INT/SUB/645 Rapport sur le commerce mondial 2010 – Entretien avec Patrick Low Keith Rockwell: Nous recevons aujourd'hui Patrick Low, économiste en chef de l'OMC, pour parler du Rapport sur le commerce mondial 2010, dont le thème est le commerce des ressources naturelles. Bienvenue, Patrick. Patrick Low: Merci. Keith Rockwell: Bien qu'il soit dangereux de généraliser, pourriez-vous nous expliquer brièvement en quoi le commerce des ressources naturelles diffère du commerce des produits manufacturés, par exemple? Patrick Low: Les ressources naturelles présentent certaines caractéristiques particulières qu'on ne trouve pas dans le commerce des autres produits. Premièrement, ce sont soit des ressources finies – c'est-à-dire vouées à disparaître – soit des ressources épuisables – c'est-à-dire qu'elles viendront à manquer si on ne les préserve pas convenablement. Dans les deux cas, se pose le problème de leur utilisation. Deuxièmement, ces ressources sont, par essence, naturelles. Elles sont inégalement réparties à travers le monde, ce qui peut offrir des possibilités commerciales intéressantes, mais ce qui peut aussi être un facteur de tensions entre les pays. Une autre caractéristique des ressources naturelles, qu'il est très important de garder à l'esprit, est ce que les économistes appellent des "externalités". Bon nombre des ressources naturelles sont associées à des externalités. Il s'agit, par exemple, des effets dommageables sur l'environnement liés à leur extraction. Ce qui se passe actuellement dans le golfe du Mexique montre combien ces effets peuvent être désastreux. C'est évidemment un cas extrême, mais l'extraction des ressources peut avoir des effets négatifs sur l'environnement, auxquels il faut veiller et qui ne seront pas nécessairement pris en compte si les gouvernements ne le font pas. -2- Un autre effet externe dont il faut se soucier – en particulier en surveillant les taux d'extraction des ressources naturelles – est lié au fait que ces ressources ne font pas toujours l'objet de droits de propriété bien définis. Une personne qui pêche un poisson prive une autre personne de la possibilité de pêcher ce poisson, et cette relation particulière n'est pas nécessairement prise en compte dans les prix du marché. Il nous faut donc trouver des moyens de faire en sorte que les ressources naturelles ne soient pas tout simplement épuisées, faute de prix judicieux. Il y a un troisième facteur qui est important à mes yeux; c'est que l'économie de certains pays est tributaire des ressources naturelles, qui en sont l'élément dominant. Cela pourrait paraître positif dans la mesure où cela signifie que ces pays disposent de ressources, mais cela peut aussi avoir un coût réel pour leur économie. Enfin, une question mérite une attention particulière: c'est la grande volatilité des marchés de ressources naturelles. Nous n'aimons pas beaucoup la volatilité parce qu'elle rend les décisions d'investissement plus difficiles, elle augmente l'incertitude et, de ce fait, on se demande toujours comment gérer cette volatilité. Ce sont les principales raisons pour lesquelles les ressources naturelles méritent, selon moi, une attention particulière. Keith Rockwell: Vous avez parlé du caractère épuisable des ressources naturelles. Encore récemment, avant la crise, la croissance de l'économie mondiale était très vigoureuse. Cette croissance économique rapide a-t-elle contribué à l'épuisement des ressources naturelles? Patrick Low: Je pense qu'en présence d'une croissance économique rapide, il est plus difficile de réfléchir aux moyens de préserver, à court terme, des ressources naturelles limitées. Le marché des ressources naturelles n'est pas forcément bien défini. Il se peut, ou il est certain, qu'un jour, nous devrons nous passer de ces ressources – tout dépend des ressources dont on parle. Et cela pose de nombreux problèmes. -3- Keith Rockwell: Vous avez fait allusion au lien entre la croissance économique et le caractère épuisable des ressources. Nous avons vu que le commerce des ressources naturelles augmentait plus rapidement que les autres types de commerce et même à un rythme sans précédent. Comment expliquez-vous cela? Patrick Low: La croissance plus rapide du commerce peut être attribuée, du moins en partie, à l'accélération de la croissance économique des pays. La demande de ressources naturelles – et d'ailleurs aussi de produits alimentaires – s'accroît à mesure que la population s'enrichit et que l'activité économique mondiale s'intensifie. C'est le corollaire naturel du processus de croissance et de développement. Keith Rockwell: Vous l'avez dit tout à l'heure. Il est communément admis que la dotation en ressources naturelles est une sorte de bénédiction. Pourtant, la présence de ressources naturelles à l'intérieur d'un pays n'a pas que des avantages, n'est-ce pas? Patrick Low: Je pense que les problèmes surviennent quand les ressources naturelles occupent une place prépondérante dans l'économie et l'activité économique. Cela se répercute immédiatement sur l'économie à travers ce que nous appelons le "syndrome hollandais". Le syndrome hollandais correspond, pour l'essentiel, à une situation dans laquelle le taux de change est beaucoup plus élevé qu'il ne le serait en l'absence de ressources naturelles à exporter. Or, ce taux de change très élevé nuit au développement des autres activités économiques. C'est un premier problème. Le second problème est que, avec certaines ressources naturelles, en particulier les ressources extractives, il est difficile pour le pays qui les possède de savoir comment diversifier rapidement son économie en tirant parti des effets d'entraînement en amont. Cette dépendance singulière amène à se demander quels secteurs vont créer des emplois, et quel sentier de développement choisir. C'est ce que certains auteurs appellent la "malédiction des ressources". -4- Keith Rockwell: Cela décourage en quelque sorte la diversification de l'économie. Patrick Low: Oui, et cela va de pair. Si, en plus, il y a un mauvais système de gouvernance, on ne sait pas très bien ce que vont devenir les profits colossaux tirés des ressources. Quel chemin empruntent-ils? Où passent-ils? Comment entrent-ils dans l'économie nationale? Comment assurer un véritable développement? Un développement partagé est-il possible en présence d'une telle dépendance à l'égard de quelques ressources? Je crois que c'est très difficile. C'est un véritable défi pour le développement. Keith Rockwell: Merci beaucoup, Patrick. Patrick Low: Merci. __________