Je vous propose l’exemple suivant.
Une éducatrice expose ses observations sur le comportement d’un jeune : « Il ne
soutient pas une activité, passe de l’une à l’autre sans faire de lien. En même temps il
sollicite constamment l’adulte, demande qu’on s’occupe exclusivement de lui. Dans les
moments intermédiaires en particulier (récréation, attente du repas, passage dans les
couloirs, etc.), il agrippe tous les adultes à sa portée, etc. »
Commentaire du psychologue : « Cet enfant séquence son existence parce qu’il doit
s’assurer de la permanence de la relation. »
Peut-être pertinente en soi, la proposition interprétative du psychologue reste en
l’état peu accessible, donc n’est pas opératoire. Si les deux professionnels s’en tiennent
à ce stade, la « théorie » proposée par le psychologue ne servira à rien. Elle n’est pas
devenue vrai-semblable pour l’éducatrice, parce que celle-ci n’a pu la rendre semblable
à ce qu’elle considère comme vrai dans son vécu relationnel avec le jeune concerné.
Autrement dit elle n’a pas pu la rendre concrète.
Mais le dialogue se poursuit. L’éducatrice réplique : « Très bien. Mais j’en fais quoi
de votre explication ? A quoi ça nous sert ? » Et le psychologue : « Je manque
d’éléments d’observation pour vous apporter une réponse circonstanciée, une réponse
qui nous permettrait d’ajuster l’interprétation théorique à la situation évoquée. Dites
m’en plus sur ce que vous observez pour que nous en précisions le sens. »
Le dialogue se poursuit donc jusqu’au point où il devient concret, c’est-à-dire
jusqu’au moment où les deux interlocuteurs parviennent à s’entendre sur ce que
signifient d’une part les interruptions d’activité et les sollicitations répétées du jeune
d’autre part l’absence de permanence relationnelle, sur ce que cela signifie très
précisément pour Ce jeune-là en relation avec un personnel éducatif. La théorie devient
opératoire parce qu’elle est ajustée à la singularité d’une situation.
Si on transpose cet exemple à la question des écrits communiqués aux parents, à
leur transmissibilité, on peut émettre l’hypothèse suivante.
L’écriture dans un langage compréhensible par les parents, éventuellement
accompagnée d’explications orales, cette écriture serait :
non pas la vulgarisation, la banalisation ou l’euphémisation d’un savoir
technique,
mais le résultat du travail permettant d’ajuster suffisamment l’interprétation
théorique à la singularité de la situation, de telle sorte que des interlocuteurs
ignorant de cette théorie – en l’occurrence des parents – puissent en percevoir
l’intérêt dans cette situation particulière, la situation de leur enfant. De telle sorte
qu’ils comprennent concrètement cette interprétation, qu’elle soit vrai-semblable
à leurs yeux, suffisamment en rapport avec leur vécu pour qu’ils puissent s’en
servir pour eux et leur enfant.
La clarté d’un écrit :
ne témoignerait donc pas d’abord du travail syntaxique et lexical effectué pour le
rendre compréhensible au plus grand nombre,
mais bien plutôt de la clarté du raisonnement des professionnels, de leur savoir-
faire, dans la mesure où ils ne s’en tiennent pas à ce que leur dicte la théorie,
mais utilisent la théorie pour comprendre une situation et l’expliquer dans sa
singularité.
C’est donc à un défi que nous sommes conviés par l’obligation de transmettre les
écrits. Pas une contrainte qui affadirait notre réflexion, mais une exigence qui redonne
aux professionnels en relation avec les usagers toute la valeur de leur observation
concrète, qui oblige la théorie à se mettre au service de la personne, à ce qu’on l’ajuste
à la singularité de la situation.