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la naissance des sciences humaines
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LA NAISSANCE DES SCIENCES HUMAINES
La naissance des sciences humaines dans le contexte sociopolitique et intellectuel du XIX° siècle
européen
L’ère des révolutions
Les révolutions américaine et française
Les conséquences de la Révolution Française
Le 19° siècle
Tocqueville
Les Socialismes utopiques : SAINT-SIMON
Les Socialismes utopiques : Charles FOURIER
Les Socialismes utopiques : Pierre-Joseph PROUDHON
Les grandes théories au fondement de la modernité
Le marxisme
Le positivisme
L’évolutionnisme
Le paradigme biologique
La fondation des sciences humaines sur le modèle des sciences de la nature
en psychologie :
le passage d’une psychologie « préscientifique » à une psychologie « scientifique »
la naissance de la psychologie expérimentale : psychophysique et psychophysiologie
une « bio-psychologie » appliquée
dans les sciences sociales : L’organicisme
Le darwinisme social
dans les sciences sociales : les théories de la race
en psychologie : l’eugénisme
1.1) En somme
Un embryon de paradigme psychosocial
3.1) Naissance avortée en France de la psychologie sociale
3.2) La filière anglo-saxonne ou « The American Connection »
Le paradigme social
En sociologie : Emile DURKHEIM (1858-1917)
en psychologie : le Béhaviorisme
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L’ère des révolutions
Les révolutions américaine et française
A la fin du 18° siècle, les révolutions américaine et française sont l’aboutissement, sur le plan politique, des
grandes mutations scientifiques, économiques, culturelles... qui ont ébranlé la civilisation occidentale depuis
la Renaissance et le signe d'une révolution des esprits, des mentalités. C'est la concrétisation d'une longue
évolution qui s'est produite au cours des siècles, le passage des sociétés traditionnelles aux sociétés
modernes.
Les sociétés traditionnelles sont fondées sur l'ordre, la permanence et la stricte hiérarchie de structures rigides
et infranchissables. Selon Georges DUMEZIL (1898-1986), les peuples indo-européens, qui ont occupé
l'Europe et l'Inde, ont une mythologie et une structure sociale qui reposent sur une stricte séparation des
fonctions : - la fonction guerrière,
- la fonction religieuse,
- la fonction de production.
Cette tradition indo-européenne (qu’on retrouve chez Platon) a été poussée à l'extrême avec les castes
indiennes mais on la retrouve sous une forme atténuée dans la France d'Ancien Régime avec les trois ordres :
la Noblesse, le Clergé et le Tiers Etat.
A la fin du 18° siècle, ce modèle est en complète décomposition car :
- la noblesse, qui a été domestiquée par le roi-soleil, n'assure plus sa fonction guerrière ;
- le clergé est déchiré entre le haut et le bas clergé, les ordres religieux sont en pleine décadence ;
- la légitimité de chacune de ces deux classes est remise en question et leurs privilèges sont contestés ;
- enfin, la classe des producteurs est de plus en plus puissante. La bourgeoisie détient le pouvoir
économique mais n'a pas d'expression politique.
La Révolution va consacrer le passage de la société aristocratique à la société bourgeoise
et le transfert du pouvoir politique à la classe qui détient déjà le pouvoir économique. Elle consacre également
la désacralisation du politique : on coupe la tête du roi, on décapite le « citoyen Capet », geste symbolique par
excellence. On supprime, de façon théorique, la séparation entre les classes et on abolit les privilèges.
Au 17° siècle, Cromwell avait pris le pouvoir en Angleterre et fait décapiter, déjà, le roi Charles I. C’est donc
un événement considérable. Mais les mentalités de l’époque étaient alors incapables de concevoir un ordre
radicalement nouveau et la royauté ne tarda pas à être restaurée. Cromwell n’avait pas de solution de
rechange.
C’est tout le travail accumulé au cours des siècles précédents par les philosophes, notamment les réflexions
autour du « contrat social », amorcés au 16° siècle, qui va permettre d’imaginer une autre société. La pensée
des philosophes du 18° siècle remettait en cause la légitimité de l’organisation sociale.
La Révolution va passer à l’action. Jusque-là, chacun appartenait à sa classe, sa caste, sa corporation. Le
destin était tracé à la naissance, l’ordre social allait de soi... La destruction de cet ordre, la désintégration des
liens sociaux traditionnels repose la question du lien social : comment des individus souverains, libres et
égaux en droit vont-ils pouvoir vivre ensemble ? Ils risquent de se déchirer. Les notions de liberté et d’égalité
sont contradictoires, antinomiques.
François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848) note dans ses Mémoires d’outre-tombe : « Les Français
n’ont pas la passion de la liberté mais de l’égalité. Or l’égalité et le despotisme ont un lien secret ».
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En effet, la liberté sans limites débouche sur la volonté de puissance, l’écrasement de l’autre. C’est la « loi
de la jungle ». La liberté du commerce, la concurrence absolue entraîne l’élimination des plus faibles, comme
on le voit dans le système néolibéral que l’on voudrait nous imposer au plan mondial (libre-échange…)
LIBERTE INEGALITE
Quant à l’égalité, elle ne peut s’imposer que par la force terreur, totalitarismes.
EGALITE TYRANNIE
Le seul moyen de sortir de cette contradiction est de s’appuyer sur la fraternité. D’où le troisième terme
rajouté à notre devise républicaine par la Troisième République, après la Commune de Paris.
On voit qu’il faudra un siècle pour que la République puisse s’implanter de façon définitive en France. C’est
durant ce 19° siècle que vont s’affronter diverses conceptions de la société. C’est dans cet affrontement que
vont naitre les sciences humaines et sociales.
C’est là qu’on retrouve la notion de contrat social, qui va s’exprimer à travers les serments collectifs
solennels, mais surtout dans une constitution écrite, rupture fondamentale avec la tradition orale.
La Constitution américaine de 1787 marque une césure historique.
(en France, 1793)
Les conséquences de la Révolution Française
Cette destruction de l’ancien ordre social va susciter deux types de réaction :
1) les penseurs « réactionnaires » s’opposent violemment au matérialisme et aux idées démocratiques,
prônant un retour aux anciennes valeurs : la famille, la religion, l’appartenance aux corporations :
- L’anglais Edmund BURKE (1729-1797) : Réflexions sur la Révolution en France (1790)
- Le vicomte François Louis de BONALD (1754-1840) se pose en défenseur de la monarchie et du
catholicisme : Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social (1800)
- Le comte Joseph DE MAISTRE (1753-1821), exilé en Russie, souhaite la restauration de la royauté et
l'union de l'Europe autour du pouvoir papal. Il s’oppose aux « idéologues » et au culte de la raison au
nom de la foi et de l’intuition. Il invente le terme d’« individualisme », pour stigmatiser ce qu’il
considère comme une évolution pernicieuse de la société :
Considérations sur la France (1796),
Du pape (1819)
Ce courant contre-révolutionnaire, légitimiste, s'appuie sur la pensée de Bossuet qui condamnait la révolution
anglaise de son époque, la décapitation du roi Charles I et la tentative précaire d'établissement de la
République. Il va inspirer un courant vivace d'anti-républicanisme chez une large fraction des milieux
catholiques et on va le retrouver dans le mouvement anti-dreyfusard, l'Action Française de Charles
MAURRAS et le pétainisme, jusqu’à la « Nouvelle droite » et le Front National d'aujourd'hui.
(Louis-Marie CLENET, La Contre-Révolution, PUF, « Que sais-je ? », n° 2633, 1992)
« Je suis pour le vin contre l’absinthe comme je suis pour la tradition contre la révolution » (Léon Daudet)
2) les penseurs « réalistes » estiment qu’il faut refonder le lien social sur de nouvelles bases,
d’où un approfondissement de la réflexion sociale qui va aboutir à la naissance de la sociologie, selon
deux grands courants fondateurs : le courant individualiste et le courant holiste.
► Le courant libéral, individualiste, s’inscrit dans la tradition empirique de Montesquieu, Locke… Il
insiste sur la liberté d’association, dans la lignée de Tocqueville et Benjamin CONSTANT. On peut
voir une concrétisation de ce courant dans l’Orléanisme.
La société est le produit des interactions entre les individus.
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Le courant collectiviste (ou holiste) s’inscrit dans une tradition idéaliste. Il insiste sur les
déterminismes sociaux. La société est un tout, a une existence propre qui s'impose aux individus.
Le tout est plus que la somme des parties.
Ce courant va s’exprimer dans le renouveau des utopies, notamment avec les Socialismes
utopiques qui vont fleurir en France après la Révolution, sous diverses orientations :
socio-libérale, inégalitaire et technocratique (St Simon et Owen en Angleterre)
égalitariste et révolutionnaire (Fourier),
anarchiste (Proudhon)
communiste, matérialiste (Marx)
1
.
Ces trois grands types de réaction, réactionnaire, libérale et collectiviste, vont fortement structurer la pensée
occidentale jusqu’à l’époque contemporaine
2
.
Après une brève présentation de la situation sociale, culturelle et économique du 19° siècle, nous verrons
successivement les thèses d’Alexis de Tocqueville, sur lesquelles vont s’appuyer le courant libéral, puis les
Socialismes utopiques, qui annoncent le courant holiste de la sociologie et le paradigme social.
Le 19° siècle, l’ère des révolutions
- la révolution économique et industrielle, née en Angleterre, va progressivement gagner toute l’Europe
et l’Amérique du nord
- les révolutions politiques
* en France :
- 1830, qui débouche sur l’instauration de la monarchie constitutionnelle ;
- la révolte des canuts à Lyon en 1831-1832 ;
- 1848, qui débouche sur l’éphémère Seconde République avant le coup d’état de Louis-Napoléon
Bonaparte ;
- la Commune de Paris, en 1871, avant la proclamation de la 3° République ;.
* mais aussi dans toute l’Europe, avec l’aspiration nationale.
- La révolution philosophiques en Allemagne, avec
- Emmanuel KANT (1724-1804) qui théorise la volution Française (Réflexions sur la Révolution
française),
- Johann Gottlieb FICHTE (1762-1814), accusé d’athéisme et de jacobinisme,
- Georg Wilhelm Friedrich HEGEL (1770-1831) qui élabore une philosophie de l’histoire.
Ces révolutions débouchent sur le développement de l’esprit démocratique, l’égalisation des conditions,
l’urbanisation, le salariat... Selon le poète Charles PÉGUY (1873-1914), elles consacrent le triomphe de
l’argent et la désacralisation du monde. C’est un monde qui bascule, dans un mélange de doutes, de terreurs et
d’enthousiasmes. Dans la lignée de la philosophie des Lumières, c’est une époque profondément marquée par
l’idée de progrès et d’optimisme prométhéen, tant au plan scientifique que moral et politique.
1
Ces grands auteurs, qui se considéraient comme socialistes et qui se traitaient mutuellement d’utopistes, sont présenté
dans l’ordre chronologique de leur apparition, qui correspond aussi à la radicalité de leur théorie du déterminisme social
2
J’ai été frappé de retrouver ces trois catégories, en 2004, dans un reportage sur le fameux carnaval de Binche, en
Belgique, qui venait d’être reconnu par l’UNESCO comme patrimoine de l’humanité. Il existe encore trois organisations
de jeunesse : chrétienne, libérale, socialiste. La présidente des Jeunesses chrétiennes précise que ça n’a plus aucune
signification politique. Chacun des groupes prend en charge une partie des manifestations du fameux carnaval (Marie-
Hélène FRAÏSSÉ, Côté carnaval, France-Culture, « Appel d’air » ; 13/03/2004).
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« Qui désespère a tort. Le progrès se réveille infailliblement et, en somme, on pourrait dire qu’il a marché,
même endormi, car il a grandi. Quand on le revoit debout, on le retrouve plus haut. Etre toujours paisible,
cela ne dépend pas plus du progrès que du fleuve ; n’y élevez point de barrages, n’y jetez point de rocher ;
l’obstacle fait écumer l’eau et bouillonner l’humanité. De des troubles ; mais après ces troubles, on
reconnaît qu’il y a du chemin de fait. Jusqu’à ce que l’ordre, qui n’est autre chose que la paix universelle,
soit établi, jusqu’à ce que l’harmonie et l’unité règnent, le progrès aura pour étapes les révolutions.
Qu’est-ce donc que le progrès ? Nous venons de le dire. La vie permanente des peuples. »
Victor HUGO, Les Misérables
La deuxième moitié du 19° siècle est marquée, à travers toute l'Europe, par l’alternance de révolutions
populaires et nationalistes et de retours à des régimes autoritaires, à l’ordre moral (Napoléon III en France,
Bismarck en Allemagne…).
C'est une époque de crise après la Révolution et l'Empire, un effondrement socioculturel, une remise en cause
des idéologies et des utopies humanitaires rousseauistes. C'est aussi l'époque de l'industrialisation,
accompagnée par d'énormes transformations sociales : l'urbanisation, la modification des rapports familiaux...
On assiste à un développement économique sans précédent, qui entraine un enrichissement important
(« Enrichissez-vous » disait Guizot, ministre de Louis-Philippe) en même temps qu’une paupérisation de
larges masses de la population, et à un bouleversement des traditions sur lesquelles reposait la société
française.
La bourgeoisie triomphante vit dans la hantise des « classes criminelles » et dans la peur des mouvements de
masse. La bourgeoisie se sent assiégée par les classes populaires qui réclament leur part du gâteau. Elle
cherche à raffermir son pouvoir et à discipliner les « classes dangereuses » en « classes laborieuses ».
C'est l'époque le baron Haussmann, préfet de police de Paris, rase des quartiers entiers de la capitale, pour
tracer des avenues on ne pourra plus construire de barricades et où les troupes pourront circuler librement.
De même à Lyon, la révolte des canuts contre l’industrialisation a fait trembler la bourgeoisie des soyeux
(1831). Cette politique urbanistique va aussi dans le sens de l’adaptation à la modernité, à la révolution
industrielle, et elle a une visée moralisatrice et hygiéniste : il faut combattre la promiscuité, notamment après
l’épidémie de choléra qui a décimé la population parisienne en 1832. On chasse les miasmes qui transportent
les maladies
3
. Et on construit les hôpitaux dans la proche campagne de Paris (aujourd’hui 14° et 15°
arrondissements). L’hôpital Broussais est construit sur pilotis pour laisser circuler l’air.
Outre la répression policière et militaire, on va mettre en œuvre une politique d’intégration sociale par le
renouveau religieux, l’amélioration des conditions sociales et surtout la généralisation de l’éducation, avec un
budget sans commune mesure avec ceux d’aujourd’hui. Le but est de créer un sentiment d’appartenance à une
communauté nationale et de former la main d’œuvre nécessaire à la nouvelle industrie.
Lisez les grands auteurs de cette période : Victor Hugo, Balzac, Zola…
C'est le triomphe de la normalisation, de l'ordre et de l'hygiène.
C'est la lutte contre la criminalité et le développement de l'instruction publique.
Les sciences humaines et sociales vont fonder leur légitimité en apportant des réponses à ces grandes
questions que se pose la société de cette époque :
- comment l’ordre social est-il possible, plutôt que la lutte de tous contre tous ?
- comment expliquer la misère, la pauvreté dans un contexte d’enrichissement général ?
- est-il possible de penser l’évolution du monde, des mœurs... ?
- dans quel monde vivons-nous, où allons-nous ?
- comment lutter contre la criminalité ? est-elle héréditaire ou est-elle la conséquence du désordre social ?
et l’intelligence ? et la folie ?
3
Même si un célèbre professeur de médecine de l’époque met déjà en garde contre cette conception : « Tout ce qui tue ne
pue pas, tout ce qui pue ne tue pas ».
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