollicités, en fonction des objectifs donnés à la formation et des outils dont disposent les entreprises, de leur
taille, de leur secteur, comme dans leur inscription dans des réseaux :
 Les OCPA par 40 % des entreprises sondées, en particulier par les entreprises de 250 à 499 salariés et par les plus outillées ;
 Les organismes de formation, pour 35 % ;
 L’organisation professionnelle de branche, pour 16 % ;
 Un expert comptable pour 16 % des entreprises, surtout les plus petites (10 à 49 salariés) ;
 Un consultant, pour 13 %, taux qui augmente avec la taille des entreprises ;
 Une chambre consulaire, pour 10 %.
Ces chiffres confirment que les OPCA sont les premiers sollicités par les entreprises de toutes tailles, pour un appui dans l’évaluation des
compétences ou des besoins de formation, des propositions d’offre de formation, des outils pour construire un plan de formation, une
information sur la politique et l’offre de formation de la branche, un conseil en ingénierie financière, en particulier pour optimiser leur budget
formation et pour trouver des financements complémentaires, et bien sûr un soutien financier par les fonds mutualisés.
On retrouve ainsi par ces résultats d’enquête la diversité des usages de formation des entreprises, selon qu’elles ciblent surtout les formations
réglementaires, ou qu’elles conçoivent la formation comme un investissement dans le cadre d’un accompagnement des changements et de
l’anticipation des besoins de qualifications et de compétences. Ce qui conditionne grandement les évolutions professionnelles des salariés.
Source

http://www.cereq.fr/.../Le-dispositif-d-enquete-Defis-un-nouveau-regard-sur-la-formation-en-entreprise
Une Europe à refaire
par Serge Halimi
Monsieur Donald Tusk, président du Conseil européen, doit regretter d’avoir assimilé un éventuel vote négatif des Britanniques à
un « début de destruction non seulement de l’Union européenne, mais aussi de la civilisation européenne » (BBC World, 13 juin
2016). Néanmoins, la victoire du Brexit constitue bien un coup de tonnerre pour l’ensemble du Vieux Continent.
Car, cette fois, il sera difficile d’ignorer le suffrage universel en s’appuyant sur une classe politique désavouée par le résultat du
référendum du 23 juin afin de rafistoler un arrangement rejeté par le peuple. Nul n’imagine à Londres un déni démocratique aussi
flagrant que celui qui fut perpétré en France et aux Pays-Bas au lendemain du vote négatif de mai et juin 2005 sur le traité
constitutionnel européen. Il est également douteux que les Britanniques puissent être traités avec autant de mépris que les Grecs,
qui, en guise de réponse à leur demande de réorientation du cours de l’Union européenne, furent asphyxiés financièrement et
contraints d’accepter une purge sociale aux effets économiques désastreux.
En 1967, le général de Gaulle s’opposa à l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté économique européenne parce qu’il
refusait« la création d’une zone de libre-échange de l’Europe occidentale, en attendant la zone atlantique, laquelle ôterait à notre
continent sa propre personnalité ». Il serait toutefois injuste d’imputer à Londres la seule responsabilité d’un tel effacement, tant
celui-ci trouva de mains complices à Berlin, Paris, Rome, Madrid… Au point qu’on ne voit pas trop quelle « personnalité », quelle
spécificité l’Union européenne défend encore (lire « Le legs britannique à l’Europe »).Il est d’ailleurs éclairant que, pour tenter de
prévenir le départ du Royaume-Uni, celle-ci ait consenti sans grande difficulté à une disposition qui aurait suspendu les aides
Gerard CLEMENT
Page 17
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
17
sociales pour les travailleurs d’autres pays européens, et à une autre qui aurait accordé une protection renforcée aux intérêts du
secteur financier.
Projet d’élites intellectuelles né dans un monde clivé par la guerre froide, l’Union a raté il y a un quart de siècle l’une des grandes
bifurcations de l’histoire, un autre possible. La chute de l’URSS offrait au Vieux Continent l’occasion de refonder un projet
susceptible de satisfaire l’aspiration des populations à la justice sociale et à la paix. Encore aurait-il fallu ne pas craindre de défaire
et de reconstruire l’architecture bureaucratique érigée subrepticement à côté des nations, changer le moteur libre-échangiste de
cette machine. L’Union eût alors opposé au triomphe de la concurrence planétaire un modèle de coopération régionale, de
protection sociale, d’intégration par le haut des populations de l’ex-bloc de l’Est.
Mais au lieu d’une communauté, elle a créé un grand marché. Bardé de commissaires, de règles pour les États, de punitions pour
les populations, mais grand ouvert à une concurrence déloyale pour les travailleurs. Sans âme et sans autre volonté que celle de
complaire aux plus aisés et aux mieux connectés des places financières et des grandes métropoles. L’Union ne nourrit plus qu’un
imaginaire de pénitences et d’austérité, immanquablement justifié par l’argument du moindre mal.
On ne prendra pas la mesure de la protestation que vient d’exprimer le vote britannique en le taxant de populisme ou de
xénophobie. Ce n’est pas non plus en amputant encore davantage les souverainetés nationales au profit d’une Europe fédérale
dont presque personne ne veut que des élites politiques autistes et discréditées répondront à la colère populaire qui vient de se
libérer au Royaume-Uni, et qui monte ailleurs…
Voir aussi la sélection d’archives, « “Brexit”, avant après » (25 juin 2016).
Serge Halimi
Pour démanteler l’Etat-providence Les faussaires de l’Europe sociale
Parce qu’il ignore les enseignements de l’histoire et les inégalités économiques, le « modèle social européen » délégitime la puissance
publique et démantèle les droits collectifs. Il annihile ainsi toute politique de l’emploi.
par Corinne Gobin
Dans la dynamique de la construction européenne, il en est du social comme de l’Eden : une promesse délicieuse –« Un jour viendra, couleur
d’orange... », disait le poète. Et il faudrait endurer beaucoup de souffrances (beaucoup de réformes) avant qu’un système social
communautaire réponde aux besoins des populations.
En réalité, l’Union économique et monétaire, préfigurée par l’Acte unique (1986) et consacrée par le traité de Maastricht (1992), a créé un
système politique et économique qui contribue à délégitimer l’ensemble des acquis du droit social et de la démocratie sociale dans les « Etatsnations » d’Europe occidentale. Et la notion de « modèle social européen », construite par des responsables politiques et des intellectuels
progressistes dès 1987-1988 pour lutter contre ce phénomène, va se révéler contre-productive et aboutir à un énorme quiproquo dont jouent
encore les autorités de l’Union.
A l’origine, le concept de « modèle social européen » devait fonder une intervention normative solide à l’échelon communautaire. Il s’agissait
de sortir le social du carcan étroit que lui imposait l’Acte unique en le subordonnant au projet de grand marché (1). Le droit social, nous disaiton, faisait partie du patrimoine commun à tous les Etats membres ; il était, de plus, singulier par rapport au reste du monde.
En fait, la recherche d’une « essence sociale » partagée de façon intemporelle et apolitique par l’ensemble de la classe politique européenne
va conduire à un tri de plus en plus sévère entre les principes susceptibles d’être retenus comme « communs ». Ce laminage, qu’exprime bien
le vocable de « socle », est favorisé par la fragilité des principes sociaux au niveau européen : déconnectés de l’histoire nationale, ceux-ci
perdent la légitimité que leur confère la mémoire collective des conflits salariaux dans chaque société.
En outre, ainsi réduit à son « essence commune », le « modèle social européen », bien que consacré par les grands textes européens (2),
débouche sur l’idée qu’au-delà de cette « essence » la diversité des pratiques exclut définitivement toute harmonisation législative. C’est
l’opinion exprimée, par exemple, par le vice-président de la Commission européenne, le social-démocrate allemand Günter
Verheugen : « Chaque pays a ses traditions. Il est inutile d’essayer d’unifier nos systèmes sociaux. Dans chaque pays, on dépense à peu près la
même chose en proportion dans le social, mais avec des méthodes différentes (3). »
In fine, l’Union européenne a dégagé trois grands principes consensuels censés constituer le cœur de l’Europe sociale : le soutien au marché,
qui crée le « cercle vertueux croissance et emplois », un « haut niveau de protection sociale » et le développement du « dialogue social ». Ce
triptyque consacrerait à la fois la régulation de l’économie par le pouvoir politique et le rôle des interlocuteurs
Socioprofessionnels. Cependant, l’« essentialisme » de la démarche évacue la question des moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces
objectifs ; il nie le conflit qui traverse toute société à propos du partage et de la redistribution des ressources. Il suffit alors de s’en remettre à
la bonne volonté de chacun et à des règles non contraignantes. La charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée en 1989,
n’a ainsi pas de valeur obligatoire.
Au XIXe siècle, l’invention du social – pour reprendre l’heureuse formule de Jacques Donzelot (4) – face à l’hégémonie du capitalisme industriel
résulte d’un choc violent entre deux sphères : la sphère politique, qui déclare les citoyens libres et égaux, et la sphère économique, qui
transforme l’écrasante majorité de la population en esclave du bon vouloir patronal. Le droit social offre le moyen de corriger cette
schizophrénie sociétale, inscrite au cœur du capitalisme, en produisant des instruments collectifs. Il s’agit de protéger l’idée même de société
face au mythe dévastateur, consacré par le droit civil et le droit commercial, selon lequel tout acte serait le produit des seules « responsabilité
et initiative individuelles », sans prendre en compte des inégalités et des rapports de forces. Par exemple, on ne saurait penser le contrat de
travail comme un contrat entre individus égaux.
Le droit social naît de cette obligation de tenir compte du principe de réalité, que la sociologie balbutiante va contribuer à dévoiler. Sans la
mise en place d’institutions compensatrices, la société se dissoudrait dans la barbarie du règne de quelques-uns sur tous. En outre, le
développement du droit social implique nécessairement l’émergence d’un Etat social se concrétisant par la mise en place de services publics : il
faut qu’une autorité publique produise et aide à produire sans cesse de la « société », c’est-à-dire des institutions libérées, plus ou moins
fortement, des logiques de subordination de l’énergie humaine à la valorisation du capital (enseignement, santé publique, transports
publics, etc.).
C’est pourquoi démocratie politique et démocratie sociale sont indissociables. Elles supposent l’établissement de contre-pouvoirs, de contreinstitutions, de contre-pensées qui créent une autonomie d’action pour la puissance publique, dans le cadre d’un ordre public social
transcendant le poids des intérêts particuliers (capitalistes, religieux, etc.).
Toutes ces « inventions » permettant un agir collectif ont été « neutralisées » ou démantelées, les unes après les autres, ces trente dernières
années, par les injonctions politiques issues des nouveaux lieux de pouvoir transnationaux, c’est-à-dire « transdémocratiques », dont l’Union
européenne constitue un des centres les plus actifs. Cette destruction a atteint un tel degré que l’Union peut annoncer que la prochaine étape
de la « réforme » portera précisément sur ce qui amorça l’autonomie publique à l’égard du capitalisme : le droit du travail (5).
Gerard CLEMENT
Page 18
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
18
Ainsi, selon l’Agenda social 2005-2010 élaboré par M. José Manuel Barroso, « la Commission européenne se propose d’adopter un Livre vert sur
l’évolution du droit du travail. (...) Dans ce Livre vert, la Commission analysera l’évolution actuelle des nouveaux modèles d’organisation du
travail et le rôle du droit du travail lorsqu’il s’agit de faire face à ces évolutions en fournissant un environnement plus sûr qui favorise les
transitions efficaces sur le marché du travail. Le débat qu’il ouvrira pourra conduire à proposer un éventail d’actions de modernisation et de
simplification de règles actuelles ».
Dans la plupart des pays de l’Union, le démantèlement du droit du travail progresse inexorablement : dissolution de la notion d’« emploi
convenable », facilitation des licenciements, ingérence des juridictions civiles ou commerciales dans les conflits du travail (notamment en ce
qui concerne l’interdiction des piquets de grève), utilisation de plus en plus fréquente de dérogations aux principes généraux du droit du
travail afin d’ouvrir le « choix » au retour de la responsabilité individuelle... Le travail redevient un objet asocial, non réglementé
collectivement, soumis à la chimère de la liberté, et donc du risque, individuels.
La révision de la directive de 1993 sur le temps de travail est exemplaire de ce travail de grignotage systématique du droit du travail, chaque
régression obtenue étant le prélude à une régression ultérieure. Cette directive fixe la durée de travail hebdomadaire maximale à 48 heures
par semaine en moyenne sur 4 mois (heures supplémentaires incluses). En pratique, ce mode de calcul permet d’imposer 13 heures de travail
par jour pendant 6 jours en alternance avec des périodes de 6 heures par jour pendant 3 jours, sans repos compensatoire autre que les
24 heures obligatoires par semaine (6). Cette bombe dérégulatrice s’accompagne d’une charge nucléaire : elle autorise l’employeur et le
travailleur à faire encore pire s’ils le décident d’un commun accord. On en revient ainsi à la primauté du contrat personnel sur la règle
collective !
Le 22 septembre 2004, la Commission a proposé une révision de la directive sur le temps de travail. Loin d’illustrer la thèse des progrès à petits
pas, ce projet met en lumière la mécanique européenne de « construction régressive ». En effet, au lieu de supprimer la possibilité de
dérogation individuelle par accord mutuel, Bruxelles suggère simplement de l’encadrer par des conventions collectives. En outre, la
proposition de la Commission accroît la durée légale de travail et la flexibilité en proposant que la moyenne hebdomadaire de 48 heures soit
calculée sur une base de 12 mois, avec l’obligation de ne pas excéder 65 heures – sauf si une convention collective le permet. Pour les secteurs
où il existe un « temps de garde », seules les périodes où la garde devient active seraient retenues comme temps de travail (et donc
rémunérées et comptabilisées pour fixer durée de travail et repos).
Après amendement du Parlement européen, serait abandonnée la possibilité de renoncement individuel à la durée maximale hebdomadaire
(étendue à 55 heures comme durée possible, la moyenne sur 12 mois restant les 48 heures), dans un délai de 3 ans après l’entrée en vigueur
de la directive, sauf si une loi ou une convention collective en disposait autrement. Subtil et explosif renversement : la règle collective
nationale (loi ou contrat) permettrait de faire pire que la loi minimale européenne ! Ainsi le Royaume-Uni pourrait-il conserver son statut
dérogatoire. Cette succession de légères corrections, présentées chaque fois comme des victoires, aboutit à l’élaboration d’un droit social de
plus en plus flou, globalement régressif, et où de multiples dérogations empêchent de raisonner en termes de principes généraux communs.
« Purifier » l’activité humaine
A travers une autre façon de penser le droit et le pouvoir politique, l’ordre communautaire a transformé en profondeur le contenu de la
politique sociale, neutralisant ses capacités de résistance et de production de référentiels non capitalistes ou anticapitalistes. Déjà, le traité de
Rome, signé en 1957, enjoignait aux Etats français et italien de redécouvrir les vertus de la liberté du marché contre leur culture de
l’intervention publique dans l’économie. En 1986, la relance de l’intégration économique par le projet de « grand marché intérieur » va
renforcer l’idée de la primauté d’un ordre juridique supérieur – le droit de la libre concurrence – qui « purifie » l’activité humaine
d’interventions malvenues. L’Acte unique réduit la norme sociale (créée par la loi ou le contrat) à la notion de « règles minimales » qui, de plus,
ne doivent pas perturber l’activité des PME.
Les traités suivants vont poursuivre la subordination des règles sociales à l’ordre économique concurrentiel : elles peuvent lui être
complémentaires, si elles contribuent au bon fonctionnement du marché intérieur, mais ne peuvent lui être contradictoires et encore moins
antinomiques, sous peine de devenir des « entraves » à supprimer. En 1992, le traité de Maastricht met clairement la politique sociale au
service de la compétitivité des entreprises. En 1993, le Livre blanc de la Commission présidée par M. Jacques Delors, intitulé Croissance,
compétitivité, emploi, fait de la politique de l’emploi le vecteur de réformes profondes du marché du travail et des systèmes de sécurité sociale
destinées à renforcer la compétitivité.
Entre-temps, le dialogue social, encouragé par le traité de Maastricht, développe une culture « déconflictualisée » des rapports sociaux : la
culture du partenariat, dans laquelle la recherche de l’accord à tout prix prévaut sur son contenu (7). En 1997, le traité d’Amsterdam accentue
la vision « delorienne » du travail : promotion de l’adaptabilité, de l’employabilité, de la flexibilité et des logiques de « responsabilité
individuelle ». La politique d’« augmentation du taux d’emploi » généralise cette dégradation : la société de « plein d’emplois précaires » se
fait contre la société de « pleins salaires ». En outre, deux pactes intergouvernementaux (les pactes de « stabilité » et de « croissance et
emploi ») renforcent la délégitimation, déjà amorcée par le traité de Maastricht, des instruments de politique publique : haro sur la fiscalité
directe, les cotisations sociales, la politique budgétaire, le pouvoir d’intervention publique sur la création de monnaie…
En décembre 2000, la charte des droits fondamentaux, reprise en 2004 par le traité constitutionnel, limite le droit social à l’exercice de la
« solidarité ». Elle impose le mythe libéral de la « liberté du travail » (le droit de travailler) et rend aléatoires l’ensemble des droits de
rémunération. Le salaire, exclu des compétences communautaires, est ignoré ; les prestations sociales ne sont pas garanties comme droit à
ressources.
En 2000, la « stratégie de Lisbonne » (8), adoptée lors d’un Conseil européen tenu dans la capitale portugaise, soumet les autres dimensions
du social (enseignement, retraites, etc.) à la recherche de la plus haute compétitivité : elle les conçoit comme facteurs de production et, de
façon subalterne, comme outils d’inclusion sociale. Se généralisent aussi les « méthodes ouvertes de coordination » destinées à faire
converger les politiques sociales nationales : elles sortent le social du domaine législatif et déconnectent les « acquis » de leur histoire
conflictuelle. La législation sociale européenne se réduit, dès lors, à peu de chose, alors que celle organisant la libre circulation des capitaux,
des services et des marchandises ne cesse de s’étoffer. Or la réglementation économique influe nécessairement sur le contenu des politiques
sociales.
En 2004, le projet de traité constitutionnel entérine l’ensemble de ces évolutions et les insère dans un cadre politique encore obscurci par le
rejet des principes démocratiques (pas de séparation des pouvoirs, pas de distinction claire entre les pouvoirs réglementaires et le
législatif, etc.).
Cette lente dégradation a été rendue possible parce qu’une partie de la gauche européenne a choisi de valoriser le social comme un élément
permettant d’« améliorer l’économie européenne », croyant ainsi le rendre crédible et indispensable. Cette option revient à tenter de concilier
l’eau et le feu (les droits sociaux et la compétitivité des entreprises). Elle a permis à la Confédération européenne des syndicats (CES) d’accéder
à un degré de reconnaissance politique élevé : ainsi, depuis 2000, les sommets sociaux tripartites de printemps permettent une concertation
Gerard CLEMENT
Page 19
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
19
directe entre le conseil de l’Union européenne (conseil des ministres), la Commission et les « partenaires sociaux ». Leur objectif est
d’« assurer une participation efficace des partenaires sociaux à la mise en œuvre des politiques économiques et sociales de l’Union ».
La stratégie du « modèle social européen » a profondément transformé non pas le libéralisme économique ni l’ordre politique non
démocratique instauré par l’Union, mais le social et l’autorité publique. La politique sociale de l’Union est ainsi devenue un outil de destruction
des institutions de l’Etat social et des services publics, et met en péril l’idée même de société.
Corinne Gobin
Directrice du Groupe de recherche sur les acteurs internationaux et leurs discours (GRAID), Institut de sociologie, Bruxelles.
(1) Lire Eliane Vogel-Polsky et Jean Vogel, L’Europe sociale 1993. Illusion, alibi ou réalité ?, Université libre de Bruxelles, 1991.
(2) L’Agenda social pour 2005-2010 présenté par la Commission Barroso en février 2005 mobilise trois fois cette expression dans un texte de
douze pages.
(3) Le Monde, 2 septembre 2005.
(4) Jacques Donzelot, L’Invention du social, Fayard, Paris, 1994.
(5) Agenda social 2005-2010, COM (2005) 33 final, 9 février 2005, p. 7, Bruxelles.
(6) Laurent Vogel, « Les surprises de la directive communautaire concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail », L’Année
sociale, Bruxelles, 1996.
(7) Lire « La démocratie, le syndicalisme et la gouvernance de l’Union européenne : la mémoire du conflit démocratique en péril ? », dans
Maximos Aligisakis, L’Europe et la Mémoire. Une liaison dangereuse ?, Institut européen de l’université de Genève, 2005.
(8) Lire Bernard Cassen, « A Lisbonne, en mars 2000, naissance de l’Europe SA »,Manière de voir, no 61, « Leuro sans l’Europe », janvier-février
2002.
Information sous contrôle Tous ensemble, tous ensemble…
Une guerre de cent ans
L’auguste Revue des deux mondes se lance dans la bataille pour flétrir l’extrémisme contestataire : « La CGT, qui représente
2,6 % des salariés, peut-elle imposer à tout un pays un bras de fer jusqu’au-boutiste ? » (30 mai 2016). Plus d’un siècle
auparavant, après la grande grève des cheminots français d’octobre 1910, la même Revue des deux mondes écrivait : « Comment
se fait-il également qu’on laisse éternellement fonctionner la Confédération générale du travail ? Ainsi le gouvernement légal, par
une inexcusable pusillanimité, laisse fonctionner à côté de lui une sorte de gouvernement insurrectionnel, dont le prestige et
l’audace s’accroissent de la timidité des pouvoirs publics » (décembre 1910).
Pathologie sociale
Loin de la joie communicative des cortèges et des assemblées générales, l’éditorialiste du Monde Françoise Fressoz
déprime :« Mai fut un mois de fronde, mais de fronde sans allégresse ni débouché. Une fronde triste, presque crépusculaire. Du
mouvement Nuit debout aux grèves et manifestations contre le projet de loi El Khomri en passant par la résistance parlementaire
au texte, il ressort que la contestation contre la politique du gouvernement est importante. Elle s’accompagne parfois de haine et
souvent de violence, mais elle ne porte rien de novateur ni d’enthousiasmant ni d’alternatif par difficulté à conceptualiser un autre
chemin susceptible d’entraîner. Cela contribue à plomber le moral du pays, qui s’enferme dans une neurasthénie proche de la
maladie de longue durée » (Le Monde, 3 juin 2016).
Pluralisme
« Débattant » avec le journaliste du Figaro Alexis Brézet, partisan d’une refonte encore plus libérale du code du travail (France
Inter, 2 avril 2016), Laurent Joffrin, directeur de Libération, met en garde le gouvernement contre la tentation d’abandonner la « loi
travail », faute de quoi « il peut décider de se suicider tout de suite. Politiquement, il peut dire : “On laisse tomber, on ne fait plus
rien.” Non, je pense qu’ils vont tenir le coup. Je trouve que les modifications qui ont été apportées à la loi El Khomri la rendent à
peu près acceptable. D’ailleurs, j’en veux pour preuve qu’une partie des syndicats ont considéré que c’était tout à fait possible, et
que la CFDT [Confédération française démocratique du travail] est d’accord. Le fait de négocier davantage au niveau des
entreprises qu’au niveau des branches ou au niveau de l’État, cette évolution-là me paraît plutôt bonne. »
Le grand bavard
Sur Europe 1, le 10 juin 2016, M. Daniel Cohn-Bendit s’épanche sur l’épaule du présentateur Thomas Sotto : « Je vais faire une
confidence, Thomas. J’ai téléphoné à des tas de copains, j’ai fait un sondage : est-ce que je suis devenu réac ? Parce que j’en ai
ras le bol de ces grèves, j’en ai ras le bol de tout ça. »
Épistémologie du capitalisme
À propos de : Robert Boyer, Économie politique des capitalismes. Théorie de la régulation et des crises, La Découverte
par Xavier Ragot , le 24 juin Mots-clés Télécharger l'article
Selon Xavier Ragot, l’ouvrage de Robert Boyer démontre qu’une plus grande place doit être donnée à la « théorie de la régulation » au sein
des recherches actuelles en économie. Cela doit toutefois se faire en permettant circulation et hybridation des idées avec les autres
courants de la pensée économique.
Recensé : Robert Boyer, Économie politique des capitalismes. Théorie de la régulation et des crises, Paris, La Découverte, octobre 2015, 384 p.,
25€.
La parution du livre de Robert Boyer, Économie politique des capitalismes, est un événement important pour la réflexion économique [1]. Il
résume les avancées de la théorie (ou « école ») de la régulation, qui se déploie depuis maintenant plusieurs décennies. Cette théorie, dont
Robert Boyer est un des fondateurs, se veut une synthèse entre l’histoire économique, la pensée marxienne et la pensée keynésienne. Elle
propose une approche originale du capitalisme, ne reposant pas sur une seule critique, mais sur une inquiétude : le capitalisme est instable,
génère des déséquilibres économiques et sociaux, mais il est pourtant aujourd’hui le système économique dominant sur la planète. Quelles
sont les instances de stabilisation, de médiation des conflits ou, en d’autres termes, de régulation des économies de marché ? Comment
l’échec de ces mécanismes de stabilisation conduit-il à des crises ? Les différentes formes de déséquilibres économiques actuels (inégalités aux
États-Unis, difficulté de rendre compatibles les économies en Europe, suraccumulation du capital en Chine, déstabilisation des pays
émergents) montrent la pertinence de cette inquiétude et des recherches régulationnistes.
Le livre de Robert Boyer est donc l’occasion de mesurer la qualité de la moisson des travaux régulationnistes, mais aussi de penser l’évolution
et les limites du champ. En effet, le statut de la théorie de la régulation est particulier dans les sciences sociales. Cette théorie, devenue école,
est née en opposition au courant néoclassique qui se donnait comme but, dans les années 1980, de penser les vertus de l’équilibre des
marchés. Trente ans après, des concepts-clés de la théorie de la régulation se sont largement diffusés dans l’économie standard. On pense en
particulier au rôle des institutions, des formes de conflits et de l’économie politique [2]. La théorie de la régulation possède une approche plus
Gerard CLEMENT
Page 20
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
20
profonde car plus interdisciplinaire de ces objets. Cependant, et c’est le paradoxe, malgré la pertinence des questions et la diffusion des
concepts, la théorie de la régulation est encore frappée d’un sceau d’hétérodoxie, que le livre de Robert Boyer nous permet de desceller.
La première partie de cette recension présente le livre de manière brève et donc partielle. La seconde partie présentera une critique, qui se
veut constructive, du livre et peut-être plus généralement de la théorie de la régulation.
Mode de production de la théorie de la régulation
Le livre de Robert Boyer comporte deux parties qui résument deux périodes de l’élaboration de la théorie de la régulation au cours des
dernières décennies. Dans la première partie, l’auteur résume les recherches menées par de nombreux chercheurs dans les années 1980 et
1990. Elle est construite autour de la définition d’une grammaire régulationniste avec des concepts clés comme mode de régulation, régime
d’accumulation, formes institutionnelles, et une typologie des crises.
La théorie de la régulation se fonde sur cinq formes institutionnelles qui sont le rapport salarial, les formes de la concurrence, le rapport
monétaire, l’État et l’insertion internationale. Ces cinq formes résultent de l’institutionnalisation de rapports sociaux fondamentaux. Elles
diffèrent entre chaque économie et peuvent faire émerger des cohérences partielles et temporaires. Elles forment alors un mode de
régulation ou un régime d’accumulation.
La diversité et l’imbrication des concepts permettent à la théorie de rencontrer l’histoire économique en construisant des récits qui expliquent
la croissance et la crise de différents pays. L’école de la régulation est connue pour son explication de la période fordiste aux États-Unis et en
Europe, mais le livre montre que ces mêmes concepts peuvent permettre de raconter la croissance des pays d’Amérique latine, du Japon, de la
Chine, et, en fait, de toutes les économies de marché.
Dès cette première partie, l’approche systémique ou holistique se condense dans des tableaux et des graphes, qui marient flèches, encadrés et
bulles. La pensée de Boyer révèle sa clarté par le dessin. Il y a un véritable statut épistémologique du graphique chez Robert Boyer. Le premier
mouvement d’ouverture à la complexité fractale du monde dans le texte, trouve un second moment cartésien de synthèse dans le graphique.
La seconde partie du livre est une présentation des travaux récents. Elle montre tous les développements de la théorie de la régulation vers la
microéconomie, vers les relations internationales, et vers d’autres disciplines comme les sciences politiques. L’approche se fait ici plus
rhizomique, et ces nouveaux développements demanderont des hiérarchies nouvelles.
Les six chapitres de cette seconde partie présentent six axes de développement. Le premier (correspondant au cinquième chapitre dans la
numérotation du livre) concerne une théorie de l’action et de la rationalité située compatible avec la théorie régulationniste. Ce chapitre
permet à l’économie de dialoguer avec la sociologie et les sciences politiques. La pensée de l’action va de l’habitus à l’ordre constitutionnel (cf.
tableau, p. 119). Le second chapitre se concentre sur l’application de la théorie à des institutions intermédiaires, comme les systèmes sociaux
d’innovation, le rapport de formation, entre rapport salarial et système éducatif ou encore les systèmes nationaux de couverture sociale, mais
aussi et plus fondamentalement la question environnementale.
Le troisième chapitre est un chapitre essentiel d’ouverture aux sciences politiques. En effet, une question paradigmatique de la théorie de la
régulation est celle de la diversité et de l’émergence de formes cohérentes de capitalisme. La question du politique est alors centrale : la
politique économique certes, mais aussi l’évolution de compromis fondateurs autour de blocs hégémoniques. Robert Boyer reprend ici les
références à Gramsci et Poulantzas pour définir la notion de régime politico-économique et de bloc hégémonique : un système économique
inefficace, générant une croissance faible et un chômage élevé, peut perdurer s’il trouve une coalition politique le soutenant. On pense ici par
exemple aux politiques d’austérité en Europe qui se perpétuent par l’impossibilité de former une coalition alternative sur des principes
cohérents. Le bloc hégémonique défendant le régime de l’austérité s’effrite dans tous les pays et le qualificatif de « populiste » est utilisé pour
dévaloriser les pensées en marge de celles défendues par le bloc hégémonique (et qui recouvre des options politiques les plus variées).
Les trois derniers chapitres appliquent les concepts développés précédemment à l’internationalisation des économies, afin de penser les
régimes internationaux et la cohérence fragile de l’union européenne. Enfin, un chapitre de synthèse sur le changement institutionnel conclut
le livre. Nous ne faisons ici que mentionner ces chapitres qui mériteraient de plus amples analyses, et nous concentrons nos commentaires sur
une discussion des concepts de la théorie de la régulation.
Critique de la critique
Face à une synthèse aussi riche des travaux accumulés depuis trente ans par un grand nombre de chercheurs, deux périls menacent l’auteur de
ces lignes. Le premier est une critique générale et abstraite, le second est une louange acritique et somme toute peu engagée. Essayant
d’éviter ces écueils, je développe ici quatre critiques.
Internationalisation et nouvelles hiérarchies institutionnelles
Le livre de Robert Boyer est dense et tend vers une synthèse exhaustive. Il suit en outre une approche chronologique dans l’exposé des
concepts. Ce choix masque la nécessaire re-hiérarchisation des concepts après la crise financière. Quelle est l’importance du mode de
formation des salaires dans les économies contemporaines ? Est-il aussi second qu’on l’invoque parfois ?
En effet, l’internationalisation des échanges place toutes les économies, tous les modes de régulation et tous les régimes d’accumulation, sous
de nouvelles contraintes. La théorie de la régulation permet de dépasser des invocations trop générales comme « la dictature de la finance à
l’ère de la mondialisation ». Ce qui semble se jouer est plutôt la tension entre le rapport salarial et la mondialisation des échanges. La question
de la finance étant ici volontairement subsumée sous le concept de rapport salarial, qui inclut la question du partage de la valeur ajoutée et
donc de la rémunération des actionnaires (et des dirigeants).
Trois exemples rendront cette remarque plus concrète. Premièrement, la dynamique des salaires aux États-Unis – marquée par la hausse des
divergences salariales – montre la fragilisation des instances de contre-pouvoirs dans les entreprises, et plus généralement le délitement du
rapport salarial. La hausse des inégalités traduit une baisse du pouvoir de négociation des salariés dans le cadre de la crise du rapport salarial
fordiste, qui reposait quant à lui sur une hausse commune et négociée des salaires et de la productivité. Les nouvelles formes contractuelles
dans la relation de travail n’ont pas encore leur instance de régulation, au-delà du seul droit des contrats. Deuxièmement, la divergence des
économies au sein de la zone euro provient en grande partie de la divergence sur le long terme des niveaux d’inflation entre les pays. Celle-ci
est le résultat de modes nationaux de formation des salaires particulièrement résistants, car issus de compromis sociaux d’après-guerre [3].
Enfin, la Chine fait maintenant face à la question de la stabilisation d’une consommation interne portée par une classe moyenne (ou pauvre),
mais dont les revenus progressent continûment. Ces exemples, trop rapidement décrits, montrent la centralité du rapport salarial dans la
dynamique internationale actuelle. Une hiérarchisation plus claire des formes institutionnelles aurait permis, au delà de la diversité des
situations, de montrer le caractère opérationnel de la théorie.
La question écologique, traitée dans le livre p. 160 contient aussi une possible re-hiérarchisation profonde des concepts. Le rapport à la nature
est invoqué comme possible sixième forme institutionnelle. La discussion aurait pu par exemple trouver sa place dès l’exposé de la première
partie afin de montrer les tensions internes et productrices des concepts. Cette remarque nous amène à interroger les principes internes de
sélection des concepts par la théorie de la régulation.
Gerard CLEMENT
Page 21
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
21
Qu’est-ce qui est faux ?
À la lecture du livre, on suit le processus d’approfondissement et de diversification de concepts fondamentaux. Cela pose une question de
méthode. La méthode régulationniste permet-elle de rejeter et de faire évoluer ses propres concepts ? Contient-elle un principe de
falsification ?
La théorie de la régulation possède une capacité d’adaptation qui lui permet de décrire toutes les économies. Le livre donne l’impression que
des concepts additionnels ont permis de préserver les idées fondatrices sans les remettre en cause. Quels sont les concepts qui ont été
dévalorisés après une confrontation aux données ? La théorie de la régulation a-t-elle connue des petites ou grandes crises ?
Derrière ces questions, se pose celle du rapport aux données de la théorie de la régulation. Les données semblent être utilisées de manière
inductive voire abductive. À la lecture du livre, on cherche une stratégie de confrontation aux données qui permette non pas d’ajouter mais
d’enlever des concepts. Cela demanderait un moment déductif qui permettrait de dégager les capacités prédictives des concepts pour les
confronter aux données, d’une manière ou d’une autre. On se demande encore, à la lecture de l’ouvrage, si la théorie de la régulation est en
mesure d’adopter une telle démarche.
Que faut-il faire ?
Les théories économiques sont souvent connues pour leurs recommandations de politique économique. Plus profondément, la science
économique est traversée par la magnifique contradiction entre le positif, comprendre l’existant, et le normatif, comment « améliorer »
l’existant. L’économie est à la fois plus et moins qu’une science. La théorie de la régulation réfléchit profondément à la relation entre la
politique et l’économique, mais à des fins purement positives, nullement normatives. La théorie de la régulation n’est pas capable à ce jour
d’aller de l’économie politique à la politique économique. Pour reprendre les mots de Robert Boyer « la théorie de la régulation est plus
analytique que normative, ce qui rend probablement compte du faible impact qu’elle a eu dans la formation des politiques économiques
contemporaines » (p. 198).
Pourtant, au sein de chaque mode de régulation, il y a des options de politique économique qui sont en débat. Tout n’est pas déterminé, et il y
a une marge pour le politique qui peut changer localement l’orientation du cours économique. Le chercheur régulationniste est un acteur du
débat de politique économique. Quelles sont les propositions pour sauver (ou sortir de) la zone euro, par exemple ? Les recommandations de
politique économique sont un mode de confrontation au réel et il est symptomatique que la théorie de la régulation choisit de ne pas entrer
dans cette confrontation.
Théorie de la régulation et économie « orthodoxe »
La dernière critique concerne la relation entre la théorie de la régulation et la macroéconomie actuelle. Le livre de Robert Boyer ne fait pas
référence à des travaux économiques « orthodoxes » (qu’il connait par ailleurs) qui pourraient renforcer certains arguments ou rapports
causaux énoncés par l’auteur. Cela donne l’image d’une profession segmentée entre les « orthodoxes » et les « hétérodoxes », de manière
irréconciliable. Il faut s’interroger sur cette segmentation. Elle peut être tout à fait légitime et être la condition du développement de la
théorie. Elle peut être aussi le résultat d’une incompréhension et d’une posture épistémologique qui ne se situe pas au bon niveau. Par
l’exemple, la théorie orthodoxe est critiquée pour son « individualisme méthodologique » et la place démesurée accordée à la modélisation de
l’individu rationnel. Cette critique est trop générale et manque sa cible. La théorie « orthodoxe » (qui n’est probablement en fait qu’un
ensemble d’institutions : processus de publications, de sélection et de promotion), est maintenant percluse d’irrationalité, d’apprentissage, de
biais cognitifs, d’inattention, d’apprentissage, voire de routines. La contrainte académique semble aujourd’hui être qu’il faut « passer par les
individus » (voir par exemple l’émergence de la macroéconomie comportementale défendue par Michael Woodford [4]) qui rend bien des
travaux compatibles avec le « hol-individualisme » (synthèse entre holisme et individualisme méthodologique) de la théorie de la régulation
(présenté p. 20). Cela ne veut pas dire que la théorie de la régulation puisse se dissoudre dans une conception large de l’orthodoxie, mais que
des analyses et études de « l’orthodoxie » peuvent considérablement enrichir la théorie de la régulation. L’auteur regrette l’échec de
l’hybridation de la théorie du déséquilibre et de la théorie de la régulation (p. 27). La théorie du déséquilibre fait un retour discret mais réel
dans la macroéconomie standard, après l’introduction de rigidités nominales sur de nombreux marchés et la contrainte de taux nominaux zéro
pour la politique monétaire. Pour comprendre l’enjeu de cette question, il faut penser aux récents débats sur la constitution d’une nouvelle
section d’économie au Conseil National des Universités, dont le but serait de donner une place institutionnelle plus forte à l’économie
« hétérodoxe » en la distinguant de l’économie « orthodoxe ». Ces enjeux méthodologiques ont ainsi directement une traduction
institutionnelle au sein de la discipline économique à l’université [5].
La relation de la théorie de la régulation avec les apports analytiques de méthodologies alternatives ne peut être celle d’une importation
acritique des méthodes. La critique interne et externe de la théorie orthodoxe ou standard permettrait de choisir les résultats robustes. Par
ailleurs, seule une hiérarchisation des concepts et une contextualisation des mécanismes permettraient une synthèse évolutive, et non une
juxtaposition impressionniste de résultats superficiellement compatibles. Il ne faut pas croire que l’hybridation ne doive aller que de la théorie
orthodoxe vers la théorie de la régulation. De nombreux programmes de recherche bénéficieraient des concepts de la régulation pour orienter
les études empiriques et théoriques. Il faut reconnaître que l’ambition d’une « hybridation raisonnée » est élevée, tant la technicisation de la
science économique est grande. La théorie de la régulation porte cependant en son sein l’épistémologie permettant une telle synthèse, en
hiérarchisant les concepts en remettant à leur place des contributions prétendant à une trop grande généralité.
Pour conclure, il faut lire le livre de Robert Boyer. C’est un livre dense et exigeant. Il repose sur une méthode conceptuelle historique qui
conduit à de puissantes synthèses intellectuelles. L’auteur de ces lignes ne peut se résoudre à une segmentation de la pensée. Le coût
intellectuel est trop important, devant la complexité des objets traités par l’économie. Il faut une plus grande place à la théorie de la régulation
dans les recherches actuelles, mais une place qui permette hybridation et circulation des idées.
Brexit : l'heure n'est plus au débat mais à l'action
Par Françoise Grossetête, députée européenne | 29/06/2016, 10:31 | 674 mots
(Crédits : LD)Après la décision du peuple britannique, l'heure n'est plus au débat mais à l'action. Il s'agit de tirer toutes les
conséquences du résultat de ce référendum. Il importe avant tout d'être clair. Il n'y aura pas de nouvelles négociations ni de
traitement de faveur. Mais au-delà du sort britannique, il faut se poser les bonnes questions, et ne pas faire de l'Europe un bouc
émissaire permanent, mais redonner du sens à cette communauté de destins. Par Françoise Grossetête, députée européenne LR,
1ère Vice-Présidente du groupe PPE au Parlement européen.
Le 23 juin dernier, le peuple britannique a tranché. Après plus de 40 ans d'une relation souvent tortueuse, le divorce est prononcé
entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Je regrette cette décision, mais nous devons bien sûr respecter ce choix souverain.
Désormais, l'heure n'est plus au débat mais à l'action. Il s'agit de tirer toutes les conséquences du résultat de ce référendum.
Le gouvernement britannique doit être responsable
Gerard CLEMENT
Page 22
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
22
Il importe avant tout d'être clair. Il n'y aura pas de nouvelles négociations ni de traitement de faveur. La Grande-Bretagne a choisi
sa voie. Les négociations de sortie doivent maintenant se faire le plus rapidement possible afin que l'Europe, qui est confrontée à
des défis majeurs, ne rentre pas dans une phase de paralysie. Le gouvernement britannique doit être responsable.
Le Parlement européen, dans sa majorité, souhaite être ferme. Le Royaume-Uni restera un partenaire privilégié, mais on ne peut
imaginer que les députés européens britanniques continuent à voter des textes qui ne les concernent plus. Toute autre solution ne
serait ni démocratique, ni respectueuse de la souveraineté des autres peuples européens.
Remise en question profonde du projet
Sans attendre, l'Europe et la zone euro doivent aller de l'avant. L'Europe a commencé sans la Grande-Bretagne et elle continuera
sans elle. Il n'est pas question de s'en tenir à de grands discours ou à des échanges courtois ! Nous ne pouvons pas faire
l'économie d'une remise en question profonde du projet que nous voulons porter pour le continent.
La France et l'Allemagne, en particulier, doivent être à la hauteur de ce moment historique pour donner un nouveau souffle au
projet européen, montrer un visage de l'Union plus humain, et apporter les réponses concrètes tant attendues par nos concitoyens.
François Hollande, qui a cruellement déserté la scène européenne depuis son élection, avec les conséquences dramatiques que
l'on voit, doit entendre ce message !
Le marché unique ne suffit plus à rapprocher les citoyens
Les responsables politiques de tous bords, les gouvernements nationaux et les médias portent aussi une responsabilité immense
dans l'échec que nous connaissons aujourd'hui. Faire de l'Europe un bouc émissaire permanent est une stratégie dangereuse, qui
ne sert que les populistes et les démagogues. Le pari perdu de David Cameron et l'état de déconfiture dans lequel il laisse son
pays le montrent ; jouer avec le feu n'est pas sans risque...
Les résultats de ce référendum doivent servir de leçon à tous. Les inventaires à la Prévert sur les avancées du marché unique, qui
réduisent nos concitoyens à l'état de consommateurs, ne suffisent plus pour rapprocher les citoyens de l'Europe. Le marché
intérieur est certes un acquis considérable, mais il est grand temps de sortir de ces argumentaires technocratiques et de le clamer
enfin : l'Europe n'est pas qu'un grand marché, un assemblage de programmes sectoriels, une machine à produire des normes...
L'Europe a une âme, une Histoire, une culture !
Communauté de destins
Les Nations du continent sont héritières d'une Histoire millénaire, parfois glorieuse, parfois tragique. Elles partagent ensemble,
malgré leurs différences, une culture et des valeurs communes, ancrées dans le christianisme, le respect de l'Humain et de sa
dignité, l'État de droit et la liberté. Elles ont en commun une adhésion à l'économie de marché, placée avant tout au service de
l'Homme.
Elles se retrouvent, enfin, autour d'une certaine vision de la société, solidaire et veillant à ne pas laisser les plus faibles au bord du
chemin. Par-delà nos divergences, beaucoup d'éléments rassemblent les nations d'Europe, les conduisant naturellement à
coopérer pour préserver et promouvoir nos valeurs et notre mode de vie dans la mondialisation.
Une communauté de destins au service des peuples du continent et des valeurs qu'ils partagent. C'est cela que doit aspirer à
devenir l'Europe post-Brexit.
(Br) exit la démocratie participative ? Coup de gueule d'un accro du référendum
Par Frank Escoubès | 28/06/2016, 11:34 | 775 mots
DR)Face au processus de vote du Brexit, le débat bipolaire, la proto-manie sondagière, la disqualification des experts et une rhétorique creuse
ont alimenté l'échec de cette consultation démocratique, estime Frank Escoubès, Co-fondateur bluenove. Pour lui, cette mascarade
démocratique se poursuivra tant que quatre grands principes ne seront pas respectés : un principe d'information, un principe
d'argumentation, un principe de conviction et un principe de délégation.
Que s'est-il donc passé pour en arriver là ? Difficile au lendemain du Brexit de ne pas évoquer l'anti-sagesse des foules, après ce "perfect
storm" qui vient de chambouler l'ordre européen. Et pourtant, les 4 conditions d'échec étaient bel et bien réunies !
Quatre fiascos
Fiasco n°1 : Un débat "bipolaire", comme on les aime dans les agora politiques, et comme on les déteste dans les enceintes réellement
démocratiques.
Pourquoi ? Parce que les débats bipolaires sont les plus tributaires des forces de lobbying qui s'opposent. Et dans le cas présent, force est de
constater que le message positif s'est dissipé dans les vapeurs des diatribes médiatiques.
La faute à qui ? Aux défenseurs du Remain, dont la sémantique ne fut pas à la hauteur symbolique de celle maniée par les partisans du Leave.
A l'Union européenne, qui n'a pas défendu son projet avec la verve attendue. Et à l'absence de cartographie claire des avantages et
inconvénients de chacune des deux options.
Fiasco n°2 : La persistance de cette proto-manie sondagière, dont on n'arrête pas de dire pourtant qu'elle n'est pas fiable. N'en jetez plus :
entre les sondés plus nombreux parmi les partisans du Remain que du Leave, le décalage structurel entre les intentions de vote et le vote réel,
les évolutions de dernière minute des fameux indécis et le caractère imprévisible du passage effectif aux urnes le jour J, tout concourt à créer...
des "bombes à retournement".
Car les sondages au cours d'un débat sont assimilables à du trafic d'influence : ils conditionnent le libre arbitre. Il faut s'en préserver jusqu'à
l'issue des délibérations.
Fiasco n°3 : La disqualification des experts, associés probablement à la bête technocratique que l'on veut achever. On ne le dira jamais assez :
un débat sans dires d'experts est un aspirateur à idées reçues. Cessons de laisser l'exclusive médiatique à la logorrhée des excités politiques, il
s'agit là de conflits d'intérêts en marche.
Identifions a contrario deux populations de facilitateurs : des experts (en grand nombre pour éviter les prises d'otages dogmatiques) et des
vulgarisateurs-interprètes (pour traduire au bénéfice de tous les citoyens les éclairages de certains observateurs éclairés).
Et laissons alors le débat s'instaurer. Car les citoyens n'ont pas toujours raison. Ils ont raison collectivement... s'ils sont correctement informés.
Fiasco n°4 : Une rhétorique creuse mixant allègrement bouc émissaire (l'UE), euphémismes (cachez ce terme xénophobie que l'on ne saurait
voir), et concepts techniques (voir le nombre de consultations Google sur le terme "UE" au soir et au lendemain de l'élection).
Une règle cardinale de l'intelligence collective a ainsi été bafouée : s'assurer avant toute délibération de la compréhension partagée des
concepts sous-jacents. Ce que nos amis britanniques appellent le "sense making" (développer un sens commun), et qu'ils semblent avoir
transformé, pardon pour le parallèle, en "non-sense building".
Réinventer les principes de la démocratie participative
Dans un article récent, j'appelais de mes vœux une petite révolution de la conception même de démocratie participative autour de quatre
grands principes :
Gerard CLEMENT

Page 23
du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
23
Un principe d'information : Différentes solutions numériques (simulateurs, comparateurs, etc.) peuvent aujourd'hui apporter toute
la transparence requise pour permettre aux citoyens d'être le plus efficacement informés Où étaient-elles pour ce référendum historique?
 Un principe d'argumentation : les votes citoyens doivent être conditionnés à l'organisation de débats (physiques et en ligne)
instruits, argumentés et contradictoires, notamment sur format digital pour permettre des échanges à distance et dans la durée.
Ont-ils été vraiment tenus ?
 Un principe de conviction : Des communautés d'experts doivent être constituées, en charge d'éclairer les citoyens sur les éléments
clés à intégrer dans leurs réflexions.
Ont-ils eu voix au chapitre ?
 Un principe de délégation : En référence aux principes de la « liquid democracy », les citoyens doivent désigner des représentants
parmi leurs pairs, potentiellement différents selon les sujets, afin d'organiser et de coordonner les débats.
Y a-t-on même pensé ?
Je prétends que si chacun de ces 4 grands principes avait été respecté, l'issue du référendum aurait été différente. Et je prétends que tant que
l'on organisera des référendums comme on le faisait au siècle dernier, on générera l'absurdité des "regrets" du lendemain (une première de
l'Histoire) de la part de ces pro-Brexit qui s'affichent aujourd'hui comme floués, sans même la peur du ridicule.
Téléchargement