parce qu’ils sont ancrés dans l’histoire évolutive de l’espèce, de la même manière que les énoncés
descriptifs le sont. L’éthique est un de ces quelques « autres objets biologiques », dont faisait
mention, avec le « langage » et la « pensée », le titre provocateur de l’ouvrage de MILLIKAN
(1988). Cette solution passant par les « biofonctions » semble convaincante : on dispose d’une
manière de « donner une justification naturaliste aux énoncés moraux » (LEMOS, 1999, p.574, ma
traduction) qui s’intègre dans un puissant programme de naturalisation en philosophie de l’esprit,
et donc bénéficie de sa cohérence. Mais inversement elle rencontre les problèmes majeurs de la
théorie étiologique de la fonction, lesquels sont difficilement solvables
. Le programme même
d’une Ethique Evolutionniste semblant déjà un défi, on ne souhaite pas qu’il hérite d’entrée de
jeu des problèmes principiels de théories existantes, tels que : l’attribution de fonctions à la
première occurrence d’une structure, les cas de changement de fonction d’une même structure au
cours de l’évolution, la possibilité d’assigner une fonction à un trait qui n’est pas advenu par la
sélection naturelle mais par dérive génétique ou du fait d’un lien génétique ou morphologique
avec un trait sélectionné pour lui-même
. Il semblerait plus léger d’argumenter directement pour
l’Ethique Evolutionniste.
L’autre approche objective est la théorie évolutionniste des jeux : dans presque tout
monde possible, sous certaines conditions très larges de la corrélation
, de la coopération et de
l’altruisme vont évoluer
. En ce sens, pourvu que les créatures issues de l’évolution aient deux ou
trois qualités élémentaires (mémoire, détecteur d’individus de même espèce..), on peut s’attendre
à ce que dans tout monde possible un fait moral proche du notre émerge : valorisation de
l’altruisme et de la coopération, répression des tricheurs et égoïstes, etc. C’est dans cette mesure
qu’il y aurait objectivité du fait moral.
Entre autres récemment WALSH 2001, ENÇ 2001, Mc LAUGHLIN 2003,LEWENS 2004.
La littérature sur ces questions est débordante. Outre les articles cités à la note précédente, le lecteur peut se
reporter à l’introduction de BULLER (1999) par BULLER, qui expose bien ces problèmes et les différentes solutions et
alternatives proposées ; le recueil lui-même contient en outre certains textes majeurs pour ces débats.
Tels que l’appariement non aléatoire, ou bien la probabilité d’interaction augmentant avec le nombre d’interactions
ayant déjà eu lieu, ou bien (ce qui est lié) une petite population fermée (SKYRMS 1996).
En biologie on parle d’altruisme en un sens technique, à savoir la restriction de ses perspectives de reproduction
différentielle au profit d’autres entités ; ce sens ne recouvre pas le sens vernaculaire de « sentiment altruiste », ou
d’« individu altruiste », puisque celui qui ne fait pas d’enfant mais néanmoins ne pense qu’à dépenser ses ressources
pour son plaisir n’est pas pour nous un modèle d’altruisme, or biologiquement parlant, puisqu’il diminue sa fitness
(pour dire vite) il augmente celle des autres, donc il est un altruiste pur. En laissant de côté le problème de
l’ambivalence de l’altruisme, on peut néanmoins dire que la théorie évolutionniste des jeux prouve une tendance à la
coopération, indépendamment des conditions initiales. Il y a un sens très général de l’altruisme dans lequel est
altruiste un acte qui a un coût pour celui qui le fait et un bénéfice pour un autre ; l’altruisme biologique et l’altruisme
vernaculaire en sont des manifestations, et les modèles de Théorie évolutionniste des jeux nous renseignent de
manière générale sur la possibilité relativement facilement réalisée de l’altruisme.