L'amour romantique à l'épreuve d'Internet Jacques Marquet, Dialogue avril 2009/4 (n° 186) Sociologue Département des sciences politiques et sociales (POLS) Institut d’études de la famille et de la sexualité (IEFS) Université catholique de Louvain Président du CIRFASE – UCL En Europe, l’amour romantique a opéré comme modèle de référence des relations amoureuses pendant une grande partie des XIXe et XXe siècles. Bien qu’en baisse, ce modèle n’est cependant pas exclu des représentations contemporaines de la rencontre amoureuse et les candidats à l’amour sont tiraillés entre références anciennes déclinantes et références nouvelles encore incertaines. À partir d’une recherche menée auprès d’utilisateurs de sites de rencontre, l’auteur vise à comprendre ce qui se joue sous cette pratique. En mettant en exergue quelques images fortes mobilisées pour appréhender la réalité de ces sites, il réfléchit aux transformations qu’y subit le modèle de l’amour romantique. Même s’il semble que la quête amoureuse sur Internet n’ait pas abandonné l’ancien idéal d’exclusivité, il apparaît que les couples ainsi formés auront à inventer une nouvelle façon d’appréhender l’engagement. Analyse d’un vingtaine d’entretiens de personnes utilisant ou ayant utilisé des sites de rencontre dans le but de nouer des relations à caractère sexuel et/ou amoureux, ayant préalablement vécu en couple et ayant pour la plupart entre 35 et 60 ans. Cette population paraît mériter un traitement spécifique en raison d’un ensemble de traits qui la caractérisent : un bilan du passé conjugal qui colore les attentes futures ; un réseau familial affecté par la rupture ; la présence (fréquente) d’enfants en hébergement alterné ou exclusif et parfois déjà sur le départ ; la conscience plus ou moins nette d’une transformation significative des normes présidant aux relations amoureuses et sexuelles entre le moment où ils/elles ont construit leur premier couple (il y a parfois plus de vingt ans) et aujourd’hui… Les évaluations de ces expériences sont très contrastées, allant de leur condamnation sans équivoque à une lecture résolument positive. La quête amoureuse : les mots pour la dire… « Le marché » Renvoie à la multiplicité des choix et à la possibilité de comparaison Trois statuts peuvent êtres adoptés à tour de rôle : produit, acheteur, vendeur. Déshumanisation de la rencontre amoureuse. « Un grand bordel, le plus grand mensonge de la terre » L’autorisation et la légalisation du mensonge, facilité par le relatif anonymat du mode de communication. Internet ne donne aucune garantie ni quant au nombre de correspondants, ni quant à leur âge, leur sexe, leur profession, leur orientation sexuelle ou leurs attentes, normalisation de l’adultère. Un des problèmes spécifiques d’Internet est que l’imaginaire relationnel qui s’y développe se nourrit du mensonge, entraînant alors nombre de déceptions et de déconvenues chez ceux qui y ont cru. Un jeu d’oppositions et d’associations se dessine assez nettement : photo = primauté du corps et de la sexualité = aventure = ce que je condamne versus profil sans photo = primauté des valeurs morales et de la psychologie = refaire sa vie = ce que je recherche. « La pêche à la ligne » « Meetic, c’est un peu comme la pêche à la ligne, c’est-à-dire qu’à partir du moment où la truite mord vous n’avez que quelques secondes pour la sortir de l’eau, sinon elle se barre. » C’est l’obligation de la réponse rapide, dûe aux très fortes sollicitations, un effet pervers et addictif en découle : la tentation de la gourmandise, qui pousse à toujours rechercher une nouvelle rencontre. Des codes régissent les rencontres ; si la présentation de soi –qui ne peut être négligée– plait, une « opération de séduction » s’en suit. Certains utilisateurs regrettent cette approche qui demande stratégie et réflexivité au détriment du phénomène « coup de foudre » dù au hasard. « Tout un travail » le « travail pour se faire choisir » et le « travail de sélection », et le « travail de suivi », pour ne pas oublier ou confondre les partenaires. Description d’un processus de production où les tâches s’enchaînent les unes après les autres, dans un ordre à respecter (premier contact, première barrière..) et avec un degré de contrainte élevé. Le travail semble ainsi empreint d’une charge mentale significative. La pression de la concurrence féroce se fait aussi sentir, semblable à celle s’une « secte ». L’analogie avec travail tend à renvoyer à un ordre rationnel où même l’aléatoire doit être maîtrisé, malgré la « loterie » de l’imprévisibilité des réactions des partenaires potentiels. Le multipartenariat apparait dès lors rationnel face à une marge d’incertitude, pour « multiplier les chances ». « CV personnel », analogie entre rencontre sur internet et entretien d’embauche… Tout ceci atteste de la routinisation d’une partie du processus de présentation de soi et de la normalisation de la dimension stratégique de ce processus. La multiplication des possibles remplace ici le hasard, pensé sur le mode de l’événement fortuit, valorisé dans le modèle romantique. Le coup de foudre et Internet Jacques Marquet s’appuie sur une étude de Marie-Noëlle Schurmans et Loraine Dominicé Plusieurs ingrédients font consensus : le coup de foudre est inattendu, non programmé (vs recherché par une personne inscrite sur un site de rencontres),marquant dans la vie de celui qui le vit, rare (vs passe sans laisser de trace par la systématisation des rencontres) il produit un sentiment de sacré ou de magique (vs perçu comme matériel, profane) ; il apporte (vs enlève) quelque chose ; il est bénéfique, positif (vs maléfique et destructeur) ; il est inexplicable et échappe à la rationalisation (vs formatage des sites de rencontres, à coup de rubriques suggérées ou imposées, la présentation de soi et la formulation de la quête) ; il coexiste avec d’autres façons de tomber amoureux (vs seule façon de tomber amoureux) ; il provoque instantanément de fortes émotions ( vs connaissance d’abord intellectuelle de l’autre). Mais il n’est pas certain que ces nouveaux éléments remettent en cause le modèle de l’amour romantique de façon décisive. Les échecs, nombreux rappellent que subsiste toujours une part d’inexplicable. La quête amoureuse via Internet débute par une impression d’abondance des partenaires potentiels qui va induire multiplication des contacts… Et cette rupture est peut-être bien plus fondamentale que les deux précédentes, car la comparaison simultanée de partenaires potentiels, et qui se savent considérés comme tels heurte de plein fouet l’idéal d’exclusivité amoureuse et sexuelle. Ces cybercouples auront à travailler la question de l’engagement : comment faire pour que le partenaire jusqu’à nouvel ordre ne se perçoive comme partenaire en éternel sursis, malgré la tentation (et la peur) du « toujours mieux » ? Virtuellement vôtre, les sites de rencontre Le carnet PSY avril 2007 Hubert Lisandre, Psychanalyste et psychologue, Maître de conférences en psychopathologie clinique Université Paris X-Nanterre Il s’intéresse notamment aux pratiques sociales de la santé, de la sexualité. Geoffroy Willo Psychologue clinicien Cet article s’interroge sur l’engouement sans précédent pour les sites de rencontre, et l’affinité singulière qui existe entre l’outil et la fonction, le site et la rencontre. D’abord au regard de l’époque, mais aussi et surtout au regard de ses implications psychiques. L’immédiateté et l’ampleur des possibles sont vantées par tous les sites, comme autant d’arguments décisifs. N’est-ce qu’une habile manipulation marketing introduite dans une nouvelle sphère, celle de l’ amour ? Non, il faut prendre acte de cette “marchandisation” de l’affect et, quelle qu’en soit la réalité, de son idéalisation moderne. Choisir ses partenaires comme des objets de consommation courante est devenu la norme…Manifestation de la « perversion généralisée » de notre époque, comme on la condamne souvent ? On reconnaît, certes, dans cette immédiateté comme dans l’illusion de maîtrise en matière de choix affectif, l’exigence toute narcissique d’un “moi” dont le scientisme ambiant annonce chaque jour pour le lendemain l’avènement de sa complétude. L’ « objectivité » pratiquée sur ces sites –où l’on trie avec méthode et selon des critères prédéfinis ses contacts– semble réaffirmer la réalité de cette perversion. Pourtant, en y regardant de plus près, à travers plusieurs exemples d’abonnés, on s’aperçoit que les butées et les impasses affectives et sexuelles ne sont qu’en apparence une perversion de façade : ne se méprend-on pas à croire “qu’agir virtuellement” un fantasme serait autre chose qu’un “fantasmer? Ainsi, à l’heure où l’on ne s’inquiète plus de la sexualité débridée, le conflit intrapsychique est transférée à la quête amoureuse. Ce qui explique peut-être la gêne à dire son inscription sur un site pour (ne) trouver (que) l’âme sœur. La passion scientifique attisée par le site de rencontre -notamment par la facilité qu’il offre à dénombrer, et donc à “objectiver” – induit un sentiment de confort dans la sélection et l’approche d’un partenaire… qui est aussi la source de toutes les problèmes des abonnés. La nouveauté de notre temps est donc peut-être moins à chercher dans cette prétendue « perversion » des rapports humains que dans la mutation de la rencontre et de ses règles et interdits, où le versant amoureux et coupable tendrait à s’effacer socialement au profit du versant apathique et objectal. Réseaux amoureux sur Internet Eva ILLOUZ Professeur de sociologie à l’université hébraïque de Jerusalem Elle s’est intéressée aux phénomènes des talks shows à la télévision, elle a écrit un essai biographique sur Oprah Winfrey. Elle s’interroge plus généralement sur la « publicisation » de la sphère privée. | Lavoisier | Réseaux 2006/4 - n° 138 Internet est communément présenté comme un formidable moyen de communication, et facilite l’expression du moi « véritable » en annulant la barrière corporelle. Mais alors, comment des émotions – par nature sensorielles–, peuvent-elles prendre forme sur Internet? Plus exactement : comment la technologie réarticule-t-elle la réalité corporelle et les émotions ? L’auteur tente de répondre en étudiant les sites de rencontre américains. A première vue, Internet démultiplie les moyens d’expression du moi. Mais en réalité, les sites de rencontre propose un profil standardisé à ses utilisateurs, et inflexible : la présentation de soi ne peut s’adapter à son public. Par ailleurs, l’ironie veut que le physique soit déterminant sur les sites de rencontre, à travers les photos de profil. L’auteur note que : « – les utilisateurs deviennent extrêmement conscients de leur apparence physique ; – leurs corps et leur apparence sont publiquement exposés ; – par leurs corps, ils se retrouvent en concurrence avec d’autres ; – enfin, le corps est la source principale de leur valeur économique et sociale » L’usage de la langue écrite place aussi les utilisateurs en concurrence, le défi étant d’être original, et désirable dans sa présentation de soi. Paradoxalement, alors que les sites revendiquent la possibilité unique d’expression personnelle, ceci renforce l’uniformité, la standardisation et la réification. Car les utilisateurs ont à cœur de se présenter selon les critères communs de désirabilité. La rencontre hérite de ce même problème de standardisation, du au flot de messages échangés, qui revêtent donc un caractère de télémarketing, comme l’avouent les utilisateurs habitués avec une certaine ironie. L’auteur y voit deux effets de ce qu’elle nomme d’après Ben Agger « le capitalisme rapide ». Le premier, la compression du temps afin d’accroître l’efficacité économique ; le deuxième, l’effacement des limites entre espace privé et espace public. Les sites de rencontre permettent d’intégrer la logique consumériste aux rencontres amoureuses, qui deviennent de véritables transactions économiques,régies par la loi de l’offre et de la demande, comme en sont conscients d’ailleurs la plupart des utilisateurs. Le langage, les métaphores employées sont d’ailleurs révélatrices. Un fort cynisme se dégage des témoignages, rupture radicale avec la culture traditionnelle du romantisme. L’auteur rappelle le sentiment de déception largement partagé par les « anciens » abonnés. Le scénario classique commence par un bon contact entre deux personnes, qui engendre un fantasme de la rencontre future. L’ étape suivante est souvent un appel téléphonique, et en cas de « succès », les interrogés disent pouvoir nourrir de forts sentiments dès ce moment. La déception a lieu lors de la rencontre en face à face, et vient de la dissemblance avec la photo de profil. Internet exacerbe donc la disparité entre attentes et expériences. L’auteur impute les sites de rencontres, qui ne permettent qu’une rencontre sur le plan intellectuel, alors que selon elle, la présence physique est nécessaire. En effet, l’entente entre deux personnes résulte autant d’une communication non verbale, et souvent inconsciente. Alors que l’imagination romantique traditionnelle était caractérisée par un mélange entre la réalité et l’imagination, fondées l’une et l’autre sur le corps et son expérience passée, internet crée une séparation entre l’imagination – en tant que monde de significations subjectives auto-engendrées – et la rencontre avec l’autre, en disjoignant dans le temps le moment de l’imagination du moment de la rencontre. La connaissance de l’autre est aussi divisée en plusieurs étapes, car on appréhende l’autre comme une entité psychologique construite par elle-même, puis comme une voix, et après seulement comme un corps qui bouge et agit. En dépit de ce que voudraient nous faire croire les techniques psychologiques de connaissance de soi et des autres fondées sur l’effacement du corps, le corps pourrait bien être le meilleur moyen, sinon le seul, de connaître et reconnaître un autre. L’amour virtuel et son envers inconscient Dialogue, 2009 PAUL-LAURENT ASSOUN Psychanalyste Professeur à l’université Paris 7 L’univers virtuel, celui du « cyberespace », par son extension, ouvre-t-il aussi bien une mutation de la constitution du couple et de la relation homme-femme ? Au-delà du « nouveau », il s’agit de savoir comment cette question structurelle de l’amour, toujours neuf, se redessine dans cette conjoncture du virtuel. Cette question générique s’éclaire des figures où des sujets dé-complétés s’embarquent sur cette navigation virtuelle, mettant le cap sur un autre non identifié, sans visage et sans nom. Demande exacerbée à l’autre quelconque et mise sur une plus-value de jouissance. On y voit quêtée une suppléance, scellée par l’ « arrobase », la version numérisée de la lettre d’amour. Exploré en son envers inconscient, le « faire-couple virtuel » révèle son illusion et sa portée, comme symptôme du « malaise de la culture ». Le fantasme, un « virtuel structural » le rapport du sujet à l’objet du désir, en tant que capté dans le prisme inconscient, est structuralement virtuel, l’amour venant actualiser le fantasme. Le virtuel, avec son « cyberespace », ouvre bien plutôt un espace de renégociation avec l’objet du fantasme – dont il faut mesurer le style pour en mesurer ensuite la portée. Comment et pourquoi tel sujet est-il en position d’aller en visite sur ce que l’on appelle un « site » et d’en attendre, d’en espérer la résolution de la question la plus épineuse qui soit, celle de la rencontre avec l’autre ? Comment en vient-il à attendre de cette évasion, voire de cette désertion de la scène du réel, qu’elle permette de rouvrir une réalité bouchée. Pourquoi ces sites ont-ils été inventés ? Le site ou l’autre pseudonymique Une particularité de ce « partenaire inconnu » est justement qu’il n’a pas de nom. Pourquoi l’utilisateur ne le cherche-t-il à visage découvert ? Il fuit au contraire les autres de proximité, visibles et nommables, pour se mettre en quête d’un être sans visage. Quel que soit le degré de déception – sur image ou en chair et en os –, la réalité apparaît comme venant apporter un démenti ou un remaniement sensible au fantasme. De principe la réalité est pour le fantasme une catastrophe. Ce que cherche l’internaute en quête d’« amour », c’est littéralement un point de fuite. Figures de l’homme masqué : l’adolescent en fugue virtuelle Ce qui est nouveau, c’est cette fugue dans l’espace virtuel qui lui donne ses ressources renouvelées. Espace virtuel des rêves et potentiel des mauvaises rencontres. Ce que recherche l’adolescent, c’est une réponse à l’amour parental déçu, et selon la dialectique oedipienne, cette quête est « masquée » - puisque le vœu interdit. Mme Bovary sur Internet L’inconnu est le « joker » dont une femme, à un âge critique (adolescence ou entredeuxâges) ou à un moment troublé, espère qu’il va l’extraire de l’imbroglio du jeu familial ou conjugal. L’incognito de l’espace virtuel vient ouvrir ses perspectives – sa « ligne de fuite » – à la clôture de la réalité, renouvelant les vieux schémas vaudevillesques. L’autre scène ou la passion de l’autre scène Mais de cette stratégie il y a bien un versant masculin. Voici l’homme obsessionnel, champion des doubles vies, cherchant sur Internet, derrière le dos de son épouse, des débouchés à cette autre scène du désir. La difficulté de contact direct et vrai qui signale la froideur obsessionnelle peut alors se dédouaner par une liberté et une audace inattendues, justement grâce à la distance. La « mentalité magique » Ce sondage de figures, il est vrai dissidentes autan que symptomatiques, permet de comprendre ce qui se joue dans l’affaire. Cet instrument magique dit « virtuel » entretient l’illusion de naviguer par-delà le temps et l’espace, en se connectant quasi instantanément à l’autre – sauf à se demander quel autre et par quelle relation. Bref, cet autre est en quelque sorte « halluciné ». Le caractère « magique » du dispositif vient en écho au caractère « magique » de l’amour : ici la réponse de l’autre est aussi rapide que l’éclair. Le style neuf d’une structure en son genre intemporelle est sans doute cette « prise en masse » des sujets. Chacun apparaît comme ayant quelque chose à « vendre » ou à « acheter » en cette espèce de troc généralisé. Mais ici se vérifie l’adage lacanien que l’on ne donne pour de bon que ce que l’on n’a pas et qu’au bout du compte on n’a comme retour de l’autre que son propre message inversé. La connexion fantasmatique Mais il arrive, ici comme en d’autres situations, que les fantasmes se connectent. Cet heureux événement pose une question complexe : le fantasme est éminemment solitaire. Ce qui apparaît est une forme singulière mais bien caractérisée de « psychologie des masses ». C’est l’un (quelconque) parmi d’autres qui se lance dans l’appel à l’autre quelconque. Du désir virtuel à la demande informatisée L’espace virtuel met donc en scène le fantasme, mais dans une logique de la demande. La demande se caractérise par son caractère infini (le sujet va toujours au-delà de ce qui est offert), en contraste du désir qui se rapporte à un « manque qualifié ». Ce qui explique l’intense dialogue de sourds, comme si chacun des interlocuteurs demandait à l’autre de l’enseigner sur « son » désir dont il ne sait pas grand chose. Internet La communication contre la parole ? Philippe Breton Chercheur au C.N.R.S Le discours qui accompagne la diffusion d’Internet parle de nouveau « lien social » et semble dévaloriser, voire exclure, tout ce qui serait susceptible de ne pas entrer dans le cadre de ces nouvelles techniques. Faudrait-il considérer comme archaïque ce qui relève de la « parole vivante » ? Un discours de promotion Un discours de dévalorisation Parole et communication La parole : un continent disparu ? Le « tout communicationnel » L’interactivité, c’est ne pas répondre ce que l’on pense en son for intérieur, ne pas même se retourner vers soi, mais ajouter à la phrase reçue celle qui lui convient en réponse. Le lien social interactif est une réaction à une réaction, sans passage par la personne. Une société de communication est une société sans valeur ajoutée à la parole, qui, de ce fait, Se réduit à de l’information. Une nouvelle religiosité Ce qui est secret, caché, censuré — bref, ce qui ne circule pas — serait, en contrepoint, par nature négatif. Cette croyance trouve son origine dans les premiers pas de la cybernétique, qui définissait l’être uniquement comme le produit des relations entretenues avec les autres êtres. l’élan. On doit donc pouvoir tout dire. La communication serait la parole sans contrainte, la parole sans silence, la parole sans mystère. Elle cesserait, au fond, d’être une parabole de l’être ; elle nous libérerait de nous-même, de notre corps, que David Le Breton définissait comme notre « racine identitaire » 9. Une propagande sur fond de crise Internet est bien là, mais le cyberespace est très hypothétique et ne représente qu’une des voies de développement possible de ce nouvel outil. Il faut, toutefois, être attentif à la compulsion de communication qui saisit nos contemporains. Se rend-on vraiment compte de la part d’abandon que comporte cette activation permanente de tous les dispositifs techniques qui nous permettent de mettre de la distance entre nous et les autres ? Il reste à s’interroger sur les raisons du succès de la communication comme alternative à la parole dans les sociétés modernes, notamment chez les plus jeunes La critique du nouveau culte de la communication serait vaine si elle n’était le pivot d’une prise de conscience renouvelée de l’importance de la parole humaine. Rassuronsnous, cette dernière est toujours à l’oeuvre ; elle finit toujours par faire irruption, par s’imposer, par craqueler les rigidités de la communication. L’antidote à cette fausse modernité est, là, quotidiennement, dans l’affirmation simple, concrète, de bon sens, qu’il nous faut profiter de la richesse des moyens de communication que nous avons à notre disposition, et que leur finalité est d’être au service de la parole vivante, toujours première. La sexualité en l’absence du corps de l’autre : la cybersexualité David Le Breton sociologue - Professeur de sociologie - Université Marc Bloch de Strasbourg - Membre de l’UMR « Cultures et sociétés en Europe ». Résumé La cybersexualité est une relation sans corps et sans Autre, aux possibilités illimitées puisque le fantasme mis en œuvre dans le monde virtuel, a l’avantage de ne pas craindre le démenti du réel, ni les reproches du partenaire définitivement muet et sans visage, ni le risque de la contamination. Esquive de l’épreuve de l’Autre ou des défaillances du corps avec de surcroît la gratification née de l’attrait de l’inédit et le sentiment de participer en pionnier à une ère nouvelle. Mots-clés Cybersexualité, Corps, Cyborg, Internet LE CORPS SURNUMÉRAIRE L’INDIGNITÉ DU CORPS LES TECHNOLOGIES DE L’INTIME Quand l’amant c’est l’ordi... Thérapie Familiale, 2008 Maggy SIMÉON, Psychologue, psychothérapeute systémicienne, formatrice associée au CEFORES et en Médiation familiale Camille LABAK Psychologue, psychothérapeute systémicienne, formatrice au CEFORES Quand c’est devant l’écran que l’autre est aux anges, quand c’est avec l’ordinateur qu’il passe ses nuits... Depuis quelques années, la clinique du couple est traversée par de nouvelles formes d’assuétudes, d’infidélités qualifiées de virtuelles et de réseaux dits parallèles. Les auteurs s’interrogent sur les similitudes et les différences, dans nos approches thérapeutiques, de ce nouveau type d’infidélité. Mots-clés Cyberdépendance, Infidélités, Couple-thérapie Le chat des sites de rencontres permet de jouer à être un autre…de n’être pas reconnu… de ne pas se reconnaître… de jouer à ce que l’on ne s’autorise pas dans la vraie vie ou ce qui nous fait peur ». De l’avis de tous les utilisateurs, ce moment du chat, incognito, est un moment grisant, jouissif, qui peut durer des heures, qui peut se répéter, où le plaisir est premier. Quel plaisir ? Ils, elles disent : «plaisir d’être choisi(e) ; de ne pas être seul(e) ; de se sentir comme dans un rêve… de se sentir à nouveau quelqu’un, d’exister ». Normalement, l’écrit se tarit après un temps. Ceux qui restent de longs mois en chattant sans inscription dans le réel de la rencontre sont : • des conjoints mariés ou en compagnonnage vivant cette infidélité virtuelle « qui ne prête pas à conséquence » comme ils le diront ultérieurement en consultation • d’autre part, des personnalités présentant des troubles psychologiques, qui sont protégées par le caractère virtuel de la communication, personnalités cyberdépendantes, caractéristique partagée par les hommes et les femmes de manière égalitaire pour les sites de rencontre. La rencontre effective est une confrontation avec la réalité de l’autre ; le chat permettait de garder l’aisance de l’anonymat, de préserver le rêve sur soi et sur l’autre ; de jouer son personnage ; de rêver à l’autre… Dans de nombreuses situations approchées par la clinique, la rencontre effective laisse transpirer le malaise, l’inhibition voire la peur et les personnages du rêve se découvrent… avec leurs limites où l’alchimie de la rencontre amoureuse n’est pas. Comment comprendre les mécanismes en jeu dans ces dépendances, comment les définir ? le processus addictif s’instaure par et pour le plaisir, à la suite d’une rencontre émotionnellement et forte avec une personne, une rencontre qui « accroche » en fonction des attentes profondes du sujet, d’une recherche implicite… rencontre « fulgurante » à l’image d’un coup de foudre. Marc Valleur, psychiatre, médecin chef du centre médical Marmottan à Paris. Les nouvelles addictions, quelques définitions… Psychotropes 2009 Mots-clés Addiction, jeu vidéo, Mmorpg, Cyberaddiction, approche Clinique, motivation, individuation, sociabilité Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic) sont à la source d’un véritable bouleversement culturel, de la production de nouvelles formes de socialisation, et sont l’exemple même d’un objet double, d’un pharmakon tantôt miraculeux, tantôt diabolique. La dépendance aux jeux vidéo et/ou à l’Internet correspond à une réalité clinique émergente. Elle ne concerne qu’un petit nombre de sujets, est encore mal évaluée et ne fait pas consensus chez les soignants. Nous nous interrogeons ici sur ce qui, dans les Ntic, attire le regard sur un potentiel addictif. Mais auparavant nous essaierons de montrer comment l’addiction est devenue une préoccupation majeure de notre société. L’objet C’est-à-dire les sites de rencontre, paradis artificiels qui peuvent provoquer un court-circuit entre le désir et la satisfaction. Ils peuvent également rendre le passage de la réalité moins attractif en permettant d’échapper aux limites de la vraie vie et en offrant l’illusion d’échapper à la solitude. Le sujet C’est-à-dire l’histoire individuelle et familiale du sujet qui fait référence aux premiers attachements ambivalents ou évitants. Les troubles de l’attachement peuvent transformer les jeux amoureux en une quête désespérée d’une impossible satiété. « Les relations sexuelles compulsives et les romances à répétitions en sont des traductions, les scotchés des sites de rencontre et pornos en sont une autre modalité. » Le contexte culturel C’est-à-dire un monde qui exalte le plaisir en effaçant le désir, ce que soulignent plusieurs analystes et philosophes. On observe un passage des pathologies de l’inhibition à des pathologies de l’excès, de l’agir dont les addictions font partie. Nouvelles pathologies liées à la culture dont les caractéristiques majeures sont le plaisir immédiat, la satisfaction de tous les besoins et l’isolement du sujet dans une relation à des objets manipulables au détriment des relations sociales et affectives. Les mutations au sein du couple On assiste à la valorisation de l’autonomie des partenaires et sur les libertés nouvellement acquises par les femmes (sexuelles, financières, légales). Ces éléments ont redéfini le rapport de genre et rendu la liberté d’élection aux deux conjoints, incluant la liberté de choix sexuel et amoureux. Mais à quel prix ?