I. Représenter le monde. Quel monde ?
La cartographie est la représentation de la surface de la Terre. Elle répond à des visées
concurrentes voire contradictoires :
- se repérer dans l'espace pour se déplacer sur terre comme sur mer ;
- donner une image de la création du monde selon chaque mythologie ;
- dresser l'inventaire des richesses et les limites du pouvoir des princes.
La 1ère va dépendre de l'état des techniques du temps pour définir les distances, les alti-
tudes et les directions ; la 2ème va organiser un tableau des différentes parties du monde selon les
récits légendaires ; la 3èmeva hiérarchiser les différents éléments de la carte selon un but géopoli-
tique.
Ces visées sont concomitantes et non pas successives, même si dans un 1er temps domine
la représentation mythologique et que la cartographie scientifique ne prendra son envol qu'avec
les grandes découvertes du XVème siècle. Le légendaire, le mythologique est un moyen pré-
scientifique et pré-mathématique de décrire le réel ; il ne faut pas l'analyser en termes de fausseté
mais d'efficacité. Et il est certain que les nécessités pratiques des déplacements et des décou-
vertes ont favorisé l'approche scientifique au détriment du légendaire.
La longue cohabitation du légendaire et du scientifique s'articule aux différentes échelles :
- aux petites échelles
1
(mappemonde) le légendaire, que nous verrons dans un 1er temps ;
- aux grandes (topographie) la technique réaliste et scientifique, que nous verrons dans un
2ème temps ;
- pour terminer dans un 3ème temps sur l'utilisation de la science occidentale au service de
la domination des grandes puissances.
1. Les cartes entre cosmogonie et mythologie : le réel légendaire:
A grande échelle donc, très longtemps les cartes du monde reflétaient la vision que
chaque civilisation avait de la création divine de la nature et de la place de la Terre dans l'espace
sacré défini par la course apparente du Soleil. Peu à peu les observations scientifiques s'insèrent
à l'intérieur de ces cadres mythologiques jusqu'à les bouleverser complétement.
a. Des cosmographies
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symboliques :
- le centre du monde et ses limites :Jérusalem, La Mecque, Cité interdite et l'Empire du
Milieu…
- la symbolique de la création : les parties du monde et leur hiérarchie ; situation du Para-
dis Terrestre ; pourquoi l'orientation des cartes ?vois les cartes "T dans l'O" ; chez les
Grecs, Olympe et nombril du monde (Delphes) ;
1
Plus l'échelle est grande, moins l'espace dessiné est réduit ; plus elle est petite, plus cet es-
pace est réduit ; voir par exemple p. 196 la carte n°3 à grande échelle à côté de la carte n°2 à
petite échelle.
2
Cosmographie : descritpion de l'espace et des planètes.
- les voyages initiatiques : Odyssée d'Homère, VIIIe siècle av JC, véritable géographie du
monde connu sous forme légendaire ; mais flou des localisations, d'où des versions
très différentes (intérieur de la Méditerranée ou aussi Atlantique ?) ;
b. Le cosmos et les enfers ; quelle est la forme de la Terre ?la Terre comme planète ;
- concurrence de deux formes géométriques selon les civilisations : le carré (Chine, Méso-
Amérique) selon les 4 points cardinaux ; dong et xi dans les villes chinoises ; les vents
comme "rose" de directions ;
- le rond (Grecs, Arabes) selon les formes planétaires avec océan circulaire ; disque ou
sphère ? les cartes T dans l'O ;
- Atlas (un des Titans, frère de Prométhée ; donne son nom à la montagne du Maroc) :
comment la terre tient-elle dans le Cosmos ?
c. L'impossible projection de la sphère (pp. 166-7) :
- calculs des Grecs et des Arabes : rotondité, angles et distances ; mesure des degrés de
longitude et de la circonférence de la Terre ; Eratosthène (IIIe siècle av JC) à la suite
de Thalès et des théories des angles et triangles ;
- de Ptolémée à Mercator ; respecter les angles ou les surfaces ? projection cylindrique,
conique ou azimutale ;
2. Les nécessités du voyage et de la navigation : les impératifs de la réalité.
a. S'émanciper du cabotage :
- de l'itinéraire à la carte ; question du repérage d'une position : d'où l'importance des pe-
tites mers (Chine, Méditerranée, …) ;
Entre -10000 et -400 av JC, Polynésiens et Mélanésiens sillonnent des
portions d'Océan Pacifique ; ils se repèrent par les étoiles et le Soleil, la
direction des vents et la forme des vagues (qui dépend de la profondeur
des fonds marins et des obstacles qu'elles rencontrent au loin). Ils se
servent de cartes où des bâtons représentent la direction des vents et les
coquillages la position approximative des îles.
- calcul de la latitude : bâton de Jacob, astrolabe et sextant pour se repérer par hauteur des
étoiles et du soleil ; 1ères cartes marines scientifiques : les "portulans", dessinées par
cabotage avec boussoles ;
À l'opposé de l'image théologique du monde que donne la mappemonde,
et avant la redécouverte de Ptolémée en Occident, une nouvelle repré-
sentation cartographique se répand depuis l'Italie à partir du XIIIe siècle,
dans un contexte d'essor du commerce maritime ; Maggiolo travaille à
Gênes, naturellement (?). Les portulans sont à la fois des textes décrivant
les côtes et les ports, et des cartes nautiques peintes sur parchemin, avec
le repérage des îles, des abris et des amers qui permettent de reconnaître
un rivage. La richesse des informations se limite à la frange étroite où
s'alignent perpendiculairement les noms des ports. En toile de fond se
développe un réseau de lignes géométriques appelé le marteloire, diffé-
rent du quadrillage des parallèles et des méridiens. Ces lignes issues des
roses des vents ne servent pas à mesurer l'espace, mais permettent aux
marins de voir les angles de route pour se diriger plus facilement à cap
constant, avec la règle, le compas et surtout la boussole, nouvelle venue
en Méditerranée. Le nord est désormais en haut de la carte, le plus sou-
vent le nord magnétique indiqué par la boussole et non le nord géogra-
phique repéré à l'aide de la Polaire ou du Soleil, d'oùune orientation légè-
rement décalée par rapport aux cartes construites selon les coordonnées
géographiques.
- maislongitudeimpossible par ces moyens : solution deschronomètres marins pour dé-
terminer point par écart heure locale et heure du point de départ ;
Longitude Act voté en 1714 : chronomètres marins de G Harrisson mis au
point dans années 60 ; plus de balancier mais des ressorts à frottement
annulé par jeu sur les différences de bois et de métal pour empêcher les
dérèglements climatiques et résister aux mouvements de la mer ;
1884 : conférence internationale de Washington fait de Greenwich le mé-
ridien d'origine (heure GMT) ; acceptation par la France en … 1911 ;
- les terrae incognitae dans l'intérieur des continents ;situation inversée par rapport aux dé-
buts : désormais ce sont les continents qui vont poser des problèmes de repérage et
de représentation : il s'agit désormais de positionner tous les points par rapport aux
autres et en altitude.
b. Elaboration d'une trame complète des territoires :
- cartes administratives anciennes : voir la Table de Peutinger :
Table de Peutinger : représentation figurée des axes routiers et des villes
présentes dans l’Empire romain depuis la Grande-Bretagne jusqu'au
Gange ; elle date de 1265, copie de copies dont l’original remonterait à la
moitié du 4ème siècle ap. J.-C. A l’origine, la grande carte de l’Empire
romain qu’Agrippa avait fait peindre sur le champ de Mars à Rome, sur
l’ordre d’Auguste. Le réseau des voies aurait été reproduit sur un rouleau
de parchemin de 6,8 mètres de long et de 0,34 mètres de haut avec les
étapes et leurs distances, le cours des principaux fleuves, les chaînes de
montagne et le nom de peuples occupant les différentes régions ; 2 tours
symbolisent une ville fortifiée, un bâtiment rectangulaire à portiques avec
une cour centrale, une station thermale ;
- triangulation générale des territoires pour définir latitude, longitude et altitudes :
Travail lancé par les Cassini pour la France en 1745 ; puis Delambre et
Méchain,du Bureau des Longitudes et de l'Observatoire de Paris, de 1792 à
1798, le long du méridien de Paris jusqu'à Barcelone (1147 km) ; permet
entre autre de déterminer le mètre étalon comme la dix millionième partie
du quart du méridien terrestre ;
- courbes de niveau et points géodésiques ;
travail confié au Bureau de la Guerre : relevé au 40.000ème avec
courbes de niveau (équidistance de 20m) ; près de 60 ans pour finir
la cartographie de la France par relevés (273 feuilles au 80.000ème) ;
c. Les grandes découvertes terminent le globe :
- la route des Indes : découverte des Indes Occidentales, la plus belle erreur géographique
de l'histoire ;
- 1ère moitié XVe, Portugais avec Henri le Navigateur reconnaissent
côtes africaines occidentales but commercial mais aussi mytholo-
gique, trouver le royaume du Prêtre Jean ; Sénégal et Sierra Leone
atteints ;
- 1453 : prise de Constantinople par les Ottomans ; route de la soie
fermée, trouver une nouvelle route des Indes ; équateur atteint puis
Cap de Bonne Espérance en 1488 ;
- 1492, Espagnols envoient C Colomb à la même recherche de la
route des Indes mais vers l'ouest ; atteint les Bahamas, Haïti et Cu-
ba ; 1494, traité de Tordesillas règle la concurrence entre les 2
royaumes découvreurs (à l'Espagne l'Ouest, au Portugal l'Est) ;
- 1497, Vasco de Gama atteint les Indes orientales en 10 mois ; et
en 1499, autre expédition découvre Brésil sur la route des Indes,
création des 1ers comptoirs indiens (Cochin, Calicut et Goa) ; en
même temps que Amerigo Vespucci découvre la Guyane ;
- ensuite, au début XVIe, découverte des îles aux épices et de la
Chine : Moluques, Rivière des perles et Macao, Mer Rouge et Golfe
Persique ;
-1520, Magellan pour l'Espagne atteint la Terre de Feu et les Phi-
lippines en près de 2 ans, réalisant la 1ère circumnavigation ; 1529,
traité de Saragosse complète Tordesillas ;
- guerre de course des puissances du nord de l'Europe (Hollande,
Angleterre et France) exclues jusque là du partage du monde ; et
aussi recherche des passages du Nord-Est et Ouest ; début XVIe,
Anglais et Français sur les côtes nord-américaines, fondation de la
Nouvelle-Amsterdam en 1525; circumnavigation de Drake ;
- la défaite de l'Invincible Armada en 1588 termine la toute puissance
hispanique sur les Océans ;
- le centre des continents : les Amériques précolombiennes et les conquistadores ;
- de 1519 à 1525, Cortès conquiert les empires maya et aztèque ;
- de 1526 à 1535, Pizarro conquiert l'empire Inca ;
- en 1534, J Cartier explore le Canada à partir du Saint Laurent ;
- le centre des continents : l'Afrique et la question des fleuves et de leurs sources dans les
années 1880 ;
- Nil : sources du Bleu anciennement connues en Ethiopie, mais
celles du Blanc repérées qu'en 1858 au lac Victoria ;
- Sénégal : avec le général Faidherbe ;
- Congo : avec Savorgnan de Brazza et Stanley ;
- Zambèze : Dr Livingstone ;
- les antipodes nécessaires à la conception de la sphéricité de la Terre ;
- de Lapérouse à Cook fin XVIIIème siècle ;
- 1ère découverte de l'Antarctique en 1820 et commencement de son
exploration en 1840 (Dumont d'Urville) ;puis conquête des pôles ;
3. Faire la guerre et tenir le territoire : enjeux politiques de la cartographie.
a. Les frontières : la souveraineté cartographiée.
- les limites "naturelles" :toute une théorie des frontières naturelles (montagnes, fleuves et
côtes) qui justifierait la possession de territoires et donc de leur conquête ; activée par
la Révolution français à partir de 1791 pour justifier les guerres et conquêtes révolu-
tionnaires : la rive gauche du Rhin en particulier ; la "destinée manifeste" des Etats
Unis d'atteindre le Pacifique et le mythe de la "Frontière" ;
voir exemple de la Bolivie qui perd son accès à la mer à la suite de la guerre
du Pacifique de 1879-84 : de l'Océan ou des Andes, quelle est la frontière
naturelle ? au passage, rôle de l'amiral français Dupetit-Thouars, passant
par là en allant vers Les Marquises, qui empêcha le pillage de Lima par les
Chiliens ; ces derniers étaient soutenus par les Anglais ;
il n'y a pas, en fait, de frontières naturelles, ce sont de pures constructions politiques
issues de rapports de force ;
- une icône nationale :un pays prend l'image de sa forme spatiale, comme l'hexagone pour
la France ; toute amputation devient insupportable car elle défigure cette image deve-
nue spontanée dans la représentation du pays ; voir le traumatisme qu'a représenté
l'implosion de l'URSS pour les Russes dans les années 90 ;
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