Qu'on réfléchisse au destin d'une région du monde âprement disputée ou qu'on examine
attentivement ce que l'histoire du christianisme doit à ses lieux originels, on en vient
nécessairement à la mémoire contemporaine de la Terre sainte. Or c'est ici même que la
théorie de la mémoire collective a connu sa première grande étude systématique.
Depuis les années 1970, l’œuvre de Maurice Halbwachs a été associée à la notion de
morphologie sociale. Au cours des années 1990, ses travaux sur la sociologie urbaine et sur la
mémoire ont suscité un intérêt supplémentaire pour cet auteur. Avec la réédition, en 1994, des
Cadres sociaux de la mémoire et, en 1997, de La Mémoire collective, le nom de Halbwachs
s’est imposé comme une référence fondamentale de la sociologie de la mémoire. Un troisième
ouvrage, La Topographie légendaire des évangiles en terre sainte (1941), demeurait
introuvable. Il avait sans doute engendré beaucoup de malentendus. Pour les dissiper et pour
étayer sa lecture au moyen de ce que l’on connaît maintenant de son contexte, un avant-
propos de quelques pages ne pouvait suffire.
Il en va en effet de la mémoire collective des sciences comme de celle de tout autre spécialité
socialement constituée : s’y succèdent des phases de dispersion (c’est la fortune malheureuse
de l’édition de 1941), des périodes d’oubli (dans le cas présent jusqu’au milieu des années
1960), des moments de réinvestissements caractérisés par des époques ultérieures (avec
l’édition de 1971, et à nouveau depuis les années 1990 avec l’essor récent des recherches de
sciences sociales sur la mémoire). La présente édition provient du souci de restituer cette
mémoire savante aussi conformément que possible à ce qu’on a pu restituer du travail initial.
La première partie de cette nouvelle édition comprend les contributions de cinq auteurs,
sociologues, historiens ou philosophes. Elle vise, en multipliant les points de vue, à
rassembler des éléments de la mémoire collective de l’enquête halbwachsienne jusqu’ici
dispersés. Ainsi Danièle Hervieu-Léger situe La Topographie légendaire dans l’horizon
actuel de la sociologie des faits religieux. C’est ensuite en philosophe que Jean-Pierre Cléro
restitue l’arrière plan leibnizien des recherches de Halbwachs. Pour sa part, Marie Jaisson
analyse les étapes des travaux de Maurice Halbwachs sur la mémoire depuis les années 1920
jusqu’à ces derniers textes, en précisant les déplacements d’hypothèses et d’objets opérés par
le sociologue. Sarah Gensburger donne ensuite un exemple de réemploi de la démarche
inaugurée dans La Topographie légendaire à l’occasion de son enquête récente sur le titre de
« Juste parmi les Nations ». Enfin, Éric Brian discute l’apport que la lecture du livre de 1941
peut procurer dans le contexte mouvant des relations entretenues depuis une vingtaine
d’années entre histoire et sciences sociales.
Sommaire
Introduction (Marie Jaisson)
Première partie. A propos de La Topographie légendaire.
Chapitre I − La Religion comme chaîne de mémoire (Danièle Hervieu-Léger)
Chapitre II. − Halbwachs et l’espace fictionnel de la ville (Jean-Pierre Cléro)
Chapitre III. − Mémoire collective et espace social (Marie Jaisson)
Chapitre IV. − Juste parmi les Nations : un fragment de mémoire collective (Sarah
Gensburger)
Chapitre V. − Portée du lexique halbwachisen de la mémoire (Éric Brian)
Dossier
Ouvrages de Maurice Halbwachs
Recension de la Topographie légendaire (1941)
Lettre d’Yvonne Halbwachs (septembre-octobre 1945)