Qu’est-ce que la sociologie ?
(Individu et société : les usages sociaux de la mémoire.)
Texte à l’appui :
Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire,
Paris, Albin Michel, rééd. 1994. (extraits)
voir page précédente
Cette séance d’introduction n’a pas pour prétention de répondre à la question posée dans le
titre. Bien plus, il s’agit d’introduire une série de séances sur la sociologie française en posant
quelques jalons. On illustrera cela à partir d’un texte de Maurice Halbwachs sur les usages
sociaux de la mémoire collective.
La sociologie, c’est l’étude de la société.
Elle essaye de répondre à des questions de type :
Qu’est une société ?
Comment apparaît une société ? D’où viennent les sociétés actuelles ?
Qu’est-ce qui fait qu’une société perdure ? Qu’est-ce que le lien social ? (Dire que la société
est un groupe d’individus ne suffit pas !
La société est constituée d’individus.
La société est constituée par individus, pour cette raison, la sociologie doit aussi s’intéresser
aux individus et aux relations qu’il y a entre eux. Dans ce cadre, elle se pose de nombreuses
questions telles que :
Qu’est-ce qui différencie l’individu en société de « l’homme sauvage », disons l’homme
vivant à l’état d’animal ? Kaspar Hauser et Robinson Crusoe vivent tous les deux loin d’autres
hommes, pourtant de l’un on pourra dire qu’il est sauvage, pas de l’autre. Qu’est-ce qui fait la
différence ?
Quels sont les mécanismes d’apprentissage qui transforment un nouveau né en un homme
socialisé ?
Qu’est-ce qu’un homme socialisé ? Que recouvre la socialisation ?
Qu’est-ce qui fait que les hommes vivent ensembles, comment leur vie en société est-elle
possible ?
Comment s’organisent les relations entre les individus ?
L’usage social de la mémoire : un aspect de la sociologie de Maurice Halbwachs
Repères biographiques.
Maurice Halbwachs (*1877 à Reims U 1945 à Buchenwald) est avant tout présenté comme
un spécialiste de sociologie économique.
De formation philosophe, il a été l’élève de Bergson. Ultérieurement, il est très influencé par
François Simiand (qui est spécialisé en sociologie économique). Politiquement, M.
Halbwachs est socialiste, militant actif ; il devient même un proche collaborateur d’un
ministre (Albert Thomas).
Il rejoint l’Année sociologique1 en 1905. (M. Halbwachs a réalisé une étude retentissante sur
la spéculation immobilière à Paris et est tout d’abord connu pour cette étude.)
Il soutient sa thèse en 1912 : la Classe ouvrière et les niveaux de vie et devient professeur
entre les deux guerres. D’abord à Strasbourg, puis à la Sorbonne en 1935 et Collège de France
en 1944.
M. Halbwachs s’impose avec l’ouvrage les causes du suicide comme successeur d’E.
Durkheim2. Cet ouvrage est notamment une critique méthodologique du Suicide. Plus
précisément, il mène une réflexion critique sur l’utilisation des statistiques en sociologie, mais
cherche aussi à réintégrer les motifs psychologiques dans les causes de suicide.
Il débute autour des thèmes de sociologie économique et de l’analyse des besoins mais élargit
ses thèmes : stratification et classes, épistémologie et méthodologie, mémoire et psychologie
collective, questions urbaines et morphologie sociale.
Méthodologiquement, M. Halbwachs utilise les statistiques ; c’est un sociologue
quantitativiste.
Il contribue à introduire et diffuser en France M. Weber côté allemand, et l’école de Chicago
(Thorstein Vleben) côté américain. En France, il a influencé les sociologues G. Friedmann, A.
Sauvy, J. Stoetzel qui refusent l’orthodoxie durkheimienne.
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1 L'Année sociologique est une revue fondée par E. Durkheim. Elle est un élément important
dans la diffusion de la sociologie de " l'ecole durkheimienne ". Voire la séance 3 sur Emile
Durkheim.
2 Voire la séance 3 sur Durkheim.
Quelques travaux et points théoriques.
Dans sa thèse, il va montrer l’importance du revenu sur la consommation, mais aussi des
facteurs sociaux. Proche de l’approche durkheimienne, il considère la société comme un
ensemble de groupes d’individus qui sont hiérarchisés en fonction de leur place dans la
société en termes d’intégration par rapport au « foyer central de l’activité sociale ». Dans son
approche, les ouvriers se trouvent à la périphérie de la société car, du fait de leur conditions de
travail, ils sont en relation avec de la matière et non avec d’autres hommes, ce qui réduit
d’autant leur sociabilité. Ceci se reflète dans les besoins et modes de consommation de la
classe ouvrière.
Les classes sociales apparaissent dans des sociétés hiérarchisées. La hiérarchie est produite
par les représentations que la société a d’elle-même. La hiérarchie se constitue autour de
certaines ressources. Ces ressources sont liées aux contacts sociaux dont les ouvriers sont les
plus exclus (puisque de par leur travail, ils sont avant tout au contact de la matière, de fait,
leur travail les contraint à « sortir » de la société).
Les cadres sociaux de la mémoire.
Les cadres sociaux de la mémoire, publié pour la première fois en 1925, est son œuvre
maîtresse. Ici aussi, M. Halbwachs se révèle proche des préoccupations durkheimiennes
concernant l’importance des cadres sociaux dans les catégories mentales. Se souvenir consiste
à reconstruire de façon sélective le passé à partir de cadres fournis par la société et les groupes
sociaux auxquels on appartient. La mémoire apparaît dès lors également comme facteur de
cohésion sociale. La dimension sociale de la mémoire est donc première par rapport à la
dimension psychique individuelle ; elle lui donne les points de repère nécessaires. Pour M.
Halbwachs, la mémoire collective / sociale est inégalement distribuée dans la société : elle se
raréfie plus on descend dans la hiérarchie sociale. Ici s’opposent les usages de la mémoire
qu’en font d’un côté la noblesse et la bourgeoisie (ils la cultivent, innovent, se libèrent à
travers elle) et d’autre part la classe ouvrière (elle ne s’y intéresse pas, en est loin et privée ;
elle est, elle, au contact de la matière qui est répétition et inertie). Ces deux pôles sont
construits sur l’opposition matière/mémoire empruntée à Bergson, professeur de Halbwachs.
Bilbliographie indicative :
Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Alcan, 1925.
La Classe ouvrière et les niveaux de vie. Recherches sur la hiérarchie des besoins dans les
sociétés industrielles contemporaines, Paris, Cornely et Presses universitaires de France,
1928.
La Population et les tracés de voies à Paris depuis cent ans, Paris, Alcan, 1930.
L’évolution des besoins de la classe ouvrière, Paris, Alcan, 1933.
La Morphologie sociale, Paris, Colin, 1938.
La Topographie légendaire des Évangiles en Terre Sainte, Étude de mémoire collective, Paris,
P.U.F., 1941.
La mémoire collective, Paris, P.U.F., 1949.
Esquisse d’une psychologie des classes sociales, Paris, Rivière, 1955.
Baudelot Christian et Establet Roger, Maurice Halbwachs. Consommation et société, Paris,
P.U.F., 1985.
Besnard Paul, « La formation de l’équipe de l’Année sociologique », Revue Française de
Sociologie, 1979, n° XX (1).
Gérard Namer, Postface à la réédition des cadres sociaux de la mémoire, Paris, Éditions Albin
Michel, 1994.
Gérard Namer, Mémoire et société, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1987.
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