Contribution Section de Rethel, le 06 octobre 2014 ETAT SOCIAL ET SERVICE PUBLIC Comment moderniser et améliorer l’Etat social ? Pour l’éducation nationale, le système de santé, la politique du logement, la formation professionnelle, le droit à la sécurité, la prise en compte du vieillissement ou la dépendance. Quelle solidarité intergénérationnelle ? Nous commémorons cette année l’assassinat du plus illustre des socialistes français, Jean Jaurès. Ce qui compte surtout ce n’est pas la figure de ce personnage mythifié, repris par même par N. Sarkozy, dans l’amalgame du roman national, c’est d’abord sa pensée. Voici le début de son célèbre discours à l’Assemblée Nationale le 21 novembre 1893 : « Oui, par le suffrage universel, par la souveraineté nationale qui trouve son expression définitive et logique dans la République, vous avez fait de tous les citoyens, y compris les salariés, une assemblée de rois. C'est d'eux, c'est de leur volonté souveraine qu'émanent les lois et le gouvernement ; ils révoquent, ils changent leurs mandataires, les législateurs et les ministres, mais, au moment même où le salarié est souverain dans l'ordre politique, il est dans l'ordre économique réduit à une sorte de servage. (…) Et c'est parce que le socialisme apparaît comme seul capable de résoudre cette contradiction fondamentale de la société présente, c'est parce que le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale, c'est parce qu'il veut que la République soit affirmée dans l'atelier comme elle est affirmée ici, c'est parce qu'il veut que la Nation soit souveraine dans l'ordre économique pour briser les privilèges du capitalisme oisif, comme elle est souveraine dans l'ordre politique, c'est pour cela que le socialisme sort du mouvement républicain. C'est la République qui est le grand meneur : traduisez-la donc devant vos gendarmes ! » Jean Jaurès lie la question de la souveraineté nationale d’ordre politique à la souveraineté nationale d’ordre économique. C’est ce en quoi nous sommes socialistes. Cette identité ne peut pas être balayée au nom de l’adaptation à la crise actuelle, au nom de la mondialisation, au nom de cette conjoncture libérale qui réduit le salarié « à une sorte de servage ». Depuis le XIXème siècle, la France a su créer un Etat où les valeurs socialistes ont pu être réalisées, surtout après la 2ème guerre mondiale avec le Programme du Conseil National de la Résistance. L’Etat-Providence a permit en effet une certaine souveraineté nationale d’ordre économique comme l’espérait Jean-Jaurès. C’est donc aujourd’hui, et d’abord aux socialistes de le défendre. Et cette défense c’est d’abord celle d’un monde où il existe encore un service public. Un monde où les cantines scolaires restent gérées par les collectivités territoriales et non par des firmes comme Coca-Cola ou McDonald’s. Un monde où les salaires sont discutés à travers des négociations tripartites (Etat-syndicats-patrons) et non selon le bon vouloir d’entreprises transnationales mettant en concurrence des salariés vivants dans territoires éloignés. La libéralisation progressive du monde ne cesse de s’amplifier et menace les spécificités locales. L’Accord général sur le commerce des services (AGCS) veut détruire les souverainetés populaires pour 1 Contribution Section de Rethel, le 06 octobre 2014 mieux proclamer le « droit supérieur » des investisseurs. Il vise à la « libéralisation progressive » de toutes les activités de service à travers des « négociations successives qui auront lieu périodiquement en vue d’élever progressivement le niveau de libéralisation » (article 19-1) et ne reconnaît que des « fournisseurs de services », indépendamment de leur statut public ou privé. Cet accord est mis en œuvre par les gouvernements, qui amputent ainsi eux-mêmes le champ de leurs compétences, et par des institutions supranationales (Union européenne, OMC, Fonds monétaire international) qui échappent à tout contrôle démocratique digne de ce nom. Douze secteurs sont concernés par l’AGCS : services fournis aux entreprises, communication (dont la poste et l’audiovisuel), construction et ingénierie, distribution, éducation, environnement, services financiers et assurances, santé et services sociaux, tourisme, services récréatifs, culturels et sportifs, transports et « autres services non compris ailleurs ». S’ensuit une division en cent soixante sous-secteurs : rien ne lui échappe. L’application de l’AGCS signifierait la fin des services publics (éducation, santé, transport, énergie, etc.) tels qu’on les connaît dans la plupart des pays d’Europe. La libéralisation doit se comprendre comme la soumission aux règles d’une concurrence que ne saurait contrarier aucune norme sociale, sanitaire ou environnementale : un code du travail nuisant à la rentabilité d’un investissement, un principe de précaution jugé trop contraignant, la fixation de limites à la pollution engendrée par une industrie... Chaque Etat propose la liste des services qu’il s’engage à libéraliser — les « offres » — ainsi que les limites prévues à cette ouverture au marché. Le degré de libéralisation concédé est irréversible. Les négociations ultérieures ne pourront porter que sur la réduction des limites réclamées initialement. Le but est d’empêcher toute forme de réappropriation publique d’une activité commercialisée ou privatisée. Les textes doivent demeurer secrets. L’article 17-1 de l’AGCS impose le principe du « traitement national » : « Chaque membre accordera aux services et fournisseurs de services de tout autre membre, en ce qui concerne toutes les mesures affectant la fourniture de services, un traitement non moins favorable que celui qu’il accorde à ses propres services similaires et à ses propres fournisseurs de services similaires. » Cela signifie que la France devrait financer une université privée étrangère — ou un lycée privé étranger — s’installant sur son territoire à la même hauteur que ses propres établissements publics d’enseignement. La chose étant impossible budgétairement, elle n’aurait d’autre choix que de renoncer au financement des universités et des lycées français. Les monopoles publics (telle l’éducation nationale) et les fournisseurs exclusifs de services, même au niveau régional ou local (les régies municipales de l’eau) sont menacés. Les obligations de service universel, c’est-à-dire tout ce dont un Etat estime devoir faire bénéficier l’ensemble de sa population : santé, éducation, poste, etc. L’AGCS repose sur des règles juridiquement contraignantes où les droits des investisseurs valent plus que les droits des Etats. Il ne faut pas que les Etats abdiquent face aux multinationales. Il faut que les socialistes s’informent et informent l’ensemble de la population des accords qui se trament en haut lieu. Pour qu’une démocratie existe véritablement, il faut aussi que le peuple soit au courant des enjeux et qu’il puisse utiliser pleinement sa souveraineté. Pourquoi les négociations liées à l’AGCS sont-elles secrètes ? Les gouvernements ont-ils peur l’opinion des citoyens ? N’est-ce pas une confiscation de leur pouvoir ? C’est à se demander si la souveraineté dans l’ordre politique existe encore. C’est à se demander si la souveraineté 2 Contribution Section de Rethel, le 06 octobre 2014 dans l’ordre économique, si chère à Jean Jaurès, n’a été qu’effleurée de manière éphémère pendant quelques décennies révolues, n’est qu’une utopie. Le temps du servage revient au galop … Cependant, voici ce qu’aurait pu être la réponse de Jaurès, celle par laquelle il concluait son discours le 21 novembre 1893 à l’Assemblée Nationale face à la réaction : « et pendant que vous userez ce qui peut vous rester de force et de prestige à lutter contre le peuple en marche, dans les intervalles que nous laisseront vos persécutions impuissantes, nous apporterons les projets de réforme que vous n'avez pas apportés ; et, puisque vous désertez la politique républicaine, c'est nous, socialistes, qui la ferons ici. » C’est aux socialistes de porter la politique républicaine, il ne faut pas que le Parti l’oublie. Le Parti doit donc s’opposer de toutes ses forces à l’AGCS et autres accords du même type atteignant la souveraineté du peuple. C’est par là que passe la modernisation et l’amélioration de l’Etat social. 3