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Si les économistes mainstream n’ont pas abordé les bons problèmes, c’est peut-être parcequ’ils
ne se sont attaqués qu’aux problèmes que leurs outils leur permettaient d’aborder. C’est la vieille
histoire de l’ivrogne qui cherche ses clés sous un lampadaire alors qu’il les a perdues ailleurs, parce
que le lampadaire lui offre la lumière nécessaire ; mais c’est aussi le titre du dernier livre de Jean Paul
Fitoussi, « le théorème du lampadaire »
. Son ouvrage déborde largement la question que nous nous
posons ici mais il lui consacre le premier chapitre intitulé « La théorie à la renverse » et il n’y va pas
avec le dos de la cuiller, qualifiant les théories mainstream de « conte pour enfants », titre de la partie
dans laquelle il écrit : « Si je pars des hypothèses que, d'une part, la rationalité permet de résoudre tous les
problèmes du monde et que, d'autre part, dans le champ de l'économie, l'homme est un individu rationnel, je
définis une science où la recherche ne permet pas de progresser, puisqu'elle n'a aucun problème à résoudre. ».
Mais il a aussi ce propos : « Je m'interroge depuis longtemps sur les raisons qui poussent une majorité
d'économistes, dont certains parmi les meilleurs, à investir leur intelligence dans la construction de théories dont la
complexité le dispute à l'inutilité » (p.22)
Il y aurait donc eu un « aveuglement » de la part de la majorité des économistes
« mainstream ». Mais comment expliquer cet état de fait ? Les économistes mainstream ayant
le vent en poupe, isl se seraient laissés prendre par une ambiance générale une « zeitgeist »
qui était, selon Cartapanis
, plus une idéologie qu’une science et étouffa toutes les approches
ne relevant pas de leur démarche. On retrouve la même idée sous la plume de Fitoussi :
« Mais, plutôt que de tenter d'analyser les nouvelles réalités, la plupart des économistes
entreprirent une course à la théorie pure, rejetant avec mépris toute proposition dont les
fondements micro-économiques (l'optimisation du comportement des agents) n'étaient pas
impeccablement assurés » (Fitoussi p.22-23).
LE SAVANT ET LE FOU
Comme nous le savons, l’homo oeconomicus est au cœur de ces démarches « mainstream ».
Bien sûr, tout apprenti économiste sait que ce personnage ne correspond pas à la réalité mais
est un ideal-type au sens de Weber, une simplification utile pour analyse r des problèmes
complexes, ce qui n’interdit pas ensuite de « relâcher » les hypothèses pour rendre le concept
plus « réaliste » (asymétries d’information, par exemple). Pourtant, « Le triomphe de la
cupidité »
de Stiglitz ne laisse pas de surprendre : théoricien des asymétries d’information,
on pourrait s’attendre à ce qu’il mette cette démarche en avant. On a un tout autre discours :
« J’ai vite compris que l’attachement de mes collègues au postulat de la rationalité était
irrationnel, et qu’ébranler leur foi ne serait pas simple. J’ai donc choisi l’angle d’attaque le
plus facile ; j’ai accepté le postulat de la rationalité, mais j’ai montré que même d’infimes
changements dans les hypothèses sur l’information modifiaient entièrement tous les
résultats ». (p. 396-397). Loin de l’épistémologie ou de la méthodologie, l’acceptation de
l’individu rationnel relève alors de la stratégie et Stiglitz, à propos des modèles à agent
représentatif, n’hésite pas à écrire que « Nombre des conclusions (manifestement absurdes)
auxquelles parvient cette école sont dues à ces simplifications extrêmes (...) » (Stiglitz p. 411). Loin
de soutenir cette modélisation, il n’hésite pas à évoquer les travaux de Dan Ariely, psychologue
versé dans la science économique et titulaire de la chaire d'économie comportementale (Behavioral
Economics) au MIT, lequel développe surtout des expérimentations psychologiques et, qui plus est,
Jean Paul Fitoussi : « Le théorème du lampadaire » - « Les liens qui libèrent » - 2013
Dans Christian de Boissieu et Bertrand Jacquillat (dir.) : « A quoi servent les économistes ? » - P.U.F. – 2010
Joseph Stiglitz : « Le triomphe de la cupidité » - « Les liens qui libèrent » - 2010.