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TROUBLES DE L’HUMEUR
Depuis l’ouvrage classique de Jean Delay « les dérèglements de l’humeur », l’humeur
est définie comme « cette disposition affective fondamentale, riche de toutes les instances
émotionnelles et instinctives, qui donne à chacun de nos états d’âmes une tonalité agréable ou
désagréable, oscillant entre les deux pôles extrêmes du plaisir et de la douleur ».
Pour étudier les troubles de l’humeur, nous parlerons successivement des syndromes
dépressifs et de la maladie bipolaire.
SYNDROME DEPRESSIF
Le syndrome dépressif ou épisode dépressif majeur (c'est-à-dire constitué) pour le
DSM est une maladie fréquente : la prévalence sur la vie est estimée entre 10 et 25% pour les
femmes et de 5 à 15% pour les hommes.
Le taux de récidive est élevé (plus de 50%) signant une origine plurifactorielle.
Cliniquement, le syndrome dépressif comporte 4 ordres de symptômes :
- l’humeur dépressive caractérisée par un état affectif de tonalité désagréable
(dysphorie triste) qui n’est pas que de la tristesse figée, mais aussi de l’ennui,
de la lassitude généralisée, et surtout une anesthésie affective (sorte de grisaille
diffuse, de spleen…). Les thèmes sont centrés sur le désintérêt généralisé,
l’auto dépréciation, l’insatisfaction, l’anhédonie (la perte de la faculté de
trouver du plaisir) et finalement un vécu de perte multiples (« l’avenir
bouché »), jusqu’à l’envie de mort….
- l’anxiété, quasi-constante, sous la forme de ruminations anxieuses et/ou de
signes somatiques (oppressions thoraciques, palpitations, boules dans la
gorge...).
- l’inhibition psychomotrice avec asthénie somato-psychique (sentiment
d’inertie, de fatigabilité). On retrouve les deux versants du ralentissement,
d’abord moteur au niveau de la démarche, de la mimique, etc., et idéïque ou
bradypsychie, avec les difficultés de concentration, de mémorisation.
- les symptômes somatiques variés : troubles du sommeil, troubles digestifs
(anorexie, amaigrissement, constipation …), tendance à l’hypotension...
En cas de doute ou de difficulté diagnostique, il est possible de se référer aux critères
proposés par le DSM IV :
A. Au moins cinq des symptômes suivants doivent avoir été présents pendant une
période d'une durée de deux semaines et avoir représenté un changement par rapport au
fonctionnement antérieur; au moins un des symptômes est un des deux premiers.
1. Humeur dépressive présente pendant pratiquement toute la journée, presque tous
les jours, signalée par le sujet ou observée par les autres. Éventuellement irritabilité
chez l'enfant et l'adolescent
2. Diminution marquée de l'intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les
activités, pratiquement toutes la journée, presque tous les jours (signalée par le sujet
ou observée par les autres).
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3. Perte ou gain de poids significatif en l'absence de régime (p. ex. modification du
poids corporel en un mois excédant 5%), ou diminution ou augmentation de l'appétit
presque tous les jours.
4. Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.
5. Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours (constaté par
les autres, non limité à un sentiment subjectif de fébrilité ou de ralentissement
intérieur).
6. Fatigue ou perte d'énergie presque tous les jours.
7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui
peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement de se faire grief ou se sentir
coupable d'être malade).
8. Diminution de l'aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous
les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres).
9. Pensées de mort récurrente (pas seulement une peur de mourir), idées
suicidaires récurrentes ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider.
B. Les symptômes ne répondent pas aux critères d’épisode mixte.
C. Les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou une
altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants.
D. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d'une
substance (par exemple une substance donnant lieu à abus, un médicament) ou d'une affection
médicale générale (p. ex. hypothyroïdie).
E. Les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un deuil, c’est à dire après la mort
d'un être cher. Les symptômes persistent pendant plus de deux mois ou s'accompagnent d'une
altération marquée du fonctionnement, de préoccupations morbides de dévalorisation, d'idées
suicidaires, de symptômes psychotiques ou d'un ralentissement psychomoteur.
LA PSYCHOSE MANIACO-DEPRESSIVE OU MALADIE BIPOLAIRE
Le terme de psychose maniaco-dépressive est encore utilisé mais celui de maladie
bipolaire est en train de le remplacer.
La psychose maniaco-dépressive est une maladie au cours de laquelle alternent, selon
des modalités variables, des accès d’exaltation (maniaques) et de dépression (mélancoliques),
séparés par des intervalles de normalité plus ou moins longs. La forme bipolaire implique
l’alternance des deux formes d’accès alors que la forme unipolaire se résume par la
succession d’accès d'une même sorte, le plus souvent mélancolique. L’état-mixte comporte un
mélange concomitant de signes pathologiques empruntés à ces deux types d’accès.
I . Historique
Arétée de Cappadoce au 2ème siècle après JC a été le premier à suggérer que la manie
était liée à la mélancolie au sein de la même maladie. Il incluait dans sa description des
symptômes psychotiques qu’on relierait actuellement à la schizophrénie.
Falret : « folie circulaire » (1854) avec l’idée de l’existence d’un intervalle libre.
Kraepelin emploie le premier le terme PMD (« La folie maniaco-dépressive » date de
1899) qui regroupait la dépression et la manie, en alternance et récurrence.
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II . Epidémiologie
La prévalence ponctuelle est évaluée de 0,5 à 5% selon les critères retenus. Ce flou
épidémiologique est un reflet des difficultés cliniques.
L’âge moyen de début des troubles est de 20 ans (17-27 ans) pour la maladie bipolaire,
d’environ 40 ans pour l’unipolaire dépressive.
A noter que chez les bipolaires, l’alternance régulière des cycles est en fait rare et l’on
assiste le plus souvent à une prédominance de telle ou telle forme sur l’autre.
Suivant une étude de l’OMS (1990), la PMD est la 6ème cause d’invalidité, toutes
affections somatiques et/ou physiques retenues.
Près de 100 000 patients sont traités en France (soit pour certains auteurs 1/3
seulement des bipolaires qui pourraient l’être).
III . Etiologie
La dimension génétique complexe du trouble est clairement établie avec une véritable
« pathologie familiale ». Le risque relatif de développer un trouble bipolaire de l’humeur est
multiplié par 14 chez les sujets ayant un parent du premier degré atteint d’un trouble
bipolaire. Les études génétiques ont permis d’identifier les régions chromosomiques porteuses
des gènes probablement impliqués dans cette maladie.
Les deux autres facteurs de risque identifiés sont les changements de responsabilité
parentale (orphelins, placements, ruptures familiales) et la notion d’abus sexuel dans
l’enfance.
Il y a souvent un ou des facteurs environnants déclenchant les premiers épisodes :
classiquement la première grossesse et le service militaire. Le recul de l'âge de la première
grossesse et la disparition de la conscription ont laissé la place à des événements liés aux
études ou à la vie professionnelle. Les cycles tendent ensuite à devenir autonomes.
IV . Sémiologie
A - Mélancolie
Que l’on définira d’emblée comme une « dépression délirante ».
Le mot est emprunté au latin melancholia lui-même transcrit du grec melankholía
composé de mélas, « noir » et de khōlé, « la bile ». Le mot signifie donc étymologiquement la
bile noire et renvoie à la théorie humorale d'Hippocrate selon laquelle le corps contient quatre
humeurs qui déterminent notre tempérament. Ces quatre humeurs sont le sang, la lymphe, la
bile jaune et la bile noire (qui serait issue de la rate). Le tempérament est donc sanguin
lorsque le sang prédomine, lymphatique lorsque c'est la lymphe, bilieux pour la bile jaune et
enfin mélancolique pour la bile noire.
Dans la mélancolie, le syndrome dépressif est plus singulièrement caractérisé par :
- l’intensité de la douleur morale avec parfois apparition d’un syndrome délirant
comportant un auto reproche délirant ou un délire de culpabilité (sans qu’il y ait
nécessairement une ébauche d’explication à ce sentiment de culpabilité) ou encore
d’incurabilité. Rien ne modifie la conviction de désespoir du patient (à la différence des
syndromes dépressifs).
- l’existence rare mais possible d’hallucinations, surtout auditives, associées au délire.
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- l’intensité du ralentissement (jusqu’à des états stuporeux), avec parfois le signe de
l’oméga (froncement caractéristique des sourcils). Le ralentissement psychique est parfois
masqué par l’importance des ruminations pessimistes obsédantes.
- le désir de mort avec la prégnance des idées suicidaires +++
- l’intensité des symptômes somatiques, avec la fréquence de l’anorexie et de
l’insomnie du petit matin.
- l’absence de facteurs déclenchant.
- les antécédents personnels et/ou familiaux de PMD (parfois n’apparaissant que sous
le masque de suicide d’allure brutale…).
Le syndrome de Cotard est une forme particulière de mélancolie associant aux
symptômes précédents une négation d'organe délirante.
B - Manie
Vient directement du grec maníā « folie, démence, état de fureur »
On va retrouver des signes inversés par rapport au syndrome dépressif :
- l’exaltation euphorique de l’humeur : mégalomanie heureuse avec un vécu de
surpuissance (infatigabilité dans une facilité constante et bienheureuse,
toujours dans le plaisir). L’euphorie peut entraîner une prodigalité excessive
ou des achats inconsidérés ; à noter aussi la versatilité ou encore la labilité
massives de l’humeur : passages brutaux de la joie aux pleurs, du rire à
l’agressivité, etc., d’où l’inquiétude de l’entourage et le caractère
imprévisible de l’évolution.
- l’accélération du flux idéïque extériorisée par une logorrhée diffuse
(augmentation massive du débit verbal avec fréquence des jeux de mots par
assonances, des coq-à-l’âne, formules toutes faites). La conversation se situe
dans une ambiance souvent ludique et de fausse complicité. Il existe une
hyper attention à des détails subtils, une hypermnésie avec évocations de
maints souvenirs, d’anecdotes, etc., une augmentation de l’imagination
souvent ludique mais aussi fréquemment persécutoire (vécus de « dépits »
dès lors que l’interlocuteur ne comprend pas suffisamment vite ou donne
l’impression de « confondre » le sujet dans la pathologie).
- un syndrome délirant mégalomaniaque (dit syntone avec l’humeur, c'est-à-dire
sur la même tonalité), voire persécutoire.
- une hyperactivité motrice (désinhibition généralisée) avec une agitation
constante souvent exaspérante et accablante pour l’entourage très vite
dépassé. Elle peut entraîner des passages à l’acte sexuels (avec rapports non
protégés, dégâts dans le couple…), des dépenses inconsidérées, des rixes,
etc.
- des troubles somatiques avec une insomnie majeure (perte du besoin de
sommeil) souvent prodromique de l’accès et troubles de l’alimentation
(gavage oral jusqu’au risque de fausse route). Il peut exister des signes
généraux en cas de déshydratation et/ou d’infections (incuries, négligences
pour le corps vécu comme infaillible, etc.).
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VI . Diagnostic différentiel
Le diagnostic différentiel entre mélancolie et état dépressif a été discuté plus haut.
Pour l’état maniaque, on éliminera :
Une ivresse aiguë : alcoolémie systématique
Un syndrome frontal : syntonie moins nette, déficits…
Que ce soit pour la manie ou la mélancolie, attention aux « faux psychiatriques »
- corticothérapie connue pour générer des états mixtes (manies dysphoriques)
- l’isoniazide (Rimifon), les correcteurs atropiniques (Artane), la L Dopa
- certains toxiques exogènes : cocaïne, amphétamines, haschisch
- hyperthyroïdie
- tumeurs cérébrales (notamment frontales)
- troubles métaboliques divers
Enfin, et bien sur, le bat n’est toujours pas tranché sur les limites entre la maladie
bipolaire et les formes dysthymiques des schizophrénies.
VII. Evolution et pronostic
Dominés par la fréquence du suicide (mélancolie +++).
L’évolution d’une mélancolie était de l’ordre de 6 à 9 mois avant l’arrivée de
psychotropes, souvent de l’ordre d’une année dans les formes survenant après la cinquantaine
(ancienne « mélancolie d’involution »). La durée moyenne d’hospitalisation est actuellement
d’un mois.
L’évolution spontanée d’une manie était réputée plus courte : de 5 à 6 mois,
actuellement écourtée à deux mois en moyenne.
Le pronostic de la manie est en partie lié aux conséquences sociales, professionnelles,
familiales, financières…
Le nombre des épisodes varie beaucoup d’un patient à l’autre avec des formes de
relative rareté des crises (cycles de plus de 10 ans) et des formes très rapides fortement
invalidantes (jusqu’aux rapid cyclers, plus de 4 crises par an).
Le nombre médian de cycles au cours d’une vie est de 7 à 9 pour la bipolaire (cycles
de 1,5 à 3 ans) et de 4 à 6 pour l’unipolaire (cycles de 4 à 5 ans) : les cycles de la forme
bipolaire posséderaient la possibilité de switch de la dépression vers la manie, en particulier
sous antidépresseurs avec le risque d’évolution vers des cycles rapides.
La durée des cycles tendrait à diminuer après chaque crise.
Les formes d’évolution chroniques représenteraient 10 à 20 % des cas.
De façon générale, le pronostic de cette affection a été considérablement amélioré par
l’arrivée des antidépresseurs dans les accès dépressifs, des neuroleptiques dans l’accès
maniaque et des thymorégulateurs pour ce qui est de la prophylaxie des rechutes.
Le pronostic est lié à l’intensité des accès (et à leur risque propre), à la périodicité des
cycles ainsi qu’à leur durée (importance de l’observance du traitement médicamenteux,
surtout préventif, et du suivi, souvent qualifié d’ « éducatif », du patient et de son entourage).
V. Traitement
1. Syndrome dépressif
Il relève d’une psychothérapie ou d’un traitement antidépresseur, tous les deux efficaces,
voire, au mieux, en l’association des deux.
On peut y adjoindre une traitement symptomatique (anxiolytiques, hypnotiques…)
2. Mélancolie
Hospitalisation pratiquement systématique, souvent sous contrainte.
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