Gerard CLEMENT Page 5 du 25 AU 30 JUIN 2016 76978550217/04/2017
Initié au milieu des années 1960 par la mise en place des CESR, le développement du dialogue social régional s'est accéléré à
partir du début des années 2000 et c'est à cet échelon que le renouveau du dialogue social territorial s'est alors poursuivi en
France. Dans le contexte d'une montée en puissance des régions (relative comparativement à leur rôle dans d'autres pays
d'Europe- Allemagne ou Italie par exemple -, mais forte à l'échelle française) ce développement a suivi trois lignes de force :
institutionnelle, quadripartite et, de façon plus minoritaire, bipartite.
Les CREFOP (Comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle), instaurés par la loi Sapin du 5
mars 2014, constituent une institutionnalisation d'un dialogue social quadripartite plaçant l'État en Région (Préfet de Région,
Éducation Nationale, Pôle Emploi Régional), la Région (Conseil Régional), et les Partenaires Sociaux (trois Organisations
Représentatives des Employeurs et cinq Organisations Représentatives des Salariés) au cœur de la gouvernance territoriale des
politiques publiques d'emploi, d'orientation et de formation. Leur mise en place est encore en cours à la fin du printemps 2016.
ENTRE INNOVATION ET CRAINTE D'UN CONTOURNEMENT DE LA NEGOCIATION COLLECTIVE, UNE OPERATIONNALITE
QUI RESTE PROBLEMATIQUE
Ainsi pratiqué en France, ce DST occupe cependant une place restreinte et pas tout à fait stabilisée ; le renouveau observé est
d'abord qualitatif. Le DST explore d'autres champs que ceux qui étaient l'objet des premières conventions collectives et joue un
autre rôle : il s'est déployé comme accompagnateur du développement local ou plus exactement du redéveloppement comme
vecteur d'organisation et de développement du dialogue social et du syndicalisme dans les TPE, et comme facilitateur du
décloisonnement des politiques publiques dans le contexte de la décentralisation française.
L'innovation est véritablement la marque de fabrique de ce DST. On doit par exemple au dialogue social régional d'avoir « rodé » le
quadripartisme institutionnalisé par les CREFOP, d'avoir expérimenté ce qui deviendra le contrat de génération, ou encore d'avoir,
dans la foulée de la crise de 2008, testé différents dispositifs de sécurisation des parcours des travailleurs précaires et expérimenté
des dispositifs visant à « former plutôt que licencier », par exemple en Franche-Comté. Le DST assure donc, en France, un rôle de
laboratoire, ce qui confirme - en l'étendant à d'autres champs que celui des restructurations à propos duquel elle a été initialement
formulée - l'idée selon laquelle le territoire est un laboratoire d'innovations en matière de pilotage multi-acteurs.
Il est cependant peu producteur de résultats visibles. En écho à « la faiblesse des résultats concrets obtenus » (Micheau, 1982)
des premiers CBE, force est de constater les résultats décevants des CPRIA, « si l'on veut considérer la diffusion des droits
sociaux d'un point de vue quantitatif » (Rey, 2016). Il faut bien sûr se garder de juger trop vite un dispositif qui s'expérimente
encore, mais le constat est le même dans d'autres domaines. Ainsi, le territoire s'avère un « candidat décevant » (Fayolle, Guyot,
2014) à la sécurisation des parcours professionnels ; chaque fois qu'il a été tenté de mesurer l'effet sur l'emploi, aucun résultat
significatif n'a pu être trouvé (Quynh, 2015, par exemple). Enfin, les très rares évaluations accessibles (généralement non chiffrées)
d'instances de DST concluent seulement à des impacts positifs en termes de communication et d'échange d'information, les
Groupements d'employeurs constituant l'exception qui confirme la règle.
On peut remarquer qu'il ne s'agit pas d'une faiblesse, mais d'un trait caractéristique. Ainsi, a-t-il été dit des CBE qu'ils se situaient
en amont des actions pour l'emploi, animaient une « concertation dont le fruit leur échappe » (Palmowski, Morin, 2005) et étaient
donc dans, l'inconfortable position d'être des initiateurs d'actions portées par d'autres. Dans cette perspective, l'effet du DST sur
l'emploi ne peut être qu'indirect. Les effets sur l'emploi à court terme ne constituent sans doute pas un bon indicateur de l'activité
du dialogue social territorial et il vaudrait mieux trouver des indicateurs d'innovation, de créativité ou de mise en relation d'acteurs.
Ce positionnement du DST semble contraindre les participants à remettre incessamment de nouveaux projets à l'ouvrage, sans
jamais pouvoir espérer les concrétiser. Cette situation interdit l'apprentissage qui découle de la mise en œuvre, favorise
l'instrumentation (ceux qui mettent en œuvre poursuivent leurs propres objectifs) et son caractère chronophage. C'est en effet un
dialogue que son caractère multi partenarial rend complexe, qui requiert des apprentissages ne s'opérant que sur le tas et
demandant des moyens dont les acteurs qui l'investissent ne disposent pas en termes opérationnels et financiers (sauf pour ce qui
concerne, depuis quelques années seulement, les CPRIA). Cette situation explique qu'il n'est pas rare que ceux qui s'y investissent
s'effarent des «temps de travaux et débats nécessaires » (CNFPTLV 2012) comme si chacun « cherchait son rôle dans un
scénario lui-même à écrire » (Charlot, Bergère, 2011).
L'hypothèse qu'il est possible de faire face à ces constats est que les voies et moyens du fonctionnement du DST n'ont pas encore
été mis au point. La crainte qu'il ne serve à contourner les résultats de la négociation collective nationale a conduit les partenaires
sociaux français à affirmer en 2008 que :
« la volonté des interlocuteurs sociaux d'élargir le dialogue social doit également trouver une traduction concrète au niveau
territorial interprofessionnel. Ce dialogue social interprofessionnel territorial, qui ne saurait avoir de capacité normative, doit être
l'occasion, à l'initiative des interlocuteurs concernés, d'échanges et de débats réguliers sur le développement local dans sa
dimension sociale et économique. »
(Partenaires sociaux 2008, article 14, nous soulignons)
Cette position est à visée préventive contre l'utilisation, toujours possible, du dialogue social territorial (comme d'ailleurs du
dialogue social d'entreprise !) à des fins de remise en cause d'accords collectifs conclus à d'autres niveaux, risquant ainsi d'ouvrir
la voie à une concurrence interentreprises déloyale. Faut-il considérer pour autant qu'elle est gravée dans le marbre ?
QUELLES PERSPECTIVES POUR LE DST EN FRANCE ?
Il est maintenant de plus en plus clairement perçu que le DST crée « des dispositifs innovants » (Combrexelle, 2015). Alors,
comment envisager un développement plus affermi ?
Plusieurs propositions existent dans ce domaine. La première et la plus simple consiste à faire évoluer le droit pour que des
représentants d'employeurs et de salariés en activité puissent bénéficier des droits leur permettant de participer de plain-pied à ce
dialogue social et aux projets qui lui sont associés. L'article 50 proposé par Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen (Badinter, Lyon-
Caen, 2015) va dans ce sens pour ce qui concerne les TPE, et il pourrait être étendu à la participation de représentants aux
Espaces d'Initiatives Territoriales préconisés par le rapport Aubert (Aubert 2014, op. cit.). La proposition 39 faite par le rapport
Combrexelle de reconnaissance par la loi des « négociations territoriales et de sites créant des dispositifs innovants », dont les «
les dispositions de nature normative que, le cas échéant, [ils] contiendraient n'auraient d'effet juridique que dans la mesure où elles
seraient explicitement reprises dans les accords d'entreprise » (Combrexelle op. cit.) ouvriraient la porte à l'expérimentation. Ces
propositions sont importantes, car elles permettraient de sortir le DST en France de sa dépendance des financements et décisions
centralisées, notamment de l'État ou de la Région. De ce point de vue, il faudra suivre de près les conséquences qu'auront - dans
les régions dans lesquelles existait un dialogue social régional et/ou infra régional (Rhône-Alpes ou Ile-de-France, par exemple) -
les changements de majorité intervenus lors des élections de décembre 2015.
Il s'agit cependant de propositions d'organisation, dépendantes de projets dont il faut préciser le sens et les champs. De ce point
de vue, on peut formuler l'hypothèse que deux champs au moins pourraient bénéficier d'un développement du DST : celui des
transitions professionnelles et, plus largement, celui couvert par les droits de tirages sociaux proposés par le « rapport Supiot »