A quels types d’apprentissages les TICE peuvent-elles être utiles ? André Tricot CERFI, IUFM de Midi Pyrénées & Laboratoire Travail et Cognition CNRS & Université Toulouse 2 Pour le contacter : [email protected] Le texte qui suit est issu de la conférence introductive aux journées interdiocésaines qui ont eu lieu à LLN en janvier 2002. I. Préambule : Qu'apporte l’innovation technologique en éducation ? Les arguments avancés sont les suivants : Les technologies éducatives permettent de faire plus, mieux, plus vite. Grâce à elles, l’utilisateur s’adapte au monde qui change, acquiert de nouvelles compétences Amélioration des apprentissages : qualitativement, quantitativement Enjeu social : nouvelles façons de travailler Effets de mode : refaire de l’ancien avec un nouvel habillage... en séduisant plus les élèves L'introduction des ordinateurs ne date pas d'hier. C'est surtout son statut qui a changé aujourd'hui. A. Historique - Année 1970 Introduction de l'EAO (enseignement assisté par ordinateur) dans les écoles : logo en est un exemple. - Année 1980 L'objectif est de créer des outils qui permettent l'apprentissage. On ne remplace pas l'enseignant, mais on crée un environnement interactif (travail sur les tuteurs intelligents). Les chercheurs tentent également de créer des modules capables d'interpréter les réactions des élèves en situation d'apprentissage. - Aujourd’hui On recourt souvent à l'ordinateur pour présenter des documents : Les documents ont évolué sur deux axes : 1 l'accès : on peut les traiter en ligne le support : on peut stocker beaucoup d'informations Ce qui n'a pas changé dans le document, ce sont le code, le discours et le canal utilisé et la manière dont s'organise la structure L'ordinateur est dans En voici quelques illustrations : la classe pour un apprentissage référencé. Les élèves utilisent des applications pédagogiques « industrielles », en autonomie ou pas. Les élèves utilisent une application ou un document créés par leur enseignant. Les élèves ou l’enseignant utilisent un logiciel ou une application non pédagogique (e.g. bureautique, Web, cédéroms culturels, encyclopédies). Les élèves réalisent un projet impliquant des TIC. II. Quels sont les changements apportés par l'évolution des documents hypermédias ? A. Introduction de la multimodalité Selon les résultats de la recherche, le fait que le document soit présenté sur support informatique (favorisant la multimodalité) permet les interactions suivantes : texte/texte texte/image texte/vidéo texte/son a) Interaction texte / texte Avantages Les pop up windows permettent de diminuer la densité de texte : Meilleure gestion des différents niveaux d'expertise de lecteurs : celui qui connaît déjà le domaine ouvre peu de fenêtres, celui qui a besoin d’explications complémentaires en ouvre beaucoup. bon pour les définitions, explications, exemples Inconvénients Les pop up windows sont inadéquats pour les informations indispensables Le traitement simultané et d'informations générales et d'informations de détail est difficile. Cependant, l’utilisation de pop-up est intéressant ici dans le mesure où c’est l’utilisateur qui choisit le moment de faire apparaître l’information. b) Interaction texte / image Avantages L’intégration du texte dans les figures facilite le traitement cognitif d'un document textefigure (notamment grâce aux pop-up windows que l’utilisateur ouvre en cliquant sur un bouton ou 2 une partie de l’image) : l’adjonction de textes sous forme de commentaires, formules, définitions, …) dans une image facilite la compréhension de celle-ci. Inconvénients La difficulté réside dans le traitement de la co-référence. c) Interaction texte / vidéo Avantages L’apport de l’animation semble bénéfique à partir d’un certain niveau de compréhension préalable. L’apport est intéressant, par exemple en apprentissage de la météo : compréhension des dimensions spatiale et temporelle des cartes. Inconvénients L'apport, en apprentissage de la météo par exemple, est également délicat : l’animation attire l'attention sur les « effets massifs » (mouvement d'une grosse masse nuageuse par exemple) au détriments des détails ou des informations stables. d) Interaction image / son Avantages Le commentaire "oral" de la figure entraîne une meilleure compréhension de la figure que le commentaire écrit. Une figure géométrique, par exemple, présentée visuellement et commentée oralement améliore l’apprentissage par rapport à une présentation conventionnelle. Inconvénients Un long discours est plus vite lu qu’entendu, il est aussi mieux compris, sauf par les lecteurs en difficultés. Enfin, des recherches sont en cours pour mettre en avant les effets d’un format de présentation prometteur : utiliser les techniques de la réalité virtuelle pour représenter des objets, des concepts, des situations de travail ou de communication. Une expérience sur l’étude de tableaux de peintres inconnus des étudiants a montré qu’en situation virtuelle, les étudiants se posaient des questions différentes qu’en situation d’études à partir de collections photographiques. Leurs questions tournent davantage autour du pourquoi et du comment. Les étudiants du groupe « classique » restent plus descriptifs. Le recours à des techniques de réalité virtuelle devraient permettre à l’apprenant de réellement travailler et apprendre en situation (apprentissages « situés »). Conclusions sur la multimodalité La multimodalité peut être au service de la redondance : cette dernière peut faciliter le traitement des documents par des élèves connaissant mal le domaine de contenu abordé. L’intégration de sources mutuellement référencées amoindrit l’effet de dissociation de l’attention. La représentation analogique des phénomènes (en particulier dynamiques) facilite la compréhension. Les associations image / texte ont un effet facilitateur sur la compréhension du texte et la mémorisation de celui-ci (sans que ce soit spécifique aux textes multimédia) 3 Le fait d’avoir recours au multimédia pourrait changer la façon d’aborder les documents qu’ont les enseignants : les documents pédagogiques multimédia permettent de concevoir des environnements d’apprentissage moins centrés sur l’enseignant et ses buts et plus centrés sur l’apprenant, ses objectifs et ses activités. De plus, ces environnements sont de plus en plus conçus de façon coopérative par l’enseignant et les apprenants, ces derniers devenant plus actifs et plus concernés par leur activité d’apprentissage. B. Le rôle de l'interactivité de l’hypertexte L’interactivité induit des changements notamment à plusieurs niveaux : dans la structure des données dans les modes d'interaction a) La manière dont sont structurées les données L’organisation linéaire entraîne de faibles performances, mais peut être améliorée par l’utilisation d’une table des matières ou d’un index. Elle semble bien adaptée à une 1ère utilisation. L'organisation non-linéaire des données favorise la désorientation de l'utilisateur. Mais elle est particulièrement inadéquate aux utilisateurs novices du système ou du domaine. L'organisation fonctionnelle des contenus (correspondant à la façon dont ils sont mobilisés par des experts) ne favorise pas la mémorisation, ni le repérage L ’organisation hiérarchique favorise la mémorisation (structure et contenu), facilite la navigation. L’utilisateur a une meilleure représentation de l’architecture du système. L’organisation hiérarchique est moins efficace si la ^tache implique des relations entre les nœuds de contenu. L ’organisation combinée (hiérarchique / réseau) semble intéressante, mais les résultats concrets ne sont pas suffisamment nombreux jusqu’ici. b) Les modes d'interaction pour la navigation De nombreux outils d'interaction ont leur efficacité : index, table des matières, boutons plein texte, tourne pages, bookmarks, web views, cartes, fish eyes views, etc. Mais ces outils ont également leurs limites. - Certaines fonctionnalités ont une efficacité spécifique à telle ou telle tâche. Un exemple : l’index est efficace quand la cible est précise et connue de l'utilisateur. - L’ajout de fonctionnalités a un effet de surcharge cognitive : quand on propose trop d’outils pour l’aide à la navigation et à la recherche d’informations, on gêne l’utilisateur plus qu’on ne l’aide ; - Une carte de contenus est intéressante pour les tâches qui impliquent la compréhension d’un ensemble structuré de contenus. Mais parfois, la carte de contenus masque l’absence de conception d’un véritable scénario didactique. l'efficacité de la sélection dépend de la connaissance des fonctionnalités. 4 c) la manière dont est structuré le texte La profondeur et la largeur du texte à l’écran ont un effet le lecteur-utilisateur interagit avec une structure rhétorique (concerne l’organisation sémantique du contenu et définit la possibilité d’accéder à des connaissances selon des objectifs), qui, quand il la connaît, lui permet de localiser les informations recherchées. III. Concevoir une application multimédia éducative, c’est aider les apprentissages Le multimédia est utile dans la mesure où il favorise les apprentissages. Jusqu’à présent, les recherches ont pu mettre en lumière certains facteurs qui avaient un effet réel sur les apprentissages tels que la perception du but poursuivi, les connaissances antérieures dans le domaine, la motivation, le contexte, la profondeur d’encodage, la présentation du matériel, l’organisation du matériel, les stratégies du sujet. L’auteur propose de faire le tour des différentes approches récentes en ce qui concerne les aides apportées par le recours aux multimédias. A. L’approche MENO de Laurillard (Australie, 2000) Dans la colonne de gauche, des activités d’apprentissage à mettre en œuvre et en regard, dans la colonne de droite, les aides que le multimédia peut offrir. Activités d'apprentissage Clarifier l’objectif général Décider de sous-buts Décider d’une action Interpréter le feedback Réviser ses actions Interpréter le feedback révisé Confronter aux sous-buts Formuler une réponse Affiner la réponse Capacité suggestive d'action (affordance) Affichage du but Choix d’options Menu d’activités Données multimédia Présentation de la réponse Données multimédia Maintient de l’affichage du but (pense-bête) Editeur, bloc note, carnet, … Présentation de la réponse B. L’approche d’Elshout-Mohr et al (1999) : des approches générales aux approches spécifiques aux situations Dans la colonne de gauche, les objectifs d’apprentissage poursuivis et en regard, dans la colonne de droite, les situations d’apprentissage à mettre en oeuvre. Objectifs d'apprentissage Utilisation des savoirs acquis reproduction. Utilisation des savoirs acquis en situation en situation Situations d'apprentissage de Apprendre “ par coeur ” : des faits, des savoirs encyclopédiques, par un traitement attentif. de Construire des savoirs conceptuels par un traitement 5 production. Utilisation des savoirs acquis en situation de production, ou qui implique un transfert important Utilisation des routines acquises en situation de reproduction. Utilisation des savoir-faire acquis en situation de production. Utilisation des savoir-faire acquis en situation de production, ou qui implique un transfert important. Utilisation des savoirs méta cognitifs acquis en situation de production, ou qui implique un transfert important. Utilisation des savoir-faire métacognitifs acquis en situation de production, ou qui implique un transfert important. profond. Construire des savoirs d’un plus haut niveau en alternant décontextualisation et recontextualisation. Développer des routines autonomes en s’exerçant. Acquérir des savoir-faire cognitifs par une pratique systématique. Développer de l’expertise par le contact avec des experts. Acquérir des savoirs métacognitifs par la réflexion. Acquérir des savoir-faire d’autorégulation par l’auto évaluation. C. L’approche intégrée (Tricot et al, 2000) La question qui sous-tend cette approche est : "Quelles situations d’apprentissage proposer avec les hypermédias ?" Le multimédia peut donc être utile s’il favorise la mise en œuvre des processus cognitifs impliqués dans une situation d’apprentissage donnée. Deux questions se posent : Sait-on décrire la situation ? Il existe trois types d'apprentissages : - - 1 Apprentissages par l’action : l’apprenant est censé agir pour trouver une solution à un problème dont il n’a pas la solution immédiate, mais dont il peut trouver la solution en raisonnant par essais et erreur ; Apprentissages par l’instruction : l’apprenant est censé comprendre ce qui est expliqué ou décrit dans un discours oral ou écrit ; Apprentissages par la découverte1 : l’apprenant doit élaborer un projet, résoudre un problème de sélection d’information dans un espace documentaire ou physique et comprendre les documents sélectionnés pour élaborer une représentation synthétique du contenu ou de la situation qu’il a conçu. Sait-on décrire les processus que la situation d’apprentissage implique Si l’apprentissage par la découverte est le plus souvent évoqué par les enseignants, il est aussi le plus mal connu. 6 - Tout apprentissage mettrait en oeuvre des activités mentales comme la compréhension, l’exploration (formulation d’hypothèses, pas en avant dans la raisonnement, …) et la répétition. Une situation d’apprentissage est la mise en oeuvre d’un équilibre différent entre ces trois activités mentales. Une situation d’apprentissage peut être mise en relation avec les activités mentales. Un exemple Dans les problèmes de transformation de type « Tour de Hanoi » ou « Cannibales et missionnaires », on retrouve un ensemble de progressions : il y a d’abord un aller-retour vers une opération de compréhension de la situation et d’exploration de l’espace problème. Ensuite, la procédure efficace est appliquée. Voir document écrit : relations entre situations et activités mentales B) Comment concevoir les situations d’apprentissage dès lors ? Il « suffit » de décrire la situation de classe dans laquelle on veut insérer le multimédia. Favorise-t-il l’exploration ? la compréhension ? la répétition ? A partir de la description de la situation, il faut déduire la situation d’apprentissage (apprentissages par l’action, par l’instruction, par la découverte) ; Décrire les activités cognitives mobilisées (compréhension, exploration, répétition) par l’apprentissage visé ; Concevoir des aides à la mobilisation des activités cognitives en question : préparation d'un exposé, résolution de problèmes, leçon magistrale, synthèse, ateliers, exercices d’application, … C) Quelles peuvent être les aides aux activités cognitives mobilisées (compréhension, exploration, répétition)? a) Les aides à la compréhension Adapter le vocabulaire utilisé aux apprenants ; Définir les mots difficiles ; Adapter les structures syntaxiques aux apprenants ; Relier les éléments selon des schémas que connaissent les sujets ; Fournir un dispositif de sélection ou de hiérarchisation de l'information en fonction de réponses à un questionnaire d'entrée ; Proposer des représentations graphiques des situations décrites ; Permettre, avec le dispositif d'intégration texte/graphique, un gestion aisée du traitement de la co-référence texte/image ; Fournir un feedback sur l’acquisition des connaissances ; Permettre une prise en compte de différents types d'objectifs ; Permettre une sélection des informations et/ou une structuration de celles-ci en fonction de l'objectif. 7 b) Les aides à la répétition Fournir une aide à la compréhension de la consigne (visualisation de la situation, définition de mots, etc.) ; Fournir un feedback sur l’interprétation et les contraintes qui pèsent sur les procédures de résolution ; Mettre en exergue les propriétés critiques de la situation ; Proposer des situations analogues ; Fournir une analyse du résultat, notamment de l’erreur. c) Les aides à l’exploration Aider le sujet dans son élaboration d’une représentation opérationnelle du but ; Aider le sujet à faire évoluer cette représentation ; Aider le sujet à maintenir cette représentation stable ; Fournir un feedback à toutes les étapes (informations explicites en terme d'écart au but, de buts négatifs à éviter, de sous-buts, d'hypothèses alternatives...) ; Identifier clairement les catégories d’informations ; Fournir des marqueurs de pertinence de ces catégories. D) Conclusions Concevoir une application TIC éducative est un travail d'enseignant. La conception relève des compétences didactiques et pédagogiques de l'enseignant : quand ces éléments sont mis en pratique, la réalisation informatique est plus aisée. Cela ne dispense pas de soulever le problèmes de la pertinence de l’agencement des connaissances à transmettre aux élèves et sur la nature des connaissances acquises. Illustration expérimentale Partons du postulat suivant : un exercice d’application favorise la procéduralisation. Dans l’expérience, 4 versions différentes des temps primitifs sont données à des étudiants : 2 versions papier et deux versions sur ordinateur. Les étudiants reçoivent de l’aide à la compréhension (donner la consigne et l’expliquer ; donner des éléments sur le matériel utilisé, …) Quelques conclusions : les demandes d’intervention de la part des étudiants sont moindres lorsqu’ils travaillent sur ordinateur ; - Etant donné que les enseignants ont conçu des aides pour que les étudiants travaillent seuls, ils ont mieux clarifié leurs consignes. - 8 IV. Conclusion : qu’apportent les TIC aux apprentissages ? Impossible de statuer à un niveau général. Cependant, on a constaté des avancées dans différents domaines : les apports de la multimodalité à la compréhension (voir partie I) les apports de l’interactivité à une individualisation « limitée » (voir partie I) les apports du réseau Internet à l’accès et à la communication les apports de l’électronique au stockage ... sous réserve que l’on parle de documents et non de tuteurs les TIC (et non pas l’informatique) sont destinées à être intégrées dans des situations d’apprentissage, et non à constituer des situations d’apprentissage. Cependant, on sait que les ordinateurs permettent : - de concevoir des documents sophistiqués que l’on peut intégrer dans des situations d’apprentissage (sans toutefois qu’ils constituent eux-mêmes l’apprentissage !) - de proposer des médias adaptables à des handicaps ; - d’ouvrir l’univers documentaire ; - d’offrir des environnements de communication « distants » ; - d’offrir des supports pour une pédagogie de détour : proposer aux enfants démotivés des nouveaux habillages pour les situations d’apprentissage. L’ordinateur peut être utile à tous les apprentissages à condition d’améliorer la mise en œuvre des processus (cognitifs, socio-cognitifs, affectifs) impliqués dans la situation d’apprentissage pour laquelle ils ont été conçus. Dans cette situation d’apprentissage, il y aura également d’autres ressources que l’ordinateur. 9