2__Le_malentendu_fondateur

publicité
SYSTEME ET VIE POLITIQUE DE L’UNION EUROPEENNE
Semestre 3 – Cours 2 – Vendredi 20 octobre 2006
Ambition française te rédemption allemande :
le malentendu fondateur
Introduction :
Le terme « malentendu » n’est pas excessivement pessimiste, mais ici l’instrument fécond
d’une relation positive. L’Europe initiale est profondément centrée sur la relation francoallemande. Deux illustrations :
-La déclaration de Schuman le 9 mai 1950. Il commence par une allusion à la guerre, qui a eu
lieu car l’Europe n’a pas été faite du temps d’Aristide Briand. Il faut que la tension entre
Français et Allemand soit éliminée, c’est pourquoi il propose de mettre en commun les
industries de guerre de la région de frontière entre les deux pays.
-En 1994, le document Schaüble-Lamers, réalisé par deux députés Allemands après la
réunification, revient sur l’esprit de la construction européenne autour du noyau francoallemand. Analyse géopolitique très précise et très bien écrite. Cf le texte sur l’ENTG, et le
memento historique.
I)
La tragédie européenne, 1806-1945.
-1806 : Bataille d’Iéna, victoire facile de Napoléon sur la Prusse. L’Allemagne est pillée. En
Prusse, on décide d’évoluer, pour pouvoir se remettre à niveau.
-1945 : Capitulation du IIIe Reich le 8 mai.
A) Réflexion sur la question allemande.
Qu’est-ce qui fait l’originalité du problème allemand dans l’Europe d’avant 1945 ?
1) Le mythe des « ennemis héréditaires ».
Il y aurait une sorte d’antagonisme fondamental entre Français et Allemands, depuis le IXe
siècle et le Traité de Verdun, qui sépare la France te l’Allemagne, avant cela c’était un même
peuple franc. Les « ennemis héréditaires », c’est un mythe plus qu’une réalité. C’est un
concept récent (150 ans). En France, on pense sous la IIIe République, que l’ordre européen
repose sur la division et l’affaiblissement de la Prusse/Allemagne. La diplomatie française
aurait pour but de se protéger de cette menace, en divisant l’ennemi. C’est une réussite avec
les Traités de Westphalie (1648), fin de la Guerre des Trente Ans, qui a coûté à l’Allemagne
1/3 de sa population, et division de l’Allemagne avec la consécration des princes et des
Länder. Avant cela, il y a eu la bataille de Bouvines en 1214, mais Philippe Auguste n’était
pas réellement menacé par l’Empereur allemand, mais plutôt des vassaux conspirateurs. Il y a
le mythe de Charles-Quint, qui aurait encadré la France de François Ier et Henri II, en étant à
la tête de l’Espagne et de l’Allemagne, mais c’était un fantasme. Enfin, la Guerre de Trente
Ans est plus l’opposition des familles royales française et autrichienne. Tous ces mythes sont
remis au cœur des opinions des deux côtés après la guerre de 1870. Pendant l’Empire
wilhelmien (celui de Guillaume II, après 1870) et la République de Weimar, les Allemands
étaient persuadés que la France voulait empêcher l’unité de l’Allemagne. Pendant les WWI et
WWII, il y a un réel climat de haine entre les deux peuples. Ce sentiment naît en 1806 côté
allemand, et entre 1866 et 1870 en France. Bismarck se sert de ça pour réaliser l’unité
allemande, et il signe l’officialisation de la création de l’Etat prussien au Château de
Versailles en 1871. En 1866, Bismarck élimine l’Autriche pour l’unité allemande, puis en
1870, il convainc les Etats encore indépendants (Bavière) à s’allier contre la France. Dans la
conception du XIXe siècle, les Français voient les Allemands comme des romantiques, alors
que la raison s’est imposé en France. Certes il y a des « ennemis héréditaires », mais
seulement sur trois générations de 1870 à WWII.
La nécessité de diviser l’Allemagne est une paranoïa des historiens français, mais il y a une
autre origine que la force diplomatique française, puisque ça remonte au Traité de Verdun en
843. En France, il y a un triptyque avec l’affirmation nationale (le territoire français est alors
pentagonal, mais il n’y a pas vraiment de volonté expansionniste), l’émergence d’une
catégorie nouvelle avec la bourgeoisie, et finalement un régime politique républicain. C’est
pareil en Angleterre. En Allemagne, c’est très différent. Il y a l’ambition impériale, avec la
volonté de rétablir le Saint Empire Romain Germanique, et pas de faire l’unité allemande. Le
pouvoir des princes est hostile à l’émergence de la bourgeoisie. Au XVIe siècle, il y a un
passage avec Luther, qui prône la soumission au pouvoir politique : il faut être du côté des
princes, car l’homme vit dans un monde déchu depuis le pêché originel, donc le pouvoir est
injuste par la volonté divine. Cette philosophie explique en partie le ralliement et la
subordination du peuple allemand à l’autorité nazie. Avec la Réforme très importante en
Allemagne, il y a un élément supplémentaire de division. Durant tout ce temps, la France n’a
aucune obsession allemande. En 1815 avec la défaite de Waterloo, il n’y a pas l’impression en
France d’être opposé à la Prusse ou aux Allemands, mais plutôt d’être face au réel ennemi
héréditaire : l’Angleterre (qui a derrière elle le reste de l’Europe, dont les Allemands).
Bouvines, la Guerre de Cent Ans, puis après Louis XIV, avec la Guerre de Sept Ans pour la
possession du Canada et des Indes de 1756-1763 : l’obsession française, ce n’est pas
l’Allemagne mais l’Angleterre. Car Français et Anglais sont en lutte pour le leadership
européen et mondial. cf. Les Mémoires de Guerre de DG, avec la certaine vision de la France,
de sa place et de sa grandeur. Le problème allemand est donc très intense, mais pas si ancien.
2) Les origines et la nature de la question allemande.
A la fin du XVIIIe (cf. Candide de Voltaire). Cette question c’est le sentiment des Allemands
d’être menacés par ses voisins, et le sentiment des voisins d’être menacés par l’Allemagne. Il
y avait une Allemagne qui était un ventre mou allemand, une France puissante mais pas si
expansionniste, et à l’Est le grand empire lituano-polonais, mais désordonné, jusqu’au grand
Empire russe. Puis avec l’affirmation du géant russe sous Pierre le Grand et Catherine II, les
Allemands vont devoir créer une armée suffisamment puissante pour résister à la Russie à
l’Est et à la France à l’Ouest, sans menacer toute l’Europe (analyse d’Henry Kissinger). Puis
avec Napoléon, il y a le développement de l’idée hystérique de dominer toute l’Europe. Ça
accentue en Allemagne ce sentiment de précarité face aux Russes et à la France impérialiste et
révolutionnaire. Il se développe donc une nation qui prend conscience d’elle-même, de la
nécessité de s’unir, et de créer une armée très puissante. L’Allemagne est à la fois confrontée
à une unité nécessitée par le devoir de puissance, et d’autre part à une unité impossible car il
faudrait la prise de pouvoir d’une bourgeoisie nationale, mais l’aristocratie des princes a la
force militaire donc contrôle la bourgeoisie.
Ça conduit au passage d’une Allemagne menacée à une Allemagne menaçante. Il y a la
dissociation des aspirations nationales et libérales à cause des princes, contrairement à tous les
autres pays d’Europe. L’unité allemande se fera donc à partir des féodaux, de l’aristocratie
militaire avec Bismarck. Il y a l’apparition à partir de 1870 d’une classe dirigeante allemande
qui n’est pas raisonnable, avec une aristocratie dirigeante, et une bourgeoisie qui a dû choisir
l’unité plutôt quel a liberté politique. C’est une des causes centrales de l’antisémitisme
allemand, car le juif c’est le bourgeois qui n’a pas renoncé à acquérir les libertés politiques.
Au fond, le juif est l’image que la bourgeoisie allemande a dû renoncer à incarner, c’est une
haine de soi-même. Les élites allemandes sont donc dans une situation très particulière
comparé aux voisins européens.
B) L’autodestruction de l’Europe autour de la question allemande.
1) L’introuvable système européen.
-L’approche française : repose sur l’ordre européen stabilisé avec une Allemagne morcelée,
soumise et impuissante. Cette approche n’a aucun sens. Ça repose sur une hégémonie qui ne
peut pas fonctionner, car elle est inégale.
-L’approche anglaise : reconnaissance de l’Allemagne, mais recherche d’un équilibre entre la
France te l’Allemagne. Mais il ne peut pas y avoir d’équilibre, car il y a un troisième acteur
avec la Russie, et il faut essayer d’être l’allié d’un des deux contre le troisième. Il ne peut pas
y avoir d’équilibre. La flexibilité britannique ne repose pas sur un ordre alors que c’est
nécessaire.
-L’approche russe : la Russie a deux grands adversaires : un continental avec l’Allemagne sur
la question des slaves dans les Balkans (ce qui va lancer WWI) et un mondial contre
l’Angleterre (ça va dicter la bipolarisation jusqu’à la fin de la CW). Lequel des deux ennemis
choisir ? ça va mal se passer.
2) Vers la WWI.
La classe dirigeante allemande est victime d’hubris et se croit capable de lutter contre tout le
monde. Les Allemands veulent rivaliser avec les Anglais sur les mers, puis avec la Russie en
enflammant les Balkans, et c’est un peu mieux avec les Français, qui font quelques accords
coloniaux. La solution pour les Allemands aurait été de s’allier aux Anglais, pour préserver la
paix, mais comme ce n’est pas fait, les Britanniques sont contraints de faire la paix avec la
Russie (qui pourtant est leur grand adversaire de l’époque) et la France. C’est finalement la
Russie qui, en faisant ce choix de la Triple Entente, est l’arbitre. Et c’est l’escalade, et la
guerre.
3) Vers la WWII.
Le Traité de Versailles de 1919 consacre la suprématie française en Europe continentale.
L’Allemagne est affaiblie, militairement démantelée, encadrée par la création de la
Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie à l’Est. Enfin les Allemands se sentent humiliés car ils
doivent reconnaître que tout est de leur faute. Mais cette situation de diktat ne peut pas rester
éternellement. Hitler sera très habile, en demandant aux démocraties de respecter leurs
propres principes de liberté, de liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes (l’Anschluss pour
les Autrichiens, les revendications des Allemands des Sudètes), de puissance militaire etc. et
Hitler, une fois qu’il aura obtenu ça, va passer à la guerre de conquête au printemps 1939. La
classe dirigeante est d’accord avec ces réclamations du Reich. Les Français vont avoir
beaucoup de mal à convaincre les autres pays des dangers du réarmement allemand.
Là encore les Russes jouent un rôle d’arbitre, car les Britanniques sont anti-bolcheviks donc
préfèrent Hitler et sont passifs. Les Français ne peuvent pas agir sans les Britanniques. La
Russie décide de s’ « allier » au IIIe Reich avec le pacte germano-soviétique, plutôt que de
rejoindre ses anciens alliés de 1914. Staline sauve ainsi un peu de temps avant d’affronter les
Allemands.
II)
La naissance d’un couple, à partir du 9 mai 1950.
A) La réconciliation.
La déclaration Schuman proclame trois choses, il y a la nécessité d’un ordre intégré, stabilisé
entre la France et l’Allemagne (refus de la flexibilité britannique), cet ordre doit être égal, et
doit se faire très progressivement. Les Américains ont compris que pour pacifier l’Allemagne,
il fallait lui permettre de se reconstruire sereinement, plutôt que de l’humilier de nouveau. Les
Français voulaient une Allemagne divisée, mais les Américains ont préféré une Allemagne
fédérale unie. Ils y ont apporté la croissance économique, d’où le Plan Marshall. Les
Américains ont compris qu’il fallait un apport de sécurité pour les Allemands, donc les USA
se sont directement investis pour protéger l’Europe de l’Ouest de l’URSS et pour garantir
l’ordre européen, d’où la création de l’OTAN. Les Français étaient totalement opposés aux
Américains, surtout que les Américains proposent de réarmer l’Allemagne pour lutter contre
les Russes. La situation française est très difficile. À la veille de la déclaration Schuman, les
Français sont isolés, face au trio USA, UK et Allemagne. Schuman va renforcer les termes de
l’échange, en proposant l’intégration avec l’Allemagne sur la base d’une égalité francoallemande. Ça va isoler les Britanniques, qui sont inquiets de l’unité continentale entre
Français et Allemands, qui casse le principe britannique de l’équilibre continental. Même en
entrant dans la CEE, l’UK reste isolée face au couple franco-allemand.
B) Les limites de la vie en couple.
Derrière la volonté allemande te la volonté française, il y a des objectifs différents, en plus des
communs : la paix. Dans l’UE, l’Allemagne recherche une rédemption morale et un
renforcement de l’alliance atlantique, alors que la France cherche un nouvel ordre politique,
centrée sur le modèle de la grandeur française, par opposition aux anglo-saxons. La gauche
socialiste et le centre français vont accepter les intérêts allemands, les communistes sont
opposés car c’est une arme contre l’URSS, et les gaullistes le font pour lutter contre
l’atlantisme. Il y aura un accord sur l’économie (CECA, libéralisation des échanges etc.), sur
la paix, mais une divergence de fond sur l’Europe politique (CED), car pour l’Allemagne,
l’Europe est un renforcement de l’atlantisme, contrairement aux visions gaullistes.
Conclusion :
Lien entre l’Europe et la paix. Il y a certes un lien profond entre les deux, mais c’est peut-être
la paix qui a apporté l’Europe et pas l’inverse ! (la poule ou l’œuf !?) Ce sont les Américains
qui ont apporté la paix nécessaire à la construction européenne.
Téléchargement