Après Datong, Marc partit vers une des sept montagnes sacrées du bouddhisme chinois. Le monastère construit sur
la montagne était ouvert et plusieurs moines l’habitaient. Marc fut content d’échanger avec eux et il apprit comment la
révolution culturelle chinoise avait interdit la religion que Mao décrivait comme l’opium du peuple. Quand on connaît
les ravages de la fleur de pavot dans ce pays, on comprend la haine que Mao avait des religions. La liberté
d’expression et la liberté de culte revenaient lentement après la période d’un communisme dur qui avait été utile en
réorganisant le pays mais par son obscurantisme avait également fait des ravages. Le régime se détendait
légèrement et ces moines en étaient une preuve vivante. Mais on n’efface pas la peur d’un coup de baguette et la
discussion entre ces religieux et Marc fut discrète. Il apprit ainsi que le bouddhisme est d’abord une philosophie avant
d’être une religion. Elle prône le renoncement au désir pour atteindre l’illumination, ce qui était contraire à la vision de
Marc qui à l’opposé cherchait à assouvir ses désirs. La finalité est toutefois identique puisqu’il s’agit de mieux
comprendre le corps pour le contrôler.
Après cette mini initiation au bouddhisme, Marc alla visiter l’armée enterrée à Xian. Son charme venait de son
histoire vieille de quarante-deux siècles. A cette époque lointaine, la barbarie était sur toute la planète à l’exception
de petites zones comme l’Egypte et le croissant fertile. Ces milliers de soldats en terre cuite et de taille humaine
montraient à quel point la civilisation chinoise était ancienne.
Marc visita d’autres lieux, escalada des montagnes recouvertes de voies pavées où les chinois se bousculaient par
centaines à leur sommet. La surpopulation était partout et légitimait certainement la politique d’enfant unique. Il
rencontra un prêtre taôiste et s’initia rapidement à cette philosophie qui consiste à accepter ce que la vie te donne. Il
ne faut pas aller contre la nature ou contre les événements sous peine de perdre son énergie. Au contraire, il faut se
laisser porter par le courant de la vie pour bénéficier de sa force. Cette manière de penser lui rappelait Napoléon
lorsqu’il disait « Il faut se laisser porter par les idées du siècle… » Marc, déjà convaincu de ces propos, se sentit
instinctivement proche du taôisme car pour se forger son destin, il allait se laisser porter par les événements.
Marc fut assez admiratif du travail agricole réalisé par les chinois. Ils avaient transformé des montagnes en plaines et
la nourriture abondait. La bataille pour nourrir ce peuple immense semblait gagnée !
Enfin il arriva à Shanghai, ville où les anglais et les français avaient construit leurs comptoirs au dix-neuvième siècle.
L’architecture racontait cette histoire avec notamment le quartier du Bund construit sur l’estuaire du fleuve jaune.
Cette ville était en pleine effervescence avec des grues partout, un port en haute mer qui s’agrandissait pour devenir
gigantesque, des gratte-ciels qui rappelaient les Etats Unis. Quinze millions d’habitants vivaient dans cette
agglomération mais ce nombre augmentait rapidement et bientôt trente millions de chinois vivraient autour de
l’estuaire du plus grand fleuve d’Asie. Le réservoir de main d’œuvre était immense ce qui rendait la compétition pour
trouver un emploi particulièrement difficile. Au milieu de la foule grouillante, Marc comprit que les salaires et donc les
conditions de vie, n’augmenteraient pas. En effet, si l’ouvrier voulait augmenter ses revenus, il était tout simplement
remplacé par quelqu’un de moins exigeant. Seuls la loi ou les accords entre partenaires sociaux pouvaient améliorer
les conditions de vie en forçant à une meilleure répartition des richesses. Mais Marc pensait que de telles lois
sociales n’arriveraient jamais. Le pouvoir économique et politique était aux mains d’entrepreneurs, de promoteurs
immobiliers et des membres du parti communiste corrompus. Ceux-ci s’enrichissaient vite et Marc comprit qu’ils
n’avaient pas intérêt à partager leurs richesses. En l’absence de démocratie, aucun membre du parti au pouvoir
n’avait de compte à rendre au peuple. Il s’en fichait, préférant signer des autorisations à des entrepreneurs prêts à
leur graisser la patte !
Un chinois de vingt ans à l’anglais exécrable avait invité Marc chez lui dans l’espoir caché que le lendemain, il lui
serve de caution lors de son entretien d’embauche. Dans cette concurrence acharnée toutes les idées sont bonnes à
prendre ! Marc avait accepté l’invitation de cet inconnu. Il avait vu l’envers du décor avec ces villes dortoirs situées à
une heure et demie en bus de Shanghai. Les immeubles n’avaient ni porte, ni fenêtre, seule la structure en béton
avait été construite. Deux marques de confort avec un accès à l’eau et un accès à l’électricité qui permettait, aux
groupes de jeunes avec lesquels Marc partagea le repas, d’écouter de la musique. Les millions de paysans qui
alimentaient les villes vivaient là en attendant de trouver un travail et des conditions de vie plus décentes.
Le lendemain Marc, rentrait à San Francisco en se demandant si la Chine saurait prendre le virage de la démocratie.
Si oui, elle allait certainement devenir le pays le plus puissant au monde, sinon elle allait recommencer à stagner car
son peuple mal payé ne pourrait pas consommer suffisamment pour être le relais de la croissance économique. Une
chose était sure, la Chine était en train de combler un retard, elle savait copier mais elle ne savait pas encore
innover. Les Etats Unis continueraient et ce pour longtemps, à être le moteur du monde grâce à leur capacité à
innover.
Les années 2009-2010 montrèrent la crispation du régime communiste chinois. La croissance économique du pays
reposait sur des exportations dont la crise financière mondiale avait stoppé la croissance. La Chine passa donc d’une
croissance de 10% à la stagnation économique. Au lieu de développer le marché intérieur pour devenir le relais de la
croissance chinoise, les membres du parti politique préférèrent ne rien faire par peur que les nouvelles classes
moyennes ne réclament la démocratie. Les troubles sociaux nés de la crise économique furent écrasés dans un bain
de sang comme cela avait déjà été le cas en 1989. En 2011, le monde avait compris que la Chine avait raté une
nouvelle fois la négociation de son virage économique et politique. Des millénaires de corruption et un peuple dressé
pour respecter la hiérarchie ne permettaient pas encore à la Chine de passer un nouveau cap de développement :