Pédagogie du désir Sœur Véronique Thiébaut – St Gervais / Combloux 7 mai 2013
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Les pistes de la pédagogie du
désir
Sœur Véronique Thiébaut – Saint Gervais / Combloux
7 mai 2013
INTRODUCTION
a- La « pédagogie du désir » à l’Assomption
La place du « désir » en pédagogie, à l’Assomption, est très importante. Et
même si Marie Eugénie n’a pas prononcé ce mot, je pense que beaucoup des
caractéristiques qu’elle a voulues pour les Instituts où enseignaient les premières
sœurs sont une première forme de cette pédagogie du désir qui, même dans son
intitulé, est plus proche des problématiques de notre temps.
Parmi ces traits mis en valeur par Marie Eugénie, il me semble important d’en
mettre quelques-uns en relief :
- Dès l’origine, la pédagogie des Religieuses de l’Assomption visait à un
engagement, une participation à l’avènement d’une société plus juste,
animée par les valeurs de l’Evangile. La transformation de la personne et de
la société sont les leviers par lesquels passe l’avènement de cette société.
- D’où un accent mis sur l’autonomie, la liberté et la grâce particulière de
chaque enfant (nous en avions beaucoup parlé, il me semble, dans ma
conférence de l’an dernier, avec l’invitation à trouver la grâce particulière
de chacun des enfants qui sont les nôtres ou qui nous sont confiés.
- Enfin, la place de la vie contemplative, de la vie de prière, dans la forme de
vie même des Religieuses de l’Assomption, qui place l’acte éducatif dans
une perspective d’intériorité qui lui est indispensable.
Il y aurait bien d’autres choses à souligner mais je ne vais pas refaire ici toute
l’histoire de l’intuition de Marie Eugénie !
Cette expression de « pédagogie du désir » est apparue plus récemment dans
les textes de la Congrégation : au cours du chapitre général de 2006, les
Religieuses de l’Assomption ont décidé de revenir aux sources de leur charisme
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éducatif en cherchant à l’exprimer avec des mots adaptés à notre époque. A
partir d’une spiritualité de l’Incarnation et d’une invitation à partager avec Dieu
une triple passion pour la création, pour l’humanité et pour que l’homme ait la
plénitude de la vie, 6 traits d’une unique pédagogie Assomption ont été soulignés.
Parmi eux, la pédagogie du désir
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: dans le texte, elle est en lien direct avec un
dynamisme créatif qui part de l’éducateur pour aller vers le jeune : « elle suscite la
confiance et la capacité des humains à créer leur avenir.» Une telle pédagogie, est-
il écrit, vise à « faire naître le désir » du beau, du bon, pour s’engager. La «
pédagogie du désir » est donc intimement liée à la « pédagogie du projet », la
première partant davantage de la personne et la deuxième plaçant la personne
dans un contexte social, créant ainsi une dialectique entre la personne en son
désir personnel et la manière dont ce désir va informer son agir social.
b- Des enjeux pour l’éducation aujourd’hui
Le conflit du désir au sein de la famille
Lorsque ces textes sont sortis, en 2006, j’étais enseignante et je ne pouvais
m’empêcher de penser à mes élèves. A cette époque-là, Rachel était dans ma
classe. Rachel a 15 ans quand elle arrive en en seconde générale. Ses résultats
sont dans la moyenne de la classe. A l’automne, son père décède brusquement.
Affectée par l’événement, elle fait face avec courage. Après quelques mois, les
choix pour la série de première sont à poser, ses résultats commencent à chuter.
On attribue cela au décès récent du papa. Lors d’un entretien, elle finit par
m’avouer qu’elle rêve d’avoir son propre salon de coiffure… Elle en a déjà parlé
avec sa mère, dès la troisième ; cette dernière ne pouvait accepter cette idée. Elle
se retrouve donc en lycée d’enseignement général, contre son propre gré, pour
faire plaisir à sa mère. Malgré sa bonne volonté, elle perd la motivation et se
désinvestit du travail scolaire. Professeur principal de Rachel, je me suis
demandé quelle devait être ma posture : chercher à éveiller chez elle un « autre »
désir, plus proche de celui de sa mère, en espérant qu’elle y trouve un jour un
chemin de réalisation de soi, en invoquant le fait qu’elle serait plus heureuse en
ayant une meilleure situation dans la vie ? Ou bien l’encourager à défendre son
projet personnel devant sa mère, avec la certitude que son bonheur ne viendrait
qu’en laissant parler son propre désir ? Fallait-il « changer son désir » ou «
défendre son désir » ?
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RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, textes pré-capitulaires 2006
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J’ai croisé beaucoup de Rachel pendant mes années d’enseignement… Des
Rachel qui me rappelaient que cette question du désir n’est pas étrangère à la
pédagogie mise en œuvre à l’Assomption, centrée sur la personne et l’importance
de son unicité, de son originalité… Une pédagogie qui, loin de vouloir former des
« petits phœnix de science, dès l’âge de 8 ans », comme le dit Marie Eugénie, la
fondatrice, vise plutôt à former des caractères trempés, des hommes et des
femmes qui savent qui ils sont, au nom de quelles convictions ils agissent,
autonomes, capables de s’engager dans la société.
Le conflit du désir et des moyens à prendre
Je me souvenais de Rachel, mais aussi de Nicolas, qui regretta trop tard de
ne pas avoir assez travaillé en seconde car il avait manqué l’orientation dans la
filière de son choix, ou de Bénédicte qui n’était pas très bonne en sciences mais
qui était un prodige en arts plastiques, talent qu’elle ne pouvait exercer dans sa
série économique…
Le conflit du désir et du réalisme
Je ne pouvais ignorer non plus que le désir de l’élève se heurte parfois au
principe de réalité : j’avais accompagné beaucoup d’élèves qui devaient faire le
deuil d’un projet au moment où leurs résultats notés les empêchaient de suivre le
cursus de telle ou telle filière. Combien d’Annabelle, rêvant d’être médecin depuis
leur enfance, doivent renoncer à la fin de la seconde en raison de leur moyenne
en mathématiques ? Quand le désir ne change pas mais que le projet doit être
revu, comment accompagner l’élève et l’aider à retrouver le dynamisme ? N’est-il
pas utopique de parler de « pédagogie du désir », le désir étant ce que l’homme a
de plus intime et de plus personnel, alors que l’on sait bien que nos projets sont
soumis à tant de pressions, inhérentes à la vie en société : désir de l’adulte opposé
au désir du jeune ; société qui, dans sa réalité, le malmène ; difficulté de l’élève
lui-même à accéder à son propre désir…
Avec beaucoup de visages en mémoire et tout autant de questions j’ai
conçu le projet de passer la « pédagogie du désir » au feu de la critique
anthropologique. J’ai donc mené, en 2008, une recherche universitaire sur ce
thème. Ma recherche s’est appuyée sur deux types de matériaux : un parcours
philosophie, psychologique, psychanalytique et spirituel dans le domaine du désir
et des entretiens avec des jeunes lycéens au sujet de leur désir.
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Je voudrais commencer par vous partager ce qu’ont donné ces entretiens,
menés auprès d’une vingtaine de jeunes d’origines très différentes et dans un
contexte tout aussi différent. Il convenait d’écouter les jeunes afin de comprendre
comment s’articulaient « désir », « projet » et « sens » dans leurs représentations
(je reviendrai d’ailleurs sur le lien entre ces trois notions). A partir de ce que le
jeune lui-même exprimait de son sir, tirer quelques conclusions sur les
conditions d’émergence de ce désir, en précisant le rôle de l’enseignant dans le
processus d’individuation de l’élève. J’ai choisi de m’adresser à des lycéens de
première, de milieux sociaux très différents : Paris 16ème, 93, la Savoie et la petite
bourgeoisie du Beaujolais. Il s’agissait d’entretiens semi-directifs, afin que les
jeunes soient assez libres dans leur expression dans un premier temps mais qu’il
y ait une possibilité de relance, indispensable pour obtenir des résultants plus
denses, étant donné le thème assez existentiel de la recherche. C’est le résultat de
ces entretiens que j’aimerais maintenant vous livrer.
1- Quelques remarques sur le déroulement des entretiens
Les notions de sens, de projet et de désir se croisaient dans les questions : «
Comment définirais-tu tes désirs, tes envies aujourd’hui ? », « C’est cela qui donne
sens à ta vie ? », « Parle-moi de ton projet d’avenir. » Les jeunes ayant du mal à
toucher l’essentiel d’emblée comme nous tous d’ailleurs – le retour sur les
thématiques par des questions différentes, comme en effet de vrille, permettait
d’approfondir les réponses.
Lacan dit que « l’homme ne demande pas ce qu’il désire, ne désire pas ce qu’il
veut et ne veut pas ce dont il a besoin »
2
: j’en ai fait l’expérience ! Les réponses
étaient spontanées et authentiques. Mais l’implicite ou la déformation parlent
parfois plus fort que la parole effective. Les désirs et les projets des jeunes
parlent entre les mots. Place pour le dit et pour le non-dit, pour l’implicite et le
silence dans le discours.
2
Cité in DANVERS Francis, 500 mots-clefs pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, Presses
Universitaires du Septentrion, 2003, article « désir », p. 155
Flash n°1 : Parole aux jeunes
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2- Le lien entre le lycée et les désirs
Lorsqu’on aborde plus précisément le lien entre désirs, projets d’avenir et
vie au lycée, différents profils se dégagent assez rapidement.
*Pour certains, le lycée est un lieu de formation intégrale : préparation et
tremplin de la vie d’adulte. Le lycée est un lieu « qu’on s’approprie », avec des
propositions extra-scolaires, un engagement des élèves.
C’est une vision assez ouverte du lycée, qui pose les bases de la vie future et
forme la personne de manière intégrale, au-delà de la transmission d’un simple
savoir, en lui donnant les clefs de sa réussite en terme d’études et de travail, mais
aussi en terme de relation, de personnalité, de compréhension du monde. De
cette manière, le lycée semble se mettre au service du projet personnel de
l’élève en lui proposant des relations et une ouverture.
*Pour d’autres, le lycée est séparé de la vie et du désir. Dans 16ème arr.de
Paris, les discours sur les projets d’avenir sont évasifs, avec des mentions
fréquentes et paradoxales de la « pression » du milieu. Le lycée est avant tout un
lieu social, l’on a beaucoup d’amis. La relation à l’enseignant est centrale
mais ce qu’on attend d’eux, avec une certaine désinvolture, c’est qu’ils soient
« cools » et « sympas » ! Denis montre cette désinvolture face à l’avenir : il
aimerait bien faire ses études en Bretagne, « sur le littoral », il choisira ensuite
l’école supérieure qui lui plaira. « Sinon moi, j’ai pas trop d’projets en fait. » Le
contexte social ne semble pas aider les jeunes à se mettre dans une perspective
sérieuse et responsable face à l’avenir : ils affichent une certaine décontraction et
n’ont pas de projets professionnels définis. Les désirs exprimés soulignent plutôt
le caractère original et personnel, dont le lycée n’est pas vecteur. Les jeunes
cherchent d’autres lieux (les trouvent-ils ?) pour exprimer ce qui les anime, avec
insouciance. Le lycée, dans ce sens, serait presque perçu comme ce qui peut
faire obstacle au désir : lieu de l’étude, du travail, de la confrontation aux
enseignants… rien à voir avec le désir, inséparable du plaisir. L’essentiel des
désirs et des projets se construit en dehors de l’école.
*Une troisième conception est celle du lycée comme lieu
d’accompagnement, surtout développée par des jeunes qui se trouvent dans des
séries professionnelles ou technologiques : L’aide à l’orientation proposée par les
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