EPP - 1° année - cours de J.G. OFFROY – 2007-2008 - 1° semestre : INTRODUCTION AUX SCIENCES HUMAINES
la naissance des sciences humaines
« Qui désespère a tort. Le progrès se réveille infailliblement et, en somme, on pourrait dire qu’il a marché,
même endormi, car il a grandi. Quand on le revoit debout, on le retrouve plus haut. Etre toujours paisible,
cela ne dépend pas plus du progrès que du fleuve ; n’y élevez point de barrages, n’y jetez point de rocher ;
l’obstacle fait écumer l’eau et bouillonner l’humanité. De là des troubles ; mais après ces troubles, on
reconnaît qu’il y a du chemin de fait. Jusqu’à ce que l’ordre, qui n’est autre chose que la paix universelle,
soit établi, jusqu’à ce que l’harmonie et l’unité règnent, le progrès aura pour étapes les révolutions.
Qu’est-ce donc que le progrès ? Nous venons de le dire. La vie permanente des peuples. »
Victor HUGO, Les Misérables
La deuxième moitié du 19° siècle est marquée, à travers toute l'Europe, par l’alternance de révolutions
populaires et nationalistes et de retours à des régimes autoritaires, à l’ordre moral (Napoléon III en France,
Bismarck en Allemagne…).
C'est une époque de crise après la Révolution et l'Empire, un effondrement socioculturel, une remise en cause
des idéologies et des utopies humanitaires rousseauistes. C'est aussi l'époque de l'industrialisation,
accompagnée par d'énormes transformations sociales : l'urbanisation, la modification des rapports familiaux...
On assiste à un développement économique sans précédent, qui entraine un enrichissement important
(« Enrichissez-vous » disait Guizot, ministre de Louis-Philippe) en même temps qu’une paupérisation de
larges masses de la population, et à un bouleversement des traditions sur lesquelles reposait la société
française.
La bourgeoisie triomphante vit dans la hantise des « classes criminelles » et dans la peur des mouvements de
masse. La bourgeoisie se sent assiégée par les classes populaires qui réclament leur part du gâteau. Elle
cherche à raffermir son pouvoir et à discipliner les « classes dangereuses » en « classes laborieuses ».
C'est l'époque où le baron Haussmann, préfet de police de Paris, rase des quartiers entiers de la capitale, pour
tracer des avenues où on ne pourra plus construire de barricades et où les troupes pourront circuler librement.
De même à Lyon, où la révolte des canuts contre l’industrialisation a fait trembler la bourgeoisie des soyeux
(1831). Cette politique urbanistique va aussi dans le sens de l’adaptation à la modernité, à la révolution
industrielle, et elle a une visée moralisatrice et hygiéniste : il faut combattre la promiscuité, notamment après
l’épidémie de choléra qui a décimé la population parisienne en 1832. On chasse les miasmes qui transportent
les maladies
. Et on construit les hôpitaux dans la proche campagne de Paris (aujourd’hui 14° et 15°
arrondissements). L’hôpital Broussais est construit sur pilotis pour laisser circuler l’air.
Outre la répression policière et militaire, on va mettre en œuvre une politique d’intégration sociale par le
renouveau religieux, l’amélioration des conditions sociales et surtout la généralisation de l’éducation, avec un
budget sans commune mesure avec ceux d’aujourd’hui. Le but est de créer un sentiment d’appartenance à une
communauté nationale et de former la main d’œuvre nécessaire à la nouvelle industrie.
Lisez les grands auteurs de cette période : Victor Hugo, Balzac, Zola…
C'est le triomphe de la normalisation, de l'ordre et de l'hygiène.
C'est la lutte contre la criminalité et le développement de l'instruction publique.
Les sciences humaines et sociales vont fonder leur légitimité en apportant des réponses à ces grandes
questions que se pose la société de cette époque :
- comment l’ordre social est-il possible, plutôt que la lutte de tous contre tous ?
- comment expliquer la misère, la pauvreté dans un contexte d’enrichissement général ?
- est-il possible de penser l’évolution du monde, des mœurs... ?
- dans quel monde vivons-nous, où allons-nous ?
- comment lutter contre la criminalité ? est-elle héréditaire ou est-elle la conséquence du désordre social ?
et l’intelligence ? et la folie ?
Même si un célèbre professeur de médecine de l’époque met déjà en garde contre cette conception : « Tout ce qui tue ne
pue pas, tout ce qui pue ne tue pas ».