B. III. L`infini de Dieu

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Daniel Bolliger, Infiniti Contemplatio, Leiden/Boston : Brill, 2003
Introduction :
L’influence de la scolastique sur la Réforme a été peu étudiée. Propose ici une analyse de
l’influence de Duns Scot sur Zwingli.
La réception de Scot s’est fait selon deux courants : les scotistes et les okhamistes. En général
on soutient que Zwingli lit Scot à travers les scotistes ce qui est réducteur.
A. Histoire de la recherche
I.
Via antiqua versus via moderna
1. Génèse du paradigme
La recherche a voulu classer Zwingli dans ce schéma réducteur. Aventin, chroniste du XVIe,
relie ces deux voies à la querelle des universaux, corrélation qui entretient par la suite la
confusion.
Au début du Xxe, Hermelink soutint que la via antiqua = « réalisme » ; selon lui la
« haecceitas » de Duns Scot est médiatrice entre « universale ante rem » et « individuum ».
La chose particulière participe à l’être de l’universale à travers la haecceitas qui lui est propre
(fin p.16). Tj. Selon lui, les tenants de la via antiqua croient à la réalité ontologique des
choses, ils tiennent donc la réalité pour connaissable et s’intéressent du coup à la physique et
l’éthique, la raison étant pour eux auxiliaire de la foi.
La recherch ultérieure a remis en question ce lien entre via antiqua et attitude « scientifique ».
2. Le paradigme à son zénith
Prantl : via moderna caractérisée par une logique terministe du nominalisme sans ses
implications ontologiques. Ritter cite Gerson pour qui toute science repose sur des
compréhensions subjectives (p.25) pour conclure que le nœud du problème au XIIIe s.
concerne la portée de la connaissance « naturelle » pour la métaphysique (p.26).
Michalski : la via moderna utilise la logique terministe dans un sens nominaliste, la via
antiqua dans un sens réaliste (p.38).
A.Weiler : Ockham temrina la querelle des universaux par son conceptualisme, selon lequel
toute science ne traite que de phrases – ce qui constitue la nouvelle phase du nominalisme,
cell de la via moderna, proposition inacceptable pour les tenants de la via antiqua puisqu’elle
enlève toute pertinence quant à la réalité des objets de la connaissance.
3. Le paradigme devient patchwork
La distinction des deux voies semble réductrice. Un point central de la via moderna est la
dalectique des deux puissances divines ; potentia absoluta et potentia ordonata, contre une
conception statique de Dieu dans la métaphysique grecque. Selon Ockham, Dieu fait tout de
façon ordonnée cf. « masse » d’où le besoin pour l’homme de comprendre cet ordre. 
connaissance du monde comme connaissance de Dieu. Du coup, Duns Scot, jusque là compris
comme dernier grand réaliste, devient le précurseur du nominalisme (Thomas p.52s).
Swilzawski : la critique de la philosophie de Thomas d’Aquin dès sa mort (visant le
déterminisme aristotélicien) donne de l’eau au moulin des modernes qui soulignent la toutepuissance divine et la contingence du monde.
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Les troubles intra- et extrapolitiques font qu’une vision du monde simple devient nécessaire et
favorise au Xve siècle un nouvel aristotélisme chrétien (7mars=fête de saint Thomas
récemment béatifié, mais le peuple préfère continuer ce jour de fêter Perpetua et Felicitas
(56). En fait, toute la conception de la théologie médiévale par la théologie moderne est
marquée par le désir de conprendre l’émergence de l’humanisme. Ce désir façonne aussi
l’analyse de la réception de la philosophie médiévale par Zwingli.
II. La réception de la scolastique comme objet de la recherche zwinglienne
1. Zeller, dès le XIXe s. souligne que « l’opposition entre fini et infini est la clé pour la
compréhension de Zwingli ». Seeberg souligne que Zwingli, tout en partageant avec Luther la
justification, est pourtant, malgré l’aspect extérieur, moins conséquent dans ses applications
que Luther (61) car il est englué dans des concepts médiévaux.
a) La prédestination liée à l’enseignement de Scot et du nominalisme sur dieu comme volonté
absolue (arbitraire) ; b) la christologie réformée (62) correspond à celle de la scolastique ; c)
La relation Eglise-Etat correspond à celle du MA ; d) La conception des sacrements (ib.)
malgré son caractère radical, est issuee de celle du MA.
Zwingli reprend dans son argumentation des concepts scolastiques et surtout franciscainsscotistes (76s):
- communication des idiomes : important pour la christologie
- union hypostatique
- infini de la nature divine de cette union
Sa conception de la « divinité de Dieu » comme summum bonum qui marque sa christologie,
est influencée par la métaphysique médiévale qui est certes chrétienne mais marquée dans sa
méthodologie par la raationalité indépendante de la foi (77s).  Zwingli reste marqué par une
conception philosophique de Dieu justement parce qu’il reste lié à la tradition ecclésiastique.
Depuis les années 1960 on situe Zwingli dans le contexte du nominalisme surtout scotiste
avec comme centre le concept de la double puissance de Dieu (86) : potentia ordinata et p.
absoluta.
B. III. L’infini de Dieu
Dieu comme infini = centre de Duns Scot (contre Platon et Aristote, avec Grégoire de Nysse).
Quand un auteur antérieur y fait allusion, c’est en passant et sans le déployer, car difficilement
pensable et vrament acceptée que dans le scotisme tardif. Deux obstacles majeurs à sa
conceptualisation :
a) La compréhension platonicienne de l’infini comme indéterminé (112) = apeiria des
phénomènes non déterminés par l’ordre conceptuel  idées, nous, y introduit de
l’ordre. Infini chez Palton = relié à l’immanence, contre l’ordre des idées qui relève de
la transcendance.
b) Pour Aristote l’infini est marqué par la multiplication et l’extension du fini,
l’extension infinie = manque de forme ; or, Dieu ou la transcendance est pure forme.
Dieu = première cause de tout mouvement, et où il y a mouvement, il doit y avoir une
limite (113), infini = pure potentialité. Dans la logique, un regressus ad infinitum est
impensable (114).
Dans le néoplatonisme, la transcendance de Dieu est tellement soulignée qu’elle se place audelà de l’opposition entre fini et infini (114). Grégoire de Nysse inclut l’infini dans l’essence
de Dieu, mais peu de conséquences.
Les franciscains, Alexandre d’Halès et surtout Bonaventure, soutiennent l’infini de dieu, mais
celui-ci ne concerne que son essence tout en étant argumenté à partir de son action et de sa
toute-puissance (115), reste donc extérieur à son être. Il est difficile d’aller plus loin car ils
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sont attachés à refuter la philosophie arabe avec son infinité (éternité du monde contre
laquelle ils soutiennent l’argument de l’impossiblité de coexistence de plusieurs grandeurs
infinies (116).
Thomas d’Aquin : réception anti-aristotélicienne d’Aristote (117s) :infini = absence de
définition (je n’ai pas tout compris).
Duns Scot critique Thomas en soutenant que l’infini est une caractéristique intrinsèque
appartenant à l’essence, et n’a donc pas à être défini à l’aide de quelque chose d’extérieur
(120s). « L’être infini est infini en soi ». La différence entre l’être infini et l’être fini est la
distinction primordiale qui précède et conditionne toutes les autres = « décision métaphysique
principielle » (121). 3 étapes de son élaboration :
- passage de la conception quantitative à une conception qualitative de la différence
entre fini et infini dans une de ses premières œuvres « quaestiones in metaphysicam
Aristotelis », d’où découle une nouvelle vision de la cause première ;
- preuve de l’existence de Dieu dans la « première ordinatio » et dans « de primo
principio » = application théologique de la première étape ;
- dans « quodlibet » il en livre une version cohérente.
a) Dans le cadre de ma discussion des sentences de Pierre Lombard, élabore un dialogue
fictif entre philosophe et théologien, le premier soutient qu’une connaissance purement
naturelle est possible, le second soutient qu’il faut une intervention surnaturelle. Distingue
entre métaphysique (sujet : l’être) et théologie (sujet : Dieu). Distingue « théologie in se » =
connaissance de Dieu inaccessible en cette vie (131) et « théologie in nobis » = connaissance
contingente de dieu à travers la conception de l’infini. La connaissance est chez le philosophe
de nature spéculative, chez le théologien de nature pratique (133) : demande un acte de
volonté pour adhérer à ce qui est reconnu comme vrai : plus grande dingité de la théologie
(134). Duns Scot reprend de la tradition franciscaine antérieure, surtout Bonaventure, la
notion de perfection (142) qui confère à l’infinité une dimension ontologique.
b) Puisque Dieu n’est pas accessible à la connaissance intuitive, il faut prouver son
existence (144). Part surtout de l’idée de Dieu comme cause première (146), cherche ensuite à
prouver que l’Etre premier doit nécessairement disposer de volonté et intellect (147) ce qui le
distingue de la conception aristotélicienne avec son apatheia : or, conçoit Dieu comme
agissant.
Rejette le regressus in infinitum des philosophes comme pas assez claire car suppose un saut
dans le raisonnement : tirer des conclusions d’états de faits (p.ex. chaine de causalités) reste
toujours dans le quantitatif, alors que l’infini de Dieu correspond à un saut qualitatif ; la
contingence relève de l’extensif, l’infini de l’intensif : infini intensif ou intensité infinie (149),
pas encore identique à la toute puissance.
Cette infinité de Dieu le libère du déterminisme aristotélicien et lui assure l’entière liberté
d’action (152).
L’infinité conditionne en même temps la singularité de Dieu, l’existence simultanée de
plusieurs êtres infinis est une impossibilité logique.
c) L’infini divin est essentiel, qualitatif, ontologique. Il ne contredit pas la relation
intratrinitaire, ces relations sont des modi essendi qui n’ajoutent ni enlèvent quelque chose à
l’intensité et la perfeciton divine.
Le concept d’infini est ressenti comme urgent car il correspond au besoin de l’époque de
« mesurer » le monde (161). Ockham éprouve le besoin de contredire Duns Scot, mais en fait
est avec lui sur la même ligne.
Boule (195)
Stéphane Brulefer, franciscain fin Xve s., lit Bonaventure à la lumière de Duns Scot. Sa
théologie est typique pour l’époque, alliant piété et intellect : piété de la théologie ou
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théologie de la piété. Zwingli lira Scot à travers Brulefer.
Accumulation de savoir = démoniaque ; seul la transmission (vulgarisation) par une
conscience pieuse est justifiée (205s)  réduit l’enseignemetn scolastique à ce qui est
pertinent pour l’édification : mode repris par Zwingli.
Mair par contre développe l’enseignement de Scot dans un sens très philosophico-logique 
2 ailes du scotisme qu’on ne peut pourtant pas identifier purement et simplement aux deux
voies : (216s).
- Brulefer : restauration conservative de la piété de l’ordre, dans la ligne de
Bonaventure.
- Mair : scientifique érudit, dans la ligne de Grégoire et Ockham.
Mais c’est justement le premier qui met en évidence l’innovation du scotisme en ce qui
concerne l’infini.
IV. L’unité de Dieu infini à la lumière de sa non-identité formelle
« distinctio formalis » = point central du scotisme au point que ensuite « scotisme » devient
synonyme de « formalistes ».
Universaux (220-222)
Pour duns, la présence des universaux dans les choses précède logiquement leur
reconnaissance par l’intellect mais ne devient actuelle que dans et par lui. De même la
distinction : la différenciation de l’objet précède sa reconnaissance par l’intellect mais n’est
pas pensable sans lui.
Franciscus Mayronis développe à partir de là une théorie cohérente pour mettre en évidence la
différence entre essence et personne(s) divine(s).
a) essence : déité dont le mode est l’infinité
b) existence : passio
Je m’arrête là (274) c’est trop pointu, il me faut beaucoup de temps, or je ne suis pas sûr que
la suite m’apporte beaucoup.
Conclusion : Récolte historiographique (494-521)
La contribution originale de Zwingli à la Réforme : l’insistance sur la différence radicale entre
divin et humain, fruit de sa réception de Duns Scot.
Réception active : dans les œuvres majeures, réflexion intensive.
Réception passive : simples citations dans les notes.
L’influence de Duns Scot devient surtout perceptible après la querelle eucharistique. Quelle
est la relation de cause à effet ?
a) Les concepts de duns Scot sont utilisés pour argumenter sa position face à Luther.
b) Mais est-ce que cela signifie que Zwingli n’a pas lu activement duns avant cette
querelle ?
En tout cas, la réception de Scot par Zwingli se passe clairement en deux phases :
Avant 1515 :
Lit Duns probablement entre 1508 et 1514 dans le cours de sa formation. Sa pensée ultérieure
sera marquée par cette lecture. Désigne la différence creator-creatura comme point central du
christianisme. Dans le cadre de la scolastique tardive, la foce novatrice de ce principe reste
limitée car enchâssée dans une vision graduelle du paradigme médiéval (506s).
Après la querelle avec Luther :
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Ce concept de la différence liée à l’infinité de Dieu, dévelppe toute sa dynamique et devient le
fondement de la théologie réformée de Zwinglie qui retravaille maintenant activement les
textes de Duns Scot qui forment le cadre conceptuel pour sa théologie (511).
Le scotisme passif de Zwingli devient réfomant, puis « réformé ».
Luther et Zwingli diffèrent dans leur façon de lire Duns Scot (512-515).
La nouveauté de la Réforme s’inscirt ainsi dans une continuité depuis le Moyen Age, est
conditionnée par elle.
La force d’inertie des concepts se révèle plus forte que ce qu’on pensait. La réception du
concept d’infinté par les réformés marginalise le sacré : Dieu est désormais nulle part et
partout, la vie quotidienne gagne en dignité (520).
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