FT-Macro-La_titrisation_WD_03

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La titrisation
Fabien Di Filippo - Marie Petit
La titrisation est un concept qui a été mis au point aux USA dans les années 60. Originellement développée
par les établissements de crédit dans l’objectif de refinancer une partie de leurs encours, elle a connu un succès
exponentiel ces 10 dernières années.
En effet, suite à la mise en place des ratios Cooke puis Mc Donough des accords de Bâle I en 1988 puis II
en 1996 - Fonds propres réglementaires/ (risque de crédit + risque de marché + risque opérationnel) >8% - visant à prévenir le
risque systémique, les établissements de crédit recherchèrent de nouveaux moyens de contourner les limites fixées
pour se refinancer.
Ce procédé permet de transformer des actifs non cessibles en actifs cessibles, en émettant, sur leur
base, des titres les représentant, et pouvant faire l’objet de transactions. On peut ainsi convertir quasiment
tout en valeurs mobilières: des créances de tous types (prêts hypothécaires, à la consommation, étudiants…), des
stocks, des immeubles d’exploitation etc…
Ainsi, la titrisation était surtout le fait des établissements de crédit, intéressés par le fait de se
fournir en liquidités à bon compte (de manière à pouvoir octroyer plus de prêts). Mais depuis quelques
années, son champ d’utilisation s’est élargi à d’autres sociétés, financières ou non, et son intérêt est
également devenu pour partie spéculatif.
Il apparait donc intéressant de comprendre ce que sont les mécanismes et intérêts des grands produits de
titrisation, pour ensuite observer leur importance et conséquence sur les marchés, avant d’apprécier la responsabilité
de la titrisation dans la crise actuelle et les moyens de limiter à l’avenir ses impacts négatifs.
I / Mécanisme de la titrisation
A) Améliorer la liquidité du bilan
Intérêt recherché : émettre des titres reposant sur des
créances, permettant simplement une entrée de liquidité au
bilan, sans nécessiter une ingénierie trop importante. Ce sont des
titres long-terme à taux fixes, ainsi assis sur des créances à taux fixes.
 Covered Bonds (Pfandbriefe, Cedulas, obligations
foncières...)
Mécanisme :
 La banque émet des titres de dettes sur un pool de
créances qu’elle conserve au bilan.
 Celles-ci servent de garantie et rémunèrent les titres.
 La banque intervient en premier recours en cas de
défaut, les porteurs ne supportent ainsi pas le
risque provenant du sous-jacent.
B) Optimiser l’allocation des fonds propres
Intérêt recherché : transformer en titres négociables des prêts à la clientèle –qui ne sont pas des actifs
cessibles en tant que tel–, faisant ainsi de la place sur le bilan de l’établissement de crédit. Ces titres sont
ainsi cédés à des tiers, cédant par la même tout ou partie du risque et du rendement de la créance. Ainsi, en plus de
l’apport de liquidité, cette méthode de titrisation externalise une partie de ses risques.
 De l’ABS… (RMBS, ABSX…)
Principe : une société qui a, à l’actif de son bilan, des créances au profil de risque et au rendement connus
émet des titres sur la base de ses actifs, des Asset Backed Securities –ABS–. Les caractéristiques de ses
ABS sont ainsi liées à leur sous-jacent.
Mécanisme :
 1ère étape : cession par la société
détentrice du portefeuille de créances à
une société ad hoc, plus couramment
appelée
SPV
–Special
Purpose
Vehicule–.
 2ème étape : pour financer les créances
achetées, le SPV titrise ce dernier en
ABS.
 3ème étape : pour en améliorer la notion,
le SPV swap le risque.
 …au CDO…
Principe : pour diminuer le risque et rendre plus attractif ces marchés de titrisation, de nouveaux produits,
assemblant et titrisant des créances aux risques différents et non-corrélés par centaines sont créés. Le plus
courant d’entre eux est le CDO –Collateralized Debt Obligation–, qui a pour sous-jacent un portefeuille de titres
de créances bancaires et d’instruments financiers de nature variée.
Mécanisme :
 1ère
étape :
cession
par
l’établissement de crédit du
portefeuille de créances à une
société
ad
hoc,
plus
couramment appelée SPV –
Special Purpose Vehicule–.
 2ème étape : pour financer le
portefeuille acheté, le SPV
titrise ce dernier pour former un
CDO
 3ème étape, le CDO est émis par
tranches sur le marché. On
distingue
la
tranche
« equity » particulièrement
risquée (intéressant les hedge funds), de celle « mezzanine » (intéressant nombre de
banques) de risque moindre, de celle « senior » (intéressant les compagnies d’assurance et
de réassurance) au risque le plus faible. Les rendements sont ainsi fonction des tranches.
 …et aux dérivés complexes…
Principe : de la même manière que des produits dérivés de produits dérivés existent sur les autres marchés, le
marché de la titrisation propose les siens, à l’exemple du CDO² ou des SCDO (Synthetic CDO, fondés sur des
CDS, Credit Default Swap, qui eux permettent uniquement d’optimiser le bilan).
Mécanisme du CDO²:
 1ère étape : le SPV achète des CDO.
 2ème étape : pour financer ces achats, il titrise l’ensemble pour former des CDO².
 3ème étape : de la même manière que pour le CDO, le CDO² est émis par tranche.
C) Le mécanisme « Originate to distribute »
De manière globale, la titrisation permet de dégager des marges de manœuvre dans son bilan pour
accorder de nouveaux prêts. Ce lien entre l’origination de crédit et leur distribution par titrisation est dit
« originate to distribute ».
II / Importance et conséquences de la titrisation
A) La taille des marchés
 Covered Bond
Ces titres n’existent aux Etats-Unis que
depuis 2006. Le marché de titrisation des covered
bonds est très majoritairement européen.
 ABS
Etats-Unis
Europe
En Mds €
 CDO
B) Les dérives et l’implication de la titrisation dans la « crise des subprimes »
1) Une dépendance à la liquidité….
La croissance mondiale, par delà l’explosion de la bulle internet, révèle avec la crise actuelle le
paradigme qui la constituait : la dépendance à la liquidité.
A l’origine, la liquidité est le fruit des banques, par la création monétaire –les crédits accordés–, chapotées
par les banques centrales, via les taux directeurs.
Le mouvement de titrisation initié dans les années 90 vient remettre en cause ce rapport à la
liquidité. En effet, l’application de Bâle II (Ratio McDonough) incite les banques à titriser leurs créances afin
d'optimiser le risque auquel elles sont soumises et donc l'allocation en fonds propres afférente.
De plus, le développement des LBO, pousse les banques à effectuer une telle démarche afin de limiter
l'exposition au risque. En effet, lors d'une opération de LBO, 70% de la valeur de l'entreprise cible est financée par
dette. Cette dette est syndiquée et, environ 90% sont assumées par les banques. De fait, sachant le volume de dettes
LBO, la nécessité pour les banques de titriser ces actifs est évidente. Cette opération peut s'effectuer soit par
l'intermédiaire de CDS-CDOS, soit par le biais d’un type de CDO: le CLO (Collateralized Loan Obligations).
Plus largement, cette capacité nouvelle à rendre tout liquide, dans un univers de plus en plus
désintermédié, intéressa grandement les entreprises, financières et non financières. C’est ainsi que la notion
de liquidité commence à déraper: les transactions financières s’éloignent de la seule source incontestable de
liquidité que forment les banques centrales.
Ainsi, une véritable dépendance au refinancement des sociétés bancaires et non bancaires s’opéra de manière
croissante sur les marchés. 2006 aura été l’année des records de la titrisation et de tous les produits qu’elle
développe.
Il faut comprendre que la titrisation est un excellent moyen de refinancement, à condition de
réaliser que la liquidité qu’elle procure n’est qu’une liquidité de marché (capacité à trouver cédants et
acheteurs).
2) … non prise en compte
 Dans la notation
Lorsque 10% du PIB chinois vient se déverser sur le marché américain, parallèlement à un assouplissement
des possibilités de valorisation des biens immobiliers, dans le cadre d’une phase de croissance anormalement longue
du cycle immobilier, le développement d’un nouveau marché de produits financiers est particulièrement bienvenu.
Plus que cette épargne, les investisseurs en général ont un appétit croissant pour les produits à rendements élevés.
Mais les agences de notation ne notent pas cela en l’occurrence. Ce qu’elles notent, ce sont des produits
financiers, via l’analyse de 2 données principalement: les garanties de leurs sous-jacents et la probabilité de
défaut à moyen terme d’après les statistiques historiques. C’est ce que l’on appelle la value at risk.
La titrisation étant une jeune pousse en développement, portée par une période faste, et les nouvelles
méthodes de valorisation des actifs n’ayant pas subi de choc depuis 2002, les notations se fondaient sur des garanties
a priori solides. Et les ABS de prospérer. Les CDO étant le savant assemblage de ces derniers, assurant un panier
non corrélé de titres, les notations n’en étaient que meilleures.
Ainsi, de la titrisation, les agences de notation ne notent pas le risque de marché, mais simplement
le risque de défaut/de crédit. L’argument de partialité du à leur mode de financement (par les entreprises)
n’est que mineur en la matière. De fait, les agences de notation et donc, les investisseurs passent à côté de
l’évaluation du véritable risque.
 Dans la valorisation
Soutenue par une notation positive et une liquidité de marché abondante, la titrisation a vu son
marché exploser en quelques années : décuplement des marchés d’ABS et de CDO américains,
quintuplement de ceux européens.
L’application, depuis 2005 pour les sociétés cotées européennes, des normes IFRS (IAS 39 spécialement)
permettent la valorisation de ces produits titrisés en fair value (mark-to-market ou mark-to-model). Ceci a pour effet
de faire pénétrer la valeur de marché dans le bilan des sociétés. Le caractère procyclique de l’IAS 39 fait que si la
valorisation « gonflait » généreusement les bilans, la moindre crise de confiance garantit ces derniers d’un
dégonflement plus instantané encore, à l’image de la crise actuelle.
3) La titrisation responsable de la crise des subprimes ?
Fin 2006, lorsque la bulle immobilière a commencé à se dégonfler aux USA et que les prix de l’immobilier
résidentiel ont dégringolé, une grande partie des ménages américains ayant souscrit des emprunts à taux variable,
dits subprimes ou Alt-A, a vu le montant de ses mensualités exploser et s’est retrouvée dans l’impossibilité de faire
face à ses échéances. Le nombre des saisies d’habitation est alors monté en flèche. Ce fut le début de la bérézina…
Dans le contexte actuel, issu de la crise financière de 2007, les économistes aussi bien que les investisseurs
ou le public ont besoin de se trouver des coupables tout désignés. Il est ainsi très facile de vouer la titrisation aux
gémonies, ce que beaucoup de spécialistes ont fait: “il faut enterrer la titrisation”, “il faut revenir à la banque, aux
prêts, aux garanties” etc.
Mais c’est oublier que ce n’est pas la titrisation qui a provoqué l’effondrement du secteur immobilier aux
USA. Son concept n’a rien à voir avec celui des crédits subprimes, crédits accordés à des ménages peu solvables à
fort risque de défaut de paiement en cas de retournement de conjoncture. La titrisation est même davantage la
victime de cette crise, au sens où l’on a titrisé de tels actifs “pourris”, qui se sont par la suite retrouvés
disséminés un peu partout dans le monde, sans que leur porteur ne sache vraiment de quoi il s’agisse. De
plus, il s’est avéré que les crédits défaillants sont principalement ceux non pas supervisés par la FED (origination
bancaire) mais par les Etats Fédérés (origination non bancaire).
L’implication de la titrisation dans la crise se situe donc plutôt au niveau du défaut de
réglementation qui a accéléré son essor, de son manque de transparence à un certain stade ou au niveau
des évolutions inconsidérées qu’ont pu développer certains ingénieurs financiers.
 Un problème apparaît avec ces évolutions sauvages, lorsque les propriétaires des produits
finaux (CDO, CDO²…) n’ont plus la moindre idée des actifs sous-jacents qu’ils recouvrent
et du risque qu’ils portent. Et la crise de faire basculer d’une non-corrélation des risques de défaut
des sous-jacents titrisés à la dissémination globale du risque de marché.
 Les normes comptables et financières n’ont jamais été adaptées à un développement
exponentiel de la titrisation. Par exemple, la norme comptable américaine US GAAP n°140
autorise l’enregistrement d’un gain immédiat lors de la titrisation, ce qui encourage l’émetteur
à ignorer la capacité de l’emprunteur à faire face aux obligations futures qu’implique sa dette…
III / Les enjeux actuels
A) Préserver tout ce qui fait la force de la titrisation…
Les problèmes actuels ne doivent pas occulter le fait que durant une décennie, la titrisation a soutenu
une formation de capital rapide et appuyé une croissance énorme du crédit, ce qui a été profitable à la
consommation des ménages, aux investissements des entreprises, et donc à la croissance et au développement des
économies occidentales, en peine de points de croissance supplémentaire face à la poussée asiatique.
En outre, la titrisation permet le fractionnement du risque entre une multitude de porteurs et
permet potentiellement de le redistribuer pour parvenir à une répartition optimale. Comme le disait Alan
Greenspan, alors Président de la FED, avant la crise de l’été 2007, « le risque se trouve désormais entre les mains de
ceux qui sont le mieux à même de l’assumer ». Ce qui permet d’abaisser le coût du risque.
Par ailleurs, tous les pans de la titrisation ne se sont pas écroulés dans la crise actuelle, à l’image des
covered bonds, pour lesquels 2008 marque plus encore que 2007, l’année des records d’émission. Leur force
réside dans le fait que leur émission bonds ne consiste pas en un transfert de propriété (le sous-jacent est
conservé au bilan et sert de garantie), c’est la banque émettrice qui intervient en premier recours des
investisseurs. Ces derniers ne sont donc pas en risque direct sur les actifs sous-jacents et plus encore, comme des
titres de dette senior, les porteurs sont prioritaires dans le remboursement, y compris par rapport à l’Etat.
B) …en contrôlant sa force de nuisance systémique
Bien que l'objectif de départ de ces opérations soit de limiter le risque auxquelles certaines institutions
s'exposent, ces opérations ont un effet pervers. En effet, le risque ne disparaît pas avec ces opérations, il est
déplacé et mute. Et, alors qu'il était précédemment concentré au sein d'établissements capables de
l'estimer (risque de crédit/défaut), il est dorénavant déversé sur les marchés (risque de marché). Or,
l'innovation constante se traduisant par une hausse de la complexité des produits, cela rend de plus en plus difficile
l'estimation du risque par les investisseurs ne disposant pas d'une infrastructure considérable. Si certains, tels que les
Hedge Funds, sont des clients avertis de ce genre de pratiques et des investisseurs importants au sein des véhicules
de titrisation, on risque cependant d'assister à la faillite d'investisseurs moins compétents en la matière.
Les émetteurs de créances titrisées ne doivent pas oublier que la persistance d’un réel marché est
irrémédiablement liée à la qualité (et à la transparence) du produit émis, ce qui dépasse le cadre
d’évaluation proposés par les agences de notation (value at risk).
Il existe d’après les spécialistes plusieurs voies dans lesquelles s’engager afin de limiter les risques que peut
diffuser la titrisation:
 Tout d’abord un durcissement quantitatif simple des règles de liquidité. Il s’agit concrètement d’ une
augmentation à court comme à long terme des exigences de couverture des engagements
pris et d’une tarification plus élevée de la liquidité par les banques elles-mêmes.
 Ensuite, l’établissement de nouvelles règles d’accès à la liquidité, ce qui passe par une
tarification explicite prenant en compte le coût de l’accès au fournisseur ultime de liquidité que sont
les banques centrales.
 Enfin, la mise en place d’un cadre régulé dans lequel devront s’inscrire les institutions qui
prennent des engagements de liquidité sans être soumises à la réglementation bancaire
(conduits, hedge funds, OPCVM).
Sources :
- Vernimmen 2009, Dalloz
- La fin du premier âge de la finance de marché, Pierre Cailleteau & Gilles de Margerie, association En Temps Réel,
cahier n°35 – juillet 2008
- http://www.titrisation.org/
- http://www.titrisation.com/fr/titri_description.html
- http://www.agefi.fr/articles/Les-covered-bonds-au-secours-des-banques-1039391.html
- http://www.cfo-news.com/Titrisation-evolution-d-un-marche-en-mutation_a1954.html
- http://www.celent.com/
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